Étapes finales de la révolution multipolaire : pour contenir les USA en Europe
Federico Pieraccini – Strategic Culture – 26.2.2019
via TheDuran
Le pouvoir économique chinois, combiné avec la dissuasion militaire russe et la dépendance européenne vis-à-vis de la Russie pour son approvisionnement énergétique, montre que l’Europe ne peut pas imiter son allié américain et agir de manière provocatrice envers l’axe sino-russe.
Dans l’article precedent, nous avons expliqué comment la Chine et la Russie se servent de moyens diplomatiques, économiques et militaires dans des régions comme l’Asie et le Moyen Orient, pour contenir la belligérance et le chaos déchaînés par les États-Unis. Dans la présente analyse, nous verrons dans quelle mesure cette stratégie fonctionne en Europe. Dans l’article suivant et dernier, nous passerons en revue les conséquences de la doctrine « L’Amérique d’abord » par rapport à l’Amérique Latine et à la doctrine de Monroe.
Pendant les trois dernières décennies, les États-Unis ont apporté le chaos et la destruction à de grandes parties de l’Europe, en dépit du mythe qui prétend que le vieux continent a baigné dans la paix de l’après Deuxième guerre mondiale et de l’ordre mondial soumis à l’Amérique. Ce mensonge est alimenté par les politiciens européens fervents de l’Union Européenne, vivement désireux de justifier et de faire l’éloge du projet européen. Mais l’histoire montre que les USA ont alimenté et dirigé des guerres dévastatrices sur le continent européen en Yougoslavie dans les années 1990, avec le conflit entre la Géorgie et l’Ossétie au début des années 1990, avec la guerre en Géorgie en 2008, et dans le coup d’État en Ukraine de 2014 et l’agression consécutive contre le Donbass.
Le problème le plus important, pour les alliés européens de Washington a toujours été de trouver assez de volonté pour contenir l’impérialisme US. Depuis de nombreuses années, surtout depuis la guerre froide, les pays européens préfèrent s’aligner sur les positions de Washington, confirmant leur statut de colonisés plutôt que d’alliés. Il est fondamental de reconnaître que les politiciens européens ont toujours été au service de Washington, enthousiastes à se prosterner devant l’exceptionnalisme américain, à faire passer les intérêts américains avant ceux de l’Europe.
Les guerres sur le continent européen ont clairement démontré comment Washington se ser ait de l’Europe pour avancer ses propres intérêts. L’objectif durable des néo-cons et de l’establishment de Washington a toujours été d’empêcher toute espèce de rapprochement entre l’Allemagne et la Russie, chose qui aurait potentiellement conduire à un axe dangereux, menaçant pour les intérêts de Washington. La guerre contre la Yougoslavie a porté un coup mortel aux républiques soviétiques, une tentative de bannir toute influence de Moscou sur le continent. La guerre qui a suivi, en Ossétie, en Géorgie et en Ukraine avait pour double objectif d’attaquer et d’affaiblir la Fédération de Russie, de créer un climat hostile à Moscou en Europe, de limiter les contacts économiques et diplomatiques entre l’Est et l’Ouest.
Ces dernières années, surtout après le coup d’État en Ukraine, le retour de la Crimée au sein de la Fédération russe et les actions terroristes de Kioevb contre le Donbass, les relations entre la Russie et l’Ouest de l’Europe se sont détériorées à des niveaux les plus historiquement bas.
L’élection de Trump a envoyé des signaux déroutants aux Européens par rapport à la Russie. Au début, Trump a semblé vouloir établir de bonnes relations avec Poutine, à l’encontre d’une forte opposition d’alliés européens comme la France, l’Allemagne et le Royaume Uni. Mais laz possibilité d’un rapprochement US-Russie a été sévèrement sapée par une combinaison de l’inexpérience de Trump, des conseillers inutiles qu’il avait nommés et de l’État Profond US. Ces turbulences géopolitiques ont eu deux conséquences p^rimordiales. Pour les Allemands tout d’abord, elles ont approfondi la coopération énergétique et économique avec Moscou, surtout en ce qui concernait le Nord Stream 2. Mais, par ailleurs, Trump a trouvé en Europe des pays hostiles à la Russie, comme la Pologne par exemple.
