Remercier les Vets pour leur « service » – Pourquoi ?
Le Saker – The Unz Review – 15.11.2018
Selon le contexte, le petit mot « pourquoi » peut être inoffensif ou au contraire le plus subversif et même sacrilège qu’on puisse prononcer. C’est probablement pourquoi je l’aime tant : pour son extraordinaire capacité à déchaîner une offensive extraordinaire contre toutes sortes de vaches sacrées et de croyances indiscutées. Ainsi, aujourd’hui, j’ai envie de demander pourquoi tout le monde, pourquoi tant de gens éprouvent le besoin de remercier les vétérans pour leur « service » ?
Mais commençons d’abord par déboulonner quelques mythes.
Premièrement, il convient d’ôter du chemin le mythe n°1 : l’idée que les USAméricains n’aiment pas les guerres. C’est totalement faux. Les USAméricains détestent perdre les guerres, mais s’ils les gagnent, ils les aiment à la folie. En d’autres termes, la réaction typique US à une guerre dépend de la manière dont l’issue de cette guerre est perçue. Si c’est un succès, ils l’aiment (même si c’est du tir aux pigeons comme la Tempête du Désert). Si c’est une défaite qu’on peut nier (disons les opérations aériennes US/OTAN contre les forces serbes au Kosovo ou l’invasion à fragmentation de La Grenade), ils l’« oublient » simplement. Et si c’est une indéniable défaite (disons l’Irak ou l’Afghanistan), alors, c’est vrai, la plupart des Américains seront catégoriquement contre.
Vétérans des guerres étrangères ? Eh, attendez, je ne savais pas qu’il y en avait d’autres !
Ensuite, vient le mythe n°2 : la vérité, c’est qu’aucun engagé, homme ou femme, ne s’est battu dans une guerre pour défendre les USA, puisque, depuis la Deuxième guerre mondiale (et même celle-là est sujette à discussion si on considère que les USA ont forcé le Japon à entrer en guerre, et puisque l’attaque de Pearl Harbour a été un coup monté pour avoir un « motif » d’agresser le Japon), depuis 1945, il n’y a pas eu une seule situation où les soldats US aient défendu le territoire de leur pays, leurs villes, leurs familles et leurs amis contre un agresseur. PAS UNE ! Toutes les guerres menées par les USA depuis 1945 ont été des guerres d’agression, des guerres par choix, et la plupart d’entre elles ont été complètement illégales en plus (y compris de nombreuses opérations subversives et secrètes). Au mieux, on peut dire que les vétérans US ont défendu la soi-disant « American Way of Life », mais seulement si on admet que la « Manière de vivre américaine » en question exige et ordonne des guerres impérialistes d’agression et l’abandon pur et simple de le concept même de Droit international.
Finalement, il y a un laid et sale petit secret que tout le monde connaît mais que, pour l’une ou l’autre raison, très peu de gens osent mentionner : la décision de s’engager (toujours volontairement) dans l’armée US est d’abord et avant tout basée sur des considérations financières et absolument pas sur une quelconque notion de généreux « service » envers la mère patrie, par idéal pur et désintéressé. Oui, oui, je sais : il y a eu ceux qui se sont engagés après le « 11 septembre » en croyant que les USA avaient été attaqués et qu’il fallait qu’ils aident à porter la lutte chez ceux qui attaquaient les USA. Mais, même avec un très modeste niveau d’intelligence, il aurait dû leur paraître vachement évident que, si le « 11 septembre » était en réalité ou non l’œuvre de Ben Laden et d’Al Qaeda (personnellement, je suis absolument certain qu’il s’est agi d’une démolition contrôlée), cette atrocité a été utilisée par le gouvernement US pour justifier une longue série de guerres qui ne peuvent en aucune façon avoir rien à faire avec le « 11 septembre ». Eh, après tout, les États-Unis ont décidé d’attaquer l’Irak (alors que l’Irak n’avait, de toute évidence, rien à voir avec le « 11 septembre ») et pas l’Arabie Saoudite (alors que la plupart des pirates de l’air présumés étaient des Saoudiens et recevaient un soutien saoudien officiel). D’ailleurs, si certains [des engagés, ndt] n’ont pas été assez fûtés pour voir les mensonges, et même s’ils ont cru, EUX, qu’ils s’engageaient dans l’armée US pour défendre les USA, pourquoi le reste d’entre nous qui savons en 2018 que l’agression contre l’Irak a été à 100% fondée sur des mensonges, devraient-ils « remercier » les vétérans pour s’être engagés stupidement dans des guerres, au service d’intérêts qu’ils n’étaient même pas capables d’identifier ? Depuis quand remercie-t-on des gens pour avoir fait des choix imbéciles et finalement immoraux ?
