Génération  P… izdets   

 

Viktor Pelevine

 

 

 

 

 

 

(Pour savoir de quoi on vous parle)

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Homo_zapiens_(G%C3%A9n%C3%A9ration_P)

 

 

En voici un chapitre

 

Notre héros s’appelle Babylen Tatarski, mais il n’aime pas son prénom, qu’il a changé en Vladimir (« appelez-moi Vova »). Il est creator ou si vous voulez concepteur en publicité. Il s’est fait fourguer, dans un magasin innommable, par une vendeuse prête à perdre patience, un tee-shirt noir à l’effigie du Che surmontant l’inscription Rage Against the Machine et une planchette oui-ja. Avec la manière de s’en servir. « Du classique » lui a-t-elle dit.

 

 

     Homo Zapiens

 

     Sur la table, la planchette ressemblait à un char au milieu de la place centrale d’une petite ville européenne. Posé à côté d’elle, un flacon quadrangulaire de Johnnie Walker non encore ouvert, rappelait le bâtiment d’un hôtel de ville, et le vin rouge que Tatarski buvait provoquait le même genre d’association. Sa bouteille longue et étroite presque vide, avait l’apparence d’une cathédrale gothique occupée par un comité du PC : elle évoquait l’épuisement total du communisme, l’absurdité des bains de sang historiques et la crise générale de l’idée russe. Tatarski la finit à même le goulot et la balança dans la corbeille à papiers.

      Une révolution de velours, pensa-t-il.

     Le tee-shirt « Rage against the machine » sur le dos, il était installé devant la table et finissait la lecture des instructions de sa planchette. Il avait acheté un marteau dans un kiosque près du métro, et l’avait fixé à l’aide d’une vis dans l’orifice prévu à cet effet. Un petit ressort était censé assurer le contact avec le papier, une pile de feuilles sur laquelle il posa l’instrument. Il pouvait commencer.

      Il regarda autour de lui et posa les mains sur la planchette, mais il se ravisa et se leva d’un  bond pour aller nerveusement tirer les rideaux des fenêtres. Il réfléchit encore un peu et alluma une bougie qu’il posa sur la table. Tout autre préparatif lui sembla ridicule. En fait, ceux qu’il venait de faire l’étaient également.

     Il se rassit et reprit sa pose initiale, les mains sur le communicateur avec les esprits.

     Bon, se dit-il. Et maintenant, qu’est-ce que je fais. Dois-je dire quelque chose ou non ?

     – J’appelle l’esprit de Che Guevara. J’appelle l’esprit de Che Guevara, s’écria-t-il à haute voix.

     Il se dit aussitôt qu’appeler ainsi ne suffisait sans doute pas et qu’il fallait aussi lui poser une question quelconque.

     – Je voudrais savoir… Disons quelque chose de nouveau sur la publicité qui ne se trouve ni chez Al Ries ni chez le camarade Ogilvy. Pour comprendre plus que quiconque.

     À la seconde même, la planchette entra en convulsions épileptiques sous ses paumes et le marqueur traça dans la partie supérieure de la feuille en gros caractères :

 

L’identitalisme, stade suprême du dualisme

 

     Tatarski retira précipitamment ses mains et fixa avec effroi cette inscription quasi léniniste*. Puis la curiosité l’emporta et il toucha de nouveau la planchette qui se remit à bouger. Maintenant, les lettres dessinées par le marqueur étaient petites et soignées.

     À l’origine, ces pensées étaient destinées à être publiées par la revue des forces armées cubaines Oliva verde. Mais il est inutile de revenir maintenant sur des détails de ce genre, alors que nous savons avec exactitude que tout le plan d’existence où sont publiées ces revues et où existent les forces armées n’est qu’une suite de moments de prise de conscience réunis uniquement par le fait que chaque moment nouveau est chargé du sens de ceux qui le précèdent. Bien que cette série soit ininterrompue, et cela depuis des temps immémoriaux, la prise de conscience elle-même ne se perçoit jamais. Ce qui explique que la situation de l’homme dans la vie soit déplorable.

     Mais Siddhârta Gautama, le grand combattant pour la libération de l’humanité, montre dans plusieurs de ses œuvres que la raison principale de l’état déplorable de l’homme dans la vie est avant tout l’idée même de l’existence de l’homme, de la vie et de l’état déplorable. En d’autres termes le dualisme qui divise en sujet et objet, ce qui, en réalité, n’a jamais existé et n’existera pas.

 

      Tatarski retira la feuille écrite et reposa ses mains sur la planchette qui se remit à trembler.

 

     Siddhârta Gautama sut faire comprendre cette simple vérité à une multitude d’hommes, car à son époque, leurs sentiments étaient simples et forts, et leur monde intérieur clair et sans aucune perturbation. Une seule parole entendue pouvait changer radicalement toute la vie d’un homme et le porter immédiatement sur une autre rive, vers la liberté sans entraves. Mais plusieurs  siècles ont passé. Aujourd’hui, les paroles de Bouddha sont accessibles à tous, mais rares sont ceux que le salut touche. C’est indubitablement en référence avec la situation culturelle actuelle que les textes anciens de toutes les religions nomment le futur « âge des ténèbres ».

