Des ennuis en perspective pour les États-Unis et Israël à Gaza
Les USA et Israël ont des objectifs différents en bombardant Gaza : Tel-Aviv veut la nettoyer ethniquement des Palestiniens et Washington veut y ramener l’Autorité palestinienne. Ces deux plans risquent toutefois de se heurter au mur de l’Axe de la Résistance.
Hasan Illaik – The Cradle – 17.10.2023
Traduction : c.l. pour L.G.O.
Comme on pouvait s’y attendre, et conformément à des décennies de politique étrangère, Washington a mis tout son poids dans le « soutien à Israël » et son attaque génocidaire contre Gaza. Mais si les positions publiques des deux alliés s’alignent assez bien à ce stade du conflit, leurs points de vue divergent sur la suite des événements, notamment sur l’élimination du Hamas et des autres groupes de résistance palestiniens à Gaza.
L’impact dévastateur de l’opération Déluge d’Al-Aqsa sur l’État d’occupation a offert aux États-Unis et à Israël l’occasion d’éradiquer définitivement la menace que représente la résistance palestinienne.
Lorsque les gains politiques, militaires et psychologiques sans précédent de la résistance ont commencé à être perçus, Washington s’est immédiatement lancé dans la mêlée :
Pour commencer, les USA ont envoyé un porte-avions en Méditerranée orientale – et un autre est en route – et ont aussitôt mobilisé des navires de guerre britanniques et italiens dans ces eaux en signe de soutien à Israël.
Le secrétaire d’État US Antony Blinken joue un rôle central dans la coordination avec Israël en participant ouvertement aux réunions de son cabinet et en menant des négociations diplomatiques au nom de Tel-Aviv.
Parallèlement, le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, est arrivé en Israël pour apporter son soutien « indéfectible », lequel comprend le déploiement de 2.000 soldats des forces spéciales US dans l’État d’occupation. Le commandant du Commandement central de l’armée américaine (CENTCOM) doit également se rendre à la frontière avec le Liban dans les prochains jours.
Demain, le président US lui-même arrivera à Amman, en Jordanie, d’où Joe Biden se rendra à Jérusalem – la « capitale » israélienne que ni les nations ni le droit international ne reconnaissent pour telle – dans le but de bien démontrer le soutien substantiel de son pays à Israël.
Avertissements à la Résistance
Ces actions ne laissent guère de doute sur le fait que c’est Washington qui prend la tête de cette guerre, et non le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, son ministre de la Défense ou son chef d’état-major. Tel-Aviv n’essaie pas non plus de dissimuler ce fait. Comme l’a déclaré l’éminent journaliste israélien Yossi Yehoshua, « les USA contrôlent totalement la bataille de Gaza ».
Parce qu’à vrai dire, après le déluge d’Al-Aqsa mené par le Hamas, personne ne compte vraiment sur l’armée israélienne, qui a encaissé le plus gros des coups de la résistance. Il a donc fallu faire appel à la première puissance navale du monde pour affronter un groupe armé dans la cage virtuelle de 365 kilomètres carrés qu’est Gaza.
Il s’agit essentiellement d’une impasse entre Israël, les USA et leurs alliés de l’OTAN, et le peuple palestinien de la bande de Gaza, qui subit déjà le plus brutal et le plus implacable des sièges depuis 18 ans.
Mais le renforcement militaire de Washington n’est pas destiné à une confrontation avec Gaza. L’introduction de flottes navales US en Méditerranée orientale a été orchestrée pour envoyer un message dissuasif au Hezbollah, allié de la résistance palestinienne au Liban.
À juste titre, les Américains considèrent le Hezbollah comme « l’acteur non étatique le plus lourdement armé au monde ». Ils pensent, à juste titre aussi, que l’intervention de la résistance libanaise dans la guerre contre Gaza modifiera son cours et empêchera potentiellement Israël d’atteindre ses objectifs.
Bien qu’aucune source crédible ne puisse confirmer le volume exact de l’arsenal de missiles du Hezbollah, les analystes régionaux et occidentaux l’estiment à 130.000 missiles, voire davantage, dont la plupart ne sont pas guidés. Mais le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a confirmé dans une déclaration télévisée diffusée le 20 février 2002 que le Hezbollah peut convertir des roquettes en missiles de précision et qu’il est tout à fait capable de produire des drones. Un an auparavant, Hassan Nasrallah avait également confirmé que son parti comptait désormais 100.000 hommes et que tous ses missiles étaient dirigés vers Israël.