Chaînes de pizzerias pro-guerres
Examinons maintenant une autre notion fondamentale : qu’est-ce que le service militaire ? Tel que je le vois, moi, les militaires peuvent être divisés grosso modo en deux catégories : ceux qui tuent vraiment des gens et ceux qui aident ceux qui tuent des gens à tuer des gens. Si vous êtes spécialiste en communications, conducteur de camion ou électricien, vous ne vous retrouverez pas en train de tuer des gens vous-même, mais votre boulot est quand même de rendre les choses plus faciles pour ceux qui tuent des gens à tuer des gens. Il me semble donc qu’il serait plus juste de dire que s’engager, dans n’importe quelle armée, c’est s’engager dans une organisation dont le but principal est de tuer des gens. C’est sûr que tuer peut être moralement justifiable, disons en défense de votre pays et de vos compatriotes. Mais ce ne peut être le cas que si vous avez commencé par préparer une guerre défensive. Or, comme nous le savons tous, les USA n’ont pas mené une guerre de ce genre depuis au moins 70 ans. Ce qui veut dire qu’à de très rares exceptions près (les vétérans de la Deuxième guerre mondiale), TOUS les vétérans qu’on remercie aujourd’hui pour leur « service », qu’est-ce qu’ils ont fait exactement ?
En bon anglais, les vétérans sont ceux qui se sont engagés à aller tuer des gens hors des États-Unis pour de l’argent.
Désolé, je sais que ceci paraît offensant à beaucoup de monde, mais c’est un fait. Le fait que cette décision (de s’engager dans une organisation dont le but primordial est d’assassiner des gens dans leur propre pays, à des centaines et des milliers de kilomètres des USA) puisse AUSSI avoir été prise pour des raisons « patriotiques » (par ceux qui ont cru dans ce qui est probablement la machine à mentir propagandiste la plus menteuse de l’histoire) ou « pour voir le monde » ou « pour devenir un homme » ne change rien au fait que si l’armée US n’avait offert AUCUN salaire ou avantage, AUCUNE bourse d’études, AUCUNE couverture sociale médicale, etc ? la grande majorité de ceux qui disent s’être engagés pour « servir » ne se seraient jamais engagés du tout. Nous savons tous cela, ne prétendons pas le contraire ! Il suffit de jeter un coup d’oeil aux arguments qu’emploient les recruteurs pour persuader les gens de s’engager : il n’y est question que d’argent et d’avantages ! Vous voulez d’autres preuves ? Regardez quels groupes sociaux forment le gros de l’armée US : des gens sans éducation, pauvres, avec des espérances professionnelles minimes. La simple vérité, c’est que ceux qui réussissent financièrement s’engagent très rarement dans l’armée, et quand ils le font, ils y font généralement carrière.
Pour avoir vécu aux USA un total de 21 ans à ce jour, je peux attester que les gens s’engagent dans l’armée pour les mêmes raisons qu’ils entrent dans la police ou dans le système pénitentiaire, parce que dans toutes ces entreprises, il y a de l’argent à se faire et des avantages à la clé. Okay, il doit bien y avoir le 1% ou moins de ceux qui se sont engagés dans ces (violentes) carrières pour des raisons élevées, idéalistes. Mais ce n’est qu’une infime minorité. L’énorme majorité des flics, des matons et des soldats se sont engagés d’abord et avant tout pour des raisons matérielles et financières.
À propos, puisque c’est le cas, n’est-il pas également vrai que le soldat (tout comme le flic ou le gardien de prison mâle ou femelle) a DÉJÀ reçu son « remerciement » de la société, pour ses « services » sous la forme d’un chèque ? Pourquoi, alors, les gens éprouvent-ils le besoin de les « remercier pour leur service » ? On ne remercie pas les contrôleurs du trafic aérien ou les travailleurs forestiers (également des carrières pénibles) pour leur service, n’est-ce pas ? Et bien que les contrôleurs du trafic aérien et les bûcherons n’aient pas choisi de s’engager dans une organisation dont l’objectif primordial est de tuer des gens dans leur propre pays, dans leurs foyers (personnels ou nationaux), qui est ce pour quoi on paie les soldats.
Permettez-moi de répéter ce truisme d’une manière encore plus directe : les vétérans sont des tueurs mercenaires. Point. Tout le reste n’est que propagande.
Dans un monde normalement sain, on pourrait penser qu’il s’agit là d’une question morale, étique. Je dirais même spirituelle. Les principales religions doivent bien avoir quelque chose de pertinent et de clarifiant à en dire ? Eh bien, dans le temps, elles l’ont eu. De fait, à quelques légères variantes près, les principes de ce qu’on peut appeler « une juste guerre » sont conus en Occident depuis au moins Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin. Selon une source, ils sont les suivants :
- Une guerre juste ne peut être faite qu’en dernier recours. Toutes les solutions non-violentes doivent avoir été préalablement épuisées pour que le recours à la force soit justifié.
