Des rappeurs et des artistes soutenus par le gouvernement américain deviennent célèbres en tant que ’catalyseurs des troubles actuels’
La contre-révolution culturelle à Cuba (The GrayZone)
Max Blumenthal – Le Grand Soir – 1er août 2021
(Traduction : Groupe Assange, Ultime Combat)
Se présentant comme un collectif d’artistes de base luttant pour la liberté d’expression, le mouvement San Isidro est devenu une arme clé dans l’assaut du gouvernement américain contre la révolution cubaine. ’Mon peuple a besoin de l’Europe, mon peuple a besoin de l’Europe pour désigner l’agresseur’, a proclamé Yotuel, un rappeur cubain basé en Espagne, lors d’un événement au Parlement européen organisé par des législateurs de droite, avant de passer le micro au chef du coup d’État vénézuélien Juan Guaidó. Quelques jours plus tard, Yotuel a tenu une conférence téléphonique avec des représentants du département d’État des États-Unis pour discuter de ’Patria y Vida’, l’hymne rap anticommuniste dont il est l’auteur.
Alors que la poussière retombe après une journée de manifestations dans les villes cubaines, le Wall Street Journal a qualifié ’Patria y Vida’ de ’cri de ralliement commun’ des opposants au gouvernement cubain, tandis que le magazine Rolling Stone l’a présenté comme ’l’hymne des protestations de Cuba’.
Outre Yotuel, deux rappeurs qui ont collaboré à la chanson font partie d’un ensemble d’artistes, de musiciens et d’écrivains appelé le Mouvement San Isidro. Ce collectif a été crédité par les médias américains d’avoir ’servi de catalyseur à l’agitation actuelle’.
Au cours des trois dernières années, alors que les conditions économiques se sont détériorées sous l’effet de l’escalade de la guerre économique américaine, tandis que l’accès à Internet s’est développé grâce aux efforts de l’administration Obama pour normaliser les relations avec Cuba, le Mouvement San Isidro a appelé à un conflit ouvert avec l’État.
Avec des spectacles provocateurs, qui ont vu ses figures les plus éminentes défiler dans la vieille ville de La Havane en brandissant des drapeaux américains, et avec des manifestations flagrantes de mépris pour les symboles nationaux cubains, San Isidro s’est mis à dos les autorités, déclenchant de fréquentes arrestations de ses membres, ainsi que des campagnes internationales pour les libérer.
En s’installant dans un quartier majoritairement afro-cubain de la Vieille Havane et en utilisant des supports tels que le hip-hop, San Isidro a également manœuvré pour bouleverser l’image racialement progressiste que le gouvernement de gauche cubain s’est forgée grâce à sa campagne militaire historique contre l’Afrique du Sud de l’apartheid et à l’asile qu’il a offert aux dissidents noirs américains. Le mouvement de San Isidro semble ici suivre un plan élaboré par le lobby américain du changement de régime.
Au cours de la dernière décennie, le gouvernement américain a dépensé des millions de dollars pour former des rappeurs, des musiciens de rock, des artistes et des journalistes cubains hostiles au gouvernement, dans le but explicite d’armer la ’jeunesse désocialisée et marginalisée’. La stratégie mise en œuvre par les États-Unis à Cuba est une version grandeur nature des fantasmes qu’entretenaient les démocrates anti-Trump lorsqu’ils s’inquiétaient de voir la Russie parrainer secrètement Black Lives Matter et Antifa pour semer le chaos dans la société nord-américaine.
Le chef du coup d’État vénézuélien Juan Guaidó, soutenu par les États-Unis, est apparu aux côtés de Yotuel pour célébrer la sortie de « Patria y Vida » au Parlement européen.
Comme le révèle cette enquête, les principaux membres du mouvement de San Isidro ont reçu des fonds de la part d’organisations de changement de régime comme la National Endowment for Democracy et l’USAID (Agence américaine pour le développement international), tout en rencontrant des fonctionnaires du département d’État, des membres de l’ambassade américaine à La Havane, des parlementaires européens de droite et des chefs de coup d’État latino-américains, du Vénézuélien Guaidó au secrétaire général de l’OEA Luis Almagro.
San Isidro a également reçu le soutien d’un réseau de groupes de réflexion fondamentalistes du marché libéral qui ne cachent pas leur intention de transformer Cuba en une colonie pour multinationales. Quelques jours après les manifestations qui ont éclaté à Cuba, les dirigeants de San Isidro ont accepté un prix de la Victims of Communism Memorial Foundation [Fondation pour la mémoire des victimes du communisme], un groupe de réflexion républicain de droite de Washington qui recense les soldats allemands nazis parmi les victimes historiques du communisme.
Derrière leur image d’intellectuels cosmopolites, de rappeurs renégats et d’artistes d’avant-garde, les membres de San Isidro ont ouvertement adhéré à la politique extrémiste du lobby cubain de Miami. En effet, ses membres les plus éminents ont exprimé un soutien appuyé à Donald Trump, approuvé les sanctions américaines, et réclamé l’invasion militaire de Cuba.
Le collectif culturel a néanmoins fait des percées dans les cercles progressistes de l’intelligentsia nord-américaine, travaillant à affaiblir les liens traditionnels de solidarité entre la révolution cubaine et la gauche américaine. Comme nous le verrons, l’essor du mouvement de San Isidro est le dernier chapitre en date du nouveau manuel de l’impérialisme intersectionnel.
Un ’collectif des oubliés’ : La participation afro-cubaine aux manifestations captive les médias américains.
Les scènes d’une voiture de police renversée dans le quartier du 10 octubre à La Havane, de foules lançant des cocktails molotov sur des policiers et du pillage de centres commerciaux le 11 juillet dernier ont mis en lumière le ressentiment d’une classe de citoyens passés entre les mailles du filet de l’économie spéciale cubaine en difficulté.
Après des années de privations économiques croissantes, les Cubains ont connu des pannes d’électricité et des rationnements alimentaires provoqués par l’intensification, par l’ancien président Donald Trump, du blocus économique américain imposé à Cuba depuis 60 ans. Un effondrement soudain du tourisme dû à la pandémie de Covid-19, ainsi que l’élimination par le gouvernement du système de double monnaie de Cuba [monnaie convertible et monnaie nationale – NdR], ont exacerbé le chaos économique.