Le Hezbollah n’ayant pas répondu aux mises en garde envoyées par Washington via de multiples canaux libanais, arabes et onusiens, les Américains ont décidé d’être plus explicites : Ils ont menacé le groupe et ses alliés de détruire le Liban si le Hezbollah entrait en guerre. Des menaces similaires ont également été adressées aux nombreuses organisations de résistance irakiennes.
Le président syrien Bachar el-Assad a reçu un avertissement plus singulier : à savoir que s’il permettait l’ouverture d’un front syrien contre Israël, il en subirait personnellement les conséquences. Et ce, pendant qu’Israël était en train de bombarder les aéroports internationaux de Damas et d’Alep.
Report de l’invasion terrestre de Gaza
Le Front du Sud Liban est actif depuis le 8 octobre. Le Hezbollah, qui ne veut pas rester à l’écart, a lancé de fréquentes attaques contre les positions israéliennes dans les fermes de Sheba occupées et le long de la frontière libano-palestinienne.
Le groupe a infligé des pertes à l’armée israélienne en réponse à la mise à mort de combattants du Hezbollah, de journalistes et de civils libanais. Le Hezbollah est accompagné de ses alliés palestiniens au Liban, le Hamas et le Jihad islamique palestinien (JIP), qui ont mené des opérations transfrontalières au cours des dernières semaines.
À Gaza, l’armée d’occupation poursuit sa destruction systématique des quartiers civils, ayant largué à ce jour plus de 6.000 bombes d’un poids total de 4.000 tonnes. Malgré les bombardements israéliens sur la bande de Gaza, le Hamas affirme que ses capacités militaires restent intactes.
Entretemps, l’armée israélienne a rassemblé une force d’environ 140.000 soldats en vue de l’invasion terrestre, aujourd’hui retardée, de la bande de Gaza, densément peuplée et abritant plus de deux millions de civils. L’agression israélienne a déjà coûté la vie à plus de 2.600 personnes, dont une grande majorité – plus de 60 % – de femmes et d’enfants.
Initialement, il était prévu que l’offensive terrestre commencerait le vendredi 13 octobre, mais elle a été reportée « en raison des mauvaises conditions météorologiques ». Toutefois, selon le Jerusalem Post, ce report est plutôt dû à « la crainte croissante que le Hezbollah attende le moment où la plupart des forces terrestres des FDI seront engagées à Gaza pour ouvrir un front complet contre elles dans le nord ».
L’axe régional de la résistance, dirigé par l’Iran, estime que l’offensive terrestre israélienne est une « possibilité réelle ». Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, vient de lancer un avertissement selon lequel la poursuite de l’agression israélienne contre Gaza pourrait inciter la résistance à lancer une attaque préventive contre Israël « dans les prochaines heures ».
Déplacement ou règle de facto
Au cours des derniers jours, M. Abdollahian s’est rendu à Bagdad, à Beyrouth, à Damas et à Doha dans le cadre d’une activité diplomatique intense, la question de Gaza figurant en bonne place sur son ordre du jour. Lors de réunions avec le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah et les dirigeants du JIP et du Hamas, le plus haut diplomate iranien a prévenu que la poursuite des agressions israéliennes contre Gaza pourrait entraîner une escalade imminente du conflit. L’axe de la résistance, semble-t-il, a déjà pris la décision de faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger les capacités de la résistance palestinienne à ne pas permettre une nouvelle Nakba.
Par ailleurs, un débat complexe s’est engagé entre les USA, Israël, l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte sur l’avenir de la bande de Gaza « après l’élimination du Hamas ». Washington a l’intention d’utiliser le bombardement de Gaza pour restructurer la politique et la société palestiniennes afin de consolider les accords de normalisation avec Israël.
Selon des sources diplomatiques, l’administration Biden envisage de tirer parti du conflit en cours pour démanteler la résistance à Gaza et transférer le contrôle de la bande de Gaza à l’Autorité Palestinienne (AP), corrompue et totalement soumise aux USA. Cette stratégie est considérée comme un pas vers la relance de la normalisation israélo-saoudienne, qui a pris du plomb dans l’aile après l’opération « Déluge d’Al Aqsa ».