- Une guerre n’est juste que si elle est décidée par une autorité légitime. Même les causes justes ne peuvent être services par des actes posés par des individus ou des groupes qui ne constituent pas une autorité sanctionnée par ce que la société et le monde extérieur à la société estiment légitimes.
- Une guerre juste ne peut être faite que pour redresser un tort subi. Par exemple, se défendre d’une attaque armée est toujours considéré comme une juste cause (bien que la justice de la cause ne soit pas considérée comme suffisante, voyez le point n°4). De plus, une juste guerre ne peut se faire qu’avec des intentions justes, puisque le seul but permissible d’une juste guerre est de redresser le tort.
- Une guerre ne peut être juste que si elle est conduite avec une chance de succès raisonnable. Les morts et les blessures encourus dans une guerre sans espoir ne sont pas moralement justifiables [Cela n’exclut-il pas les Thermopyles et toutes les Intifada ? ndt.]
- Le but définitif d’une juste guerre est de rétablir la paix. Plus exactement, la paix établie après la guerre doit être préférable à la paix qui aurait prévalu si la guerre n’avait pas eu lieu.
- La violence utilisée dans la guerre doit être proportionnelle au mal souffert. Il est interdit aux États d’utiliser une force qui n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif limité de redresser les torts subis.
- Les armes utilisées dans la guerre doivent faire la différence entre combattants et non-combattants. Les civils ne sont jamais des cibles de guerre autorisées, et tous les efforts doivent être faits pour éviter de tuer des civils. Les morts de civils ne sont autorisées que s’ils sont les victimes inévitables d’une attaque contre une cible militaire.
(Voyez cet article pour une discussion plus approfondie sur ce sujet fascinant.)*
Religions modernes pro-guerres…
Cela dit, Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin ne font pas vraiment partie de mes héros préférés, mais ils sont considérés comme faisant autorité dans la pensée philosophique occidentale. Pourtant, quand on les soumet à ces critères, toutes les guerres des USA sont purement, simplement, de toute évidence, injustes, toutes échouent à respecter plusieurs de ces critères et la plupart (y compris celles contre l’Irak et l’Afghanistan) n’en respectent aucun !
Mais il n’est pas nécessaire de remonter bien loin le cours des siècles pour trouver des penseurs occidentaux qui aient dénoncé clairement les guerres injustes. Savez-vous que le crime des crimes, du point de vue du Droit international n’est pas le génocide ou le crime contre l’humanité ?
Robert H. Jackson
Nan, le crime suprême selon le Droit international est le crime d’agression. Dans les mots du Procureur Général américain au procès de Nuremberg et Juge Assesseur de la Cour Suprême des États-Unis, Robert H. Jackson, le crime d’agression est le crime suprême parce qu’« il porte en soi tout le mal accumulé » de tous les autres crimes de guerre. Il a écrit :
« Par conséquent, déclencher une guerre d’agression n’est pas seulement un crime international, c’est le crime international suprême, parce qu’il ne diffère des autres crimes de guerre qu’en ce qu’il contient en lui-même le mal accumulé de l’ensemble des autres. »
Ainsi, du IVe siècle au XXe siècle, les Occidentaux ont toujours su ce qu’était une guerre injuste et ils ont parfaitement compris qu’en déclencher une est le crime suprême selon le Droit international. Mais cela va plus loin que les guerres principales. En Droit international, le crime d’agression ne concerne pas seulement une attaque en bonne et due forme, car l’agression peut être définie comme l’exécution de n’importe lequel des actes suivants :
- Déclaration de guerre à un autre État.
- Invasion armée, avec ou sans déclaration de guerre, du territoire d’un autre État.
- Attaque par des troupes terrestres, navales ou aériennes, avec ou sans déclaration de guerre, du territoire, de la marine ou de l’aviation d’un autre État.
- Blocus naval des côtes ou des ports d’un autre État.
- Apport de soutien à des bandes armées formées dans son propre territoire qui envahissent le territoire d’un autre État, ou refus, en dépit des requêtes de l’État envahi, de prendre sur son propre territoire toutes les mesures en son pouvoir pour priver ces bandes de quelque aide et protection que ce soit.
Finalement, il est important de noter ici qu’à la lumière de ces définitions légales, chacun des Présidents des États-Unis est un criminel de guerre selon le Droit international. Ceci soulève la question de savoir si toutes les guerres dans lesquelles ont combattu les soldats US depuis 1945 ont été décidées par une autorité légitime (telle que formulée par Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin) ? Comment cela pourrait-il être, quand le Commandant en chef lui-même est un criminel de guerre ?