      Compañeros ! 

     L’âge des ténèbres est là. Et son arrivée est avant tout liée au rôle qu’a commencé à jouer dans la vie de l’humanité ce qu’on appelle les générateurs psychiques visuels ou encore les objets du second type.

     En affirmant que le dualisme a été provoqué par une division conventionnelle entre sujets et objets, Bouddha avait en vue la division subjective-objective n°1. Or, le trait distinctif principal de l’âge des ténèbres est le fait que l’influence dominante sur la vie humaine est exercée par la division subjective-objective n°2, qui n’existait pas à l’époque de Bouddha.

     Pour comprendre ce que l’on entend par objet n°1 et objet n°2, prenons un simple exemple : un téléviseur. Lorsqu’il est éteint, il représente l’objet n°1. Ce n’est qu’une caisse avec une paroi de verre que nous sommes libres de regarder ou de ne pas regarder. Lorsque les yeux d’un homme se promènent sur un écran éteint, leur mouvement est dirigé exclusivement par les impulsions nerveuses intérieures ou par un processus psychique qui a la conscience pour cadre. Ainsi, l’homme peut remarquer des chiures de mouches, ou il peut se dire que ce serait bien d’acheter une télé deux fois plus grande. Ou penser qu’il faudrait la changer de place. Un téléviseur qui ne fonctionne pas ne diffère en rien des objets qui entouraient les gens à l’époque de Bouddha : une pierre, la rosée sur la tige d’une plante ou une flèche à deux pointes, en d’autres termes, tout ce que Bouddha citait comme exemples dans ses conversations.

      Mais lorsqu’on allume le téléviseur, on le transforme en objet n°2. Il devient un phénomène d’une nature totalement différente. Et bien que celui qui regarde l’écran ne remarque pas sa métamorphose, elle est monumentale. Le spectateur ne voit plus le poste en tant qu’objet matériel qui possède un poids, des dimensions et d’autres qualités physiques. Au lieu de cela, il ressent la sensation bien connue de l’assistance d’être présent dans un autre espace.

     Tatarski parcourut la pièce des yeux, comme s’il espérait découvrir autour de lui l’assistance en question. Évidemment, il ne vit personne. Il retira une autre feuille couverte d’écriture, vérifia qu’il avait assez de papier et remit ses paumes au contact de la planchette.

      Compañeros ! 

     La seule question est de savoir qui est présent. Peut-on dire que c’est le spectateur lui-même ? Répétons cette question, car elle a une importance déterminante : peut-on dire que le téléviseur est regardé par la personne qui le regarde ? Nous affirmons que non. Et voici pourquoi. Lorsque l’homme regarde le téléviseur éteint, le mouvement de ses yeux et le flot de son attention sont dirigés uniquement par les impulsions de sa propre volonté, si chaotiques qu’elles puissent être. L’écran éteint sans image n’exerce aucune influence sur elles et ne leur sert éventuellement que de fond.

     Le téléviseur allumé ne transmet pratiquement jamais une vue statique prise par une caméra, c’est pourquoi l’image que nous y voyons ne peut pas servir de fond. Au contraire, l’image change à un rythme particulièrement rapide. Les changements de cadre et les fondus enchaînés se succèdent à quelques secondes d’intervalle. L’image est sans cesse modifiée par le cadreur et par le réalisateur après lui. Ce changement d’image porte le nom de technomodification.

      Ici, nous vous demandons toute votre attention, car notre thèse est assez difficile à concevoir, bien que son essence soit particulièrement simple. De plus, on peut penser que c’est une chose sans importance, alors que nous avons ici l’audace d’affirmer qu’il s’agit du phénomène psychique le plus important de la fin du deuxième millénaire.

     Au changement des images sur l’écran provoqué par diverses technomodifications correspond un processus psychique virtuel qui pousse l’observateur à transférer son attention d’un événement sur un autre et à choisir le plus intéressant de ce qui se passe sur l’écran. En d’autres termes, à diriger son attention comme le fait à sa place l’équipe de tournage. Un sujet virtuel naît de ce processus psychique et existe pendant l’émission à la place de l’homme en pénétrant dans sa conscience comme une main dans un gant de caoutchouc.

      Cela ressemble à un état de possession par un esprit, à la différence que l’esprit en question n’existe pas. Seuls existent les symptômes de la possession. Cet esprit est virtuel, mais à l’instant où le téléspectateur confie à une équipe de tournage le soin de brancher à sa guise son attention sur un ob jet ou sur un autre, il devient en  quelque sorte cet esprit en réalité inexistant, mais qui s’empare de lui et de millions d’autres téléspectateurs.

      Il convient d’appeler ce phénomène une expérience de néant collectif, car le sujet virtuel qui remplace la conscience du téléspectateur n’existe pas dans l’absolu. Ce n’est qu’un effet créé par l’effort collectif des cadreurs, des monteurs et du réalisateur. Par ailleurs, il n’y a rien de plus réel que ce sujet virtuel pour l’individu qui regarde la télé.

