La Syrie à Seattle : Une Commune défie le régime US
Pepe Escobar – Strategic Culture Foundation – 12.6.2020
Traduction : Les Grosses Orchades
Le mariage de l’après-confinement et des protestations contre la mort de George Floyd a nourri une bête sauvage, qui est encore immunisée contre toute forme de débat civilisé aux USA : la Commune de Seattle.
Alors, de quoi est-il question au juste avec la Zone Autonome de Capitol Hill et sa République Populaire ?
Les communards sont-ils de simples idiots utiles ? S’agit-il d’un Occupy Wall Street nouvelle mouture ? L’expérience est-elle logistiquement viable, reproductible à New York, Los Angeles, Washington ?
Pour un Trump scandalisé, c’est un complot de « terroristes de l’intérieur » dans « une ville sous la coupe de Démocrates extrémistes de gauche ». Il a appelé à un « RÉTABLISSEMENT DE L’ORDRE » (en majuscules, dans sa Tweetologie).
On distingue quelques ombres syriennes dans le ciel de Seattle. Dans ce scénario, la Commune est un remake d’Idlib aux prises avec « les avant-postes anti-insurrectionnels du régime » (en terminologie communarde).
Pour la plupart des factions de droite US, ANTIFA égale ISIS, George Floyd est considéré comme un « martyr des Antifas communistes », ainsi que me l’a dit un agent des services secrets, quoique n’étant qu’un simple « criminel et trafiquant de drogue ».
Alors, quand « les forces du régime » vont-elles frapper (cette fois sans couverture aérienne russe) ? Après tout, comme l’a dit le Secrétaire à la Défense Esper, c’est au Pentagone à « dominer le champ de bataille ».
Mais, là, nous nous trouvons face à un problème : la Zone Autonome de Capitol Hill (en abrégé : CHAZ) est soutenue par la ville de Seattle – que dirige un Démocrate – lequel est soutenu par le Gouverneur de l’État de Washington, qui est un autre démocrate.
Il n’y a donc aucune chance pour que l’État de Washington fasse donner la Garde Nationale pour écraser la CHAZ. Et Trump ne peut pas utiliser la Garde Nationale de l’État de Washington sans l’accord de son Gouverneur, même s’il a tweeté « Reprenez votre ville MAINTENANT ». Si vous ne le faites pas, je le ferai. Ceci n’est pas un jeu ! ».
Il est intéressant de noter que les forces de la « contre-insurrection » peut servir en Afghanistan et dans les zones tribales ; pour occuper l’Irak et pour protéger le pillage du gaz et du pétrole en Syrie orientale, mais pas « at home ». Même si 58% des Étasuniens seraient pour, car aux yeux de beaucoup d’entre eux, la Commune est aussi néfaste que les pillages..
Mais il y a aussi ceux qui s’y opposent de tout leur poids, et parmi eux : le « Boucher de Fallujah » (Mattis-le-Chien-Enragé), les officiants des révolutions de couleur, la NED, NIKE, JP Morgan, tout l’establishment du Parti Démocrate et pratiquement tout celui de l’Armée des USA.
Bienvenue dans le mouvement « N’occuper que les autres ».
Cela dit, la question reste : combien de temps « IDLIB » réussira-t-il à défier « le régime » ? Il n’en faut pas plus pour faire passer à une brute pourtant patentée (le Procureur-Général Barr) quelques nuits blanches.
Le véritable Pouvoir Noir
Trump et Barr ont menacé en chœur de criminaliser Antifa au titre d’« organisation terroriste » – alors que les Black Lives Matter ont peint un poignard jaune sur l’asphalte de la 16ème rue à Washington, pointé vers la Maison Blanche.
Et cela nous amène à la légitimité tous azimuts dont jouit Black Lives Matter. Comment une chose pareille est-elle possible ? Voici un bon point de départ.
Black Lives Matter, fondée en 2013 par un trio de petites-bourgeoises noires homosexuelles, très bruyamment remontées contre « l’hétéro-patriarcat », est un produit de ce que Peter Dauvergne, de l’Université de Colombie Britannique, définit comme la « transformation du militantisme en société commerciale »
Au fil des ans, Black Lives Matter est devenu une marque commerciale, comme NIKE (qui soutient d’ailleurs le mouvement). L’étendue croissante des manifestations pour George Floyd l’ont élevée au rang de religion nouvelle. Pourtant, Black Lives Matter n’a aucune caractéristique révolutionnaire. Rien à voir avec « Say It Loud, I’m Black and I’m Proud » de James Brown. Et c’est à des années-lumière du « Power to the People » de Black Power et des Black Panthers.