Cristina Escobar, journaliste basée à La Havane et l’une des personnalités les plus suivies sur la chaîne de télévision publique cubaine, a décrit à The Grayzone le mouvement de protestation comme le sous-produit d’une marginalisation durable.
’Dans les zones urbaines comme La Havane, on rencontre un groupe de personnes qui présentent les caractéristiques suivantes’, explique Escobar. ’Ils sont généralement originaires de zones rurales pauvres et ont déménagé en ville à la recherche de meilleures opportunités ; ils ne sont généralement pas blancs, compte tenu de toutes les inégalités qui existent, et vivent en marge de la société, en bénéficiant de toutes les aides publiques possibles. Ils travaillent souvent dans l’économie informelle, ils se sentent insatisfaits et ne participent pas aux activités patriotiques, car ils sont victimes de cette période particulière de pauvreté.’
Bien que le réseau de sécurité sociale de Cuba ait empêché cette population de glisser dans la misère bien connue des bidonvilles des États gérés par le FMI, comme Haïti ou le Honduras, Mme Escobar affirme qu’’il s’agit d’un groupe de personnes oubliées, déstructurées, sans ancrage dans la société. Ils expriment les injustices qu’ils subissent et malheureusement, ils ne le font plus de manière pacifique.’
Les médias américains corporatistes se sont emparés des images des manifestants afro-cubains pour dépeindre les manifestations comme l’expression d’un mécontentement explicitement racial. Dans un article intitulé ’Les Afro-Cubains à l’avant-garde de l’agitation [à Cuba]’, le Washington Post cite des ONG antigouvernementales et des militants associés au mouvement de San Isidro qui dénoncent Black Lives Matter pour sa déclaration de solidarité avec la révolution cubaine.
Le Washington Post n’a pas mentionné le rôle joué par le gouvernement américain dans le soutien de nombre de ces mêmes ONG et activistes dans le but d’armer la classe marginale cubaine. Au premier rang de la stratégie de Washington se trouvent deux façades traditionnelles de la CIA : l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et la National Endowment for Democracy (NED).
Tout au long de la guerre froide, l’USAID a travaillé aux côtés de la CIA pour liquider les mouvements socialistes dans le Sud. Plus récemment, elle a participé à la mise en œuvre d’un faux programme de vaccination de la CIA au Pakistan pour traquer Oussama Ben Laden, mais a fini par provoquer une épidémie massive de polio. En Amérique latine, l’USAID a financé et formé des figures de l’opposition de droite, dont le pseudo-président du Venezuela, Juan Guaidó, nommé par les États-Unis.
Pour sa part, la NED a été créée sous l’égide de l’ancien directeur de la CIA, William Casey, pour soutenir les militants de l’opposition et les médias partout où les États-Unis ont cherché à changer de régime.
’Une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui a été réalisée secrètement il y a 25 ans par la CIA’, a déclaré le cofondateur de la NED, Allen Weinstein, au journaliste David Ignatius, qui a qualifié l’organisation de ’papa gâteau des opérations clandestines’.
Tout au long de leur histoire, l’USAID et la NED se sont efforcées d’exploiter les griefs des groupes ethniques minoritaires contre les gouvernements socialistes et non alignés. Leur soutien financier et logistique aux Ouïghours contre la Chine, aux Tatars contre la Russie et aux indigènes Miskito contre le Nicaragua en sont de nombreux exemples.
Ces dernières années, à Cuba, les spécialistes du changement de régime de Washington se sont concentrés sur les Afro-Cubains et les jeunes marginalisés, exploitant la culture pour transformer le ressentiment social en action contre-révolutionnaire.
Armement des ’jeunes désocialisés et marginalisés’ contre le socialisme cubain
Un article publié en 2009 dans le Journal of Democracy, l’organe officiel de la National Endowment for Democracy (NED), présente un plan ambitieux visant à faire de la classe marginale cubaine de l’après-guerre froide une avant-garde antigouvernementale. ’L’utilisation des principes de la démocratie et des droits de l’homme pour unir et mobiliser cette vaste majorité dépossédée face à un régime hautement répressif est la clé d’un changement pacifique’, ont écrit Carl Gershman et Orlando Gutierrez.
Gershman et Gutierrez sont des personnalités influentes dans le monde des opérateurs de changement de régime manifeste. Directeur fondateur de la NED, Carl Gershman a présidé pendant quatre décennies aux efforts américains visant à déstabiliser des gouvernements, de Managua à Moscou. Gutierrez, quant à lui, est un partisan déclaré d’une invasion militaire américaine de Cuba et occupe le poste de secrétaire national de la Cuban Democratic Directorate financée par l’USAID et la NED.
Gershman et Gutierrez conseillent une stratégie qui encourage la ’non-coopération’ avec les institutions révolutionnaires cubaines parmi ceux qu’ils décrivent comme ’les jeunes ’désocialisés’ et marginaux – les décrocheurs, les jeunes sans emploi qui représentent près des trois quarts des chômeurs cubains, et ceux qui sont attirés par la drogue, le crime et la prostitution’.
Les deux spécialistes du changement de régime ont désigné la musique et les médias en ligne comme des vecteurs idéaux pour exploiter les frustrations de la jeunesse cubaine : ’L’aliénation des jeunes gagne le courant dominant et s’exprime dans les paroles rageuses des musiciens de rock, dans les descriptions par les blogueurs des frustrations et du pittoresque de la vie quotidienne, dans l’évitement fréquent des travaux agricoles, du service volontaire et des réunions des comités de quartier, et dans un désengagement général de la politique, fruit d’un demi-siècle de participation forcée et de propagande politique imposée’, écrivent-ils.
L’année où l’influent article de Gershman et Gutierrez a été publié, Washington a mis en place une audacieuse opération secrète basée sur la stratégie qu’ils ont décrite.
Le rap, c’est la guerre’ : L’USAID recrute secrètement des artistes de hip-hop cubains comme propagandistes du changement de régime.
En 2009, l’USAID a lancé un programme visant à susciter un mouvement de la jeunesse contre le gouvernement cubain, en développant et en promouvant des artistes hip-hop locaux.
En raison de sa longue histoire en tant que couverture de la CIA, l’USAID a confié l’opération à Creative Associates International, une société basée à Washington DC ayant son propre bilan d’actions secrètes.
Creative Associates a trouvé son homme de pointe en la personne de Rajko Bozic, un vétéran du groupe Otpor ! soutenu par la CIA, qui a contribué à renverser le leader nationaliste Slobodan Milosevic, et dont les membres ont ensuite formé un ’groupe d’exportation de la révolution qui a semé les graines d’un certain nombre de révolutions de couleur’.
