Robert Graves

 

 

 

Robert Graves à 19 ans, lorsqu’il passa de l’école aux tranchées

pour reculer le moment d’entrer à Oxford

 

 

 

Robert von Ranke Graves (Wimbledon, 1895) – (Deia, Majorque, 1985) est le fils d’Alfred Perceval Graves, écrivain irlandais et d’Amalia von Ranke, fille de nobles bavarois réputés comme éducateurs et petite-nièce de l’historien Leopold von Ranke.

En 1914, sur le point de passer de « l’enfer de Charterhouse » à ce qu’il redoute être « l’enfer d’Oxford », il s’engage. Il n’a que dix-neuf ans, mais, dans la société anglaise, quand on appartient aux « élites », on ne s’engage pas comme simple soldat, on achète ou on se fait confier un brevet d’officier. C’est ainsi qu’il entre avec le grade de capitaine au régiment gallois des Royal Welsh Fusiliers, qu’il commence son entraînement à leur dépôt de Wrexham et qu’en mai 1915, il part pour la France, où il commandera des hommes qui, parfois, seront des soldats professionnels aguerris, assez vieux pour être son père, dont la vie dépendra de ses décisions et de leur obéissance. À leur tête, il participera à la bataille de Loos, puis à celle de la Somme, où il sera grièvement blessé et même laissé pour mort, au point que le ministère de la Guerre annoncera, par lettre, son décès au feu à sa mère et que le Times lui consacrera une notice nécrologique très anticipée.

Pour un blessé en permission au pays, le traumatisme et le dépaysement sont trop forts : on ne parle plus la même langue. En janvier 1917, après une période de convalescence, il retourne en France, mais ses poumons ont été si atteints par les gaz qu’il ne peut résister aux terribles conditions du front : en février, il est victime d’une grave attaque de bronchite et doit être rapatrié. Cette fois, on le déclare inapte à retourner en première ligne et il passe le reste de la guerre à servir dans les troupes de l’arrière et… à se marier, avec sa première femme, Nancy Nicholson (dont il divorcera en 1929). Il est démobilisé en janvier 1919.

Cette même année, il reprend ses études à Oxford, où il se spécialise en langue et littérature anglaises.

En 1929 enfin, il décide de s’expatrier pour toujours et divorce d’avec une épouse beaucoup trop jeune pour comprendre (et partager) son total rejet de l’Angleterre, de ses fastes, de ses pompes et de ses œuvres, et qui réclame la garde de leurs enfants. Il va s’installer à Deia, dans l’île de Majorque, où il mourra, à 90 ans, en laissant une œuvre immense (plus de 140 volumes).

C’est au moment d’émigrer qu’ayant fait ses comptes, il a écrit Good Bye to All That, espèce d’autobiographie où, dans la première partie, il assassine posément le système d’éducation des futurs chefs dans les Public Schools (si peu publiques, justement).

Quand on est le produit d’une « morale protestante des classes dirigeantes anglaises corrigées par un sang impur (allemand) » et qu’on est doté d’« une nature rebelle et (d’)une obsession poétique qui prime tout », on rédige ce genre de récit pour se laver de la guerre et de ce que fut sa jeunesse huppée à une époque que quatre ans d’horreurs ont à jamais repoussée dans un autre âge.

Pour écrire, de la poésie surtout, il faut être propre.

Pas de larmes donc, mais de l’humour, et souvent cruel. Et toujours, partout : une calme objectivité, nullement indifférente.

Émergent de cette œuvre multiforme, La Déesse Blanche (imbécilement réintitulé Les mythes celtes par l’édition française dominante qui n’a pas compris ce qu’elle publiait), le Dictionnaire des mythes grecs, le Dictionnaire des mythes hébreux, et, au nombre des grands romans historiques, Moi, Claude, empereur, La Toison d’Or, Le comte Bélisaire, etc. etc., sans compter un King Jesus (roman !) qui fait du Nazaréen le petit-fils d’Hérode le Grand), en plus de quelque soixante recueils de vers qu’il considérait comme son œuvre principale.

Il ne faut pas s’y tromper : dans son incomparable canon mythologique, et même dans ses romans, Graves fait œuvre d’historien, en digne descendant de l’arrière-grand oncle qui, auteur d’une histoire de l’Empire ottoman jugée en son temps scandaleuse, avait rétorqué : « je suis historien avant d’être chrétien ; ce qui m’intéresse, ce sont les faits, la manière dont les choses se sont réellement passées ». Robert Graves aurait pu en dire autant de son histoire de l’imaginaire humain générateur de mythes.

 

 

 

 

 

Adieu à tout cela

 

 

Illustration de couverture : La France croisée, Romaine Brooks, 1914

(Les Françaises portaient des voiles en ce temps-là. Aujourd’hui, elles se feraient lyncher.)

