« La directrice de la Banque Centrale Russe est-elle un “agent étranger hostile” qui sabote délibérément l’économie russe ? »
Une interview de l’économiste Paul Craig Roberts
Mike Whitney et Paul Craig Roberts – The Unz Review – 15.3.2022
Traduction : c.l. pour L.G.O.
« Nous pourrions complètement compenser les conséquences négatives des sanctions financières, si la Banque de Russie remplissait son devoir constitutionnel de garantir un taux de change stable du rouble, au lieu de suivre les recommandations des organisations financières de Washington… C’est la connivence de la Banque Centrale qui a fait que la Russie et son industrie ont été vidées de leur sang et incapables de se développer ». Sergueï Glazyev, économiste et auteur russe.
« On peut se demander pourquoi la Russie n’a pris aucune de ces mesures qui entraîneraient des cris d’agonie instantanés de la part de l’imbécile Occident et la fin immédiate de toutes les « sanctions » et de la propagande russophobe. La Russie peut dicter les conditions. Pourquoi renonce-t-elle à ce pouvoir ? » Paul Craig Roberts
Question 1/ Êtes-vous d’accord avec l’idée que les sanctions prises par Washington à l’encontre de la Russie ont pour but de mettre le pays à genoux, de l’éliminer en tant que concurrent des États-Unis en Asie centrale et de forcer Poutine à quitter le pouvoir ?
Paul Craig Roberts – C’est possible. Washington est assez stupide pour le penser. Pour que les sanctions aient des effets délétères sur la Russie, il faut que celle-ci prenne de mauvaises décisions, comme celles que prend la Banque Centrale Russe. L’Occident n’a rien dont la Russie ait besoin, en revanche les pays occidentaux sont extrêmement dépendants de l’énergie et des minéraux russes. La Russie pourrait répondre aux sanctions par des contre-sanctions, comme en coupant le pétrole, le gaz naturel et les minéraux par exemple. L’Occident ne tarderait pas à demander grâce et à accepter tout ce que la Russie exigerait.
La Russie est incapable d’utiliser le vaste pouvoir qu’elle possède sur l’Occident, parce que les économistes russes et la Banque Centrale ont subi un lavage de cerveau de la part des économistes néolibéraux américains, selon lesquels la Russie a besoin de devises étrangères pour se développer. C’est une incroyable absurdité, comme je l’ai démontré dans ma récente chronique…
En effet, Michael Hudson et moi-même l’avons expliqué aux Russes un certain nombre de fois. Si vous pensez que votre destin dépend des devises étrangères, vous continuez à maintenir votre ennemi en vie en lui vendant vos actifs stratégiques.
Ce que je pense que Washington fait en réalité, c’est profiter de la lenteur voulue de la guerre du Kremlin, qui essaie de minimiser au maximum les pertes civiles. C’est ce qui donne à Washington le temps de mener une campagne psychologique (« psyops ») pour renforcer la haine de la Russie dans le monde occidental et dans toute autre partie du monde soumise aux médias occidentaux. Fondamentalement, il s’agit d’un effort visant à maintenir le contrôle de Washington sur l’Europe, à empêcher toute négociation européenne avec la Russie. Washington, avec l’aide des médias prostitués (« presstitutes »), réussit à ostraciser complètement la Russie et la met hors d’atteinte de toute possible interaction européenne.
En fait, c’est dans l’intérêt de la Russie parce que cela permet de vaincre la Cinquième Colonne russe, les « Intégrationnistes Atlantistes » qui sont prêts à sacrifier la souveraineté russe au mondialisme pour faire partie de l’Occident.
Une fois que la Russie sera interdite aux capitaux étrangers, la Banque Centrale Russe devra faire son travail et financer le développement interne de la Russie. Les investissements étrangers en Russie ne servent qu’à appauvrir le pays, puisque les bénéfices sont rapatriés à l’étranger, donc sortis du pays. À vrai dire, les sanctions et les saisies des dépôts de banques russes sont une excellente raison pour la Russie de reprendre la propriété de ses propres ressources en nationalisant tous les investissements étrangers en Russie. Il n’est pas sûr que le Kremlin soit assez sophistiqué pour comprendre cela.