      De plus, Lapsang Souchong, du monastère de Phu Yang, suppose que dans le cas où un programme donné – un match de foot, par exemple – serait regardé simultanément par plus des quatre cinquièmes de la population terrestre, l’effet virtuel serait capable d’évincer de la conscience conjointe des gens la vision karmique collective du plan de l’existence humaine. Les conséquences pourraient en être imprévisibles (il est tout à fait probable que le nouvel enfer d’un championnat de foot éternel s’ajouterait à ceux du métal fondu et des arbres-couteaux). Toutefois, ses calculs n’ont pas pu être vérifiés et, dans tous les cas, c’est l’avenir qui le dira. Or, nous nous intéressons ici non pas aux perspectives effroyables pour demain, mais à la réalité non moins effrayante d’aujourd’hui.

     Dressons un premier bilan. À l’objet n°2, c’est-à-dire au téléviseur allumé, correspond un sujet n°2, en d’autres termes le spectateur virtuel qui dirige son attention de la même manière que l’équipe de tournage et de montage. Les sentiments et les pensées, la poussée d’adrénaline et les autres changements hormonaux dans l’organisme du spectateur sont dictés par un opérateur externe et conditionnés par le calcul d’autrui. Bien entendu, le sujet n°1 ne remarque pas le moment où il est supplanté par le sujet n°2, car après cette éviction, il n’y a plus personne pour le remarquer : le sujet n°2 est irréel.

     Mais il n’est pas seulement irréel (ce mot est en fait applicable à l’ensemble du monde humain. Il n’y a pas de mots pour décrire le niveau de son irréalité. Il s’agit d’un amoncellement de non-existences. Un château de sable dont les fondations sont l’abîme. On peut se demander à quoi bon barboter dans ces non-existences en mesurant le degré de leur irréalité. Mais cette différence entre les sujets du premier et du deuxième type est très importante.

     Le sujet n°1 croit que la réalité est un monde matériel. Et le sujet n°2 croit que la réalité est le monde matériel que l’on montre à la télévision.

    Produit d’une fausse division subjective-objective, le sujet n°1 est illusoire, mais le mouvement chaotique de ses pensées et de ses états d’âme a au moins un spectateur (on peut dire métaphoriquement, qu’il regarde en permanence une émission de télé consacrée à lui-même en oubliant peu à peu qu’il en est le spectateur et en s’identifiant à l’émission).

     Si l’on adopte ce point de vue, le sujet n°2 devient quelque chose d’incroyable et d’indescriptible. Il est une émission de télé qui regarde une autre émission de télé. Dans ce processus participent évidemment des émotions et des pensées, mais celui dont la conscience est censée les engendrer est totalement absent.

     Le rapide changement de chaînes que l’on pratique pour ne pas regarder la publicité s’appelle le zapping. La science bourgeoise a étudié assez en détail l’état psychique d’un homme s’adonnant au zapping, ainsi que le type de mentalité qui devient peu à peu fondamental dans le monde contemporain. Mais le type de zapping analysé par les chercheurs spécialisés dans ce phénomène correspond au changement de programmes opéré par le téléspectateur lui-même.

     Le changement du téléspectateur induit par le réalisateur et le cadreur (en d’autres termes, l’induction forcée du sujet n°2 par des technomodifications) constitue un autre type de zapping forcé et les recherches à ce sujet sont pratiquement interdites dans tous les pays à part le Bhoutan où la télévision est interdite. Or le zapping forcé dans lequel le téléviseur se transforme en commande à distance n’est pas simplement une méthode d’organisation des séquences d’images, mais le fondement même de la télévision, le procédé principal d’action sur la conscience des champs publicitaire et informatif. C’est pourquoi nous désignerons le sujet du deuxième type comme un homo zapiens ou HZ.

     Répétons cette conclusion de la plus haute importance : de la même manière que le téléspectateur ne souhaitant pas regarder un pavé publicitaire zappe d’une chaîne à l’autre, les technomodifications instantanées et imprévisibles zappent le téléspectateur lui-même. Passons à l’état d’homo zapiens, il devient une émission de télé dirigée à distance. Et c’est dans cet état qu’il passe une partie considérable de son existence.

     Compañeros ! La situation de l’homme moderne n’est pas seulement déplorable, elle est inexistante car l’homme n’existe presque plus. Il n’y a rien que l’on puisse montrer en disant : « Voici l’homo zapiens ». Le HZ n’est que la luminescence résiduelle de l’âme endormie. Il n’est qu’un film sur le tournage d’un autre film diffusé à la télé dans une maison vide.

      Une question légitime se pose : pourquoi l’homme contemporain se retrouve-t-il dans cette position ? Qui tente de remplacer l’homo sapiens déjà évanescent par un mètre cube de vide à l’état HZ ?

     La réponse est évidente : personne. Mais ne nous arrêtons pas sur l’amère absurdité de cette situation. Pour mieux la comprendre, souvenons-nous que la raison principale de l’existence de la télévision est sa fonction ,publicitaire liée au mouvement des masses monétaires. C’est pourquoi nous devons nous tourner vers cette branche de la pensée humaine connue sous le nom d’économie.

