Assassinat d’un éditeur à la Libération : Robert Denoël (1902-1945)

 

Philippe Poisson – Criminocorpus – 28.10.2018

 

 

 

 

Parution du livre le 28 février 2005 –  2 décembre 1945 : assassinat de Robert Denoël. Les 12.000 francs contenus dans son portefeuille ne sont pas dérobés. Ce meurtre ne sera jamais élucidé. C’est pendant l’entre-deux-guerre que Denoël fonde sa maison d’édition à Paris, publiant de grands romanciers tels Aragon, Triolet, Sarraute…

En 1932, il rencontre son premier succès avec la publication de Voyage au bout de la nuit de Céline, ouvrage recalé de peu du Prix Goncourt qui obtient le Prix Renaudot. Qualifié de  « zèbre  » par Céline, Denoël est doté d’une personnalité duelle. Homme d’honneur (il a caché des gens traqués par la Gestapo et fait passer des israélites en zone libre), intègre et opportuniste, avide assumé, il est accusé de tromperie et de vol ; condamné par les nazis pour avoir publiés des livres patriotiques; par Vichy pour des livres anti-vichystes mais aussi poursuivi par la France libre pour s’être acoquiné avec les nazis. Et si Denoël s’est effectivement compromis dans le climat de récession des années 30, il n’est pas le seul : Grasset, Gallimard, Arman Colin et tant d’autres… seront également accusés d’« édition-collabo ». Cette histoire romanesque ne serait complète sans l’affrontement, au cours d’un procès à rebondissement, entre l’épouse délaissée et la maîtresse femme fatale, étonnement détentrice de parts de la Société qu’elle revendra à Gallimard, le concurrent… et des archives curieusement possédées par la bibliothèque de l’université du Michigan. La chercheuse américaine, A. Louise Staman a mené une enquête passionnante qu’elle raconte comme un thriller. Elle dépeint le monde des arts et de l’édition durant deux décennies tourmentées, tout en brossant le portrait de gens hors du commun.

 

L’auteur :

Anne Louise Staman est diplômée de Français et d’Histoire. Elle vit aujourd’hui en Géorgie, USA.

Annoncé par  les « Éditions Robert Denoël » en novembre 2002 :

« Parution de la biographie romancée de Robert Denoël par Louise Staman aux Editions St. Martin’s Press.

 

 

      

 

 

L’ouvrage, tiré à 5 000 exemplaires, recueille quelques articles favorables dans la presse, mais il n’intéresse pas le grand public américain. Dès le mois de février 2004, l’éditeur liquide le stock des invendus à des soldeurs. «

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Les traducteurs et l’éditeur français

Février 2005 : Parution aux Editions e-dite [donc même pas aux prétendues « Éditions Robert Denoël » ! NdGO] de la traduction française de la biographie romancée de Robert Denoël par Louise Staman. Due à Julien et Benjamin Guérif qui l’ont signée du pseudonyme Jean-François Delorme, elle s’écarte sensiblement de la version originale [voir 2002], notamment pour ce qui concerne le rôle occulte assigné par l’auteur à Gaston Gallimard.

En visite à Paris en décembre 2013 Louise Staman s’est (modérément) inquiétée du sort de son éditeur français : il avait mis la clé sous la porte…

Source : https://criminocorpus.hypotheses.org/70998

 

 

 

 

« …elle [la version française] s’écarte sensiblement de la version originale, notamment pour ce qui concerne le rôle occulte assigné par l’auteur à Gaston Gallimard. »

 

 

De quelle manière et de quel droit ?

Censure… vous avez dit censure …. ? Il ne suffisait pas d’avoir publié ce livre de façon inqualifiable  (c’est une véritable catastrophe éditoriale), encore fallait-il en châtrer le contenu. Comment interpréter cela sinon comme une manœuvre destinée à ne pas mettre MM Guérif frères au plus mal avec les puissants Gallimard, aux frais de M. Robert Denoël et de Mme A. Louise Staman ?

Quoi « collabos » ? Tout de suite les grands mots.

En lisant les tribulations posthumes de Robert Denoël et celles de son auteur, on ne peut s’empêcher de repenser à celles de M. Michel de l’Ormeraie. Ceux qui sont assez vieux pour se souvenir du Pop Club et de José Artur, se rappelleront sûrement les doléances de l’éditeur français, que des gredins banquiers (pléonasme ?) avaient dépouillé de tout, y compris du droit de publier sous son propre nom, et qui publiaient à sa place, n’importe quoi, sans qu’il y pût rien.

Dans sa brève et fulgurante carrière, Robert Denoël avait publié Elsa Triolet, Louis Aragon, Louis-Ferdinand Céline, Antonin Artaud, Jean Genet, Roger Vitrac, Sigmund Freud, Nathalie Sarraute, Paul Vialar, René Allendy, Otto Rank, Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Adolf Hitler, Franklin D. Roosevelt et quantité d’autres… Il avait aussi découvert Eugène Dabit (Hôtel du Nord) qui l’abandonnerait aussitôt pour un Gaston Gallimard habile à voler les découvertes des autres et qui, pour ses péchés, n’écrirait jamais un second livre.

À mesure que l’on avance dans la lecture de ce pseudo-roman biographique et véritable enquête criminelle, la grande ombre d’Étienne Dolet ne cesse de planer sur son petit frère du XXe siècle. Un parallélisme aussi total de leurs deux destinées est proprement hallucinant. À cinq siècles de distance, deux des meilleurs éditeurs du monde ont suivi la même fulgurante trajectoire ascendante pour se voir presque aussitôt abattus et détruits, corps et biens, par une conjuration des mêmes intérêts sordides, leurs cendres dispersées et leur mémoire à la fois abolie et souillée.

En attendant qu’un véritable éditeur publie une version non cuisinée du livre de Mme Staman – et si possible sans coquilles, sans fautes de français, sans mots qui manquent, sans mots en trop et sans mots inventés (« ses biens sous scellée » à répétition) – il faut le lire tel quel ou en anglais. Même mutilé, il est efficace et remarquable de rigueur intellectuelle. Mme Staman a travaillé comme David Irving et comme le revendiquait von Ranke, en essayant de comprendre ce qui s’était réellement passé.

Qu’il est rafraîchissant – soit dit en passant – de voir quelqu’un écrire sur Céline sans préjugés « pour » ou « contre », sans lui attribuer ses propres inclinations ni lui faire le procès auquel le dernier des gougnafiers se croit autorisé, sous prétexte que le malheureux a été élu paillasson à fantasmes et bouc émissaire désigné pour camoufler… tout le reste. Ah, quel reste !

Ils disent « romancée » pour minimiser. Ne vous laissez pas abuser, ce n’est pas vrai : il s’agit d’une rigoureuse enquête au criminel et d’un vrai livre d’histoire, fruit de longues et patientes recherches sur les faits et sur les archives.

 

À lire, même tel quel :

 

Anne-Louise STAMAN

Assassinat d’un éditeur à la Libération – Robert Denoël (1902-1945)

e-dite – 28 février 2005

340 pages

 

On ne peut comparer le livre de Mme Staman qu’à celui qui a coûté, au Britannique Richard Copley Christie, trente ans d’efforts semblables :

 

 

Richard Copley Christie

Étienne Dolet, le martyr de la Renaissance

Traduction de Casimir Stryienski

Republication de l’édition originale de 1886 (en français) : Kessinger Publishing (10 septembre 2010)

584 pages

 

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Mai 2020

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