Les divergences entre les USA et l’Europe se sont aggravées avec la dénonciation par Washington d’un certain nombre de traités importants, comme celui sur les forces nucléaires à porté intermédiaire (FNI) et l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (PAGC), qui ont tous les deux un impact direct sur l’Europe en termes de sécurité et d’économie. Donald Trump et son attitude « l’Amérique d’abord » ont, par là même, laissé aux Européens un certain espace pour manœuvrer et pour établir un certain niveau d’autonomie, dont le résultat a été une synergie accrue avec Moscou et surtout avec Pékin
En termes d’économie, la Chine a offert à l’Europe (avec la Grèce comme premier exemple) une intégration totale dans la Nouvelle route de la soie (OBOR), projet qui ouvre de vastes possibilités d’augmenter les relations commerciales entre des douzaines de pays. L’Europe va devenir le principal marché pour les produits chinois, mais, en ce moment, un des plus grands obstacles à surmonter est celui du fret transporté par train, qui commencent souvent leur voyage en direction de l’Europe à chargement complet mais sont à moitié vides lors de leur voyage de retour vers la Chine. Pékin et les principales capitales de l’Europe sont parfaitement conscients du fait que, pour rendre le projet OBOR économiquement viable, l’échange doit se faire dans les deux sens, de façon que les deux pârties y gagnent.
L’interconnection technologique entre la Chine et l’Europe est déjà en cours, grâce aux équipements Huawei que les compagnies européennes achètent en quantités grandissantes. L’absence de portes dérobées (« back doors ») dans les systèmes Huawei par contraste avec ce que Snowden a démontré dans d’autres systèmes occidentaux, est la véritable raison pour laquelle Washington a déclaré la guerre à cette société chinoise. L’espionnage industriel est un des avantages sans prix dont jouissent les États-Unis, et la présence de portes dérobées sur les sytèmes occidentaux, auxquels la CIA et la NSA ont accès, leur garantit un avantage compétitif en permettant à Washington d’exceller en termes de technologie. Avec la propagation des systèmes Huawei, cet avantage est perdu, au grand dam de l’appareil d’espionnage de Washington. Les alliés européens comprennent, eux, l’avantage qu’ils peuvent en tirer et se protègent de plus en plus avec les systèmes chinois.
En matière de technologie, les efforts de Pékin en Europe sont de plus en plus couronnés de succès et fraient la voie à sa future intégration dans l’OBOR. Dans ce sens, la participation de pays européens tels que le Royaume Uni, la France, l’Allemagne et l’Italie à la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII) à direction chinoise montre aussi comment les perspectives d’investissement de capitaux chinois peuvent être d’un grand intérêt pour des économies européennes en difficulté.
Dans le domaine militaire, le retrait US du traité FNI menace la sécurité des pays européens, à cause des mesures qu’a dû adopter la Fédération de Russie pour s’assurer une protection nécessaire contre les systèmes déployés en Europe par les USA. Un proverbe dit que quand des éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Et c’est, bien spur, l’Europe qui, en tant que champ de bataille potentiel dans toute confrontation entre grandes puissances, a le plus aà perdre dans une guerre froide qui deviendrait§ chaude. La révélation, par Moscou, de sa nouvelle génération d’armement a provoqué de l’anxiété chez les Européens, qui craignent que leurs vies soient sacrifiées pour plaire à des Américains distants de milliers de kilomètres. Dans le même temps, les Américains veulent se débarrasser de l’OTAN, tout en exigeant que les Européens dé^pensent davantage d’argent en armes américaines et limitent les investissements sino-russes en Europe. Il est probable que la rupture du traité FNI, combinée avec les capacités en armements conventionnels et nucléaiçres de Moscou stimulera les échanges diplomatiques entre la Russie et l’Europe, sans laisser aux USA la possibilité de saboter les accords futurs. Certains pays européens souhaitent vivement être débarrassés de la politique de subordination de leurs intérêts à ceux de Washington, principalement en ce qui concerne la sécurité.
