Une épître à Robert F. Kennedy Jr
Edward Curtin – Off Guardian – 13.11.2023
Traduction : c.l. pour L.G.O.
De An Epistle to Robert F. Kennedy Jr
Cher Bobby,
Comme vous le savez, j’ai soutenu votre candidature à la présidence avant même que vous ne vous déclariez candidat au printemps dernier. Cela fait des années que je vous admire et que je crois en vous, et lorsque vous êtes entré dans la course, j’ai éprouvé pour la première fois depuis des décennies l’espoir que vos impulsions non violentes, aiguisées par l’histoire tragique de votre famille et par un profond dégoût pour les guerres impériales et l’histoire violente de notre pays, triompheraient et ouvriraient une nouvelle ère de paix.
Malgré les opposants qui vous ont rejeté dès le départ, j’ai dit Oui, que vous choqueriez ceux qui vous ont ridiculisé et calomnié et que vous seriez l’homme qui réaliserait le discours du président Kennedy à l’université américaine et qui accomplirait la tâche que lui et votre père nous ont légué, à savoir « non seulement la paix pour les Américains, mais la paix pour tous les hommes et toutes les femmes », parce que « nous respirons tous le même air », « nous chérissons tous l’avenir de nos enfants » et « nous sommes tous mortels ».
J’ai fait le pari que vous combleriez le fossé et que vous ne l’élargiriez pas. Le fait de vous voir trébucher dès le début du chemin en apportant votre soutien total aux dirigeants sionistes d’Israël m’a fait l’effet d’un coup de massue sur la tête. Au début, j’ai pensé que cela pouvait s’expliquer par votre réaction aux accusations mensongères d’anti-sémitisme qui ont été lancées contre vous dès qu’il a été manifeste que vous pouviez entrer dans la course à la présidence. Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que j’avais tort et que vous étiez hélas en phase avec le puissant lobby israélien.
Aujourd’hui, j’ai l’impression que nous en sommes au dixième round du match entre votre âme et la compassion. Le fait que vous n’ayez pas défendu les enfants de Gaza et condamné leur massacre par milliers m’a choqué, m’a rendu malade.
En ma qualité de spécialiste de la religion et de ses liens avec la politique, j’ai médité sur les événements actuels.
Pendant très longtemps, la religion a servi de couverture pour massacrer des gens et s’emparer de leurs terres. C’est vrai pour les États-Unis et c’est vrai pour Israël. Cela fait partie de leurs fondements théologiques. Il n’est donc pas du tout surprenant que le massacre actuel des Palestiniens par Israël soit pleinement soutenu par le gouvernement U.S. dirigé par le président Joseph Biden, et par presque tous les candidats à la présidence.
Vous, cependant, candidat autoproclamé anti-guerre, êtes une grande surprise pour moi, bien que je sois peut-être naïf alors que je ne devrais pas l’être puisque vous avez apporté votre soutien sans équivoque au gouvernement israélien il y a un mois, après l’incursion en Israël du Hamas, le 7 octobre, qui a tué des Israéliens innocents (dont beaucoup ont probablement aussi été tués par les FDI comme l’a rapporté Jonathan Cooke). Malgré cela, je m’attendais à ce que votre conscience vous pousse à condamner ce qui ne peut être décrit que comme un génocide, le « massacre des innocents » qui se poursuit à Gaza.
Vous avez-vous-même sapé votre prétention à « mettre fin aux guerres éternelles » et à défendre les enfants. La raison pour laquelle vous avez fait (ou n’avez pas fait) cela est une question que beaucoup de vos partisans et anciens partisans se posent. Vous seul pouvez le dire. Nous ne le saurions peut-être que si vous condamniez sans équivoque les actions d’Israël et faisiez face à tout ce qui pourrait en résulter pour vous. C’est peu probable, je m’en rends compte maintenant, mais il est toujours permis d’espérer. Même si je pense qu’il faudrait un miracle spirituel de courage moral, car vous affirmez que votre analyse historique est sincère et vraie et qu’Israël a toujours été la partie juste et innocente et les Palestiniens les méchants. Je trouve votre analyse incroyable et votre silence, alors que des innocents sont massacrés, indéfendable, même si j’adhère à tant d’autres de vos positions, comme vous ne l’ignorez pas. Tout le monde sait qu’une candidature à la présidence des États-Unis crée des liens étranges, mais le fait que vous souteniez la propagande israélienne en faisant l’amalgame entre le peuple palestinien et le Hamas pour justifier le massacre de civils est plus qu’étrange, c’est immoral.
Je sais à quel point vous respectez le révérend Martin Luther King Jr. et vous avez sans doute déjà entendu ses paroles.
« Et il arrive un temps où il faut prendre une position qui n’est ni sûre, ni politique, ni populaire, mais qu’il faut prendre simplement parce qu’elle est juste. »
Martin Luther King Jr.
Votre conscience vous appelle, Bobby. Soyez fidèle à cette voix intérieure. Si politique que cela soit, il y a un lourd fardeau de culpabilité à abandonner les Palestiniens. C’est ce que King a appris en voyant les photos des enfants vietnamiens napalmés et morts, et que sa conscience l’a poussé à se rendre à l’église Riverside de New York pour y prononcer son discours « Au-delà du Viêt Nam : L’heure est venue de rompre le silence »..
