Apologie de Charles de Courson
Jean-Paul Brighelli – Bonnet d’âne – 9.2.2019
J’ignorais à peu près tout de Charles de Courson. Son père fut résistant, son grand-père, l’un des rares parlementaires à avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain, fut résistant lui aussi et mourut de la cure de santé que lui imposèrent les autorités de Vichy au camp de concentration de Neuengamme. Pour parodier la Bible, les qualités des pères ne retombent pas forcément sur la tête des fils, et le « bon sang ne peut mentir » de l’aristocratie française n’est plus forcément de rigueur.
Je suis un peu plus impressionné, en revanche, de savoir que l’un de ses aïeux est Lepeletier de Saint-Fargeau, sur lequel il faudra que j’écrive, un de ces jours. Ce révolutionnaire intelligent a produit un Plan pour l’Education, parallèle au projet de Condorcet, qui mérite quelques égards : en fait, s’il n’avait pas été assassiné, peut-être serait-il parvenu à opérer la synthèse de l’élitisme de son rival et de l’égalisation des conditions pédagogiques qu’il avait imaginée. C’était un centriste avant l’heure, un autre adepte du « en même temps » — adversaire de la peine de mort, dans le droit fil de Beccaria et des Lumières, mais votant tout de même la décapitation de Louis XVI.
Oui, j’ignorais tout de Charles de Courson, jusqu’à la semaine dernière. Les débats sur la dernière loi scélérate imaginée par la conjonction des forces vives de LR et de la REM ronronnaient doucement, faute d’une opposition audible, quand Charles de Courson —« centriste », ce n’est pas une étiquette qui fait rêver — s’est levé et a dit leurs quatre vérités au ministre de l’Intérieur et à la majorité qui le suit dans un grand piétinement de godillots. La vérité sur ce que représente l’interdiction de manifester que pourra désormais prononcer administrativement et préventivement n’importe quel préfet.
« Mais où sommes-nous, mes chers collègues ? Mais c’est la dérive complète ! On se croit revenu sous le régime de Vichy ! »
(Remue-ménage sur les bancs de la REM, qui a l’air de penser que le régime de Vichy consiste à boire un grand coup d’eau minérale gazeuse après chaque repas : rappelez-vous, pour bien situer ce remue-ménage, la façon dont Claude Rains, inoubliable capitaine de police dans Casablanca — vous savez, celui qui ordonne rituellement l’arrestation des « usual suspects » — jette à la poubelle une bouteille de Vichy, justement, quand il a pris le parti de la Résistance et d’Humphrey Bogart contre les forces de l’Axe — c’est là, à 2mn50. Que voulez-vous, moi, j’ai toujours été du parti de Bogart — le romantisme allié au browning)…
« Mais oui ! Mais oui, mes chers collègues… Oui, je dis bien le régime de Vichy. Mais oui, vous êtes présumé, par votre attitude, vous êtes présumé être résistant donc on vous « entaule », voilà, par l’autorité administrative. Mais où sommes-nous, mais réveillez-vous, mes chers collègues ! »
Remue-ménage, suite…
Et de préciser que « l’article 2 [de la loi ] est en l’état « un monstre juridique » « puisqu’au fond on réinvente ce qu’on appelait au XIXe siècle « les classes sociales dangereuses… »
(Fine allusion à ce très beau livre de Louis Chevalier paru en 1958, Classes laborieuses et classes dangereuses — qui explique entre autres comment l’arrivée massive à Paris à partir des années 1830 d’un sous-prolétariat exogène explique la montée de la délinquance, tiens, tiens…)
« Vous voyez, la présomption de culpabilité… Et ce texte est fondamentalement anticonstitutionnel… »
Oui — mais il n’est pas inédit. Les plus âgés, les plus lucides, se rappellent la loi anti-casseurs votée à la fin du septennat de Giscard, et abolie dès le début du premier septennat de Mitterrand — ladite abolition faisait partie des 110 propositions du candidat socialiste, qui ne les a pas toutes appliquées… Le RPR de l’époque, par la voix de Philippe Seguin, avait d’ailleurs appuyé par son attitude la proposition d’annulation de cette autre loi scélérate… C’est qu’à l’époque, l’opposition de droite avait de la gueule et de la voix.
L’interdiction a priori de manifester m’a fait penser à un décret pris au tout début des années 1970, interdisant les regroupements de plus de trois personnes dans les rues de Paris. Ou cet essai pour interdire aux hommes « entre 14 et 40 ans » de pénétrer dans les jardins du Luxembourg — Le Forestier en avait fait l’une de ces chansons militantes dont il avait alors le secret.
L’interdiction des pelouses fait partie des fantasmes des législateurs en peine d’inspiration fascisante. La loi actuelle porte en germe des tentations de même nature : quand tout cède, on se fabrique à la hâte un barrage législatif. C’est plus facile que de répondre posément à la colère populaire.
En tout cas, l’intervention courageuse de Charles de Courson a eu des conséquences : une cinquantaine de parlementaires « En marche » ont préféré reculer et s’abstenir lors du vote final. L’examen des prises de position « pour » ou « contre » cette loi surréaliste est d’ailleurs plein d’enseignements : la Droite, qui a peur de ne pas paraître assez répressive, a proposé puis voté une Loi Macron que nombre de députés macronistes ont eux-mêmes rejetée — tout comme l’opposition dite d’extrême-droite : ni Nicolas Dupont-Aignan ni les députés RN n’ont approuvé cette loi anti-casseurs, anti-gilets jaunes, anti-expression démocratique. Imaginez ! Les fascistes déclarés (c’est du moins l’étiquette que leur appose la bien-pensance rituelle) s’opposent à une loi répressive ! Imaginez aussi si une majorité fidèle à Marine Le Pen avait proposé une pareille loi… Un million de manifestants dans la rue dans l’heure !
Mais c’est que nos jolis libéraux sont au fond plus répressifs que la Droite apparemment la plus dure. Nombre de gens qui ont voté pour le « damoiseau », comme dit Matteo Salvini, commencent à s’en apercevoir. Tirez-en quelques conséquences sur la pertinence d’un clivage droite-gauche aujourd’hui.
Allez, avec un peu de chance, cette loi sera détricotée par le Conseil constitutionnel, et n’aura donc été votée que pour donner aux électeurs de la REM l’apparence de la garantie de la fermeté — l’ombre de l’ombre. Une option politique perdant-perdant : non seulement une telle loi ne protège pas des black blocks, qui ont depuis lurette affiné leur technique de guérilla urbaine, mais elle ne dissuade guère les protestataires démocrates de continuer à protester, et elle donne de ceux qui l’ont votée l’image de ce qu’ils sont : des élus en perdition, gesticulant faute d’agir.
Jean-Paul Brighelli
Source : http://blog.causeur.fr/bonnetdane/
Et nous, on attend avec impatience M. Brighelli sur Lepeletier !
16 février 2019
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