La Russie se sert intelligemment de deux instruments décisifs pour limiter l’influence de Washington sur l’Europe et pour contenir le chaos produit par son establishment en matière de politique étrangère. Premièrement, elle a la force de son arsenal conventionnel et nucléaire, qui sert de dissuasif contre les provocations excessives. Deuxièmement, elle a d’énormes réserves de pétrole et de LNG qu’elle exporte sur le marché européen en quantités considérables. La combinaison de ces deux facteurs permet à Moscou de contenir le chaos déchaîné par les USA dans des endroits comme la Géorgie ou l’Ukraine, tout en limitant l’influence de Washington dans les affaires européennes, comme on peut le voir dans le cas de l’Allemagne et du projet Nord Stream 2. Merkel est forcée d’admettre qu’en dépit de sa diabolisation de Moscou, Berlin ne peut pas se passer de l’approvisionnement énergétique de la Russie. Ceci a naturellement augmenté les tensions entre Berlin et Washington, les USA voulant à tout prix faire remplacver le gaz russe par leur LNG beaucoup plkus coûteux et qui aurait tout l’Atlantique à traverser.
Le pouvoir économique chinois combine avec le pouvoir de dissuasion militaire de la Russie, en même temps qu’avec la dépendance de l’Europe envers la Russie pour son approvisionnement énergétique, montrent que l’Europe ne peut pas se permettre d’agir de manière provocatrice, à l’imitation de son allié américain, envers l’axe sino-russe. L’Europe a, en outre, souffert des guerres US au Moyen Orient et des vagues d’immigrants qu’elles lui ont valu. Des petites pousses d’autonomie stratégique apparaissent avec la mise en place de l’Instrument in Support of Trade Exchanges (INSTEX), en guise de système de paiement alternatif au dollar pour contourner les sanctions contre l’Iran. Le faible ou inexistant soutien diplomatique apporté à l’attitude anti-russe de Ukraine par la France et l’Allemagne peuvent être considérés comme un autre signe indiquant que les Européens deviennent plus indépendants. La récente Conférence de Munich sur la Sécurité, avec Porochenko dans l’auditoire, confirme que Merkel a bien l’intention de compter sur les fournitures de gaz russe au bénéfice de la diversification énergétique.
Les actions diplomatiques, économiques et militaires combinées de la Russie et de la Chine en Europe, soànt nettement plus limitées et efficaces en Europe qu’elles ne le sont dans d’autres parties du monde comme le Moyen Orient et l’Asie. La rhétorique politique amplifiée par les médias, contre la coopération entre l’Europe, la Russie et la Chine, ne sert que les intérêts des États-Unis. La R4ussie et la Chine réussissent, en proposant une alternative viable à l’ordre mondial unipolaire de Washington, à étendre aux pays européens une liberté stratégique à laquelle ils ne pourraient aspirer dans l’ordre mondial unipolaire dirigé par Washington.
Que les pays européens se tournent vers Moscou par sentiment anti-Trump plutôt que par sentiment anti-américain n’est pas encore clair. Reste à voir si ces changements sont temporaires et attendent le retour à la présidence US de quelqu’un qui croit à l’hégémonie libérale ou si les changements en cours sont les premiers d’une série de bouleversements qui refaçonneront progressivement le monde en passant d’un ordre unipolaire à un ordre multipoilaire dont l’Europe serait évidemment un des pôles principaux.
Source : http://theduran.com/final-steps-of-the-multipolar-revolution-containing-the-us-in-europe/
Source d’oirigine : https://www.strategic-culture.org/news/2019/02/26/final-steps-of-multipolar-revolution-containing-us-in-europe.html
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades
2 mars 2019
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