Échange d’impressions avec « Commune de Paris », suite à leur mail de commentaire à « Si les Gilets Jaunes… »

 

a/s de Théroigne – L.G.O. – 10.6.2020

 

 

 

Depuis, au mail cité dans notre précédent post, ils ont ajouté ce qui suit :

 

 

Aussi pour bien comprendre notre propos il convient de lire nos deux essais :

« Manifeste pour la société des sociétés »

(https://resistance71.files.wordpress.com/2018/05/manifeste-pour-la-societe-des-societes.pdf )

 

et sa suite logique :

 

« Résolution de l’aporie d’anthropologie politique de Pierre Clastres »

(https://resistance71.files.wordpress.com/2019/09/pierre_clastres_anthropologie_politique_et_resolution_aporie.pdf)

Le pourquoi Pepe, qui a toute notre sympathie, ne peut rester que dans une formule restreinte, y est contenue.

De plus Pepe bosse pour l’Asia Times, les Chinois sont ses payeurs en quelque sorte, il ne saurait être totalement objectif et ses écrits encensant la « route de la soie » et le « modèle économique » qui en découle en fait aussi un critique naïf (ou pas ?..) du monde moderne.

Il est difficile pour nous de nous engager dans toute discussion de fond avec des personnes qui n’ont pas lu ou ne veulent pas lire nos deux essais, car ils sont l’essence même de notre réflexion sur le monde et la société humaine. Il n’y a rien qu’on puisse dire qui n’est pas contenu dans ces deux textes… Merci de garder cela en considération et de poster les liens pour tout lecteur voulant discuter.

 

 

On ne connaît pas encore leurs deux essais, mais comme c’est sur des principes aussi qu’on répond, notre argument fera peut-être quand même avancer le schmilblic, ne fût-ce qu’en nous situant plus précisément.

 

 

 

 

 

 

Chers camarades,

(remplacez par autre chose si vous n’aimez pas),

 

D’accord, oui, si on veut, mais pas tout à fait et même loin de là.

Parce que, quand je vois implicitement critiquer les grands hommes et quelques-uns peut-être moins grands mais qui ont fait ce qu’ils pouvaient et qui continuent, là où il y en a, j’ai de plus en plus tendance à me dire : mais qu’est-ce qui les empêche de faire mieux à leur mode ? Que Poutine et que Xi Jinping aujourd’hui. Que Mao, que Staline et que Lénine avant-hier. Que les Castro et Guevara hier ? Que Marat, Robespierre et Saint-Just avant eux ? (Je vous passe tous les autres, et il y en a, de Lumumba à Maduro-Moralès, de Bouhired à Davis et Devlin.)

La critique est aisée et l’art est difficile (sagesse des nations). Je crains fort qu’on soit toujours le réformiste de quelqu’un.

Qu’est-ce qu’il attend « Nous le Peuple » (dans le temps, on disait « le Souverain ») pour montrer ce qu’il sait faire et surtout ce qu’il veut ? Le problème, c’est justement qu’il ne semble pas vraiment vouloir quelque chose mais seulement ne pas vouloir quelque chose. Qu’on ne veut pas non plus, mais ne digressons pas.

Quand je dis Nous le Peuple ou Le Souverain, je parle ici de sa partie émergée en France : les Gilets Jaunes, puisque c’est d’eux qu’il était question.

 

 

 

Les Gilets Jaunes sont un ramassis de braves gens courageux, héroïques même parfois, qui, depuis une vingtaine de mois – avec une petite interruption pour cause de Coronamachin – se font étriper semaine après semaine aussi aveuglément que les poilus dans les tranchées de 14-18 et avec le même résultat. Qui avaient prévu d’attaquer le gouvernement dès que celui-ci leur permettrait de se déconfiner (théoriquement le 11 mai) et qui ne l’ont pas fait parce qu’il ne le leur a pas permis. Attendre qu’un gouvernement vous donne la permission de sortir de chez vous pour aller l’attaquer, c’est quand même une grande première.

