Un dîner chez Anton

 

Ce qui avait commencé comme une simple rencontre entre un écrivain et son éditeur s’est transformé en une soirée inoubliable de discussions intellectuelles entre amis et collègues.

Scott Ritter

Oct 22, 2025

 

 

Le groupe de discussion ad hoc, à la Maison Centrale des  Écrivains ( CDL).

 

 

Lorsque j’ai accepté l’invitation de RT à assister à leur gala de 20e anniversaire, j’avais initialement prévu d’arriver le jeudi, d’assister au gala le vendredi, de me reposer le samedi et de rentrer chez moi le dimanche. Après tout, j’avais de nombreux engagements personnels à honorer, dont le plus important était le mariage de ma fille Victoria, prévu le 1er novembre. Ma femme m’avait d’ailleurs  rappelé que nous avions beaucoup de choses à finir de mettre au pointr avant le mariage et que le calendrier était impitoyable. Mais lorsqu’une occasion s’est présentée pour une réunion au sujet d’un documentaire que je souhaitais réaliser et qui ne pouvait avoir lieu que le lundi, je me suis soudain retrouvé avec un dimanche soir libre, sans aucun engagement prévu.

Je devais retourner en Russie en novembre pour lancer l’édition russe de mon livre, Highway to Hell, et donner plusieurs interviews et conférences sur l’amélioration des relations entre les USA et la Russie et le renouvellement du contrôle bilatéral des armements, thèmes qui trouvent un écho dans mon livre. Ma productrice/agent russe, Alexandra Madornaya, m’avait présenté la maison d’édition Konseptual et son directeur, Konstantin Antipin, lors de ma précédente visite en août de cette année. Nous avions également rencontré Anton Karpov, le PDG du restaurant de la Maison centrale des écrivains, ou CDL. De ces deux événements sans rapport entre eux est née l’idée d’organiser un événement de lancement du livre à la CDL.

J’ai demandé à Alexandra si elle pouvait organiser un dîner pour dimanche soir avec Konstantin et Anton, et à ma grande joie, Anton a eu la gentillesse de nous réserver une table dans son restaurant.

La Russie étant la Russie, rien ne se passe dans le vide. Samedi soir, Larry Johnson, ancien agent de la CIA devenu podcasteur, également invité au gala du 20e anniversaire de RT, et moi-même avions rencontré Steven Seagal, la célèbre star de films d’action qui réside aujourd’hui en Russie, où il occupe le poste d’ambassadeur itinérant pour le ministère russe des Affaires étrangères. J’avais déjà rencontré M. Seagal en janvier 2024, lors d’un précédent séjour à Moscou, et je lui avais alors présenté le légendaire commandant de l’Unité des Forces Sspéciales Akhmat, le lieutenant-général Apti Alaudinov. M. Seagal s’est enquis d’Apti, et j’ai transmis ses salutations à Apti, qui m’a appris qu’il était à Moscou et qu’il serait ravi de me voir. Le problème était que mon agenda était bourrét et qu’il ne me  restait plus de temps libre pour une rencontre.

 

 

Anton Karpov, patron du restaurant de la Maison des écrivains (CDL)

 

 

Anton avait écrit un livre sur les forces spéciales Akhmat intitulé  Je me souviens de ce jour-là, un recueil de nouvelles inspirées d’entretiens avec des officiers et des soldats d’Akhmat au sujet de leurs expériences pendant l’Opération Militaire Spéciale. J’avais lu la version en anglais du livre d’Anton et remarqué qu’il avait interviewé le général Alaudinov. J’ai demandé à Anton s’il accepterait qu’Apti se joigne à nous. Il aauté sur l’occasion, trouvant que c’était une bonne idée. Du coup, j’ai décidé de tenter ma chance et lui ai demandé si Steven Seagal ne pourrait pas, lui aussi, se joindre à nous, parce qu’Apti m’avait fait part de son intérêt à le connaître. Anton a immédiatement et très gracieusement accepté. J’ai alors pensé à mes deux complices dans le crime, le juge Andrew Napolitano et Larry Johnson, et j’ai laissé entendre à Anton que ces deux Américains bien connus ne pourraient que se féliciter d’une occasion de rencontrer de tels hommes.