Se faisant passer pour un promoteur musical, Bozic a approché un groupe de rap cubain appelé Los Aldeanos, connu pour son hymne férocement anti-gouvernemental, ’Rap is War’. L’agent serbe n’a jamais dit à Los Aldeanos qu’il était un agent des services de renseignements américains, mais plutôt un professionnel du marketing, et a promis de faire du leader du groupe une star internationale.
Pour faire avancer son plan, Creative Associates a mis en place ZunZuneo, une plateforme de réseaux sociaux de type Twitter qui a envoyé des milliers de messages automatisés pour promouvoir Los Aldeanos auprès des jeunes Cubains, à l’insu du groupe de rap.
En l’espace d’un an, alors que Los Aldeanos intensifiait sa rhétorique, raillant la police cubaine comme des drones sans cervelle lors d’un festival local de musique indépendante, les services secrets cubains ont découvert des contrats liant Bozic à l’USAID et ont démantelé l’opération.
La confusion s’est installée à Washington, le sénateur Patrick Leahy grommelant : ’L’USAID n’a jamais informé le Congrès de cette affaire et n’aurait jamais dû être associée à un projet aussi incompétent et imprudent.’
Danny Shaw, professeur associé d’études latino-américaines et caribéennes à la City University de New York, a rencontré Los Aldeanos lors de plusieurs visites prolongées à Cuba. Il a également fait la connaissance d’Omni Zona Franca, un collectif de poètes et d’artistes rastafariens basé dans le quartier d’Alamar à La Havane, qui a inspiré le mouvement de San Isidro.
Selon Shaw, l’hostilité des artistes envers le système socialiste cubain était si intense que nombre d’entre eux niaient l’existence du blocus américain. ’J’ai essayé de leur expliquer ma compréhension de la guerre économique, et ils m’ont dit : ’Vous pouvez aller et venir comme bon vous semble, vous ne vivez pas ici, donc c’est facile pour vous d’être marxiste’. Et ils avaient raison – si vous décontextualisez complètement la situation’, a-t-il déclaré à The Grayzone.
Selon Shaw, certains membres de l’Omni Zona Franca ont commencéà se rendre aux États-Unis et en Europe pour assister à des festivals d’art et donner des interviews aux médias hispanophones. ’Lorsque les histoires sur l’USAID soutenant les rappeurs et les artistes cubains sont sorties, alors tout cela a pris un sens pour moi’, se souvient-il.
En 2014, l’USAID a de nouveau été démasquée lorsqu’elle a fait appel à Creative Associates pour organiser une série d’ateliers bidon de prévention du VIH, qui étaient en fait des séminaires de recrutement politique.
Un document interne de Creative Associates divulgué aux médias en 2014 faisait référence aux faux ateliers sur le VIH comme étant ’l’excuse parfaite’ pour enrôler les jeunes dans des activités de changement de régime sur l’île.
Le président Barack Obama a présenté son plan de normalisation des relations avec le gouvernement cubain au moment même où la dernière opération de l’USAID était révélée. Comme condition à la reconnaissance diplomatique, Obama a insisté pour que Cuba étende l’accès à Internet.
Le site d’investigation vénézuélien Misión Verdad a mis en garde à l’époque : ’Nous assistons à une mise à jour des mécanismes, des méthodes et des modes d’intervention. Toute l’harmonie qui règne en ce moment est totalement illusoire. Ce qui est déjà placé sous l’étiquette ’normalisation’ dans l’environnement sociopolitique cubain fournit les conditions minimales de fonctionnement pour faciliter l’idée d’un ’printemps cubain’, d’une révolution en éprouvette…’
L’expansion d’Internet ouvre la porte à l’infiltration américaine
Le réseau internet 3G est arrivé à Cuba en 2018, permettant aux jeunes Cubains d’accéder aux réseaux sociaux sur leurs téléphones. Maintenant, au lieu de filtrer une plate-forme de médias sociaux comme ZunZuneo, les services de renseignement américains se sont concentrés sur le développement d’une technologie tel que Psiphon pour que les Cubains puissent accéder à Facebook et YouTube malgré les coupures d’Internet.
La NED et l’USAID ont exploité cette ouverture pour mettre en place un puissant appareil médiatique antigouvernemental en ligne. Le nouveau lot de médias soutenus par les États-Unis, comme CubaNet, Cibercuba et ADNCuba, constituait une chambre d’écho de l’insurrectionnisme toxique, se moquant du président Miguel Diaz-Canel avec des mèmes insultants et demandant qu’il soit poursuivi pour des crimes graves, dont le génocide.
Le ministère néerlandais des Affaires étrangères a soutenu les efforts américains, en aidant à créer et à financer le blog anti-gouvernemental El Toque, par l’intermédiaire d’une ONG appelée RNW Media.
Ted Henken, universitaire américain et auteur de ’Cuba’s Digital Revolution’, a déclaré à Reuters que les dirigeants cubains ’ont fait une erreur de calcul en ne réalisant pas que [l’élargissement de l’accès à Internet] allait très rapidement, en deux ans et demi, leur exploser au visage’. ’Aucune [des protestations] n’aurait été possible sans le réseau 3G naissant qui a permis à des millions de Cubains d’accéder à Internet via des appareils mobiles depuis 2018’, a déclaré le site en ligne Quartz.
Alors que l’accès des Cubains aux médias antigouvernementaux se développait, l’administration Trump a augmenté le budget de la NED de 22 % en 2018.
Cette année-là, le budget de la NED pour Cuba a affecté près de 500 000 dollars au recrutement et à la formation de journalistes antigouvernementaux, ainsi qu’à la création de nouveaux médias.
Une autre subvention de la NED a budgété des fonds pour ’promouvoir l’inclusion des populations marginalisées dans la société cubaine et renforcer un réseau de partenaires sur l’île’, ce qui implique le ciblage des Afro-Cubains.
La NED a mis l’accent sur l’infiltration de la scène hip-hop cubaine. En 2018, l’entité gouvernementale américaine a versé 80 000 dollars à la Cuban Soul Foundation pour ’donner aux artistes indépendants les moyens de produire, de se produire et d’exposer leurs œuvres dans le cadre d’événements communautaires non censurés’, et 70 000 dollars à une ONG basée en Colombie appelée Fundacion Cartel Urbano pour ’donner aux artistes hip-hop cubains les moyens d’être des leaders dans la société.’