 

 

 

 

Or, les Gilets Jaunes sont l’avant-garde ! De ceux qui ne doivent surtout pas avoir de chefs. Derrière eux, c’est n’importe quoi. Et eux, tout ce qu’ils ont trouvé à faire jusqu’ici, c’est offrir leurs corps à l’estropiage systématique (technique israélienne éprouvée s’il faut en croire M. Giraldi) comme autant de moutons de Panurge sautant à la baille sans s’arrêter jamais une seule minute pour se demander s’il ne serait pas, après tout, souhaitable de se poser un instant pour réfléchir à comment il serait possible de changer leur fusil d’épaule et peut-être, du même coup, la donne.

Comme disait Coluche, qui était si lumineux qu’il a fallu le tuer pour le faire taire : « Comment veux-tu qu’un con sache qu’il est con, puisque c’est avec son esprit qu’il juge ? » Mais ceci vaut aussi pour ceux qui ne sont pas cons, qui ont juste leurs limites, qui sont seulement ignorants (pas curieux souvent), manipulés et lobotomisés à n’en plus finir, châtrés de toutes les manières, affublés d’oeillères à chevaux sur les côtés et par devant, et avec, la plupart du temps, peu de goût naturel pour l’action et l’autodiscipline. On en est plus ou moins tous là, Nous-le-Peuple, Nous-le-Souverain.

Et vous croyez sincèrement qu’on va arriver à se torcher tous seuls comme des grand non pas une révolution (ô folie des grandeurs !) mais même du réformisme, voire de minuscules réformettes ? Peuh, on n’a pas besoin de chefs, et même on n’en veut pas, na ! Au nom de l’Égalité. Par le bas. Sauf si on oublie que, face à l’égalité par nature et par la loi, il faut admettre l’inégalité par les talents et le caractère parce que ce sont des réalités.

Depuis la nuit des temps, il y a eu des hommes – pardon ! des humains mâles et femelles – nés avec quelques talents de plus que les autres, (injustice de la nature, certes, Socrate prétendait qu’il n’y en avait pas, mais on n’a jamais demandé à Xanthippe) – qui, quelquefois, à cause de ces talents, ou justement à cause d’eux, se sont cru responsables de quelque chose envers le reste du troupeau, et sont passés aux actes.

Certains se sont plantés, peut-être sans doute même tous. Plus ou moins. Personne n’est infaillible. Nous ne savons pas quelles cartes ils ont eu en mains ni comment ils les ont jouées. Nous ne connaissons, du jeu plurimillénaire – un pas en avant, deux pas en arrière – que les résultats visibles. Les symptômes. Au risque de pédantiser, je me permets de rappeler la recommandation expresse du camarade Oscar Wilde (je n’ai pas le verbatim) : pour avoir raison d’un mal, il faut remonter à son origine, à sa source, à ses plus lointaines racines, sinon, mieux vaut rester tranquille. « Au moins ne pas nuire ».

Dans la Longue Marche des humains vers un semblant de maturité, seule sauvegarde possible de ce qui reste du vivant, je prends personnellement Robespierre pour boussole, parce qu’il est le premier et jusqu’à présent le seul à ce point-là, qui ait correctement formulé l’équation et se soit appliqué à la démontrer par l’exemple : « Le peuple est le seul souverain ». Sans ignorer que le souverain est infantile et que cet infantilisme est la racine de tous ses maux, de tous les crimes et de toutes les injustices. Il n’a pas ignoré non plus que le souverain infantile est constitué d’individus, qui doivent apprendre à agir en masse et dans le même sens (version infinie des deux chevaux de Platon), que pour y arriver, il lui faut devenir adulte (à la fois en masse et un par un), et que la maturité ne peut ni s’enseigner ni s’imposer. Que, par conséquent, la route sera longue et ardue, semée d’une myriade d’embûches. Qu’il n’y a rien d’autre à faire sans doute que ce qu’a recommandé Günther Grass: « mettre un pied devant l’autre et faire de son mieux ».