Anton, le perspicace a aussitôt accepté et fait démenager notre groupe dans une salle à manger privée plus spacieuse.

Et c’est ainsi, Mesdames et Messieurs, que s’écrit l’histoire.

Nos invités supplémentaires sont alors arrivés les uns après les autres : d’abord Apti, puis Larry (le juge prenait l’avion le soir même et n’a pas pu venir), et enfin M. Seagal.

Il était environ 20 heures quand tout le groupe s’est trouvé réuni : Apti Alaudinov, Steven Seagal, Larry Johnson, Anton Karpov, Roman Mex (collaborateur d’Anton sur le projet de livre Je me souviens de ce jour-là, Konstantin Antipin, Alexandra Madornaya, moi-même et l’assistant de M. Seagal.

Avant l’arrivée d’Apti, conformément aux traditions littéraires de l’établissement dans lequel nous nous trouvions, nous avions discuté de la version russe de Highway to Hell (l’éditeur avait apporté une maquette grandeur nature du livre, intitulé Doroga v Ad en russe) et de la version en anglais du livre d’Anton (I rememner that day), qui avait une maquette similaire à nous montrer.

 

 

Le lieutenant -général Apti Alaudinov et l’imam Magomed Khiitanev

 

 

Pour ne pas être en reste, Apti avait apporté des exemplaires d’un nouveau livre qu’il avait coécrit avec Magomed Husseinovich Khiitanaev, l’imam principal des Forces Spéciales Akhmat, intitulé L’armée de Jésus (Isa, que la paix soit sur lui) dans la bataille contre l’armée du Dajjal-Antéchrist (dans la tradition islamique, le Dajjal est un faux messie, équivalent de l’Antéchrist dans la tradition chrétienne).

Ce livre aborde la question de l’éthique en temps de guerre, particulièrement dans le cadre des questions fondamentales du bien et du mal si étroitement enlacées tout au long de l’Opération Militaire Spéciale. Apti nous a confié en souriant qu’il s’était acquis le surnom de « Prêcheur » en raison de la connotation religieuse de ses discours et allocutions aux combattants du front et aux civils qui les soutenaient. Il a fait remarquer que le drapeau des Forces Spéciales Akhmat, qu’on voit sur la couverture de son livre, portait à la fois les symboles de l’islam (le croissant de lune et l’étoile) et du christianisme (la croix orthodoxe russe), symbolisant la diversité religieuse de la Fédération de Russie et le fait que, bien que son unité ait été nommée d’après le père fondateur de la République tchétchène moderne, Akhmat Khadirov, elle reflétait largement la réalité russe, composée de soldats venus des quatre coins de la Russie qui se battaient pour la gloire de la Russie et la gloire du Dieu unique partagé par les religions musulmane et chrétienne.

Apti a ensuite offert à chacun de nous un exemplaire dédicacé de son livre. Après la cérémonie de présentation, la conversation a porté sur les thèmes qui y sont abordés. Apti et Steven Seagal ont alors eu un échange très enrichissant sur la moralité du combat et l’éthique du combattant. La vaste expérience de Steven dans les arts martiaux, combinée à son expérience concrète dans le domaine de l’application de la loi, s’est facilement juxtaposée à l’histoire d’Apti, qui fait la guerre depuis plus de 30 ans. Comment contrôler la propension naturelle à la soif de vengeance sanglante ést une question à laquelle nous avons tous réfléchi lors d’une table ronde ouverte et révélatrice, avant qu’Apti ne conclue la discussion en déclarant que, d’après son expérience, il valait mieux préserver la vie de ses adversaires habiles et dangereux plutôt que de les éliminer. Un bon guerrier, un guerrier éthique, se bat honorablement et est donc un homme honorable ainsi qu’un adversaire honorable. Selon lui, ce sont précisément ces hommes-là dont la société a besoin pour survivre aux horreurs de la guerre. Si vous êtes arrivés à les capturer, vous devez les traiter avec humanité et honneur pour qu’ils puissent, une fois rentrés chez eux auprès de leurs familles, contribuer à dissiper la propagande haineuse qui a alimenté les passions guerrières parmi les populations infectées.

