L’empoisonnement de Mechaal n’a donné qu’un aperçu de l’arsenal de guerre biologique d’Israël
Un nouvel article de Benny Morris et Benjamin Kedar indique que, bien avant la tentative d’assassinat ratée d’il y a 25 ans, Israël a tenté un empoisonnement massif pendant la guerre de 1948.
Yossi Melman – Haaretz – 6.10.2022
Traduction : c.l. pour L.G.O.
Le chef du Hamas, Khaled Mechaal, s’adressant à la 8e conférence générale du Mouvement islamique soudanais à Khartoum, 2012.(Crédit : Mohamed Nureldin Abdallah/Reuters)
Le 25 septembre 1997, des agents du Mossad appartenant à l’unité Kidon (baïonnette en hébreu) des forces spéciales ont empoisonné Khaled Mechaal, le président du bureau politique du Hamas, à Amman, en Jordanie. L’un des agents tenait un petit tube et en a pulvérisé le produit dans l’oreille de Mechaal.
Le modus operandi du Mossad consiste à envoyer un de ses médecins sur le lieu de l’opération au cas où un agent serait blessé et aurait besoin d’un traitement médical, sans risquer de s’exposer dans un hôpital local. Une femme médecin, accompagnée de Mishka Ben David, l’un des agents de renseignement du Mossad, a été choisie pour la mission en Jordanie. Ils se sont fait passer pour un couple d’Israéliens en vacances dans un hôtel d’Amman. Le médecin et Ben David possédaient un antidote, qui neutraliserait le poison s’il s’échappait et blessait les agents par accident Israël gardait un antidote de secours dans un autre endroit d’Amman.
La mission a échoué. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fait preuve de négligence et d’arrogance en exécutant une opération sur le sol jordanien, l’allié le plus stratégique d’Israël au Moyen-Orient. Trois ans plus tôt à peine, la Jordanie avait signé un traité de paix avec l’État juif. Cependant, les renseignements étaient également insuffisants et les performances des agents sur le terrain étaient inadéquates. Des agents du Mossad détenant des passeports canadiens falsifiés ont été arrêtés. Quatre autres ont trouvé refuge à l’ambassade d’Israël.
Le roi Hussein de Jordanie a menacé de prendre d’assaut l’ambassade et d’exécuter les agents. Pour apaiser le roi, Israël a dû accepter de libérer de prison le cheikh Ahmed Yassin, fondateur et chef spirituel du Hamas, et de sauver la vie de Mechaal. Le médecin et Ben David ont donné un des antidotes à un officier des services secrets jordaniens, qui l’a transmis à un médecin jordanien. Israël avait sauvé la vie de Mechaal, ennemi acharné d’Israël jusqu’à ce jour.
En plus de ces blessures auto-infligées aux intérêts nationaux d’Israël, l’une des ramifications les plus troublantes a été le fait que l’affaire Mechaal a forcé Israël à admettre publiquement qu’il avait utilisé du poison : une forme de guerre biologique au moins dans une mesure. Jusqu’alors, les informations sur l’utilisation de poison par des agents de renseignement israéliens étaient toujours attribuées à des « sources étrangères ».
Wadie Haddad en 1970. (Credit : Wikipedia)
Au moins deux autres incidents de ce genre ont été révélés dans la presse mondiale. L’un d’eux s’est produit en 1978, après la mort de Wadie Haddad, le responsable opérationnel du Front Populaire de Libération de la Palestine. Haddad était l’architecte du détournement spectaculaire d’avions de ligne israéliens et internationaux dans les années 1970, notamment le vol d’Air France détourné vers Entebbe, en Ouganda, en 1976. Lors d’une opération audacieuse, les commandos israéliens ont tué les terroristes de Haddad, parmi lesquels se trouvaient des membres allemands de la bande de Baader Meinhof, et ont sauvé la plupart des otages.