L’étalon-or des droits civils, le Dr Martin Luther King, a, en 1968, défini de manière concise le cœur structurel de la question :
« La révolution noire est beaucoup plus qu’une lutte pour les droits des Noirs. Elle veut forcer les États-Unis à affronter toutes ses failles interdépendantes : le racisme, la pauvreté, le militarisme et le matérialisme. Elle dénonce des maux qui sont profondément enracinés dans toute la structure de notre société. Elle révèle des défauts systémiques plutôt que superficiels et fait savoir que la reconstruction radicale de toute la société est le véritable problème qui se pose ».
Les Black Panthers – jeunes intellectuels extrêmement éloquents qui avaient assimilé Marx, Lénine, Mao, W.E.B. Du Bois, Malcolm X et Frantz « Les Damnés de la Terre » Fanon – ont porté le diagnostic de MLK à un niveau inédit
Comme l’a résumé le ministre de l’Information des Panthers, Eldridge Cleaver :
« Nous croyons en la nécessité d’un mouvement révolutionnaire unifié … fondé sur les principes révolutionnaires du socialisme scientifique ».
C’étair la synthèse des idées de MLK, qui était essentiellement indifférent à la couleur des gens.
Fred Hampton, qui fut la victime d’un assassinat d’État en décembre 1969, avait fait en sorte que la lutte transcende les races :
« Nous devons affronter certains faits. Que les masses sont pauvres, que les masses appartiennent à ce que vous appelez les classes inférieures, et quand je parle de masses, je parle des masses blanches, je parle des masses noires, des masses métisses, et des masses jaunes aussi. Nous devons affronter le fait que, pour certains, le feu est le meilleur moyen de combattre le feu, mais nous disons, nous, que l’eau est le meilleur moyen d’éteindre le feu. Nous disons qu’on ne combat pas le racisme par le racisme. Nous allons combattre le racisme par la solidarité. Nous disons qu’on ne combat pas le capitalisme au moyen d’un capitalisme noir, mais qu’on combat le capitalisme par le socialisme ».
Donc il n’est pas seulement question de races. Il n’est pas seulement question de classes. Il est question de Pouvoir au peuple qui combat pour la justice sociale, politique et économique dans un système par essence inégalitaire. Cela complète en la développant l’analyse approfondie de Gerald Horne dans « The Dawning of the Apocalypse », où le XVIe siècle est entièrement disséqué, y compris le « mythe de la création » des États-Unis.
Horne montre comment une invasion sanguinaire des Amériques a engendré une résistance farouche des Africains et de leurs alliés indigènes, affaiblissant l’Espagne impériale et permettant finalement à Londres d’envoyer des colons en Virginie en 1607.
Comparons maintenant cette profondeur d’analyse avec le slogan gnangnan, presque suppliant « Black Lives Matter ». On ne peut pas s’empêcher de se rappeler, une fois de plus la franchise lapidaire de Malcolm X :
« Nous avions la meilleure organisation que l’homme noir ait jamais eue – les nègres l’ont ruinée ! »
Pour résoudre la question de « Black Lives Matter », il faut, encore et toujours, suivre l’argent.
Black Lives Matter a bénéficié en 2016 d’une subvention pachydermique de 100 millions de dollars de la Fondation Ford et d’autres piliers du capitalisme philanthropique tels que JPMorgan Chase et la Fondation Kellogg.
La Fondation Ford est très liée au Deep State des États-Unis. Son conseil d’administration est composé de PDG et de personnalités de Wall Street. En Bref, l’organisation Black Lives Matter, est complètement aseptisée, largement intégrée à la machine du Parti Démocrate, adorée par les médias mainstream et ne représente certainement pas la moindre menace pour les 0,001%.
La direction de Black Lives Matter, prétend, bien sûr, que « cette fois, c’est différent » . mais Elaine Brown, la formidable ex-présidente des Panthères Noires, n’y va pas par quatre chemins : Les Black Lives Matter ont une « mentalité de plantations » [Traduisons par : « bande d’Oncles Tom de toutes les couleurs » , NdGO]
Essayez de mettre le feu à la nuit
« Set the Night on Fire » est un livre extraordinairement captivant co-écrit par Jon Wiener et l’inestimable Mike Davis de « City of Quartz » et « Planet of Slums ».
En y allant rechercher la réalité des années 1960, nous nous trouvons plongés dans les émeutes de Watts en 1965, dans le mouvement anti-guerre qui se joint aux Panthères Noires pour former un unique Parti Californien pour la Paix et la Liberté, dans l’évolution unitaire de la base du Black Power, et dans le club Che-Lumumba du Parti Communiste – qui allait devenir la base politique de la légendaire Angela Davis ; mais aussi dans l’offensive massive du FBI et du LAPD pour détruire les Panthères Noires.
Tom Wolfe s’est rendu célèbre en qualifiant – assez venimeusement – les partisans des Black Panthers à Los Angeles de « radicaux chics ». Elaine Brown remet une fois de plus les choses à leur place :
« Nous étions en train de mourir, et tous, les plus forts comme les plus frivoles, nous aidaient à survivre un jour de plus ».