     L’économie est une pseudo-science qui étudie les relations illusoires entre les sujets du premier et ceux du second type en rapport avec le processus hallucinatoire de leur enrichissement imaginaire.

     Du point de vue de cette discipline, chaque homme représente une cellule de l’organisme que les économistes de l’antiquité appelaient « Mammon ». Dans les brochures du Front de la libération totale et définitive, on l’appelle tout simplement ORANUS (ce qui signifie bouche-cul »). Cela correspond plus à sa nature réelle et laisse moins de place à des spéculations mystiques. Chacune de ses cellules, c’est-à-dire l’homme dans sa qualité économique, possède une sorte de membrane socialo-psychique qui permet de faire passer l’argent (qui joue dans l’organisme d’Oranus le rôle du sang ou de la lymphe) à l’intérieur et à l’extérieur. D’un point de vue économique, la tâche de chaque cellule de Mammon est de faire entrer le plus possible d’argent à l’intérieur de la membrane et d’en faire sortir le moins possible à l’extérieur.

     Mais pour que l’Oranus existe en tant qu’entité, sa structure cellulaire doit baigner en permanence dans un flot d’argent toujours plus important. Voilà pourquoi, dans le processus de son évolution (et il se trouve dans un stade d’évolution proche de celui des mollusques) il développe une sorte de système nerveux primitif : les médias. Ce système nerveux distribue dans son organisme virtuel les impulsions nerveuses qui gouvernent l’activité des cellules-monades.

     Ces impulsions peuvent être de trois types. On les appelle des wow-impulsions orales, anales et répressives (le mot de wow-impulsion vient de l’interjection commerciale anglaise « wow ! »).

     La wow-impulsion orale oblige la cellule à engloutir de l’argent pour éliminer la souffrance induite par le conflit entre l’image de soi et l’image d’un « super-ego » idéal créé par la pub. Remarquons qu’il ne s’agit pas des objets que l’on peut acheter avec de l’argent pour incarner cet « ego » idéal, il s’agit de l’argent lui-même. En effet, certains millionnaires s’habillent aux puces et se déplacent en poubelles à moteur, mais pour se le permettre, il faut être millionnaire. Un pauvre dans une telle situation souffrirait incroyablement de dissonance cognitive. C’est pourquoi la plupart des pauvres font de leur mieux pour être bien habillés et s’achètent des vêtements griffés avec leurs derniers sous.

     Une wow-impulsion anale force la cellule à sécréter de l’argent afin de ressentir de la jouissance lors de la coïncidence des images mentionnées ci-dessus.

     Comme les deux actions concernées – absorption et sécrétion – sont antinomiques, la wow-impulsion anale travestit son action et l’homme croit sérieusement que le plaisir est lié non pas à la dépense en elle-même mais à la possession de tel ou tel objet. Il est pourtant clair que, en tant qu’objet physique, une montre à cinquante mille dollars ne peut pas apporter à l’homme plus de plaisir que celle qui ne coûte que cinquante dollars : toute la différence est dans la somme dépensée.

     Les wow-impulsions orales et anales sont ainsi appelées par analogie avec les fonctions du sphincter, bien qu’il soit plus correct de les comparer à l’inspiration et  l’expiration : les sensations qu’elles provoquent évoquent tantôt un étouffement psychique et tantôt une hyperventilation. La stimulation oralo-anale atteint sa plus grande intensité aux tables de jeu ou pendant des spéculations boursières, bien, que tous les moyens de wow-stimulation soient concevables.

     Quant à la wow-impulsion répressive, elle réprime et refoule de la conscience de l’homme tous les processus psychiques qui peuvent contrarier son identification totale avec la cellule de l’Oranus. Elle surgit lorsque les composantes orales et anales sont absentes du stimulant psychiques. L’impulsion répressive se comporte comme un dispositif de brouillage chargé de parasiter et de rendre inaudibles les émissions de radio non souhaitées. Son action est admirablement résumée dans les aphorismes : « L’argent est comme un sixième sens – sans lui on ne peut se servir des cinq autres » et « L’argent a une bonne odeur d’où qu’il vienne ». Sans cette influence, l’Oranus n’aurait aucun moyen de forcer les individus à remplir le rôle de ses cellules. Sous l’action de l’impulsion répressive qui bloque tous les processus psychiques n’ayant pas de rapport au mouvement de l’argent, le monde commence à être exclusivement perçu comme une incarnation de l’Oranus. Le résultat est terrifiant. Voici la description  de cette vision par un courtier de la City : « Le monde est un endroit où le business rencontre l’argent. »

     Il n’est pas exagéré de dire que cet état psychique est très répandu. Tout le champ d’étude de l’économie, de la sociologie et de la culturologie contemporaines consiste en la description des processus métaboliques et somatiques de l’Oranus. 

