Les aventures fantastiques du baron de Münchausen

 

 

Film en couleurs de Josef von Báky,

avec pour interprète principal Hans Albers

 

 

 

 

C’était en 1942. Josef Goebbels, ministre de la Propagande du Reich, que les lauriers de Hollywood empêchaient de dormir, voulait célébrer de manière aussi grandiose que possible les 25 ans d’existence de la UFA, société allemande de production et de distribution de films qui avait été fondée en 1917 dans un but – déjà – de propagande politique et militaire. Il s’agissait aussi, bien sûr, de remonter le moral du peuple allemand et sa confiance dans le Reich, dont la fin se profilait à l’Est.

Il jeta son dévolu sur le baron de Münchausen, personnage historique réel du XVIe siècle devenu, grâce à la littérature, la coqueluche du XVIIIe.

Officier, aventurier, grand voyageur, Münchhausen était un libertin (au sens XVIIe français du terme), un humaniste et un amoureux des plaisirs de la vie. C’était aussi un conteur incomparable qui avait su, par sa propension à exagérer ses exploits, acquérir le statut de menteur légendaire. Goebbels voyait dans ce personnage le moyen de produire un film à grand spectacle capable de river leur clou aux super-productions hollywoodiennes, tout en exaltant les qualités militaires du petit hobereau germanique de base.

Le réalisateur hongrois Josef von Báky – qui a fait toute sa carrière en Allemagne : sous Weimar, sous le Reich et sous la RFA – fut désigné pour s’y attaquer. Et demanda que le scénario fût confié à Erich Kästner, un Allemand natif de Dresde. Or, Kästner était un anti-nazi notoire, dont les livres avaient été brûlés en 1933, un anti-militariste aussi, qui le resterait toute sa vie, au point qu’on le verrait encore défiler peu avant sa mort, en RFA, contre la guerre du Vietnam.

Von Báky et son équipe durent se battre pour obtenir ce scénariste et Kästner ne fut autorisé à collaborer au film qu’à la condition de changer de nom. Le scénariste officiel du film est donc Berthold Bürger. Lequel fut d’ailleurs aussi interdit que Kästner aussitôt le film terminé. Mais c’est sans doute et même sûrement à lui que l’on doit le caractère anti-conformiste et impavide du séduisant baron, digne héritier de Cyrano et de Voltaire. Faire d’un soldat de métier un héros ridiculiseur des pouvoirs et des armées relevait de la gageure. Elle fut tenue. Rendons grâce à Kästner-Bürger à qui ce film doit principalement de n’avoir pas pris une ride et de conserver au bout de 80 ans tout son charme.

 

 

Münchausen sur la Lune, en conversation avec une Sélénite, qui a laissé son corps à la maison s’acquitter des tâches ménagères et fait déposer sa tête sur une fleur pour bavarder avec ce beau Terrien de passage.

 

 

Le film fut tourné pendant la bataille de Stalingrad, en Agfacolor, rival allemand de Technicolor, avec un budget, colossal pour l’époque, de 6,5 millions de Reichsmarks, à la fois en studios et en extérieurs (le Grand Canal de Venise fut même réquisitionné). Les décors et les costumes, qui restent impressionnants de nos jours, ont exigé des milliers de mètres d’étoffes précieuses quand il fallait à l’Allemand lambda des tickets de rationnement pour le moindre caleçon, on y voit des lustres chargés de centaines de bougies qu’il fallut renouveler de nombreuses fois et de la vaisselle ad hoc pour les scènes de banquet à la cour de la Grande Catherine. L’histoire voulait que le héros, à un certain moment, éblouisse ses auditeurs par le brillant de ses propos tout en s’empiffrant à belles dents d’un poulet rôti. Hans Albers s’exécuta, sous les yeux écarquillés de techniciens qui n’avaient pas vu un poulet depuis des années et qui le dévoraient des yeux, l’eau à la bouche. Et parce qu’il fallut refaire plusieurs fois la scène, le supplice des malheureux se renouvela autant de fois qu’il fallut tandis qu’Albers avait de plus en plus de mal à digérer ses morceaux de volatile.

 

Parenthèse :

[Les caprices de l’histoire veulent qu’à peu près simultanément (été 1943), Marcel Carné était occupé à tourner – en zone nono, c’est-à-dire aux studios de la Victorine – Les Enfants du paradis, où Pierre Brasseur, en Frédéric Lemaître, eut à tourner une scène identique à celle de Hans Albers en Münchausen : on y voyait un Lemaître grandiose, – en présence de Lacenaire et de son acolyte Avril (Marcel Herrand et Fabien Loris) venus pour le voler, donc l’assassiner – brandir d’une main un poulet rôti qu’il dévorait à belles dents et, de l’autre, extraire de sa poche une liasse de billets en s’écriant, grand seigneur : « Messieurs, je viens d’avoir de la chance au jeu, on partage. », sauvant ainsi sa vie sans le savoir.]