Le Mossad a riposté. Sachant que Haddad aimait les sucreries, il a recruté un de ses assistants pour en faire un espion. Suivant les instructions des responsables du Mossad, l’assistant a acheté en Belgique du chocolat Cadbury de fabrication anglaise. Le chocolat était rempli de poison préparé par des scientifiques israéliens pour le Mossad. L’assistant palestinien l’a livré personnellement à Haddad, qui l’a mangé sans partager. Haddad, qui avait souffert de graves maladies sous-jacentes, est mort quelques semaines plus tard dans un hôpital de Berlin-Est. Jusqu’à aujourd’hui, les vétérans du Mossad débattent pour savoir si Haddad est mort à cause du poison, de sa maladie ou de la combinaison des deux facteurs.
– Hamas : Israël a empoisonné Arafat
– Qui a tué Mahmoud al-Mabhouh ? / Beaucoup de gens voulaient la mort de l’homme du Hamas.
– La biographie le montre clairement : le leader du Front populaire palestinien avait raison.
Treize ans après l’échec de la tentative d’assassinat de Mechaal, le Mossad a frappé de nouveau. En 2010, des agents du Mossad ont empoisonné Mahmoud Mabhouh – un haut responsable du Hamas qui assurait la liaison avec l’Iran pour faire passer des armes à Gaza – dans sa chambre d’hôtel de Dubaï. Mabhouh est mort et tous les membres du commando sont rentrés sains et saufs en Israël. Mais la police de Dubaï a rtéussi à reconstituer l’opération, et a révélé que le Mossad avait utilisé de faux passeports occidentaux. Le Mossad a subi une atteinte à son prestige et à son image de toute-puissance, et l’affaire a endommagé les relations extérieures d’Israël.
Le commandant de la police de Dubaï présentant des preuves sur l’assassinat de Mahmoud al-Mabhouh à Dubaï en 2010.(Crédit : Reuters)
Le protocole de Genève de 1925 interdit l’utilisation d’armes biologiques. Cinquante ans plus tard, un autre accord international a été signé : La Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, communément appelée Convention sur les armes biologiques.
Cependant, alors que 183 États ont ratifié le traité, Israël, ainsi que l’Égypte, la Somalie, l’Érythrée et les Comores, ont refusé d’y adhérer.
Il est largement admis et rapporté que les divers matériaux d’empoisonnement utilisés par le Mossad pour les cas déjà publiés, et quelques autres qui sont restés secrets, ont été fabriqués à l’Institut israélien de recherche biologique à Nes Ziona, à 20 kilomètres au sud de Tel Aviv.
L’institut, qui appartient conjointement au bureau du Premier ministre et au ministère de la Défense, a été fondé en 1952, en remplacement du Corps scientifique de l’armée. Son premier directeur était Alexander Keynan.
Alexander Keynan, premier directeur de l’Institut israélien pour la recherché biologioque (Credit : Shaul2806/Wikipedia)
Cette unité est aujourd’hui la vedette d’un article fascinant qui révèle l’histoire clandestine de la guerre biologique menée par Israël pendant sa guerre d’indépendance en 1948. L’article est écrit par deux historiens, Benny Morris, professeur émérite de l’Université Ben-Gurion de Be’er Sheva, et le professeur émérite Benjamin Ze’ev Kedar de l’Université hébraïque de Jérusalem. L’article – « “Cast Thy Bread” : Israeli Biological Warfare during the 1948 War »*- a été récemment publié par Middle Eastern Studies.
Cet article est une rareté pour deux raisons. Premièrement, il a fait l’objet de recherches et a été publié contre la volonté de l’establishment sécuritaire israélien, qui a essayé pendant des années de bloquer tout document historique embarrassant sur cette guerre, exposant les crimes de guerre contre les Arabes, comme le meurtre de prisonniers, le nettoyage ethnique et la destruction de villages. Deuxièmement, l’article se fonde sur des documents originaux conservés dans les archives de l’État d’Israël et d’autres archives.
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* « Jette ton pain sur les eaux, plus tard tu le retrouveras », proverbe biblique.
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/lempoisonnement-de-mechaal-na-donne-quun-apercu-de-larsenal-de-guerre-biologique-disrael/
Janvier 2023
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