Vous pouvez faire de même. Les photos des enfants palestiniens morts, victimes du soutien U.S. aux bombes israéliennes, sont là pour être vues. Martin a cité votre oncle, John, qui disait que « ceux qui rendent impossible la révolution pacifique rendent inévitable la révolution violente ». Il a dit que nous ne pouvions plus vénérer le Dieu de haine et de vengeance. Il a ajouté : « Cette folie doit cesser, d’une manière ou d’une autre. Nous devons arrêter maintenant. Je parle en tant qu’enfant de Dieu et frère des pauvres qui souffrent au Viêt Nam. Je parle au nom de ceux dont les terres sont dévastées, dont les maisons sont détruites, dont la culture est subvertie ».
Vous aussi, Bobby, vous pouvez rompre le silence, prendre de la hauteur et faire en sorte que votre conscience ne vous laisse pas d’autre choix que de condamner le génocide à Gaza. Comme l’a dit Martin « il y a un moment où le silence est une trahison ».
Vous dites que vous invoquez « un argument moral en faveur d’Israël » au titre de « partie justifiée dans la guerre qui l’oppose depuis soixante-quinze ans aux Palestiniens ». Ce faisant, vous reniez votre promesse électorale d’imiter le président John Kennedy, qui serait consterné par votre silence. Votre site web, Kennedy 24, déclare que « [vous] Kennedy renouera avec un fil perdu de la pensée américaine en matière de politique étrangère, celui défendu par son oncle, John F. Kennedy qui, au cours de ses 1.000 jours au pouvoir, était devenu un anti-impérialiste convaincu ».
En ployant le genou devant le génocide israélien tout en vous vantant de vos liens avec JFK et votre père le sénateur Robert Kennedy, vous adoptez une position diamétralement opposée à la leur à l’égard d’Israël. On aurait dû s’y attendre, lorsque, l’été dernier, agissant sous pression, vous avez retiré votre soutien à Roger Waters, fervent partisan des Palestiniens accusé à tort d’être antijuif, et que vous avez ensuite permis à votre « ami », le rabbin Shmuley Boteach, de dire que le Palestinien Sirhan Sirhan, a tué votre père en 1968, alors que vous saviez que c’était un mensonge et que cela faisait partie d’une conspiration sophistiquée des services de renseignement pour charger du crime un bouc émissaire accusé de haïr Israël.
Que vous ayez permis à Shmuley de répéter effrontément et sans cœur un bobard de la CIA sur l’assassinat de votre père était un signe avant-coureur du pire à venir.
Par les USA comme par Israël, la Bible a été utilisée pour dissimuler les crimes de leurs fondations. Ils ont des histoires analogues enracinées dans des mythes religieux. Dans les deux cas, les peuples indigènes ont été décrétés moins qu’humains – des sauvages, des infidèles – ou, pour reprendre la description des Palestiniens par l’actuel ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, comme des « animaux humains ». Ce genre de langage raciste et déshumanisant a été abondamment et répétitivement utilisé, dans les récits US et israéliens qui ont servi à justifier leurs crimes contre ceux qu’ils tuaient et dont ils volaient les terres.
Le vernis de l’hypocrisie civilisée a été enlevé par ce langage, tout comme il l’a été lorsque Hitler a traité à plusieurs reprises les Juifs de « vermine ». Ironie mise à part, la rhétorique nazie de dénigrement de l’autre et de supériorité raciale pour justifier l’extermination du peuple juif a été utilisée à satiété par les dirigeants US et israéliens, que ce soit à l’encontre des peuples originels libres d’Amérique du Nord, des Vietnamiens, des Coréens, des Irakiens, etc. ou des Palestiniens. Il s’agit de l’insane mentalité maître/esclave si profondément ancrée dans l’histoire des USA et d’Israël.
Bobby, vous avez dit que vous espériez être le deuxième candidat indépendant à devenir président, le premier étant George Washington. Or, Washington était un raciste et un esclavagiste qui soutenait l’extermination des Indiens pour que les colons blancs puissent s’emparer de leurs terres. Il l’a fait lui-même en spéculant sur les terres amérindiennes, avec la plupart des autres hommes politiques éminents des premiers jours de la République, en ce compris Thomas Jefferson, John Marshall, Andrew Jackson, etc. Pour les gouverneurs et les législateurs des treize États, c’était aussi le sésame qui permettait de s’emparer des terres indiennes, cela impliquant nécessairement leur massacre..
C’est ce qu’explique Peter P. d’Errico dans son récent et important ouvrage intitulé Federal Anti-Indian Law : The Legal Entrapment of Indigenous Peoples [La loi fédérale anti-indienne, piège juridique à l’encontre des peuples autochtones], dans lequel il explique clairement comment le droit américain a été utilisé pour codifier ces vols et ces meurtres « légaux ». Cette loi fédérale était, comme l’écrit d’Errico, une revendication de pouvoir illimité de la part des USA et n’était pas une loi du tout, mais au contraire une suspension de la loi ; puisqu’elle accordait au gouvernement US une autorité totale sur les peuples autochtones, leurs vies et leurs terres.
