Anatole Atlas invité à Santiago du Chili
Offrande à la Parole Améliorée
Tout rapport avec MUMMY (Ministères-Universités-Médias), douairière de TINA (There Is No Alternative) est un voyage dans les amygdales d’une mygale. Qui s’y aventure explore un palais de venimeuses féeries : c’est en un tel gosier que le scribe recueille son poison-pharmakon…
Qu’est d’autre cet insecte s’enquérant de ses droits dans l’actuelle toile d’araignée communautaire, identitaire et sécuritaire, qu’une mouche importune – dès lors qu’il met en question le système de la Valeur ?…
Vue depuis l’avenir, au-delà des logiques arachnéennes du capitalisme, la contemporaine TVA sera comprise comme trace archaïque d’une ère soumise aux critères exclusifs du quantifiable, quand outre l’extorsion de la plus-value sur leur travail, l’État prélevait sa dîme sur les bestioles consommatrices par une taxe portant sur leur valeur ajoutée…
La conscience de l’humanité future avivera son indulgence pour les contemporaines barbaries du marché de la guerre et de la guerre du marché. Nos descendants percevront combien les ténèbres du présent Moyen-Âge, usurpant le prestige de fallacieuses Lumières, furent inaptes à produire une socialité fondée sur la Parole ; où le qualitatif aurait force de loi sur le quantitatif, où l’offrande supplanterait la taxe…
Qu’en faisait-il donc, l’État, des trésors amassés par ses TVA (tandis que l’écot des aragnes prospérait à l’abri de tout regard), pour entretenir l’illusion d’une civilisation grâce à des ministères de la Culture ?…
S’il fournissait des aides à l’industrie du livre, c’était à condition qu’elle ne s’avisât jamais d’imaginer quelque Offrande à la Parole Améliorée…
Ce qui, depuis Gilgamesh, est pourtant le signifié de toute littérature…
Mon travail entier se veut dans la filiation d’une publication qui, voici juste cent ans, s’était par ironie donné ce titre : Littérature. Qui donc en rendra compte, si c’est précisément l’esprit de ces aventuriers dont la Toile croit avoir nettoyé ses recoins par la poussière du bavardage ?…
Il fallut, pour s’en aviser, que provînt un message depuis les confins du monde : l’invitation que j’ai reçue venant des environs de la Patagonie. Ne pouvais-je, vu ma très longue mélopée, bénéficier d’une aide pour accomplir ce voyage à Santiago de Chili ? Quémander pareille obole imposait un redoutable passage par les amygdales de la mygale…
Que répondrait MUMMY, dame d’honneur de TINA ? Sans surprise ne me parvinrent que des borborygmes automatiques, en ce langage codé propre aux ordinateurs. Même si j’ai tenté d’y déchiffrer quelque trace humaine, l’arachnide exprimait un mépris dégoûté pour ma démarche, arguant du fait que j’appartenais à l’espèce des nuisibles métèques et autres migrants disqualifiés comme étrangers à la Communauté, pour habiter du mauvais côté de la frontière linguistique. Ce qui se trouvait sommairement exprimé, je me suis permis de le traduire ici pour offrir, en sus d’une parole améliorée, quelque rigolade à la postérité…
Car celle-ci ne manquera pas d’observer qu’au départ d’un personnage travaillant dans la firme CIGRASA (Ciment-Gravier-Sable) sur le canal de Bruxelles, mon œuvre s’élabora d’un triple point de vue prolétaire, soviétique et tiers-mondiste (signifiants frappés d’infamie par la contre-révolution anticommuniste en cours depuis un demi-siècle)…
Comment ce travail pouvait-il avoir l’aval des amygdales d’une mygale ? Comment cette cathédrale de mots pouvait-elle connaître les faveurs d’un bunker ? Si, par temps de guerre (nous armons l’Arabie saoudite, qui anéantit le Yémen et massacre quotidiennement depuis l’Afrique occidentale jusqu’à l’Asie orientale en passant par le Sri Lanka), nos superstructures idéologiques ont pour principal matériau le béton barbelé, celui-ci ne se peut exhiber sans garnitures ni fioritures faisant la plus grande part des gadgéteries livresques…
C’est le tableau du couple fatal unissant un rapport social d’exploitation économique, de domination politique et d’aliénation idéologique à ses représentations inversées, que j’ai brossé sous les traits de Kapitotal et de la tour Panoptic : pareille description pouvait-elle être digérée ?…
Qu’une toile d’araignée bunkérisée, malgré sa propagande, ne goûte guère les cathédrales, il fallait le prouver. Cet art d’illuminer les siècles par leur brûlure même est secret bien gardé des architectes et maçons. De temps à autre une flèche rend visibles ses flammes et cela frappe de sidération les populations face à leurs écrans. Rien de plus interdit de divulgation que le sens du gothique flamboyant…
C’est un contre-récit du storytelling occidental qu’il s’agit d’inventer. La négation du discours dominant, Aragon Brecht Césaire en sont l’ABC. Qui lit encore Vladimir Maïakovski, Nazim Hikmet, Yannis Rítsos, Rafael Alberti, Nicolas Guillén, Kateb Yacine, Pablo Neruda, Sony Labou Tansi ?
