Pas de raison qu’il n’y en ait que pour les démêlés d’Annie Lacroix-Riz avec la CGT.
Des « forfaits accomplis comme si de rien n’était » sur le dos d’Anatole Atlas ? Ils sont fous ces ex-cocos !
Bafouille d’un écrivain belge à un ancien chroniqueur du Drapeau Rouge, dont la thèse de doctorat fut jadis consacrée à « La littérature prolétarienne en Belgique francophone depuis 1900 », et qui s’est reconverti, comme tant d’autres, en élagueur d’écrivains non-conformes.
Lettre ouverte à Paul Aron
السلام عليكم و رحمة الله و بركاته
Assalamou aleikoum wa rahmatoullah wa barakatou !
Le professeur Paul Aron (premier à gauche) lors de la conférence à l’Université Jagellonne de Cracovie (c) Délégation générale Wallonie-Bruxelles à Varsovie
C’est en ta compagnie, Paul, qu’en septembre 1990, à une table de la cafétéria de l’ULB, mon auteur découvrait l’article consacré par Hector Bianciotti à son premier roman, publié aux éditions Messidor…
« Lippert, écrivain hors-la-loi » titrait le supplément littéraire du Monde. Mots qu’aussitôt tu traduisis en chiffres : « Mille exemplaires vendus », certifias-tu à mon auteur. Il me révéla plus tard (au cours de l’un de ces colloques singuliers entre un créateur et sa créature de fiction) avoir été interloqué par une si prompte herméneutique…
Le regretté Raymond Trousson, titulaire de la chaire de littérature belge, dont tu étais alors l’assistant, venait de confier à ta lecture Pleine lune sur l’existence du jeune bougre : « un livre pour toi » t’avait-il dit, comme tu l’avouas à mon auteur ce jour-là…
Près de trois décennies plus tard est paru l’ultime volume de cette heptologie romanesque : AJIACO. Ayant succédé à Raymond Trousson, tu es à présent un notable influent. À ce titre, tu sièges à une place d’honneur de la Commission qui vient de décréter l’inexistence de la Mélopée d’Anatole Atlas aède, athlète, anachorète…
Voici trente ans, lorsque tu chroniquais mes brochures clandestines dans Le Drapeau rouge, tu n’ignorais déjà pas l’ABC enseigné par tout professeur à ses étudiants, qui interdit de confondre un auteur et la voix de son personnage, fût-il narrateur de la fable. Son oeuvre étant fondée sur une polyphonie, tu as jugé bon de sanctionner un écrivain pour le crime des extases verbales imputables à ses multiples voix intérieures. Dont la mienne – comme tu le sais depuis longtemps – n’est pas la moins véhémente et peut-être quelque peu dérangeante…
Aussi je juge bon d’assumer l’entière culpabilité de ce crime et, me faisant l’avocat de cet auteur injustement puni, d’introduire un appel de ce jugement devant le tribunal de la postérité. Celui-ci pourrait d’ailleurs se réunir plus vite qu’à l’ordinaire, s’il se vérifiait que les membres de la commission des Lettres n’ont jamais eu sous les yeux le livre litigieux ! Ce serait le plus important scandale survenu dans les petits cénacles de la littérature belge, depuis qu’un même genre de jury n’attribua pas son prix à l’Ulenspiegel du devancier de mon auteur Charles De Coster, mais à un bien nommé Potvin…
(Comme pièce essentielle pour éclairer ce dossier, je présenterai bien sûr le récent article de Véronique Bergen consacré à ce livre, paru dans les colonnes du Carnet & Les Instants : « L’Odyssée poético-politique de Jean-Louis Lippert »)…
Cette anecdote, s’il était encore à l’université des intellectuels honnêtes ainsi que le fut Raymond Trousson, serait analysée par ceux-ci comme un inquiétant symptôme. Tandis qu’en France, la pyramide matérielle est en ébullition (colère dans la rue, débats publics, inquiétude au plus haut niveau de l’État), la pyramide que j’appelle idéelle voyant maints penseurs, artistes, écrivains cautionner une si rare mise en question collective, qu’en est-il en Belgique ?…
Une oeuvre littéraire désignait depuis quarante ans l’époque actuelle comme convulsive. Tu es l’un des mieux placés pour le savoir. Et voici l’aboutissement romanesque d’une telle création comparaissant devant un comité ministériel chargé de statuer sur l’achat de livres par les bibliothèques de la communauté francophone de Belgique, mais aussi de certains départements universitaires à l’étranger, se faire occire par tes soins. Son thème (l’assassinat de l’instance aédique, condition du déploiement de la Kulturindustrie) est énoncé dès la première phrase de la 4e de couverture : Un spectre hante la littérature, le spectre de l’aède…
Il semble que toute la production belge de l’année écoulée ait reçu le nihil obstat, sauf celle-ci. Mon cher Paul, te serait-il venu la lubie d’être la risée d’un quelconque Aron officiant à ton poste dans cent ans, ainsi que de ses étudiants, tu ne t’y serais pas pris autrement…
« Ferme ta gueule ! » disent en somme les officiels de la culture à l’aède, coupable d’opposer aux cécités programmées la tentative d’une vision globale. Il en va de même dans Astérix, où toutes les régions de la Gaule sont soumises à l’Empire, sauf une. Et c’est précisément pour cette raison qu’il y a une histoire intéressante à raconter. Voudrais-tu pousser la parodie jusqu’à conclure notre histoire commune à l’imitation de cet exemple, sur l’image d’un banquet dont le barde est l’unique exclu ?…
Les obscurs comitards fauteurs de cette condamnation, devant sans doute leurs sièges à une prudente obéissance, escomptaient-ils que ce ridicule forfait s’accomplît comme si de rien n’était ?…
Ce ne sera pas le cas pour la postérité.
Laquelle s’associe à moi pour souhaiter à ton âme : Baraka allahou fik !
Anatole Atlas.
Sur le livre en question, voir ici : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/2018/11/07/ajiaco/
10 février 2019
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