En d’autres termes, il s’agit de la légalisation d’un vol légal. À l’instar de la justification anglaise de revendication à leurs colonies – le « droit de découverte » proclamé dans la commission d’Henri VII à John Cabot : de « soumettre et prendre possession de toute terre inoccupée par une puissance chrétienne » –, une série de trois arrêts de la Cour suprême rendus dans les années 1830 par le président de la Cour John Marshall se fondaient sur la revendication de la « découverte chrétienne », elle-même fondée sur une concession papale du pape Alexandre VI en 1493 qui accordait aux parrains de Christophe Colomb, Ferdinand et Isabelle, la propriété de toute terre que Christophe Colomb pourrait découvrir.
Ce droit divin exigeait le meurtre et la soumission des infidèles non chrétiens et des païens qui étaient considérés comme des bêtes brutes, tout comme les Palestiniens le sont aujourd’hui.
Des justifications similaires ont été utilisées par les sionistes pour tuer les Palestiniens et s’emparer de leurs terres au nom du Dieu juif biblique et des instructions qu’il leur a(urait) données. Ce mythe prétend que Dieu leur a donné la terre ancestrale des Palestiniens et que, par conséquent, à l’instar des peuples indigènes d’Amérique du Nord qui, selon la loi non juridique des USA, n’avaient qu’un droit d’occupation, les Palestiniens pouvaient être tués et dépossédés par les propriétaires « légitimes » désignés par Dieu, ce qui leur arriva en 1948.
Netanyahou a fait ce genre de déclarations à de nombreuses reprises, tout comme l’ont fait ses prédécesseurs. Il appelle à une guerre sainte d’anéantissement contre les Palestiniens, sur la base de la Bible hébraïque. Ceci est largement connu et a une longue histoire dans le récit de propagande sioniste qui a permis soixante-quinze ans de massacres et de rétrécissement systématique de la terre palestinienne jusqu’à la taille pitoyable qu’il lui reste aujourd’hui
Il est intéressant de noter que les trois principaux pays qui se croisent dans l’utilisation de la justification religieuse pour les politiques coloniales et impériales sont l’Angleterre, les USA et Israël – ainsi que la papauté et sa bulle Inter Caetera du 4 mai 1493 émise par le pape Alexandre VI pour proclamer la découverte chrétienne.
Je mentionne ceci parce que je suis un catholique irlando-américain et que c’est le soulèvement irlandais contre les occupants coloniaux anglais qui est devenu une source d’inspiration majeure pour les rebelles anti-coloniaux tout au long du XXe siècle et au-delà. Je me suis inspiré de mes ancêtres irlandais.
C’est aussi votre héritage, Bobby, et il en devient donc encore plus surprenant que vous, alors même que vous vantez les mérites des combattants rebelles de la guerre d’Indépendance américaine contre les colonialistes anglais, souteniez le génocide israélien contre les Palestiniens, Avocat, vous ne pouvez ignorer la Loi Fédérale sur les Indiens et vous devez savoir que, comme toute loi, elle est ancrée dans une métaphysique de l’être humain, qu’elle a des présupposés qui sont apportés au barreau et, dans le cas de la Loi fédérale sur les Indiens, un nomos chrétien en désaccord avec celui des peuples indigènes..
Vous savez certainement que l’assaut israélien sur Gaza est un crime de guerre massif selon le droit international, et même dans le cadre de la théorie catholique modérée de la guerre juste, il est, par sa proportionnalité déformée, mauvais, et qu’il doit être rejeté comme immoral et comme un terrible péché. Vous prétendez vouloir mettre fin à toutes les guerres, mais vous soutenez le massacre en cours de milliers de civils palestiniens innocents, y compris de nombreux femmes et enfants. Vous n’avez pas non plus dit un mot contre le traînage de sabres de Biden avec ses porte-avions, ses drones US et son assistance à l’assaut sanguinaire d’Israël, qui fait planer la menace d’une guerre beaucoup plus vaste encore, qui pourrait devenir nucléaire.
Oui, la question est de savoir pourquoi un tel silence, que vous pouvez rompre maintenant. Je vous prie de vous exprimer. Vous êtes un homme de conscience. MLK Jr. nous parle encore à tous.
« Et il arrive un temps où il faut prendre une position qui n’est ni sûre, ni politique, ni populaire, mais qu’il faut prendre, simplement parce qu’elle est juste. »
Martin Luther King Jr.
Pax tibi,
Source : https://off-guardian.org/2023/11/12/an-epistle-to-ro
Edward Curtin
Formé aux lettres classiques, à la théologie et à la sociologie, Edward Curtin est un ancien professeur de sociologie au MCLA, un écrivain largement publié dont le dernier livre est « Seeking Truth in a Country of Lies » [À la recherche de la vérité dans un pays de mensonges], Clarity Press. Il vit à Great Barrington, dans le Massachusetts.
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/une-epitre-a-robert-f-kennedy-jr/
Novembre 2023
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