La plus haute voix de Sion ne s’appelle-t-elle pas Mahmoud Darwich ? La plus géniale interprétation du sionisme – comme un renversement de la conscience malheureuse – n’est-elle pas l’œuvre d’un étranger professionnel ignoré de tous : Abdelkébir Khatibi ?…
Leur élimination de la Toile flatte les amygdales de la mygale…
Cette moderne pléiade illuminerait le globe sans brouillards toxiques et stars factices au service de TINA. MUMMY ne peut donc ingurgiter qui s’en réclame, les agents de la culture ayant pour principale fonction de perpétuer leur propre structure : No Alternative oblige…
Que tout être puisse, de naissance, être assuré d’une vie digne : tel est le vœu des astres inspirant les aèdes à travers l’histoire. Durant le XXe siècle, cette constellation brilla d’une magnitude sans précédent contre fascisme et nazisme, à l’appel d’une étoile rouge incitant aux spasmes psychiques davantage que physiques…
Plus que les crimes staliniens, n’est-ce pas la forclusion de ce message, la condamnation d’une dialectique historique et le verrouillage de toute espérance au-delà d’un horizon bouché par TINA qui, grâce à la parfaite soumission de MUMMY, provoquent les convulsions régressives sous forme d’insolubles conflits identitaires, communautaires et sécuritaires dont prospère une race élective en sécession des damnés de la terre ? Dans son Discours sur le colonialisme (1950), Aimé Césaire osait écrire : » Au bout du capitalisme, désireux de survivre, il y a Hitler. Au bout de l’humanisme formel et du renoncement philosophique, il y a Hitler « …
Aucun Nacht und Nebel pourtant n’occultera jamais ce fait que le projet communiste (héritier des plus hautes traditions de toutes les religions, de toutes les philosophies, de tous les arts ; de toutes les fois, de toutes les raisons, de toutes les imaginations ; de toutes les illuminations, de toutes les convictions, de toutes les inspirations), demeure le plus beau rêve de l’humanité.
Anatole Atlas, Ambassadeur de Gilgamesh en Atlantide
Et d’ailleurs…
À vos dictionnaires !
26 avril 2019
Offrande… (conclusion)
MUMMY prétend qu’un tel rêve nécessairement tourne au cauchemar, que TINA ne survivrait pas à son accomplissement. Tautologie nucléaire dans le logiciel des propriétaires du Logos…
De quoi s’agirait-il, sinon d’un renversement des rapports entre valeur d’usage et valeur d’échange ; entre travail mort et travail vivant ?…
La vie est un chaos merdique et l’histoire est dépourvue de sens, clame la vulgate contemporaine déclinée dans tous les best-sellers. Vulgate résumée par la baronne Amélie dans son discours de réception à l’Académie quand, à propos du communisme, elle éructe ces mots tout droit sortis des amygdales de la mygale : » élucubrations obscures qui ont accouché de livres indigestes et d’idéologies monstrueuses « …
Condamnation incluant tous les noms plus haut cités…
Serais-je invité à Santiago pour promotionner ce racontar imprimé sur des barres de chocolat belge : les amygdales de la mygale aussitôt feraient diligence pour me fournir les billets sans négliger la TVA…
Mais la présente Offrande s’inscrit dans une vision globale qui faisait à Antonio Gramsci, pour déjouer la censure depuis sa geôle, désigner le marxisme comme une théorie de la praxis…
Aujourd’hui, les experts de Kapitotal et de la tour Panoptic ne sont-ils pas réputés propriétaires de toute la théorie, face aux gueux relégués dans la contingence des pratiques subalternes ?…
Sans dialectique entre praxis et théorie – raison d’être de l’art et de la littérature – les autorités seigneuriales et ecclésiastiques, les fonctions régaliennes et sacerdotales ne sont-elles pas présumées fusionner dans la personne d’un Baby Mac ?…
« On verra que le monde nourrit depuis longtemps le rêve d’une chose dont il lui suffit de prendre conscience pour la posséder réellement » prophétise Karl Marx dans une lettre à Ruge écrite cent ans avant Stalingrad…
Il Sogno di una cosa : titre d’un roman de Pasolini, peu d’années après son poème Le Ceneri di Gramsci.
A.A.
Pier Paolo Pasolini
Les cendres de Gramsci
suivi de La religion de notre temps
et de Poésie en forme de rose
Gallimard (Bilingual), 2017
320 pages
Présentation de l’éditeur :
Ces poèmes issus de trois recueils différents et dont la composition s’échelonne sur plus de dix années ont été choisis, en accord avec Pasolini, dans le souci de retracer aussi complètement que possible un itinéraire idéologique et poétique tourmenté. C’est tout le bilan d’une époque liée aux luttes et aux retombées du mouvement ouvrier qui se trouve ici consigné. Le cinéma a contribué à divulguer le message de Pasolini. Mais l’écriture poétique qui le fit d’abord connaître constitue son mode d’expression privilégié.
Pier Paolo PASOLINI
Le rêve d’une chose
Gallimard (L’Imaginaire), 1988
224 pages
Présentation de l’éditeur
Nini Infant, Eligio Pereisson et Milio Bortolus se lient d’amitié pendant la fête du lundi de Pâques 1948, dans un village du Frioul. Ils se sont rencontrés sous le signe de l’ivresse, ils se retrouveront plus tard sous celui des illusions perdues : Nini et Eligio reviennent de Yougoslavie, Milio de Suisse. La nostalgie de l’Italie et la faim les ont fait rentrer au pays. Ils participent aux manifestations organisées par les communistes contre les grands propriétaires terriens, remportent une victoire provisoire et vivent ainsi une alternance de moments de joie et de drame. Avec eux et la famille Faedis, avec les histoires d’amour et les deuils, c’est une double chronique que Pasolini nous livre – celle des petites gens du Frioul, celle de la jeunesse, habitée par un rêve imprécis : le rêve d’une chose.
Mis à jour le 27.4.2019
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