Que serait le monde sans Craig Murray ?
« En ces temps sombres, la vérité de Craig Murray est un phare. Nous lui devons notre gratitude, et non la parodie de peine de prison qui, comme les poursuites contre Julian Assange, est un avertissement universel. »
John Pilger
Craig Murray : Le silence sur Imran Khan
via Consortium News – 9.8.2023
Traduction : c.l. pour L.G.O.
Le Pakistan a imposé un black-out médiatique sur le Premier ministre déchu et les milliers de nouveaux prisonniers politiques incarcérés dans des conditions épouvantables. Les condamnations, au Royaume-Uni et aux États-Unis, ont été inexistantes.
Imran Khan en février 2023.
(Pakistan Tehreek-e-Insaf, Wikimedia Commons, CC BY 3.0)
Compte tenu de l’importance de la population d’origine pakistanaise au Royaume-Uni, l’absence de couverture médiatique sérieuse du renversement et de l’incarcération d’Imran Khan, ainsi que de l’emprisonnement massif de ses partisans, est vraiment extraordinaire.
La semaine dernière, Imran Khan a été condamné à trois ans de prison et à une interdiction de toute activité politique pendant cinq ans pour prétendu détournement de cadeaux officiels. Cette condamnation fait suite à sa destitution du poste de Premier ministre à la suite d’un coup d’État fomenté par la C.I.A. et à une campagne de violences et d’emprisonnements à l’encontre de M. Khan et de ses partisans.
À l’heure actuelle, il est illégal au Pakistan de publier ou de diffuser des informations sur Khan ou sur les milliers de nouveaux prisonniers politiques incarcérés dans des conditions épouvantables. Il n’y a pas eu la moindre protestation de la part des gouvernements du Royaume-Uni ou des USA.
Imran Khan est presque à coup sûr le politicien de haut rang le moins corrompu de l’histoire du Pakistan – j’admets que la barre n’est pas haute. La politique pakistanaise est – dans une mesure qui n’est pas suffisamment comprise en Occident – littéralement féodale. Deux dynasties, les Sharif et les Bhutto, ont alterné au pouvoir, dans une rivalité parfois meurtrière, ponctuée de périodes de régime plus ouvertement militaire.
Il n’y a pas de véritable fossé idéologique ou politique entre les Sharif et les Bhutto, quoique ces derniers prétendent à plus d’intellectualité. Il s’agit purement et simplement du contrôle des ressources de l’État, l’arbitre du pouvoir ayant en réalité toujours été l’armée et non l’électorat. En ce moment, ce sont les Sharif qui ont été remis au pouvoir.
L’incroyable percée d’Imran Khan aux élections législatives de 2018 a fait voler en éclats la vie politique normale au Pakistan. Remportant à la fois une majorité du vote populaire et le plus grand nombre de sièges, le parti PTI de Khan est passé de moins de 1% des voix en 2002 à 32% en 2018.
Les dates sont importantes. Ce ne sont pas les hauts faits de Khan au cricket qui l’ont rendu politiquement populaire. En 2002, quand son génie du cricket était beaucoup plus frais dans l’esprit des gens qu’il ne l’est à présent, il était considéré comme un candidat pour rire.
En fait, c’est par son opposition sans équivoque à ce que les États-Unis utilisent le Pakistan comme base, et en particulier par son exigence qu’il soit mis fin aux centaines de terribles frappes de drones américains sur le Pakistan, qu’Imran Khan a suscité la vague de soutien qui l’a porté au pouvoir.
L’armée pakistanaise l’a alors suivi. La raison n’est pas difficile à trouver. Compte tenu du niveau de haine que les États-Unis avaient engendré avec leurs assassinats par drones, leurs invasions de l’Afghanistan et de l’Irak et les horribles excès de leurs tortures dans la « guerre contre le terrorisme », il n’était temporairement pas dans l’intérêt de l’armée pakistanaise de mettre en avant sa relation profonde avec la CIA et l’armée U.S.
Une soupape de sécurité
Protestation contre les attaques de drones U.S. contre le Pakistan, à Hong Kong, le 8 juillet 2012. (Yu Pong, Flickr, CC BY-NC 2.0)
Le service de sécurité pakistanais, ISI, avait trahi Oussama Ben Laden, son prisonnier, en le livrant aux États-Unis pour 25 millions de $, ce qui n’avait guère amélioré la popularité de l’armée et des services de sécurité. Ils ont vu en Imran Khan une soupape de sécurité utile. Ils ont cru qu’il pourrait canaliser l’anti-américanisme insurgé et l’enthousiasme islamique en train de balayer le Pakistan, avec un gouvernement néanmoins acceptable par l’Occident.
Au pouvoir, Khan s’est avéré beaucoup plus radical que ne l’avaient espéré la CIA, les conservateurs britanniques et l’armée pakistanaise. L’illusion qu’il n’était qu’un dilettante, un playboy dans l’âme, a été rapidement balayée. Un flot de décisions de Khan a fortement déplu aux USA et menacé les sources de revenus de l’armée corrompue.
Khan n’a pas seulement parlé de mettre fin au programme de drones U.S., il y a bel et bien mis fin.
L’équipage de la 163e escadre d’attaque de la Garde nationale aérienne de Californie pilotant à distnace un avion MQ-9 Reaper en 2018.