L’un des passages les plus poignants du livre raconte en détail comment le FBI s’en est pris aux sympathisants des Panthers, dont la sublime Jean Seberg, star de « Sainte Jeanne » d’Otto Preminger (1957) et d’« À bout de souffle » de Godard (1960).
Jean Seberg avait apporté anonymement sa contribution aux Panthères, sous le nom de code d’« Aretha » (oui, comme Franklin). Le COINTELPRO du FBI n’a pas fait de quartier, allant jusqu’à enrôler pour la détruire la CIA, les services de renseignements militaires et les services secrets. Ils ont fait d’elle une « actrice de race blanche sexuellement pervertie se tapant des extrémistes noirs ».. Sa carrière à Hollywood en a été anéantie. Elle a fini par sombrer dans la dépression, par accoucher d’un bébé mort-né (qui n’était pas noir), puis par émigrer définitivement. Son corps décomposé a été retrouvé dans sa voiture, à Paris, en 1979.
Par contraste, des rumeurs d’origine universitaire assimilent la foule des convertis à la religion Black Lives Matter au produit d’un mariage entre la prise de conscience et l’intersectionnalité – ce jeu de caractéristiques interconnectées qui, depuis la naissance, privilégie les hommes blancs hétérosexuels qui essaient d’expier leur culpabilité.
La génération Z, déboulée en masse de tous les campus universitaires des États-Unis dans le marché du travail, est prisonnière de ce phénomène : en fait, elle est esclave du politiquement correct, c’est-à-dire de la politique identitaire. Et, encore une fois, elle n’a pas le moindre potentiel révolutionnaire.
Comparez tout cela aux immenses sacrifices politiques des Panthères Noires. Ou à Angela Davis, déjà icône de la pop, devenue la plus célèbre prisonnière politique noire de l’histoire des États-Unis. Aretha Franklin, se portant volontaire pour payer la caution de Davis, l’a résumé en une formule célèbre :
« On m’a mise au trou pour avoir troublé la paix, et je sais qu’il faut troubler la paix quand on ne peut pas avoir la paix ».
Elaine Brown :
« Je sais ce qu’était le BPP [Black Panther Party]. Je sais les vies que nous avons perdues, la lutte que nous avons menée, les efforts que nous avons faits, les attaques de la police et du gouvernement contre nous – je sais tout ça. Je ne sais pas ce que Black Lives Matter fait ».
On peut débattre à l’infini pour savoir si Black Lives Matter est essentiellement raciste et même essentiellement violent.
Et on peut aussi se demander si plier le genou, qui est devenu un rituel domestique chez les politiciens (foulards Kente du Ghana compris), les policiers et les grandes entreprises, menace vraiment les fondations de l’Empire.
Noam Chomsky s’est déjà aventuré à dire que la vague de protestation n’a eu jusqu’à présent aucune espèce d’articulation politique – et qu’elle aurait bien besoin besoin d’une direction stratégique, qui aille très au-delà d’une révolte contre les brutalités policières.
Enfin, es manifestations se calment au moment précis où la Commune émerge.
Dépendant de la manière dont elle évoluera, cela pourrait poser un sérieux problème à Trump/Barr. Le Président ne peut tout simplement pas permettre qu’une révolution de couleur se développe au milieu d’une grande ville américaine. En même temps, il est impuissant, en tant qu’autorité fédérale, à dissoudre la Commune.
Ce que la Maison Blanche peut faire, c’est siffler ses propres unités de contre-insurrection, sous forme de milices suprémacistes blanches armées jusqu’aux dents, pour qu’elles passent à l’offensive et écrasent les lignes de ravitaillement déjà fragiles de la foule « réveillée-intersectionnelle ».
Le mouvement « Occupy » après tout, avait bien pris le contrôle de zones clés dans 60 villes américaines pendant des mois, pour finir par se dissoudre dans l’air léger.
En outre, le Deep State a déjà mis en place de nombreux scénarios de jeux de guerre pour faire face à des situations de siège infiniment plus complexes que celle de la Commune.
Quoi qu’il arrive ensuite, il y a un vecteur-clé immuable : un état permanent d’insurrection ne peut profiter qu’à la ploutocratie du 0,00001% nichée bien à l’abri de tout, pendant que la plèbe met le feu à la nuit.
Source https://www.strategic-culture.org/news/2020/06/12/syria-in-seattle-commune-defies-us-regime/
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/la-syrie-a-seattle-une-commune-defie-le-regime-us/
Juin 2020
One Responses
Capitol hill, résurgence bienvenue de la révolution communaliste, prouve si besoin en était, que le temps des cerises n’appartient pas seulement à la nostalgie, mais qu’il s’inscrit désormais dans une problématique de révolte pour l’émancipation des humiliés et des opprimés…