 

 

Le héros de Koursk – lieutenant-général Apti Alaudinov – remet à l’auteur un exemplaire de son dernier livre.

 

 

La conversation s’est tournée ensuite vers la réalité du champ de bataille moderne. J’ai demandé à Apti de nous dire ce qu’il pensait de l’affirmation du président Trump selon qui la Russie était en train de perdre la guerre. La réponse d’Apti a été remarquablement  diplomatique, compte tenu de l’absurdité du propos.. Le héros de la Fédération de Russie a fait remarquer que si la situation sur le champ de bataille dans la région de Koursk était quelque peu instable l’année dernière à cette époque-ci, la réalité est aujourd’hui très différente parce que le front s’est stabilisé et que les forces ukrainiennes ont été chassées du territoire russe. Mais, a-t-il ajouté, même dans les moments les plus difficiles, les Forces Spéciales Akhmat n’ont jamais cédé une seule fois aux envahisseurs une position qu’elles détenaient. Au contraire, les Forces Spéciales Akhmat ont systématiquement progressé dans toute la zone qui leur a été assignée, que ce soit à Lougansk, à Koursk ou à Belgorod.

Lorsque Apti et moi nous sommes rencontrés pour la première fois, en mai 2023, nous avons eu une discussion très franche et détaillée sur l’art de la guerre et sur la façon dont les progrès technologiques avaient rendu obsolètes les pratiques du passé, y compris celles perfectionnées par l’armée US dans les années 1980, lorsque j’apprenais cet art. Apti connaissait bien mon expérience en tant qu’observateur avancé d’artillerie et contrôleur aérien, ainsi que mon parcours dans le domaine de la collecte de renseignements au combat. En posant son index sur ma poitrine, il a réitéré ce qu’il m’avait dit à l’époque : « Votre expérience n’est plus viable, a-t-il précusé. Elle a été remplacée par les drones. C’est un type de guerre tout à fait nouveau qui se déroule aujourd’hui en Ukraine, une guerre à laquelle l’Occident n’est pas préparé. »

Nous avons alors entamé une longue conversation de groupe sur la guerre des drones et sur la manière dont les Forces Spéciales Akhmat avaient évolué dans ce domaine. « Nous disposons de la meilleure unité de drones de l’armée russe, a déclaré Apti, ce qui veut dire la meilleure au monde. Nos drones sont parfaitement intégrés à tous les aspects de nos opérations. » Il a encore expliqué, en termes généraux, comment se pratiqe la guerre des drones moderne. Le « contrôle objectif » du champ de bataille ést maintenu en permanence, grâce à des drones de reconnaissance et de surveillance hautement spécialisés. Ces drones sont soutenus par des drones de reconnaissance de niveau intermédiaire, capables de répondre à tous les signaux fournis par les drones de surveillance, afin d’offrir une résolution et une fidélité accrues pour toute activité observée. À cela s’ajoute le soutien au tir, assuré par une multitude de modèles de drones différents, capables d’atteindre différents ensembles de cibles, à différentes distances et dans des circonstances variables. Il suffit de dire que des centaines de drones ont été jour après jour à la disposition des Forces Spéciales Akhmat, pendant que des lignes d’approvisionnement efficaces garantissaient que les Forces Spéciales Akhmat ne manqueraient jamais de ressources en matière de drones.