Les dirigeants israéliens actuels sont toutefois réticents à soutenir l’AP dans la mesure souhaitée par les USA; Tel-Aviv veut avant tout déplacer purement et simplement la population palestinienne de Gaza. Le plan israélien de nettoyage ethnique se heurte bien entendu à l’opposition de la Jordanie et de l’Égypte pour des raisons tout à fait cyniques, qui concernent surtout les retombées économiques, sécuritaires et démographiques, surtout en Jordanie, où la perspective d’une immigration forcée des Palestiniens est une véritable poudrière sociale et politique.
Ces divergences d’objectifs entre les USA et Israël ne sont pas liées aux origines du conflit. Bien qu’il soutienne ouvertement Israël et son exclusif « droit de se défendre », Joe Biden a exprimé son désir d’une résolution et a lancé un avertissement contre l’occupation israélienne de Gaza.
Sa mise en garde rejette essentiellement toute réoccupation israélienne de Gaza une fois que les objectifs de la guerre terrestre auront été atteints. Il est intéressant de noter que Biden n’a pas émis d’avertissement contre l’offensive terrestre elle-même, dont les USA s’efforcent même activement d’influencer la direction en coulisses. En public, les USA tentent d’améliorer leur image en vantant leur soutien à l’aide humanitaire qui doit être acheminée à Gaza depuis l’Égypte.
Implications au niveau régional
Trois scénarios potentiels peuvent être esquissés pour la prochaine phase de cette confrontation :
Premièrement, les USA pourraient tenir compte des avertissements de l’Axe de la Résistance et réduire la portée de l’opération terrestre d’Israël à Gaza, voire la supprimer complètement.
Deuxièmement, les forces d’occupation pourraient lancer leur invasion terrestre, avec l’objectif spécifique d’éliminer le Hamas. Il s’agirait bien sûr d’une entreprise redoutable, même si elle impliquait la participation de la flotte navale américaine. Avec plus de 50.000 combattants présents à Gaza aujourd’hui, les Israéliens se heurteraient à une résistance farouche.
Une telle bataille a peu de chances de se terminer rapidement. Elle pourrait même se prolonger pendant des mois, au cours desquels la résistance s’efforcerait de rendre le coût de la guerre terrestre insupportable pour Israël. En outre, l’attention qui serait portée à la frontière libanaise pourrait permettre au Hezbollah d’étendre ses opérations et d’intensifier le conflit.
Si les USA mettent à exécution leur menace d’affronter le Hezbollah, cela pourrait permettre aux alliés régionaux du groupe de cibler les installations militaires américaines dans les pays voisins, comme l’Irak, ce qui aurait pour conséquence probable de transformer le conflit en une guerre régionale.
Troisièmement, l’Arabie saoudite, en accord avec Washington, pourrait proposer une « solution pacifique » qui aboutirait effectivement à la reddition de la résistance à Gaza, à un échange de prisonniers israéliens contre la libération de prisonniers palestiniens détenus par Israël et au retour de l’Autorité Palestinienne et de ses institutions dans la bande de Gaza.
Selon des sources diplomatiques arabes, cette proposition pourrait permettre à Israël d’atteindre ses objectifs sans recourir à une invasion terrestre. L’Arabie saoudite cherche à renforcer son image de sauveur du peuple palestinien et s’est engagée à aider à la reconstruction de tout ce qu’Israël a détruit.
Dans les jours à venir, les discussions diplomatiques joueront un rôle crucial dans la détermination de l’orientation du théâtre militaire. La question clé est de savoir si Israël peut être dissuadé d’intensifier la guerre ou si les USA lui apporteront le soutien nécessaire à une offensive de grande envergure contre la population palestinienne de Gaza, jetant ainsi les bases d’un conflit régional plus large.
Comme l’ont affirmé avec force les alliés régionaux de Gaza, le peuple palestinien ne mène pas seul cette bataille existentielle de survie et de libération nationale.
Source : https://new.thecradle.co/articles/trouble-ahead-for-the-us-and-israel-in-gaza
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/des-ennuis-en-perspective-pour-les-etats-unis-et-israel-a-gaza/
Octobre 2023
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