Question 2/ Êtes-vous d’accord pour dire que la Banque Centrale Russe fait précisément la mauvaise chose au mauvais moment en augmentant les taux (20 %), en permettant que le rouble soit négocié sur le marché des changes et en ne finançant pas les entreprises nationales par l’impression d’argent ?
Paul Craig Roberts – Oui, je suis d’accord. La Banque Centrale Russe au cerveau lavé sert, sans le comprendre, l’Occident et le succès des sanctions occidentales. La Russie devrait facturer son énergie et ses minéraux en roubles, soutenant ainsi sa propre monnaie au lieu des monnaies de ses ennemis, et devrait établir un contrôle des changes pour empêcher les spéculateurs de vendre le rouble à découvert.
Davantage d’informations sur la Banque Centrale Russe dans un article précédent de Paul Craig Roberts :
« La Banque Centrale Russe pense même qu’elle ne peut pas créer de roubles pour financer des projets d’investissement si ces roubles ne sont pas garantis par des devises étrangères. Cela a conduit cette banque à emprunter de l’argent dont elle n’a pas besoin et sur lequel elle paie des intérêts. En d’autres termes, la politique de la Banque Centrale Russe n’a pas de sens et sert les intérêts occidentaux aux dépens de la Russie.
Les Russes pourraient fermer l’industrie occidentale si la Russie cessait d’exporter de l’énergie et des minéraux, mais ils ont peur de le faire parce qu’elle perdrait ainsi des devises étrangères…
La Russie n’a pas besoin de devises étrangères. Elle n’a pas besoin d’importer de l’énergie et des minéraux. La Russie est pleine d’ingénierie et de science et peut fabriquer tout ce dont elle a besoin. La Banque Centrale peut financer tous les projets intérieurs. Mais comme les Américains ont réussi à laver le cerveau des économistes russes, les Russes ne sont pas capables d’utiliser l’arme puissante qu’ils ont en main pour mettre l’Occident à genoux et le forcer à demander grâce. De plus, les économistes russes n’ont pas assez de bon sens pour exiger d’être payés en roubles pour leur énergie et leurs minéraux, ce qui renforcerait leur propre monnaie plutôt que les monnaies de leurs ennemis. Pourquoi la Banque Centrale Russe renonce-t-elle à utiliser les exportations russes pour stabiliser la monnaie russe ?
La conclusion est que, dans le jeu des sanctions, les Russes ont toutes les cartes en main mais ne savent pas comment les jouer.
L’Occident n’a rien dont la Russie ait besoin. En revanche, l’Occident ne peut pas survivre sans l’énergie et les minéraux russes. » [« Washington et Moscou se disputent le prix de la sottise », Site Web de Paul Craig Roberts]
Question 3/ De votre point de vue, la directrice de la Banque centrale, Elvira Nabiullina, agit-elle comme un agent étranger hostile en mettant en œuvre des politiques qui sapent clairement la position financière de la Russie et intensifient considérablement l’impact des sanctions ?
Paul Craig Roberts – Je ne pense pas qu’elle comprenne que c’est ce qu’elle est en train de faire, mais, oui, c’est ce qu’elle fait. La Russie vend toujours des ressources stratégiques à l’Occident et accepte d’être payée en dollars et en euros, ce qui renforce les monnaies des ennemis de la Russie et affaiblit le rouble. Pour être précis, la banque centrale russe subventionne le succès des sanctions occidentales. C’est insensé.