Résumons-nous : nous avons des gens qui acceptent de devenir des tueurs (ou des assistants de tueurs), qui le font avant tout pour des raisons financières, qui ne participent alors qu’à des guerres illégales et immorales d’agression, sous les ordres d’un Commandant en chef qui est un criminel de guerre.
Et ils méritent notre gratitude pour quoi au juste ?!
Peut-être parce que tant de vétérans ont été blessés, estropiés, traumatisés ? Peut-être parce que, quand ils quittent les forces armées, ils ne reçoivent pas le soutien social et médical dont ils ont besoin ? Peut-être seulement parce que les guerres sont horribles ? Ou peut-être parce qu’on leur a menti et qu’on les a trompés ? Ou peut-être parce que certains (beaucoup ?) d’entre eux ont vraiment essayé de rester humains, honorables et décents, en dépit des horreurs de la guerre dans laquelle ils baignaient ? Quand on pense à l’épouvantable chômage qui les frappe, au fait qu’il sont souvent sans abri et au taux de suicides dans leurs rangs, on ne peut que sentir qu’on a menti à ces gens, qu’ils ont été victimes d’une tricherie insigne et ensuite jetés comme des objets devenus inutiles. Alors, peut-être que « Merci pour votre service » est la chose à dire ?
Nan ! Ce sont là d’excellentes raisons d’éprouver de la compassion et de la sympathie pour les vétérans, oui. Mais pas de la gratitude. Il y a entre ces choses une énorme différence. Tout le monde, tout être humain et, je le crois très fort, toute créature mérite compassion et sympathie. Mais une chose est de dire « je ressens de la compassion pour toi », une tout autre de dire « merci pour ce que tu as fait », parce que cela sous-entend que ce qu’il a fait était moral, bon, éthique. Et ça, c’est entièrement faux.
C’est le Major Général Smedley Butler qui l’a le mieux exprimé quand il a écrit :.
« La guerre est un racket. Elle l’a toujours été. C’est peut-être le plus vieux, aisément le plus profitable, sûrement le plus vicieux de tous les rackets. C’est le seul dont l’objet soit international. C’est le seul dont les bénéfices se comptent en dollars et les pertes en vies. Un racket est, à mon avis, quelque chose qui n’est pas du tout ce qu’il paraît aux yeux de la plupart des gens. Il n’y a qu’un tout petit groupe d’initiés qui sache de quoi il est question. C’est un racket exercé au profit d’un très petit nombre aux dépens du plus grand nombre. D’une guerre, très peu de personnes peuvent tirer d’énormes fortunes. »
Si nous admettons que la guerre est effectivement un « racket » et que ce racket est opéré au profit d’« un très petit nombre », il semblerait normal que ce soit ce petit nombre qui exprime sa gratitude envers ceux qu’il a engagés pour s’enrichir. Et, à vrai dire, il le fait. En voici le meilleur exemple :
Entreprise pro-guerre (ah, ça au moins a un sens !)
Bien sûr, Google ne dépend pas plus des guerres d’agression que n’importe quelle entreprise US. La nature même de l’économie US est fondée sur la guerre et l’a toujours été. La soi-disant « Manière de vivre américaine » n’a jamais été tentée dans le passé sans guerres d’agression et ne le sera pas aussi longtemps que les USA resteront la pierre angulaire de l’empire anglo-sioniste et de l’hégémonie planétaire qu’il essaie d’imposer au genre humain. Jusqu’à ce que ce jour arrive, l’« American Way of Life » impliquera toujours des guerres d’agression et le meurtre en masse de gens innocents, dont le seul « péché » est de vouloir vivre libres et ne pas être esclaves de l’empire. Si vous croyez que ceux qui osent vouloir vivre libres dans un pays vraiment souverain méritent d’être massacrés et estropiés, alors, oui, allez-y, remerciez les vétérans du fond du cœur !
Mais si vous ne croyez pas cela, offrez-leur votre compassion, pas votre gratitude pour leurs crimes.
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* Depuis que les gardes armés des reines du matriarcat se sont retournés contre leurs souveraines, ces règles n’ont jamais cessé d’être bafouées [ndt].
L’original de cet article a été publié par «Unz Review ».-
Sources :
http://www.unz.com/tsaker/thanking-vets-for-their-service-why/
https://thesaker.is/thanking-vets-for-their-service-why/
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades
Il serait intéressant de confronter ces vues du Saker à celles qu’exprimait en 1968 Pier Paolo Pasolini, lorsqu’il reprochait aux étudiants bourgeois de s’en prendre aux policiers, pour la plupart des prolétaires victimes de leurs parents.
Novembre 2018