 

 

Robert Graves

Adieu à tout cela

Traduit et postfacé par Robert Pépin

Éditions Autrement – 1998

476 pages

 

 

Extraits

 

Premiers masques à gaz

 

On nous distribua masques réglementaires et paquets de pansements individuels. Ledit masque réglementaire, le premier dont on se soit servi en France, consistait en un tampon de gaze contenant de la bourre de coton imprégnée de produits chimiques et dont on devait se couvrir le nez et la bouche. Jamais il n’aurait pu arrê­ter les gaz que les Allemands utilisèrent contre la division canadienne au cours de la bataille d’Ypres : tout le monde s’accordait à le reconnaître et nous n’eûmes heureusement jamais à vérifier son étanchéité. Une ou deux semaines plus tard, nous reçûmes les « véritables  masques à gaz». Il s’agissait en fait d’une manière  de sac en feutre gris, couvert  de graisse et muni d’une ouverture  en mica  permettant  d’y  voir  clair : rien  pour  la bouche,  ce  qui, à mon avis, devait le priver de toute efficacité. Le mica ne cessait de se fendiller : il n’était pas non plus difficile de voir les trous par où l’on avait fait passer le fil qui le maintenait fixé au casque proprement dit.

 

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Robert Graves

War Poems

Sous la supervision de Charles Mundye

Seren – 2016

260 pages

(en langue anglaise)

Le livre :

Poèmes de guerre (en anglais), de Robert Graves est un événement éditorial important, le premier livre à rassembler tous les poèmes de Robert Graves sur la Grande Guerre, y compris, pour la première fois, l’intégralité de The Patchwork Flag, recueil que Graves avait prévu de publier en 1918 mais qui ne l’a jamais été. Le livre comprend des poèmes écrits alors que Graves était en service actif sur le front occidental, et de nombreux autres, des années qui ont suivi, révélant l’évolution de ses perspectives sur la Première Guerre mondiale et d’autres conflits contemporains et historiques. La voix de Graves est authentique : ses expériences de guerre, notamment la bataille de Loos et la bataille de la Somme, ont orienté son œuvre vers un réalisme inédit dans la poésie de l’époque.

Poèmes de guerre comprend les deux premiers grands volumes publiés par Graves : Over the Brazier (1916) et Fairies and Fusiliers (1917), auquel sont incorporés des poèmes du pamphlet Goliath and David (1916), originellement imprimé à titre privé. Pendant le reste de la guerre, Graves avait terminé un troisième grand recueil de poèmes qui devait s’intituler The Patchwork Flag, mais qui n’a jamais, comme nous l’avons dit, été publié dans son intégralité. Pendant de nombreuses années, le tapuscrit est resté enfoui dans la collection Berg de la bibliothèque publique de New York, pour réapparaître aujourd’hui, de façon surprenante, presque un siècle après sa composition, ajout inattendu mais précieux au canon de la poésie de la Première Guerre mondiale.

L’auteur :

Robert Graves (1895-1985) est un poète, romancier, critique et classiciste. Il a publié plus de 140 ouvrages, dont Goodbye to All That, ses mémoires classiques de la Première Guerre mondiale, The White Goddess, spéculation sur l’inspiration poétique et plongée dans la mythologie, et de nombreux romans, souvent histyoriques, dont Moi, Claude, empereur Il a servi comme capitaine, dans les Royal Welsh Fusiliers pendant la Première Guerre mondiale et a été l’un des tout premiers à écrire des poèmes réalistes sur l’expérience du front. On lui doit aussi un Dictionnaires des mythes grecs en deux volumes et un Dictionnaire des mythes hébreux, écrit en collaboration avec Raphaël Patai.

 

 

« Limbo » (Vieux Bergum, 1915)

 

After a week spent under raining skies,

    In horror, mud and sleeplessness, a week

Of bursting shells, of blood and hideous cries

    And the ever-watchful sniper: where the reek

Of death offends the living…but poor dead

    Can’t sleep, must lie awake with the horrid sound

That roars and whirs and rattles overhead

    All day, all night, and jars and tears the ground;

When rats run, big as kittens: to and fro

    They dart, and scuffle with their horrid fare,

And then one night relief comes, and we go

    Miles back into the sunny cornland wher

Babies like tickling, and where tall white horses

    Draw the plough leisurely in quiet courses.

 

 

Très faible tentative de traduction :

 

 

« Limbes » (Vieux Bergum, 1915)

 

Après une semaine passée sous des cieux pluvieux,

    Dans l’horreur, la boue et l’insomnie, une semaine

D’obus qui éclatent, de sang et de cris hideux.

    Et le tireur d’élite toujours à l’affût : où l’odeur

de la mort offense les vivants… mais les pauvres morts

    Ne peuvent pas dormir, doivent rester éveillés, avec l’horrible son

qui rugit, gronde et crépite au-dessus de leurs têtes,

    Tout le jour, toute la nuit, et qui fait trembler et qui déchire le sol ;

Quand les rats courent, gros comme des petits chats, ça et là,

    S’élancent et se battent pour leur affreuse proie.

Et puis une nuit, le soulagement arrive, et nous allons

    des kilomètres en arrière dans les blés ensoleillés où

les bébés aiment les chatouilles, et où les grands chevaux blancs

    Tirent tranquillement la charrue, en paisibles allées et venues.

 

 

 

 

 

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11 novembre 2021

 

 

 

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