Cartel Urbano publie un magazine en ligne clairement inspiré de Vice, le principal véhicule de l’impérialisme branché. En plus de tenir ses lecteurs informés des dernières sorties des artistes rap cubains anti-gouvernementaux, le magazine financé par le gouvernement américain consacre des sections entières de son site web à la consommation de drogues, à la culture trans et au mode de vie végane.
Pour répondre à la sensibilité des radicaux autoproclamés d’orientation universitaire, les rédacteurs du magazine utilisent régulièrement la lettre ’x’ pour effacer les distinctions de genre, ce qui donne lieu à des passages comme ceux-ci : ’cuerpxs trans, marikonas, no binarixs, racializadxs, monstruosxs…’
Cartel Urbano est parrainé par le gouvernement américain pour former et promouvoir les artistes hip-hop cubains.
La prolifération surprenante des médias d’opposition en ligne, la propagande antigouvernementale au vitriol et l’infiltration de la scène culturelle cubaine par les États-Unis qui ont accompagné l’expansion des services Internet du pays ont suscité une répression sans précédent de la part des dirigeants du pays.
’Les années où les relations avec les États-Unis se sont apaisées, nous avions tellement de tolérance à l’intérieur du pays’, a commenté Cristina Escobar, la journaliste cubaine. ’C’est parce que le gouvernement ne se sentait pas assiégé. Mais ensuite, Trump a gagné. Et maintenant, les dirigeants ont l’impression qu’ils n’auraient jamais dû faire confiance à Obama.’
Quelques heures seulement après son entrée en fonction en avril 2018, le président Diaz Canel a proposé le décret 349. La nouvelle mesure exigerait que tous les artistes, musiciens et interprètes obtiennent une autorisation préalable du ministère de la Culture avant de rendre leur travail public.
Proposé en réponse directe au recrutement d’artistes rap et d’autres personnalités culturelles par les services de renseignement américains, le décret 349 interdit explicitement la diffusion de documents audiovisuels contenant ’un langage sexiste, vulgaire ou obscène.’ Bien que la loi ne soit jamais appliquée officiellement, l’opposition cubaine considère cette disposition comme une attaque directe contre la sous-culture du reggaeton qui s’infiltre dans le paysage urbain du pays.
Presque du jour au lendemain, un collectif d’artistes et de musiciens s’est mobilisé pour protester contre le décret. Baptisé d’après le quartier difficile de San Isidro, dans la vieille Havane, où vivent plusieurs de ses membres, le nouveau mouvement s’adresse directement aux influenceurs culturels du Nord, se présentant comme un ensemble diversifié de créateurs visuels et de rappeurs indépendants qui ne demandent rien de plus que la liberté artistique.
Pour la première fois peut-être, l’opposition de droite cubaine disposait d’un moyen de faire des incursions dans les cercles progressistes à l’étranger.
Drapeaux américains à la main, ils affrontent l’État et courtisent la célébrité.
Le 6 novembre 2020, un policier s’est présenté au domicile de Denis Solis, un rappeur ouvertement antigouvernemental affilié au Mouvement San Isidro. Solis a rapidement braqué la caméra de son téléphone portable sur le policier et a diffusé en direct sa rencontre provocatrice sur Facebook.
Après avoir nargué le policier avec des insultes anti-gay, Solis a proclamé : ’Trump 2020 ! Trump est mon président !’
La visite de la police a été déclenchée par la couverture enthousiaste que Solis a reçue de Diario de Cuba, une publication financée par la NED, et d’autres médias anti-gouvernementaux, pour un tatouage sur sa poitrine où l’on pouvait lire ’Change ; Cuba Libre’. Il s’était également vanté sur Facebook : ’Communistes, maintenant ils devront m’arracher la peau de la poitrine’.
La condamnation de Solis à huit mois de prison pour ’outrage’ – une peine clairement inspirée par le spectacle qu’il a généré avec son livestream – a été l’étincelle qui a déclenché la grève de la faim de novembre 2020 qui a propulsé le mouvement de San Isidro sur la scène mondiale.
La grève s’est déroulée à l’intérieur de la maison de la Vieille Havane du coordinateur du Mouvement San Isidro, Luis Manuel Otero Alcántara. Artiste afro-cubain, M. Otero s’est attiré l’ire du gouvernement en souillant le drapeau cubain, en l’enroulant autour de son torse nu sur les toilettes et en se brossant les dents, ou en se couchant dessus en sous-vêtements aux couleurs du drapeau américain.
Dans une autre démonstration provocante, Otero a rassemblé des enfants pour courir dans son quartier en agitant un drapeau américain géant, ce qui a déclenché une réponse immédiate de la police et sa propre détention pendant quatre jours.
L’art du coordinateur du mouvement de San Isidro, Luis Manuel Otero Alcántara.
Otero a demandé à de jeunes Cubains de courir dans la Vieille Havane avec des drapeaux américains.
La grève de la faim d’une semaine au domicile d’Otero a donné lieu à un show médiatique international sans précédent, et a suscité des déclarations de soutien de la part de Jake Sullivan, le nouveau conseiller à la sécurité nationale de l’administration Biden, et du secrétaire d’État de l’époque, Mike Pompeo.
Une visite habilement mise en scène de Carlos Manuel Álvarez, journaliste et homme de lettres cubain très en vue basé au Mexique, sur le site de la grève de la faim, avait contribué à galvaniser l’intérêt des médias internationaux.
Vêtu d’un col roulé noir et issu des rangs de l’élite cultivée de Cuba, Carlos Manuel Álvarez, portant des lunettes, présentait un contraste frappant avec Otero et son comparse robuste, le rappeur antigouvernemental Maykel Osorbo. Pour les responsables gouvernementaux tentés de rejeter les leaders de la protestation comme une bande de vulgaires gamins des rues, la figure du scribe raffiné a été source de sérieuses complications.
Carlos Manuel Álvarez a rapidement trouvé un espace dans la section opinion du New York Times pour promouvoir San Isidro auprès d’un public américain libéral, tout en multipliant les métaphores littéraires sur le fait de marcher sur des pavés avec des talons aiguilles pour dénigrer la bureaucratie communiste cubaine. ’Le mouvement [de San Isidro] est devenu le groupe le plus représentatif de la société civile nationale, rassemblant des Cubains de différentes classes sociales, races, croyances idéologiques et générations, tant de la communauté en exil que de l’île’, affirme l’écrivain.
