Billet ouvert des Grosses Orchades
à M. Luigi Di Maio, Vice-Président du Conseil des ministres de la République italienne
Monsieur le Vice-Président,
Permettez-nous d’évoquer un fait d’histoire italienne que vous auriez toutes les excuses du monde d’ignorer.
Quelque quatorze ans avant votre naissance, M. Pier Paolo Pasolini, qui avait succédé à feu M. Curzio Malaparte dans les colonnes du Tempo, s’y ébahissait de ce que Lucien de Samosate, à la fin du IIe siècle de notre ère, n’eût pas vu qu’il y avait solution de continuité dans notre destin occidental, qu’Athènes et Rome étaient éteintes et que la « strada maestra » était désormais le christianisme… dont Lucien ne parle même pas, nulle part.
Ses profondes convictions de chrétien et de communiste l’ont ainsi lui-même empêché de voir que sans doute, s’il en a eu vent, Lucien a pu considérer le christianisme en plein essor comme une parenthèse dont il convenait d’attendre patiemment qu’elle se ferme. Ayant accompli son œuvre – à un prix qui fait frémir mais ce qui est fait est fait, inutile d’ergoter cent ans là-dessus – le christianisme achève de se mettre entre parenthèses, non sans avoir légué à beaucoup, dont les deux grands artistes cités plus haut, la force de ne pas accepter sans combattre le fléau aussi peu spirituel que possible, tout-puissant quand vous êtes né. Et peu importe qu’ils l’aient fait en se trompant ou pas.
Vous venez, Monsieur le Vice-Président, de faire un pas décisif dans ce sens et nous partageons le sentiment de M. Tom Luongo (c’est un Américain) qui se déclare absolument ravi de vous voir semer aussi magistralement la m…., pardon, le chaos à l’international, tout en faisant d’aussi impeccable politique intérieure
Vous êtes de Naples. Vous ne pouvez pas ignorer que la maison que M. Malaparte s’était fait construire au cap Massullo – ce qu’il avait de plus précieux au monde – a été légué par testament au peuple chinois. Hélas, il en a été de la Casa Malaparte comme des chats du cardinal de Richelieu : le testataire à peine froid, les vivants se sont contrefoutus de sa volonté, sans égard pour l’importance qu’elle pouvait avoir eu à ses yeux, et les viandes des funérailles ont régalé la noce chez les petits-bourgeois.
Est-ce la famille du défunt qui a tenu à justifier la pauvre opinion que son parent avait d’elle ou l’État italien qui s’est servi d’elle dans une situation balzacienne pour masquer un empressement gênant à déférer à des exigences impériales ? Il vaut mieux ne pas le savoir, évitons de remuer la tourbe. Toujours est-il que le peuple chinois attend toujours son héritage, autant sinon davantage moral que matériel.
Il vous appartient, Monsieur le Vice-Président, de réparer aujourd’hui une faute qui n’a honoré personne. Vous pouvez faire en sorte que l’Italie ne soit pas la simple « receiving end » d’une intelligente opération de commerce impérial, sinon la bénéficiaire d’une sorte de plan Marshall venu d’Orient. Vous pouvez faire en sorte qu’il y ait échange véritable – plus immatériel, certes, mais non moins nécessaire ! – entre peuples qui ne se connaissent guère mais ne manquent plus des moyens de communiquer.
Non, personne ne vous imagine, dans les turbulences où entre l’Europe, en train de replaider un procès en captation d’héritage. D’un autre côté, vu l’état où ils ont, peut-être par force, laissé tomber leur bien, on peut imaginer que les héritiers abusifs ne savent pas vraiment quoi en faire et n’ont même pas les moyens de l’empêcher de se dégrader. L’État italien, en revanche, peut parfaitement réparer ses propres torts en rachetant ce qu’il n’a pas su protéger de sa magistrature et en le remettant, avec ses excuses pour le retard, aux héritiers véritables.
Il n’y a pas que les Italiens qui ont besoin d’échanger autre chose que des marchandises avec les habitants de la Chine, et ce pont jeté ne le serait pas que pour eux.