     De par sa nature, l’Oranus est un organisme primitif virtuel de type parasitaire. Sa particularité réside dans le fait qu’il ne se colle pas à un seul organisme hôte, mais qu’il utilise une multitude d’organismes pour en faire les cellules qui le composent. Chacune de ces cellules est un être humain avec des possibilités illimitées et le droit naturel à la liberté. Paradoxalement, l’Oranus se trouve à un degré de l’évolution nettement inférieur à celui de n’importe laquelle de ses cellules. La pensée abstraite et même la conscience de soi lui sont inaccessibles. On peut dire que le fameux œil dans le triangle qui figure sur les coupures d’un dollar ne voit rien, en réalité. Il a été simplement gribouillé à la surface de la pyramide par un peintre quelconque. Voilà pourquoi, de manière à ne pas troubler les partisans de la théorie du complot, avec leur inclination à la schizophrénie, il serait plus correct de le dissimuler derrière un bandeau noir…

 

     Une pensée soudaine traversa le cerveau de Tatarski. Il lâcha la planchette, s’empara d’un crayon et griffonna d’une écriture à peine lisible dans un coin de la feuille :

     1/ Spot pour les lunettes Ray-Ban : la mission de sauvetage de Mussolini. À la fin, un gros plan d’Otto Skorzeny, avec une inscription sur son bandeau noir : « Ray ban ». 2/ Ne pas oublier : un spot ou une affiche pour le Black Trinitron de Sony. La statue de la Liberté. En guise de flambeau, elle tient dans la main un tube cathodique.

 

     À la réflexion, il remplaça Sony par Panasonic et ajouta : « Dans l’autre main, un programme télé au lieu d’un  livre. » Puis, avec un  léger sentiment de honte, il reposa les mains sur la planchette. Ce faisant, il était sûr qu’il n’y aurait plus rien et que l’esprit ne lui pardonnerait pas la trahison. Mais dès qu’il effleura la surface du bois, elle se mit à bouger.

     L’Oranus n’a ni oreilles, ni nez, ni yeux, ni intelligence. Il n’est ni une incarnation du mal ni un suppôt de l’enfer, comme l’affirment tant de représentants du commerce religieux. Et il n’a aucun objectif, car il est tout simplement incapable de formuler un souhait abstrait. C’est un polype dépourvu d’émotions et de volonté qui avale et régurgite le vide. Cependant, chacune de ses cellules est potentiellement capable de concevoir qu’elle n’est pas une cellule de l’Oranus mais qu’au contraire l’Oranus n’est qu’un minable objet de son esprit. C’est précisément afin d’empêcher cette éventualité que l’Oranus a besoin des impulsions répressives.

     A1ors que jadis, l’Oranus ne disposait que d’un système nerveux végétatif, l’apparition des médias électroniques signifie la formation d’un système nerveux central. Les téléviseurs constituent les terminaisons nerveuses qui relient l’Oranus à chacune de ses cellules. Nous avons déjà vu comment la conscience du téléspectateur est remplacée par celle de l’homo zapiens virtuel. Penchons-nous maintenant sur le mécanisme d’action des trois wow-impulsions.

 

 

 

 

 

     Un homme à l’état normal est théoriquement capable de détecter les wow-impulsions et de leur résister. Mais l’homo zapiens qui fusionne inconsciemment avec l’émission qu’il regarde n’est plus un individu mais simplement un état. Le sujet n°2 n’est pas capable d’analyser la situation de la même manière que l’enregistrement sur bande magnétique du cri d’un coq en est incapable. Même l’illusion d’une évaluation critique de ce qui se passe sur l’écran fait partie d’un mécanisme psychique induit.

     À des intervalles très réguliers, l’émission de télévision – c’est-à-dire la conscience du sujet n°2 – est interrompue par des successions de spots publicitaires qui sont des combinaisons complexes et bien conçues de wow-impulsions anales, orales et répressives qui produisent des résonances dans différentes couches du psychisme.

     Pour employer une grossière analogie avec des processus physiques, le patient est d’abord endormi (éviction du sujet n°1 par le sujet n°2), puis on procède à une séance accélérée d’hypnose dont toutes les étapes sont fixées dans la mémoire par le biais de réflexes conditionnés.

     À un moment donné le sujet n°2 éteint la télé et redevient le sujet n°1, c’est-à-dire un homme ordinaire. Alors, il ne reçoit plus de wow-impulsions, mais il demeure soumis à un effet qui s’apparente à une magnétisation résiduelle. L’esprit se met lui-même à générer les mêmes influences. Elles apparaissent spontanément et ressemblent à un fond sur lequel se projettent toutes les autres pensées. Si le sujet à l’état HZ est soumis à l’action des trois wow-impulsions à son retour à l’état normal, il est soumis à l’action de trois wow-facteurs automatiquement générés par son cerveau.

     Le passage régulier et constant de l’individu à l’état HZ et son irradiation par la wow-impulsion répressive aboutissent à la création dans la conscience d’un  filtre qui permet d’absorber uniquement l’information  saturée de wow-contenu oral et anal. C’est pourquoi l’homme ne dispose même pas de la possibilité de s’interroger sur sa vraie nature.

     Mais quelle est sa vraie nature ?