Le 27 novembre 2020, alors que la confrontation entre les artistes cubains et l’État se durcissait, un groupe d’artistes a lancé un sit-in devant le ministère de la Culture de Cuba. Les premiers manifestants étaient en grande partie des artistes dont le travail avait été parrainé par l’État cubain. Et contrairement à San Isidro, nombre d’entre eux ont rejeté la rhétorique du changement de régime, optant plutôt pour un dialogue avec le ministre de la culture afin de résoudre le conflit sur la liberté d’expression.
Comme l’explique le sociologue Rafael Hernandez dans une étude détaillée du sit-in, le dialogue a échoué lorsque le mouvement de San Isidro et d’autres éléments soutenus par les États-Unis ont imposé leur programme maximaliste à l’organisme organisateur, connu sous le nom de N27. Le New York Times et d’autres médias anglophones ont axé leur couverture sur les agitateurs anticommunistes de San Isidro, tandis que les artistes cubains de gauche ’sont restés invisibles pour la presse étrangère, qui ne les considère pas comme dignes d’information, comme elle le fait pour les anciens et jeunes dissidents’, a observé M. Hernandez.
La couverture médiatique intensive du sit-in a propulsé le mouvement de San Isidro sur la scène internationale, lui valant l’attention d’artistes et d’écrivains célèbres aux États-Unis et en Europe. En mai 2021, après qu’Otero ait été à nouveau détenu par les services de sécurité cubains, une lettre ouverte au président Diaz-Canel a été publiée dans la New York Review of Books, une revue de premier plan de la littérature libérale américaine, pour demander sa libération.
Signée par une série de personnalités culturelles noires et afro-latines de premier plan, dont Henry Louis Gates, Edwidge Danticat et Junot Diaz, la lettre ouverte illustrait le succès de San Isidro dans l’érosion du soutien de l’intelligentsia noire américaine à la révolution cubaine.
Grâce à son accès aux principaux organes libéraux des médias américains et à son soutien dans les départements d’études latino-américaines de tout le pays, le collectif culturel a fait sortir l’opposition anticommuniste cubaine de sa base traditionnelle de droite à Miami.
Mais son succès n’était pas un phénomène naturel. En effet, San Isidro a été propulsé sur la scène internationale grâce au soutien substantiel du département d’État américain, de ses filiales chargées du changement de régime et des lobbyistes d’entreprise de droite désireux de voir Cuba s’ouvrir aux affaires.
« Viva la anexión » : le département d’État, l’OEA et les lobbyistes du secteur privé s’associent à San Isidro
Chaque jour, au magazine El Estornudo qu’il a fondé, Carlos Manuel Álvarez et ses collègues présentent les mauvaises nouvelles de Cuba. Tout en décrivant le pays comme un enfer communiste géré de manière catastrophique et envahi par les victimes de Covid-19, il présente son magazine comme ’indépendant’.
En réalité, El Estornudo semble être l’un des nombreux projets médiatiques incubés par la National Endowment for Democracy (NED). ’Les collaborateurs qui font le magazine sont payés par œuvre produite, avec un salaire fixe de 400 CUC [$400 NdR]. Jusqu’à mon départ, El Estornudo était financé par la NED et l’Open Society [Foundation]’, a déclaré Abraham Jiménez Enoa, un ancien rédacteur du magazine, faisant respectivement référence à la branche du gouvernement américain chargée du changement de régime et à la fondation de George Soros.
El Estornudo fait partie d’une constellation de publications chargées de critiquer la réponse de Cuba au Covid, par l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR), une ONG qui a reçu 145 230 dollars de la NED en 2020 pour ’renforcer la collaboration entre les journalistes indépendants cubains’ et les former aux réseaux sociaux.
Les médias anti-gouvernementaux opérant sous les auspices de l’IWPR comprennent également Tremenda Nota, un site sur le thème des LGBTQ qui accuse régulièrement le gouvernement cubain d’homophobie et de transphobie, alors même que l’administration Diaz-Canel a pris des mesures pour légaliser le mariage gay, ouvert l’armée aux soldats gays et lancé des événements officiels de fierté gay.
Le conseil d’administration de l’IWPR est composé d’anciens responsables de l’OTAN et de personnalités du monde des médias, dont l’ancien président du Financial Times. Bien que l’ONG ait depuis supprimé la liste de ses mécènes de son site web, une page archivée révèle des partenariats avec la NED et ses filiales du gouvernement américain, ainsi qu’avec des contractants confirmés du renseignement britannique comme Albany Associates et la Fondation Thomson Reuters.
Carlos Manuel Álvarez est loin d’être le seul membre de San Isidro proche des entités américaines de changement de régime. À côté de lui, il y a Yaima Pardo, une réalisatrice cubaine et spécialiste des technologies dont le documentaire de 2015, ’Offline’, soulignait la nécessité de l’expansion d’Internet pour fomenter la dissidence.
Pardo est actuellement la directrice multimédia d’ADN Cuba, un média anti-gouvernemental basé en Floride qui a reçu 410 710 dollars de l’USAID pour la seule année 2020.
Esteban Rodríguez, de San Isidro, reporter pour ADN Cuba, a célébré comme ’parfaite’ l’interdiction économiquement débilitante que Trump a imposée aux transferts de fonds familiaux vers Cuba. ’Si j’étais aux États-Unis, j’aurais voté Trump’, a déclaré Rodríguez au Guardian.
Lorsque San Isidro a lancé sa campagne internationale contre le décret 349, elle a choisi de le faire à l’Organisation des États américains (OEA) – l’organisation régionale basée à Washington DC raillée par l’ancien ministre cubain des Affaires étrangères Raúl Roa comme ’le ministère yankee des colonies’.
C’est là que le cofondateur de San Isidro, Amaury Pacheco, a été reçu par Luis Almagro, le secrétaire général de l’OEA qui allait contribuer à orchestrer le coup d’État militaire de droite en Bolivie plus tard dans l’année. Des fonctionnaires du département d’État et Carlos Trujillo, un fidèle de droite de Trump qui occupe le poste de représentant des États-Unis à l’OEA, étaient également présents pour accueillir les artistes cubains.
’L’art à Cuba est plus nécessaire que jamais’, a proclamé Almagro. ’Il est nécessaire d’exposer les défis de la répression’ par l’État cubain.