Dans cette optique, pensez-vous que beaucoup de vos compatriotes refuseraient de payer un euro d’impôt supplémentaire pour vous aider à réunir le montant de la rançon ? Gageons qu’il s’en trouverait même pour vous dire Monsieur le Vice-Président, prenez m’en deux ! Et nous sommes prêts à parier notre dernière chemise qu’il y aurait aussi à l’étranger quelques admirateurs du grand artiste que fut le testataire pour se joindre à eux. [Tout le monde veut sauver Venise ! C’est vrai que c’est bien, mais il n’y a pas qu’elle qui soit en danger.] Pour notre part, nous n’arrivons pas à croire que l’autre grand artiste qu’est M. Jean-Luc Godard ait jadis fait choix de cette maison pour y tourner son Mépris, sans nourrir la moindre arrière-pensée. L’Italie officielle s’est-elle un tout petit peu reconnue dans le personnage de Michel Piccoli ? Et pas que l’Italie, bien sûr ! M. Godard, admirateur de l’œuvre du président Mao, n’est jamais, contrairement à tant d’autres, devenu un des piliers du néo-libéralisme, et si vous lui offriez la présidence d’honneur d’une association littéraire italo-chinoise, il en serait sûrement très fier. Après tout, les Suisses sont un peu européens aussi. Imaginez (on rêve) Mme Rita Monaldi et M . Francesco Sorti revenant d’exil pour présider aux destinées d’une telle entreprise avec M. Yan Lianke ! [Les Chinois ont leur Cervantès et il est vivant. Quelles raisons pourriez-vous avoir de nous en priver ?].
Et il n’y a pas que les lettres, il y a les chiens… Vous n’ignorez pas l’« affection maladive » que M. Malaparte avouait nourrir pour ces bestioles. Ne pourriez-vous imaginer de réserver un petit coin de son navire aux chiens sans abri de l’île ? Après tout, il y a certainement plus de milliardaires à Capri que de chiens abandonnés. Et, telle qu’on croit la connaître, Melle Brigitte Bardot, qui a si durablement marqué le lieu de sa présence, se sentirait très honorée elle aussi d’être leur marraine, d’autant qu’elle souffre du même faible à un degré superlatif.
Il peut paraître abusif que des gens qui habitent un minuscule pays artificiel enkysté des Euronouilles et du quartier général de l’Organisation Terroriste que vous savez, se mêlent de vous réclamer des choses au lieu de balayer devant leur seuil. C’est que quand on se trouve devant des obstacles trop insurmontables, il ne doit pas être interdit de s’attaquer à un qui le paraisse moins.
Bref, Monsieur le Vice-Président, vous vous êtes mis dans le cas et vous êtes en mesure d’aider à fermer l’abominable parenthèse ouverte en Thermidor par ce que M. Buonarroti (Philippe) appelait « le parti de l’égoïsme ». Vous pouvez le faire en donnant ce petit coup de pouce aux destinées de l’Europe. Soyez assuré que, même si elle ne vous le dit pas, elle vous en saura gré. Elle ou sa descendance.
Avec espoir.
pp. Les Grosses Orchades
Théroigne,
Calamity Jane
ed altri.
Ballons prêts à s’envoler à Haikou (île de Hainan, Chine)
Casa Malaparte au cap Massullo (île de Capri, Italie)
23 mars 2019
One Responses
Le testament de Malaparte ne doit pas être impossible à trouver et à révéler au public . Vous êtes familière de l’oeuvre de cet écrivain , Ce serait capital de mettre la main dessus afin de donner un crédit définitif à ce don.
Est-ce qu’on connaît le nom de l’architecte qui a commis cette bâtisse, sorte de tank écrasé à la pointe d’un rocher . Dommage pour le rocher et le paysage . Quand on voit les extraordinaires châteaux en Crimée dans un environnement semblable, on pleure sur la décadence de l’architecture. Florence et Venise au secours. Dommage pour la qualité du cadeau.