     En raison d’un certain nombre de circonstances sur lesquelles il nous est impossible de nous arrêter ici, chaque individu ne peut répondre à cette question que pour lui-même. Pour pitoyable que soit l’état d’un homme ordinaire, il a néanmoins la, possibilité de trouver une réponse. Quant au sujet n°2, cette option ne lui est pas offerte car il n’existe pas. Néanmoins (et c’est peut-être justement pour cette raison), le système médiatique de l’Oranus qui diffuse dans l’espace d’information ses trois catégories de wow-impulsions pose au HZ la question de l’autoidentification.

     Et c’est ici que nous nous trouvons confrontés à l’élément le plus intéressant et paradoxal. Comme le sujet n°2 n’a aucune nature intérieure, il est obligé de se définir par le biais d’une combinaison d’objets matériels montrés à la télévision qui ne sont ni lui ni l’un de ses composants. Cela rappelle la théologie apophatique qui définit Dieu à travers ce qu’il n’est pas. Ici, nous avons affaire à une anthropologie apophatique.

     Pour le sujet n°2, la réponse à la question « Qui suis-je ? » ne peut être que : « Je suis celui qui possède telle voiture, qui habite telle maison, qui porte tels vêtements ». L’autoidentification n’est possible que par l’élaboration d’une liste de produits consommés, et la transformation par le changement d’éléments de cette liste. C’est la raison pour laquelle la plupart des objets publicitaires sont associés à des types de personnalité, des traits de caractère, des penchants ou des propriétés individuelles. En somme, un arrangement assez convaincant de ces qualités, penchants et traits peut donner l’impression d’une personne réelle. Le nombre de combinaisons est pratiquement illimité, comme le sont d’ailleurs les possibilités de choix. La publicité le formule de cette manière : « Je suis un homme calme et sûr de lui, c’est pourquoi j’achète des pantoufles rouges ». Le sujet du second type qui souhaite ajouter le calme et l’assurance dans sa personnalité peut le faire en répondant à la wow-impulsion anale d’achat de pantoufles rouges. Dans le cas classique, les stimulations orale et anale ferment leur propre boucle comme un serpent se mord la queue. Un million de dollars est nécessaire pour s’acheter une maison dans un quartier chic, la maison est nécessaire pour avoir un endroit où porter les pantoufles rouges, et ces dernières sont indispensables pour acquérir le calme et la maîtrise de soi qui permettront de gagner le million de dollars requis pour l’achat de la maison où l’on pourra se promener en pantoufles cramoisies, acquérant ainsi calme et assurance.

     Lorsque la boucle des stimulations orale et anale est fermée, on peut considérer que la magie de l’objectif publicitaire est atteint : la structure illusoire qui surgit n’a pas de centre bien que tous ces objets et ses propriétés soient unis par une fiction de centre qui porte le nom d’« identité ».

     L’« identité » est un sujet du deuxième genre parvenu à un stade de développement qui le rend capable d’exister de manière autonome, sans l’activation permanente des trois wow-impulsions, mais sous l’activation des trois wow-facteurs résiduels générés par son cerveau de façon autonome.

     L’« identité » est un faux ego et cela suffit à tout expliquer.

     La pensée bourgeoise qui analyse la situation de l’homme contemporain considère comme un énorme exploit spirituel le fait de frayer un passage à travers l’« identité » pour retourner vers son propre égo. C’est peut-être le cas, car l’ego est relativement inexistant alors que l’« identité » est absolument fictive. Le seul problème est qu’il est impossible de se frayer ce passage, car, le point de départ et d’arrivée n’existant pas, celui qui y parviendrait serait donc lui-même inexistant. En dépit de cette constatation, nous pouvons admettre que les slogans « En arrière vers l’ego ! » ou « En avant vers l’ego ! » prennent sinon un sens, du moins une signification esthétique.

    La superposition des trois wow-impulsions sur des processus plus fins qui se déroulent dans le psychisme humain engendre toute la diversité médiocre de la culture moderne. L’impulsion répressive y joue un rôle particulier. Elle ressemble au fracas d’un marteau-piqueur qui étouffe tous les autres bruits. Toutes les stimulations extérieures à part le wow-oral et le wow-anal sont filtrées et l’homme perd l’intérêt pour toute chose dont la composante orale ou anale est absente. Dans ce court traité, nous nous abstiendrons de considérer l’aspect sexuel de la pub, mais remarquions que l’attrait croissant du sexe provient de son instrumentalisation en tant que symbole de l’énergie vitale pouvant être transformée en argent et non l’inverse. N’importe quel psychanalyste qualifié peut le confirmer. En fin de compte, l’homme moderne éprouve une profonde méfiance pour tout ce qui n’est pas lié à un flux monétaire entrant ou sortant.

     La principale manifestation extérieure de cela est que la vie devient de plus en plus ennuyeuse et les individus de plus en plus calculateurs et secs. La science bourgeoise explique le nouveau code de comportement par la tentative de préserver et de conserver l’énergie émotionnelle conformément aux besoins d’une économie corporatiste et du mode de vie moderne. En réalité, il n’y a pas moins d’émotions dans la vie humaine, mais l’influence constante du wow-répressif provoque le drainage de l’énergie émotionnelle de l’homme vers les processus psychiques liés au wow-thèmes oraux ou anaux. Plusieurs experts bourgeois ont senti intuitivement le rôle des médias dans le changement paradigmatique qui s’est produit au cours de la dernière période. Mais, comme le disait le camarade Allende Jr : « Ils cherchent un chat noir qui n’a jamais existé dans une pièce noire qui n’existera jamais ». Même s’ils qualifient la télévision de prothèse pour un « moi » ratatiné et rétréci, et s’ils affirment que les médias hypertrophient la personnalité devenue irréelle, ils ne prennent pas en compte le principal.