Le secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, avec le cofondateur du Mouvement San Isidro, Amaury Pacheco (deuxième à partir de la droite) et d’autres artistes affiliés au collectif.
Comme le rapporte l’Instituto Samuel Robinson, basé au Venezuela, San Isidro a renforcé ses liens avec la droite internationale par l’intermédiaire de la fondation CADAL, qui l’a nominé pour le prix Freemuse pour l’expression artistique, parrainé par l’État de l’OTAN. CADAL est au cœur d’un réseau d’organisations libertaires qui utilisent l’argent des entreprises pour promouvoir le fondamentalisme du marché libre en Amérique latine.
Parmi les partenaires les plus proches du CADAL se trouve le Réseau Atlas, un front de lobbying d’entreprise créé avec l’aide des frères Koch pour faire progresser l’économie libérale et saper les gouvernements socialistes dans le monde entier.
Le think tank est également parrainé par le département d’État américain, la NED et ses filiales, dont le Center for International Private Enterprise, qui se consacre au ’renforcement de la démocratie dans le monde par le biais de l’entreprise privée et de la réforme axée sur le marché.’
Tiré du site internet de CADAL.org
En janvier 2021, des membres importants de San Isidro, dont Otero et Pardo, ont participé à un séminaire en ligne organisé par un autre groupe de réflexion de droite soutenu par des entreprises. Cette fois, ils étaient les invités du Centre latino-américain du fédéralisme et de la Freedom Foundation.
Parrainée par des multinationales déterminées à transformer Cuba en un paradis du marché libre et inspirée par la philosophie d’Ayn Rand, cette fondation basée en Argentine est également directement affiliée au réseau Atlas.
Parmi les participants au webinaire figurait Iliana Hernandez, journaliste à Cibercuba, l’un des nombreux médias antigouvernementaux qui ont vu le jour ces dernières années à la suite de l’expansion des services Internet.
Lors d’une discussion sur l’élection américaine en novembre 2020 sur sa page Facebook, Mme Hernandez a affirmé que parce que Trump allait ’prendre des mesures plus sévères contre la tyrannie… je pense que, pour la liberté de Cuba, Trump devrait gagner’.
Elle a également détaillé une vaste coordination entre le mouvement San Isidro et les fonctionnaires du département d’État en poste à l’ambassade des États-Unis à La Havane.
Faisant référence à ses discussions avec le chargé d’affaires américain Timothy Zúñiga Brown, à la ligne dure, et son prédécesseur, Mara Tekach, Hernandez a fait remarquer : ’Lors de cette dernière conversation avec M. Tim [Zúñiga] Brown, ce qu’il m’a dit, c’est ’comment pouvons-nous nous rendre utiles ?’. C’est-à-dire, que pouvons-nous faire ? Parce que, je veux dire, il voulait recevoir des ordres de moi et non l’inverse. Je lui ai dit comment il pouvait aider.’
Otero a également entretenu des relations étroites avec des représentants du département d’État américain. En juillet 2019, lui et d’autres membres de San Isidro se sont fièrement pavanés autour de la résidence de l’ambassadeur américain à La Havane lors d’un événement commémorant le jour de l’indépendance des États-Unis.
Adonis Milan, un directeur de théâtre basé à La Havane affilié à San Isidro, a publié sur Facebook des photos de lui-même, d’un artiste reggae et membre de San Isidro nommé Sandor Pérez Pita, et d’Otero ’profitant de quelques heures de liberté à l’intérieur de Cuba’ tout en prenant des selfies avec des Marines américains.
’Viva la anexión’, a écrit Milan dans un post exprimant sa ’fervente passion pour la belle gringa’.
Otero et Milan de San Isidro célèbrent le jour de l’indépendance à l’intérieur de la résidence de l’ambassadeur des États-Unis.
Sandor Pérez Pita, membre de San Isidro et artiste reggae, alias Rassandino, avec des Marines à l’intérieur de l’ambassade des États-Unis à La Havane.
Adonis Milan a légendé son portrait avec des marines américains : « Vive l’annexion »
Interrogé par un journaliste sur une rencontre qu’il a eue dans une rue de La Havane avec l’ancienne chargée d’affaires américaine Tekach, M. Otero a répondu : « C’est une diplomate. Je peux rencontrer Mara Tekach ou l’ambassadeur français ; mon ami, l’ambassadeur des Pays-Bas, ou celui de l’UE. Même avec le président cubain, Miguel Diaz-Canel, si un jour il souhaite me parler.«
En avril 2021, le gouvernement cubain a affirmé avoir découvert des documents révélant des paiements de 1 000 dollars par mois à Otero de la part du National Democratic Institute, une filiale de la NED. Ces accusations sont apparues au moment où l’artiste prévoyait d’exposer chez lui des peintures d’emballages de bonbons et d’inviter les enfants du quartier à les regarder, les taquinant avec « la belle vie » que le socialisme leur avait refusée. Il a catégoriquement nié avoir reçu un quelconque paiement de la part d’organisations de changement de régime du gouvernement américain.
À ce stade, Otero est devenu la star d’un hymne viral collectif qui a fourni à la contre-révolution cubaine un slogan unificateur et une bande sonore de protestation.
Les membres de San Isidro Maykel Osorbo (à gauche) et El Funky (à droite) encadrent Otero Alcántara dans la vidéo de « Patria y Vida ».
Voici ’Patria y Vida’, l’hymne rap préféré du département d’État américain.
La première chanson directement censée avoir mobilisé les Cubains pour protester contre leur gouvernement a été enregistrée par un groupe de rappeurs et d’artistes reggaeton comprenant deux membres du Mouvement San Isidro.
Saluée par le média d’État américain NPR comme ’la chanson qui a défini le soulèvement à Cuba’, ’Patria y Vida’ a été vue plus de 7 millions de fois depuis son lancement sur YouTube le 16 février 2021.
Enregistrée à Miami, la chanson met en scène trois interprètes cubains exilés : Yotuel du groupe de hip-hop Orishas, le duo reggaeton Gente de Zona et l’auteur-compositeur-interprète Descemer Bueno. Ils ont été complétés par deux membres du Mouvement San Isidro basés à La Havane : les artistes hip-hop El Funky et Maykel ’Osorbo’ Castillo.