 

Dans Les fantastiques aventures du baron de Münchausen, le baron, toujours assisté de son fidèle aide de camp, rencontre Casanova, rend service à Cagliostro, lequel lui fait cadeau d’une bague qui rend invisible une seule fois pendant une heure et de l’immortalité aussi longtemps qu’il le voudra : il séduit la tsarine de Russie qu’il rencontre sur un marché déguisée en servante, va combattre pour elle, rival d’un de ses amants (Potemkine ?) lequel l’envoie, par pure mesquinerie, à cheval sur un boulet, en plein quartier général des Turcs, gens sans humour qui le font prisonnier. Il y traverse un harem peuplé de houris se baignant dans le plus simple appareil, y délivre, au nez et à la barbe de ses geôliers, une princesse italienne enlevée par des pirates, la ramène à Venise où elle lui est à son tour enlevée, en plein carnaval, par ses propres nobles frères et enfermée à triple tour dans un couvent plus difficile à forcer qu’un harem, la venge en déshabillant complètement le frère coupable à coups de rapière sans lui infliger la moindre égratignure, l’obligeant ainsi à se suicider ou à perdre la face, fuit l’Inquisition en ballon, arrive sur la Lune et… en revient, contrairement à son malheureux second, car le temps, sur la Lune, passe beaucoup plus vite que sur la Terre et qu’il ne peut y échapper, lui, que grâce au cadeau de Cagliostro. Il finit par rencontrer, deux cents ans plus tard, la femme de sa vie, à laquelle il ne tient pas à survivre. Il lui suffit donc de se planter devant son propre portrait et de se dire à lui-même qu’il renonce à son immortalité, pour « rattraper » à vue d’œil l’âge de son épouse, en présence de quelques nobles dignitaires du Reich médusés.

Le film est sorti en Allemagne le 5 mars 1943. Les Soviétiques avaient, le 2 févier, brisé le siège de Stalingrad et la course à l’abîme allait s’accélérer jusqu’à la chute finale.

Tout le reste est littérature.

Aux prodiges de l’époque se sont ajoutés, en 2017, les prodiges réalisés pour remastériser ce film, lui rendre ses couleurs et sa fraîcheur d’origine, bref, en refaire une œuvre d’art à côté de laquelle pâlissent les tours de force numériques d’aujourd’hui..

Il existe en deux DVD dont l’un est tout entier consacré à son histoire et au rappel de ce qu’il exigea de prouesses techniques, pour exister d’abord, pour renaître ensuite.

 

 

Mais nous ne pouvons évoquer le légendaire baron sans signaler à nos lecteurs fidèles un très curieux roman en deux volumes, qui n’a vu le jour en français que tès longtemps après la mort de son auteur, Karl-Lebrecht Immermann (1796-1840) :

 

Karl-Lebrecht Immermann

Les avnetures du baron de Münchausen 

Une histoire en arabesques

Tome I

Traduit de l’allemand par Odette Blavier

Éditions Cartouche –  18 septembre 2007

Broché – 16,5 x 23,5 cm

4e de couverture

Voilà enfin pour le plus grand bonheur de tous, la première traduction intégrale de ce classique succulent de drôlerie, dans lequel et avec une faconde redoutable, le véritable baron de Müchhausen, pourtant simple militaire, enfourche les boulets de canon, sauve des vaisseaux entiers, se téléporte par canards sauvages… Cette œuvre qui n’avait jusqu’ici vu le jour en français que dans des versions tronquées, reste un morceau du Panthéon de la littérature allemande.

 

Karl-Lebrecht Immermann

Les avnetures du baron de Münchausen 

Une histoire en arabesques

Tome II

Traduit de l’allemand par Odette Blavier

Éditions Cartouche – 20 août 2008

619 pages

Broché – 16 x 20 cm

 

 

Nous avons là l’exemple rare d’un livre publié en deux volumes de formats différents.

 

                             

Petit extrait :

Livre Premier

Les débuts de Münchausen

Chapitre II

Dans lequel Münchausen exprime vigoureusement son horreur du mensonge

« Décidément de tous les vices, le mensonge est bien le plus haïssable ! » s’exclama le baron. D’ailleurs, tôt ou tard, le menteur finit toujours par être démasqué, et, s’avisât-il alors de dire un jour la vérité, qu’il ne se trouverait personne pour le croire. Une fois, une unique fois au cours de son existence, mon aïeul le baron de Münchausen de Bodenwerder prétendit dire la vérité. Nul ne le crut, et il en couta la vie à trois cents de ses contemporains, à peu de choses près.

– Comment cela ? s’écrièrent d’une seule voix le châtelain et sa fille.

– Mes bons hôtes, mes chers amis, modérez votre étonnement : il n’y eut là rien que de très banal, repartit l’invité, les narines palpitantes, en clignant des yeux, qu’il avait de couleurs différentes. Écoutez plutôt ! Ledit aïeul était bien hélas le plus fieffé sac à mensonges qui fut oncques. Qui ne se souvient des douze canards qui s’enfilèrent sur sa couenne de lard ? Et du demi-cheval qui, en semblable état d’incomplétude, ne se préoccupait pas moins d’assurer sa postérité ? Et de la fourrure enragée ? Et des sons gelés dans le cor du postillon… et… et… oh !… oh ! »

L’œil bleu du rejeton larmoyait ; l’œil brun luisait par contre de vertueuse indignation. Il ne put poursuivre…

 

 

 

 

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Août – Septembre 2023

 

 

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