     Seule une personnalité qui a été réelle peut devenir irréelle. Pour se ratatiner et rétrécir, ce « moi » devait exister. Plus haut ainsi que dans nos précédents travaux (cf. « La question  russe et le Sendero luminoso »), nous avons démontré le caractère erroné de cette approche.

     Sous l’action du wow-répressif, la culture et l’art de l’âge des ténèbres sont réduits à une thématique orale et anale. Cet art se caractérise principalement par ce que l’on peut appeler l’oranuserie, ou la bouche-culade.

     Le sac noir bourré de coupures de cent dollars est dores et déjà devenu le symbole culturel le plus important et l’élément central de la plupart des films et des livres et sa trajectoire à travers l’existence le sujet principal de n’importe quel scénario. Plus exactement, c’est la présence de ce grand sac noir dans une œuvre d’art qui génère l’intérêt émotionnel de l’auditoire ou du lectorat. Notons que, dans certains cas, le sac en question n’a pas besoin d’être physiquement présent : il peut être remplacé par la participation de prétendues « stars » (dont on sait de façon certaine qu’elles possèdent de tels sacs à la maison), ou par un bourrage de crâne massif sur le budget ou les recettes du film, ou les à –valoir massifs des auteurs. Le temps n’est pas loin ou aucune œuvre d’art ne sera spontanée et gratuite. L’apparition de livres ou de films dont le contenu principal sera l’éloge caché de Coca-Cola et des attaques voilées contre Pepsi-Cola ou l’inverse ne saurait tarder.

     Sous l’action du réseau d’impulsions orales ou anales, un cabinet d’audit interne (nouvelle version du « comité du parti interne » dans le cadre de l’économie de marché) mûrit dans l’homme. Il évalue en permanence la réalité réduite aux biens matériels, plongeant la conscience dans les souffrances ineffables de la dissonance cognitive. À la wow-impulsion orale correspond un fanion de loser que dresse le cabinet d’audit interne. Le fanion winner correspond à la wow-impulsion anale. Et il lève simultanément les deux fanions devant la wow-impulsion répressive.

     On peut énumérer trois ,types d’« Identités » stables :

     a/ le wow-type oral (le comportement dominant qui organise la vie émotionnelle et psychique : désir de liquidités angoissé) ;

   b/ le wow-type anal (le comportement dominant se résume à la défécation voluptueuse d’argent ou à la manipulation d’objets qui le remplacent : on appelle cela également le wow-exhibitionnisme anal ;

    c/ le wow-type réprimé (en combinaison possible avec chacun, des deux autres types) apparaît lorsque l’on devient sourd à tous les stimuli autres qu’oraux ou anaux.

     La relativité de cette classification devient évidente lorsque l’on s’aperçoit que la même « Identité » peut être anale pour ceux qui se trouvent à l’échelle la plus basse de la wow-hiérarchie et orale pour ceux qui se situent plus haut (naturellement, il n’y a aucune « Identité » en soi, il ne s’agit que d’un  pur épiphénomène). La wow-hiérarchie linéaire formée par une multitudes d’« Identités » construites pareillement s’appelle une corde corporative. Elle se comporte comme moteur social éternel qui fonctionne parce que chaque « Identité » se compare en permanence à celle qui se trouve sur l’échelon directement supérieur. La sagesse populaire reflète ce grand principe dans le proverbe : « Il ne faut pas mélanger les torchons avec les serviettes ».

     Les individus organisés selon le principe de la corde corporative ne sont pas sans évoquer les poissons enfilés sur une corde par un pêcheur. À la différence que, dans notre cas, les poissons sont encore vivants. De plus, sous l’influence des wow-facteurs oraux et anaux, ils ont l’impression de ramper le long de la corde corporative, dans la direction qui leur semble le haut. Ils y sont poussés par l’instinct ou, si l’on veut, par l’aspiration à donner un sens à la vie. Mais le sens de la vie du point de vue de la métaphysique économique est la transformation de l’« Identité » orale en « Identité » anale.

     Le problème ne se limite pas au fait que le sujet frappé par l’action  des trois wow-facteurs résiduels est obligé de se concevoir en tant qu’« Identité ». En entrant en contact avec une autre personne, il voit à sa place une autre « Identité ». Tout ce qui peut caractériser l’homme a déjà été placé par la culture de l’âge des ténèbres dans le système de coordonnées oralo-anal et plongé dans le contexte d’une incommensurable bouche-culade.