Osorbo a proclamé qu’il ’donnerait [sa] vie pour Trump’ si le président américain imposait un blocus total à Cuba avec ’les côtes bloquées, que rien n’entre, ni ne sort… comme ils l’ont fait au Venezuela.’
La vidéo de ’Patria y Vida’ s’ouvre sur l’image curieuse du héros cubain anticolonial Jose Marti se fondant dans celle du père fondateur colonial et propriétaire d’esclaves George Washington.
Au point culminant de la chanson, les rappeurs Osorbo et El Funky apparaissent à l’écran, flanqués d’Otero de San Isidro. Prétendant avoir filmé leur performance subrepticement, les rappeurs apparaissent néanmoins dans une vidéo de haute qualité en scandant ’Patria y Vida !’
Ce slogan est une déformation manifeste du mantra révolutionnaire cubain, ’Patria o Muerte’, prononcé pour la première fois par Fidel Castro lors d’une cérémonie à la mémoire des dockers tués par le sabotage meurtrier du cargo La Coubre par la CIA dans le port de La Havane en 1960. En inversant le vœu de Castro de défendre la souveraineté de Cuba au péril de sa vie, les auteurs de la chanson s’en prennent à la culture politique anti-impérialiste inculquée aux Cubains au cours de six décennies.
Les couplets d’Osorbo et d’El Funky mêlent des attaques cinglantes contre le gouvernement socialiste à des hommages à San Isidro :
Nous continuons à tourner en rond, la sécurité, la déviation avec le prisme.
Ces choses m’indignent, l’énigme est terminée
Assez de votre révolution maléfique…
Une semaine à peine après la sortie de la chanson, la nouvelle directrice de l’USAID, Samantha Power, s’est exprimée sur Twitter pour vanter les mérites de ’Patria y Vida’ comme étant le reflet d’une ’nouvelle génération de jeunes à Cuba et de la manière dont ils repoussent la répression du gouvernement’.
Si Mme Power n’est pas spécialement connue comme une connaisseuse du hip-hop, elle a acquis la réputation de ruiner des Etats dans des endroits comme la Libye en orchestrant des campagnes militaires interventionnistes humanitaires. Il est difficile d’imaginer que son intérêt soudain pour un hymne rap cubain viral n’ait pas été guidé par un dévouement au changement de régime sur l’île.
Le groupe du Parti Populaire Européen (centre-droit) du Parlement européen s’est également mobilisé pour promouvoir ’Patria y Vida’, une semaine seulement après sa sortie. À Bruxelles, le parlementaire européen Leopoldo López-Gil – le père espagnol oligarchique du putschiste vénézuélien d’extrême droite Leopoldo López – a aidé à accueillir Otero, Yotuel, du Mouvement San Isidro, et plusieurs autres personnalités à l’origine de la création de ’Patria y Vida’. ’Je vous demande aujourd’hui de condamner le gouvernement cubain, afin que mon île ait la force de se relever…’ a déclaré Yotuel. ’Mon peuple a besoin de l’Europe, mon peuple a besoin que l’Europe désigne l’agresseur’.
Était également présent à l’événement du Parlement européen Juan Guaidó, le faux ’président’ du Venezuela nommé par les États-Unis qui a lancé un coup d’État militaire raté aux côtés de son mentor, Leopoldo López Jr.
Dans les jours qui ont suivi, les interprètes de ’Patria y Vida’ ont continué à faire parler d’eux à propos du changement de régime. Le 12 mars, Yotuel et Gente de Zona ont organisé une conférence vidéo avec des responsables du département d’État, les informant du succès de la chanson et des demandes du mouvement de San Isidro.
Trois mois plus tard, comme l’a rapporté le journaliste Alan MacLeod, l’USAID de Power a publié un avis de 2 millions de dollars de possibilités de subventions pour des organisations de la ’société civile’ cherchant à faire progresser le changement de régime à Cuba.
Mettant en avant la stratégie de longue date de l’agence, qui consiste à exploiter les groupes démographiques les plus durement touchés par les sanctions américaines, le document soulignait la nécessité de programmes qui ’soutiennent les populations marginalisées et vulnérables, y compris, mais sans s’y limiter, les jeunes, les femmes, les LGBTQI+, les chefs religieux, les artistes, les musiciens et les personnes d’origine afro-cubaine’.
Dans le document, l’USAID a souligné que ’Patria y Vida’ était une victoire de la propagande qui a contribué à produire un ’moment décisif’ – et qui préfigurait les protestations à venir.
Un appel à propositions de subventions lancé par l’USAID à Cuba en juin 2021 désigne ’Patria y Vida’ comme une victoire majeure de la propagande.
Moins d’un mois plus tard, le 11 juillet, Otero a lancé un appel à descendre dans les rues de La Havane au nom du Mouvement San Isidro. Bientôt, des centaines de manifestants se sont rassemblés sur le Malecon, en bord de mer, certains portant des pancartes indiquant ’Patria y Vida’. La vision de l’opposition d’un soulèvement national capable de balayer le socialisme semblait se concrétiser.
De nombreux facteurs sont à l’origine des protestations, de l’effondrement d’une centrale électrique dans la ville de Holguin aux tentatives hésitantes du gouvernement pour unifier la monnaie, en passant par les blessures économiques ouvertes par le blocus américain et entretenues par la période spéciale de privation.
Mais par l’intermédiaire des guerriers culturels de San Isidro, désormais délégués par Washington comme les visages et les voix officiels de l’opposition cubaine, les demandes des manifestants ont été interprétées comme un cri maximaliste pour que Washington intensifie ses efforts de changement de régime.
Le mouvement de San Isidro en route pour Washington
Bien que les manifestations se soient rapidement essoufflées, les remarques du président Joe Biden dénigrant Cuba sous embargo américain comme un ’État défaillant’ et promettant d’ajouter de nouvelles sanctions écrasantes à celles imposées par Trump ont laissé entendre que l’administration démocrate ne reviendrait pas au processus de normalisation d’Obama. Un objectif clé à court terme du lobby du changement de régime de Miami a donc été atteint.
Les audiences du Congrès du 20 juillet sur Cuba au sein de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants ont mis en évidence le rôle central que San Isidro a joué dans la nouvelle poussée visant à renverser le gouvernement cubain.
La représentante Debbie Wasserman-Schultz, une démocrate de droite du sud de la Floride, a cité un commentaire de l’universitaire libérale Amalia Dache critiquant Black Lives Matter pour sa déclaration de solidarité avec la révolution cubaine. Elle a ensuite désigné les Afro-Cubains comme une base émergente du ferment anticommuniste sur l’île.