Et encore d’autres informations sur la Banque Centrale Russe dans un article précédent de Paul Craig Roberts :
« La Russie a l’occasion, créée exprès pour elle par les sanctions, de corriger sa tragique erreur stratégique d’avoir permis aux étrangers d’acheter ses actifs productifs. La Russie peut nationaliser les actifs détenus par les entreprises des pays qui lui appliquent des sanctions. Les pays sanctionneurs volent les dépôts bancaires russes, la Russie devrait donc user de représailles en mettant la main sur leurs actifs réels.
On peut se demander pourquoi la Russie n’a pris aucune de ces mesures qui eussent provoqué des cris d’agonie instantanés de la part de l’imbécile Occident et la fin immédiate de toutes les sanctions comme de toute la propagande russophobe. La Russie peut dicter les termes. Pourquoi n’use-t-elle pas de ce pouvoir ?…
Si la Russie se châtre elle-même en refusant de jouer sa main gagnante, elle sera mise à terre par sa propre bêtise, non par les sanctions occidentales. » (« Washington et Moscou se disputent le prix de la stupidité », Site Web de Paul Craig Roberts)
Question 4 – La Russie est maintenant le pays le plus sanctionné au monde. Ces sanctions ont été imposées de manière arbitraire et sans examen par l’OMC, sans l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies et sans aucun respect de la procédure. La Russie n’a eu aucune possibilité de se défendre devant un tribunal ou de faire valoir ses arguments devant un tribunal approuvé par la communauté internationale. Comment expliquez-vous le fait que la majorité des Américains applaudissent avec enthousiasme cet abus de pouvoir antidémocratique, clairement conçu pour infliger un maximum de souffrance au peuple russe ?
Paul Craig Roberts – Les Américains, comme les Canadiens et les Européens, n’ont pas de médias indépendants qui rendent compte honnêtement des situations. En lieu et place, l’Occident de voit octroyer par l’élite dirigeante, un récit aussitôt transvasé dans la tête des gens par les journaputes (« presstitutes ») qui, par matraquage pur et simple, métamorphosent les mensonges en vérité et la fiction en fait.
Il n’y a pas de tribunaux ou de lois internationales qui puissent être opposés à l’Occident. L’erreur de la Russie est de répondre aux accusations. Elle devrait les ignorer et vaquer à ses affaires. Ce qu’elle devrait préciser, ce ne sont pas les faits, puisque les faits n’ont aucune importance dans le monde occidental. Elle devrait préciser clairement ce que sont ses lignes rouges et prouver qu’elle ne parle pas en l’air en détruisant dans l’instant quiconque les franchirait. C’est uniquement de cette façon que la Russie pourra voir la fin des provocations occidentales et le monde connaîtra la paix.
Question 5/ La mort de George Floyd a déclenché une vague de protestations antiracistes dans tout le pays. Le parti démocrate a embrassé ces manifestations et dénigré tous ceux qui hésitaient à offrir leur soutien inconditionnel. Aujourd’hui, ces mêmes faux libéraux expriment ouvertement leur haine débridée pour tout ce qui est russe. Comment expliquez-vous cette vague de haine ethnique qui s’est emparée du peuple américain, en particulier de ces gens qui ne ratent aucune occasion de nous rappeler combien ils sont antiracistes et vertueux ?
Paul Craig Roberts – Libéraux ou conservateurs, ce sont tous les mêmes. Le citoyen lambda n’a pas assez de temps, d’énergie, d’intérêt ou de savoir-faire pour découvrir ce qui arrive. Les gens ordinaires sont programmés par les journaputes qui répètent d’une seule voix le récit de l’élite, qu’il s’agisse du Covid, de Saddam Hussein, de la Russie, du 11 septembre, peu importe. Il n’y a que le récit officiel.
Il est facile de faire haïr la Russie par les Américains, parce qu’ils y ont été dressés par la guerre froide du 20e siècle. Les Américains sont habitués à ce que les Russes soient l’ennemi. Le côté russe de l’Histoire n’a pas la possibilité d’arriver jusqu’aux Occidentaux. La seule information dont ils disposent est le récit officiel.
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Mars 2022
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