     Le wow-homme réprimé voit toute autre personne comme un spot imbibé d’informations commerciales. L’aspect extérieur d’autrui, son discours et son comportement sont immédiatement interprétés comme une combinaison de wow-symboles. Il se manifeste alors un processus d’interpénétration très rapide et incontrôlé, composé d’une série d’impulsions anales, orales et répressives qui s’allument et s’éteignent dans la conscience pour définir les relations entre les individus. Selon un proverbe latin, Homo homini lupus est. Mais l’homme n’est plus un loup pour un autre homme depuis belle lurette. Pas plus qu’il n’est un conseiller en image, ni un revendeur de drogue ni un tueur, ni un distributeur exclusif, comme l’imaginent des sociologues contemporains. C’est à la fois plus simple et beaucoup plus effrayant. L’homme est un wow pour l’homme. Et même pas pour l’homme, mais pour un wow semblable à lui-même. De sorte que projeté sur le système de coordonnées modernes, le proverbe latin donne : Wow wow wow !

     Cela concerne non seulement les individus, mais encore tout ce qui tombe dans notre champ d’attention. EN évaluant ce que nous voyons, nous ressentons une lourde angoisse dès que nous ne rencontrons pas des stimulateurs connus. Notre conscience tend à devenir binaire : n’importe quel phénomène se décompose en une combinaison linéaire de vecteurs anaux et oraux. N’importe quelle image possède une expression monétaire nette, mais lorsqu’elle est manifestement perçue comme non commerciale, une question surgit aussitôt : à quel point la non-commercialisation est-elle commercialisable ? Ce qui produit  le sentiment universel que tout se réduit à l’argent.

     Et c’est d’ailleurs vrai : tout se réduit à l’argent car l’argent s’est depuis longtemps réduit à lui-même alors que tout le reste est interdit. Les débordements oraux-anaux tendent à devenir la seule réaction psychique autorisée. Toute autre activité mentale est réprimée.

    Le sujet du second type est absolument mécaniste, car il n’est qu’un écho de transformations électromagnétiques dans le tube cathodique d’un  téléviseur. La seule liberté qu’il possède est celle de dire « wow ! » lors de l’achat d’une  nouvelle marchandise qui est souvent un autre téléviseur. Voilà pourquoi les impulsions dirigeantes de l’Oranus s’appellent des wow-impulsions, alors que l’idéologie inconsciente de cet identitalisme s’appelle le wowérisme.

    Quant au régime politique correspondant, il s’agit de la télécratie ou de la médiacratie, car l’objet des élections (et même le sujet, comme nous l’avons démontré ci-dessus) est une émission de télévision. Il faut se rappeler que le mot « démocratie » utilisé aujourd’hui n’est pas le même que celui qui avait cours au XIXe siècle et au début du e. Ce ne sont que des homophones. Le vieux mot « démocratie » vient du grec « demos » alors que le nouveau provient de « démonstration » comme dans « version démo ».

     Tirons donc la conclusion  de ce qui précède.

     L’identitalisme, c’est le dualisme à un stade de développement où les plus grandes corporation sont sur le point de terminer le remaniement de la conscience qui, sous l’influence permanente des wow-impulsions orale, anale et répressive, entreprend e générer elle-même trois wow-facteurs. Cela conduit à un refoulement stable et permanent de la personnalité et à son remplacement par l’« Identité ». L’identitalisme est un dualisme qui possède une triple particularité. C’est un dualisme qui est : a/ mort ; b/ putréfié ; c/ digital. 

 

 

 

 

 

     On peut donner différentes définitions de l’« Identité », mais cela ne sert à rien car, de toute façon, elle n’existe pas réellement. Et si, à des précédents stades de l’évolution humaine, on pouvait parler de l’oppression de l’homme par l’homme et celle de l’homme par une quelconque notion  abstraite, aujourd’hui, à l’âge de l’identitalisme, il n’est plus possible de parler d’oppression. Au stade supérieur du dualisme, il est impossible de se battre pour la liberté de quiconque, car ce quiconque a totalement disparu du champ de vision.

     Voilà pourquoi la fin du monde  sur laquelle les chrétiens ont tant spéculé et vers laquelle la wowérisation de la conscience conduit inévitablement ne présentera strictement aucun danger, ceux qu’elle pourrait menacer ont d’ores et déjà disparu. Le jugement dernier sera tout simplement une émission de télé. Et cela, compañeros, nous emplit tous d’une béatitude ineffable.

Che Guevara

Mont Shumeru, été éternel

 

     – C’est donc un Sumérien. Nous sommes tous des Sumériens, murmura Tatarski en levant les yeux.

 

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* Elle évoque le titre d’un ouvrage de Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme [NdT]

 

 

 

 

Les habitués de ce blog ont déjà rencontré la déesse Ishtar chez Anatole Atlas. Ceux qui veulent savoir ce qu’elle vient faire ici, y compris en Tiamat, sa forme maritime, doivent lire le livre entier.

 

En français :

 

Viktor Pelevine

HOMO ZAPIENS

Le Seuil – 2001

320 pages

 

Ce livre, qui expliquait tout ce que nous commençons seulement à comprendre aujourd’hui, a obtenu le prix Richard-Schönfeld (Allemagne, 2001) et le prix Osterfestspiele Salzburg (jury Nonino, 2001).

 

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/generation-p-izdets/

 

 

 

 

 

Décembre 2021