À quelques mètres de là, le représentant Mark Green, un républicain pro-Trump, arborait une chemise portant le slogan ’Patria y Vida’ sous sa veste de costume.
Le représentant républicain Mark Green arbore un « Patria y Vida » lors d’une audition de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants sur Cuba, le 20 juillet.
Le même jour, au Capitole, la fondation de droite Victims of Communism Memorial Foundation a rendu hommage au Mouvement de San Isidro lors de son sommet de la Semaine des nations captives.
Dans son discours de remise du prix des droits de l’homme dissidents au Mouvement de San Isidro, le fondateur de Victims of Communism et vétéran du mouvement conservateur, Lee Edwards, a déclaré : ’ce n’est pas toujours la politique, mais la culture, qui est si importante dans la bataille dans laquelle nous sommes engagés en ce moment’.
Lee Edwards, fondateur du mouvement Victims of Communism, rend hommage au mouvement de San Isidro.
Maykel Osorbo, l’artiste hip-hop qui a joué dans ’Patria y Vida’, a accepté le prix au nom de San Isidro. ’Mon frère, je veux te remercier du fond du cœur’, s’est-il exclamé dans un message préenregistré adressé à la foule de républicains de droite aux têtes grisonnantes.
Comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette enquête, des agents parrainés par le gouvernement américain et affiliés au mouvement de San Isidro ont contribué à jeter les bases des manifestations de juillet à Cuba depuis le sol américain. Travaillant depuis la Floride, ils ont lancé le hashtag #SOSCuba appelant à une intervention américaine à Cuba des mois avant qu’il n’inonde les marchés des réseaux sociaux.
Max Blumenthal
Traduction : http://www.facebook.com/groups/Assange.Ultime.Combat/permalink/1465964967077033/
Source d’origine : http://thegrayzone.com/2021/07/25/cubas-cultural-counter-revolution-us…
URL de cet article 37260
Source : https://www.legrandsoir.info/la-contre-revolution-culturelle-a-cuba-the-grayzone.html
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Max Blumenthal (né le 18 décembre 1977 à Boston) est un blogueur, auteur, journaliste et militant américain. Il est le fils de Sidney Blumenthal, ancien journaliste puis conseiller de Bill Clinton. Après avoir contribué à de nombreux médias anglophones, il travaille au Liban et écrit plusieurs ouvrages sur la situation de la Palestine.
Après 2015, il change son positionnement concernant le conflit syrien, crée le site The Grayzone, et intervient fréquemment sur les médias russes. Il est accusé de défendre la Russie et le régime syrien, et de diffuser la propagande de ces états.
Biographie
Max Blumenthal est diplômé de l’Université de Pennsylvanie, où il a obtenu un B.A. en histoire en 19991.
Il commence comme rédacteur au Daily Beast et contribue à des médias tels que The Nation, Al Jazeera English, le Huffington Post et le Washington Monthly. En 2014, il rejoint Alternet pour qui il collabore depuis 2004. Il écrit sur des sujets tels que les droits des Chrétiens, les brutalités policières ou les relations des États-Unis avec Israël2.
Il publie en 2009 Republican Gomorrah: Inside The Movement That Shattered The Party, où il critique la droite évangéliste américaine, représentée notamment par James Dobson3. En 2013, il publie Goliath: Life and Loathing in Greater Israel, dans lequel il donne son point de vue sur la vie dans l’Israël gouvernée par Benyamin Netanyahou et dans les territoires occupés. Il déclare lors d’une interview avoir été surpris par la « banalité du racisme et de la violence » lors de ses quatre années de reportages en Israël, et estime que le public américain est mal informé à ce sujet4,5. Il reçoit pour ce livre le Cultural Freedom Award (Prix de la liberté culturelle) 2014 de la fondation Lannan (en) pour un « Livre particulièrement remarquable »6,7.
Max Blumenthal se montre critique envers la politique d’Israël à l’égard de la Palestine et recueille des témoignages faisant état de crimes de guerre commis envers des Palestiniens8 et fait un parallèle entre la politique d’Israël avec celle de l’État islamique9.
Max Blumenthal travaille pour le journal libanais Al-Akhbar jusqu’en 2012. Il y écrit sur la Palestine et les réfugiés palestiniens, avant de démissionner parce qu’il est en désaccord avec la couverture du soulèvement syrien10.
Lauréat du Prix de journalisme en ligne Annenberg pour ses articles d’investigation, il produit de nombreux reportages vidéo qui recueillent des centaines de milliers de visites sur Youtube11.
En janvier 2019, il se rend au Vénézuela, en compagnie notamment d’Aaron Maté, puis écrit un article dans lequel il affirme que Juan Guaidó est le « produit » d’une volonté américaine de changer le régime vénézuélien. En mai 2019, il cherche à apporter un soutien matériel aux militants américains pro-Maduro qui occupent l’ambassade vénézuélienne à Washington. Cinq mois plus tard, en octobre 2019, un mandat d’arrêt contre Blumenthal est lancé contre lui, un supporter de Juan Guaidó l’accusant de « simple agression », une infraction mineure. Il reste deux jours en prison, mains et chevilles enchaînées, sans pouvoir passer de coup de téléphone12,13,14. Il déclare : « Cela fait clairement partie d’une campagne de persécution politique conçue pour me faire taire ainsi que The Grayzone pour notre journalisme factuel, exposant les tromperies, la corruption et la violence de l’opposition d’extrême droite vénézuélienne »15. Les poursuites contre lui sont abandonnées en décembre 201916,14.
En 2019 il reçoit le prix Serena Shim pour l’« intégrité sans compromis dans le journalisme », une récompense attribuée par The Association for Investment in Popular Action Committees, une organisation à but non lucratif basée dans la région de la baie de San Francisco qui, selon Bellingcat, soutient Bachar el-Assad17,18. Max Blumenthal affirme pour sa part qu’il n’a jamais reçu d’argent du « régime d’Assad » ou de tout groupe de pression qui lui serait lié19.
(La suite sur Wikipedia)
Ah, imaginer un « régime Di Rupo ! »
The Grayzone : https://thegrayzone.com/
31 juillet 2019 : Nicolas Maduro remet à Max Blumenthal une copie de l’épée de Bolivar
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/14436-2/
Août 2021
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