(US Air Force/Senior Airman Crystal Housman)
Khan a en outre refusé les offres de grosses sommes d’argent également liées au soutien américain à un prêt du FMI pour que le Pakistan envoie des forces terrestres soutenir la campagne aérienne saoudienne contre le Yémen. C’est ce que m’a dit l’un des ministres de Khan lors de ma visite en 2019, sous condition d’une confidentialité qui n’est plus de mise.
Khan a ouvertement critiqué la corruption militaire et, dans l’action la plus sûre de déclencher un coup d’État précipîté de la CIA, il a soutenu le mouvement des pays en développement dans leur effort pour distancier le commerce du pétrodollar. Il a, de façon conséquente, tenté de changer de fournisseurs de pétrole pour le Pakistan en passant des États du Golfe à la Russie.
La cible à abattre
Le Guardian, principal porte-parole des néo-conservateurs au Royaume-Uni, a publié dimanche un article sur Khan si tendancieux qu’il m’a coupé le souffle. Que diriez-vous de ceci comme exemple de reportage crapuleux :
« … en novembre, un homme armé a ouvert le feu sur son convoi lors d’un rassemblement, le blessant à la jambe dans ce que ses assistants ont qualifié de tentative d’assassinat. »
« dans ce que ses assistants ont qualifié » : qu’est-ce qu’ils peuvent bien entendre par là ?
Que Khan s’est lui-même tiré dans les jambes comme dans une cascade de cinéma ? Que c’était une blague ? Qu’on ne lui a pas tiré dessus mais qu’il est tombé et qu’il s’est fait mal au genou ? Pour du journalisme honteux, on avouera que c’est indéniablement du journalisme honteux.
Difficile, en outre, de savoir si l’étonnante affirmation de l’article (selon laquelle le mandat de Khan en tant que Premier ministre a conduit à une augmentation de la corruption au Pakistan) témoigne d’un mensonge délibéré ou d’une ignorance crasse.
Je ne suis pas sûr qu’Emma Graham-Harrison, l’auteur de l’article, soit jamais allée au Pakistan. Je soupçonne que le plus près qu’elle se soit trouvée du pays a été de rencontrer Jemima Goldsmith dans une fête.
L’auteur (à gauche), lors d’un récent voyage au Pakistan, où il s’est rendu à Karachi, Abbottabad et à la frontière afghane. (source : Craig Murray)
« Playboy », « dilettante », « misogyne » : l’article acharné du Guardian ne fait pas dans la dentelle. C’est une synthèse des arguments « libéraux » en faveur d’une intervention militaire dans les États musulmans, du renversement des gouvernements islamiques et de la conquête des pays islamiques dans le but d’y imposer les normes occidentales, en particulier les principes du « féminisme » occidental.
Nous avons vu comment cette stratégie s’est terminée en Irak, en Libye et en Afghanistan, entre autres. On peut dire aussi que l’utilisation du mot « déclaré » dans l’article du Guardian pour susciter la méfiance à l’égard de Khan est très étudiée. Il a « déclaré » que les années de sa vie passées en Grande Bretagne lui avaient inspiré la volonté de créer un État doté de sécurité sociale au Pakistan.
En quoi cette déclaration est-elle douteuse, de la part d’un homme qui a dépensé la majorité de sa fortune personnelle pour installer et gérer un hôpital gratuit destiné aux cancereux du Pakistan ?
Les efforts de Khan pour destituer ou écarter les généraux les plus corrompus et ceux qui sont le plus ouvertement à la solde de la CIA sont décrits par le Guardian de la façon suivante : « il a essayé de prendre le contrôle des nominations de militaires de haut niveau et s’est mis à s’insurger contre l’influence des forces armées en politique ». Comme c’était déraisonnable de sa part !
Littéralement des milliers de membres du parti politique de Khan sont actuellement en prison pour le crime d’avoir voulu être membres d’un nouveau parti politique. La condamnation de ces faits inadmissibles par l’establishment occidental a été inexistante.
Il est difficile d’imaginer un pays, en dehors du Pakistan, où des milliers de personnes, en grande partie de la classe moyenne, pourraient soudainement devenir des prisonniers politiques sans que presque aucune condamnation n’ait été contre eux formulée. Au Pakistan, c’est évidemment parce que le Royaume-Uni soutient le coup d’État contre Khan.
Mais je suis convaincu que cela reflète aussi en partie le racisme et le mépris manifestés par la classe politique britannique à l’égard de la communauté immigrée pakistanaise, qui contrastent si fortement avec l’enthousiasme ministériel britannique pour l’Inde de Modi.
N’oublions pas que le New Labour n’a jamais été un ami de la démocratie au Pakistan, et que le gouvernement Blair a été extrêmement à l’aise avec la dernière dictature militaire ouverte du Pakistan sous le général Pervez Musharraf.
Source : https://consortiumnews.com/2023/08/09/craig-murray-the-silence-on-imran-khan/
Source originale : CraigMurray.org.UK.
Craig Murray est auteur, radio-télédiffuseur et militant des droits humains. Il a été ambassadeur britannique en Ouzbékistan d’août 2002 à octobre 2004 et recteur de l’Université de Dundee de 2007 à 2010. Ses publications dépendent entièrement du soutien de ses lecteurs. Les abonnements pour maintenir son blog en vie sont accueillis avec gratitude.
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/craig-murray-le-silence-sur-imran-khan/
Août-Septembre 2023
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