 

 

Apti Alaudinov présentant son nouveau livre à Steven Seagal

 

 

Apti  estt très fier des hommes qui ont supervisé ses opérations de drones. Il dit le plus grand bien non seulement de leurs compétences tactiques, mais aussi de leurs capacités d’innovation et de leur intelligence en matière de technologies associées à l’exploitation des drones. Il a particulièrement insisté sur la valeur de ses opérateurs de guerre électronique, qu’il considère comme les meilleurs dans leur domaine. Selon Apti, une des raisons à cet état de choses est le cycle d’apprentissage rapide de l’armée russe, et en particulier des Forces Spéciales Akhmat. L’innovation est motivée par les besoins et les expériences des combattants de première ligne : l’armée russe et le ministère de la Défense les ont organisés et conditionnés pour qu’ils soient capables d’innover, si nécessaire, sur le champ de bataille mpeme, sans avoir à passer par la hiérarchie de l’arrière, en les faisant soutenir par la technologie appropriée et d’autres ressources.

Les Américains présents ont fait une comparaison entre l’attitude russe et celle des USA, dont le système d’approvisionnement militaire est davantage axé sur les profits des entreprises que sur les exigences de la guerre.

Nous avons aussi passé un certain temps à parler d’Evgueni Prigojine et de Wagner. Apti a été un ami et un collègue de Prigojine et il a combattu aux côtés des hommes de Wagner pendant les intenses combats de 2022 pour libérer la République populaire de Lougansk. « Le plus important pour tout soldat russe, explique Apti, est de comprendre que les intérêts de la Russie passent avant tout le reste. Un soldat russe, un patriote russe, doit toujours être prêt à mourir pour défendre la Russie. Prigojine, malheureusement, a oublié cet impératif. Il s’est mis au premier plan et a fait ainsi une terrible erreur. »

À ce stade, Anton a disparu un instant, pour revenir avec des bouteilles de champagne vert sans étiquette, le champagne qu’elles contenaient provenant d’Artyomovsk Wunery à Bakhmout. Établi dans les années 1950 comme alternative au champagne français, dont l’usage était limité à l’Union soviétique sur ordre du gouvernement français, Artwinery commercialise deux marques de champagne – Artemivske et Krim. La production de ce vin spécial a été rendue possible par les mines de gypse abandonnées de Bakhmout, qui imitaient parfaitement les caves crayeuses de la région champenoise, essentielles à la production d’un vin mousseux. Lorsque les combats ont commencé à se dérouler dans Bakhmout, les employés d’Artyomovsk ont décidé d’évacuer des centaines de milliers de bouteilles stockées dans les tunnels de gypse de Bakhmout, à quelque 236 pieds sous terre. Mais la ville et les mines de gypse sont tombées aux mains des forces de Prigojine, avec tout ce qui n’avait pas été évacué des bouteilles de champagne.

Anton, qui avait pu mettre en sécurité quelques flacons de ce millésime rare, a tenu à en faire cadeau aux personnes présentes (Apti excepté, qui ne boit pas d’alcool.)

Bien entendu, les sujets de conversation de la soirée ne se sont pas limités à de graves questions de vie ou de mort : les participants ont évoqué leurs propres expériences et partagé de nombreux souvenirs personnels. C’était justement la fête des pères en Russie, si bien nous, pères d’un peu partout, nous sommes félicités les uns les autres, et que des photos d’enfants et de petits-enfants se sont mises à circuler. Rien de tel, aussi, que de partager des anecdotes plus ou moins humoristiques pour compenser un peu la sombre réalité d’une guerre qui fait toujours rage.

Il y a même eu quelques instants de légèreté involontaire, quand Larry Johnson, ancien analyste de la CIA, certes ; mais actuellement officier instructeur en maniement d’armes légères, a donné impromptu une leçon de manipulation du pistolet à un général Alaudinov plutôt amusé. J’ai demandé que quelqu’un immortalise ce moment unique, dans une vidéo, et mes souhaits ont été exaucés.

 

 

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Octobre 2025

 

 

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