Ce n’était pourtant pas la première fois

 

 

Le Caporetto de l’Antiquité

 

Théroigne – Novembre 2019

 

 

L’Étrusque absolu qu’a été Curzio Malaparte (bien plus encore que l’autre face de la médaille : Pier Paolo Pasolini) ne semble pas avoir vu (les autres non plus), dans l’événement qui l’a marqué à vie, la répétition un peu cafouilleuse du Caporetto de ses ancêtres toscans.

Pourtant, la chute de la Dodécapole – en autant de sièges successifs, au ± IVe siècle avant J.-C. – n’a pas été une petite affaire sans conséquences, et pourrait même avoir été une grande première dans l’histoire des peuples.

Pour résumer et schématiser très fort à l’usage des écoliers auxquels on n’enseigne plus l’histoire : « bien des siècles » avant notre ère (± un millénaire), des Lydiens venus du Moyen-Orient (tiens, déjà) …

 

 

 

 

 

  

s’étaient établis en Ombrie, région riche en mines de fer de la péninsule italienne.

 

 

 

 

 

 

Un peu avant ou un peu après eux (60 ans avant la Guerre de Troie, pour Graves) d’autres colons venus de la Carie voisine – les futurs Romains – s’étaient installés sur le Mont Palatin.

Les premiers étaient à la tête d’une civilisation déjà brillante, maîtrisant toutes sortes de techniques avancées, les seconds étaient des péquenauds agricoles, pas encore tout à fait sortis du matriarcat (agricole par définition).

Les Lydiens, dits Tyrrhéniens ou Tyrsènes – nous les appelons Toscans – avaient fondé, dans la région qui nous intéresse, une fédération de douze villes fortifiées, d’où leur nom de Dodécapole, et leur société avait ceci de particulier qu’elle était divisée en deux parties parfaitement étanches : à sa tête, une oligarchie qui dominait tout, la politique, la religion, l’économie, l’industrie, la guerre ; en face ou autour la plèbe des artisans et artistes de génie, qui avait le droit d’inventer et de fabriquer des choses mais non d’en disposer (elle faisait, par exemple, les plus belles chaussures du monde, qui se font toujours à Bologne et à Florence).

 À la tête d’une flotte puissante, d’une industrie de pointe et rompue à toutes les manipulations, cette oligarchie qui a fait cadeau à l’Europe occidentale, entre autres choses, de la banque et du fascisme, a connu quelques siècles fastes, dont les miettes retombaient sur les sans-dents et sans-droits. Mais quand la prospérité s’est mise à décliner (tous les empires, grands ou petits, finissent par là), l’Étrurie a commencé à s’en prendre à Rome, lui a envoyé une espèce de Napoléon d’époque à la tête de « conquérants ». Passons la prise de l’urbs, la chute de Tarquin l’Ancien et le meurtre de son meurtrier par Tarquin le Jeune et la suite.

Le résultat des courses, c’est que les Romains, tout péquenauds qu’ils étaient, ont fini par voir rouge, par s’armer (les fameux fermiers-soldats) et par s’en, aller mettre le siège devant la première ville étrusque sur leur chemin. Qui est tombée plutôt facilement. Presque sans coup férir. Et après elle les autres. Fin de la Dodécapole, qui disparaît corps et biens : ce qui n’était pas encore – et de loin – l’empire romain, venait de commencer sa carrière.

Que s’était-il passé ?

Il s’était passé quelque chose qui n’arrive pas souvent et qui eût rempli d’aise Vladimir Illich Oulianov : la plèbe toscane avait décidé de ne pas se battre pour ses maîtres. Elle s’était dit « Esclaves pour esclaves, l’être de ceux-ci ou de ceux qui arrivent, qu’importe ? Qu’ils se battent entre eux s’ils veulent ! » Elle avait mis la crosse en l’air, donné les clés de ses villes aux assaillants et attendu son sort. Qui n’avait pas tardé : de plèbe toscane elle était devenue plèbe latine. Avec une différence, cependant : la brillante civilisation  étrusque n’a pas laissé, en disparaissant, une seule page de littérature, au point que ce qui reste de sa langue n’a pas encore été décrypté. C’est ce qui arrive quand il n’y a pas communication du tout entre les composantes d’une société : pas de littérature. Ce n’est qu’après avoir été colonisée par les Romains que la Toscane a pu avoir, enfin, ses Dante, ses Boccace, ses Machiavel, ses Pasolini et ses Malaparte.

L’oligarchie, elle, s’est transportée à Rome avec armes, bagages et fabuleuses richesses. Elle a forgé de toutes pièces des Livres Sibyllins qui lui ont permis de diriger Rome en sous-main pendant des siècles. Oui, ce fut un AIPAC d’époque.

L’histoire officielle de Rome – elle existait déjà – a soigneusement occulté ces intéressants développements, car les nouveaux dominants ne se souciaient pas de donner des idées aux dominés qu’ils allaient mater un peu partout.

Mais la mémoire populaire, par transmission orale en ces temps lointains, trouve toujours le moyen de semer ses cailloux de Petit Poucet. Elle nous a laissé le mythe de Tarpéia, qui vend la mèche.

On sait que Rome exécutait certains condamnés, principalement les traîtres, en les précipitant de la « roche tarpéienne » : ancien rituel devenu obsolète de mise à mort sacrificielle des rois matriarcaux (encore quelque chose qu’il valait mieux faire oublier). On accoucha donc, pour expliquer la chute si facile de l’Étrurie, de l’histoire de Tarpéia, une supposée jeune fille toscane qui, s’étant – ah, les femmes, qu’en attendre d’autre ! – amourachée d’un des assaillants romains, lui aurait donné, avec son cœur,  les clés de sa ville préalablement subtilisées. Rome, vertueuse comme une lady victorienne, aurait puni la traîtresse à sa patrie qui lui avait fait ce cadeau en la précipitant de la fameuse roche, dont le nom fut ainsi, du même coup expliqué-justifié.

Édifiant comme tout. Plus encore quand c’est multiplié par douze.

 

 

 

 

 

Malaparte :

« Car les Pratéens sont toscans à leur manière et n’ont rien à faire avec Rome et les Romains (auxquels la Toscane ne pardonnera jamais le brutal esclavage, les persécutions féroces, les tueries effroyables et la mort de la langue étrusque, étouffée dans la gorge des enfants de Volterra, Fiesole, Arezzo, Cortona, Orvieto, Tarquinia, Véies). »

Ces Sacrés Toscans, Les Belles Lettres, p.69

 

 

Oufti ! On se croirait chez les Vendéens, dont les enfants étaient interdits de breton en classe de français par la gueuze de République !

 

 

 

 

 

 

11-17 Novembre 2019

 

 

 

2 Responses

  • Sémimi

    Quel texte jubilatoire! Voilà comment on écrit quand on a une vraie culture et pas seulement de l’érudition. On domine alors le sujet avec légèreté et les comparaisons se glissent tout naturellement sous la plume . Quand on voit de haut, on voit loin.C’est ainsi que la modernité rejoint, par delà les siècles, les Etrusques et la naissance d’un empire autour de son coeur , Rome, La Ville. Viva la Thalamège!

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