C’est ainsi que tous ceux qui sont venus après Maximilien ont fait de leur mieux, avec ce qu’ils avaient de talents et de sens des responsabilités. Ceux qui ont le mieux et le plus spectaculairement réussi – les Lénine, Staline, Mao, Castro, Guevara, Chavez et autres – ont franchi modestement un tronçon de cette interminable route, ont tenté de la baliser, de l’aménager, de la fortifier en la parcourant, pour que ceux qui viendraient derrière puissent avancer un peu plus vite, un peu plus loin. Si chaque membre du Souverain, de Nous-le-Peuple, en faisait autant, même avec des talents bien moindres, nous serions promptement sortis de l’auberge. Ce n’est pas tellement l’absence des talents qui pose problème aujourd’hui, c’est l’absence absolue de détermination.

Que faire ?

Si vous le savez, vous avez de la chance.

Mais on était partis sur Pepe Escobar, qui n’est ni un maître à penser, ni un gourou, ni un général, ni un révolutionnaire en chef : c’est un journaliste. Il ne veut donc rien « réformer » ni « révolutionner » du tout. Il paraît s’intéresser passionnément à ce qui se passe dans le monde. Il essaie, je pense, de comprendre quelles sont les données des problèmes qui se posent et de partager ce qu’il croit avoir compris avec ceux qui le lisent et qui essaient, eux aussi, de comprendre.

Il est salarié pour son travail par l’Asia Times, qui n’est pas un organe du PC chinois. Même s’il est situé en Asie, il appartient à la nébuleuse occidentale du Times (propriétaires privés), qu’il faut féliciter de se distancier des autres titres du groupe en laissant leur journaliste de haute volée libre de s’exprimer comme il l’entend.

Si Pepe se sent des affinités avec les politiques de telle ou telle tendance, il en a le droit, ses opinions ne sont pas des injonctions et ses lecteurs ne sont pas forcés de lui emboiter le pas. À journalistes libres, lecteurs dotés d’esprit critique. Ce devrait toujours être le cas.

Les interventions oratoires de Robespierre donnent une assez bonne idée de ce que fait, par la plume, Escobar. Deux exemples :

1/ Avant la pétition du Champ de Mars, pas de « n’y allez pas ! » ni de « faites plutôt ça », mais analyse lucide, sans fard, de la situation « il y a du danger parce que… ». Résultat : ils y sont tous allés quand même, endimanchés, avec leurs enfants, et ils se sont fait massacrer. Après, pourtant, pas le moindre « je vous l’avais bien dit ». Le souverain avait décidé, il ne restait qu’à en prendre acte et à continuer de faire son devoir.

2/ En 93, situation archi-dégradée encore plus explosive. Une fois de plus, mise à plat du problème, des rapports de force, des dangers. Clair (on a les textes), impossible de s’y tromper. On l’a écouté mais pas entendu. Résultat : massacres de septembre (événement infiniment plus complexe que tout ce qu’en rabâchent les crétins qui adorent juger ce qu’ils ne comprennent pas. Une fois de plus, aucun reproche ni même un commentaire, aucun retournement de veste non plus à la PC d’après les chars à Prague. Le souverain a tranché, fût-ce contre lui-même. On continue, le but n’étant pas de le diriger mais de l’aider à mûrir. En passant par la seule voie possible.

C’est quelque chose d’un peu semblable que fait Pepe Escobar. Il n’est pas votre maître d’école et n’est pas non plus « vendu » aux Chinois. Quand il va voir Lula dans sa prison, il suit son flair et sans doute sa conscience. Il dit ce qu’il voit, ce qu’il croit avoir compris, et à vous de juger, d’user de votre libre arbitre.

Quelqu’un qui n’y croyait pas, au libre arbitre, en a fait part un jour à Saint-Just, qui s’est contenté de répondre laconiquement : « Il faut faire comme si ».

Ma conviction profonde pour ce qu’elle vaut : tant que tout le troupeau humain n’aura pas accédé, un par un et en masse, à un niveau supérieur de conscience et de responsabilité, toutes les améliorations, si révolutionnaires soient-elles, seront transitoires et vouées à finir dans l’une ou l’autre Ferme des animaux.

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/echange-dimpressions-avec-commune-de-paris/

 

 

 

Juin 2020

 

 

One Responses

  • jean chérasse

    Ce point de vue est tout à fait intéressant et j’en partage l’analyse sociologique ; mais il néglige le contexte historique qui lui donne son sens…
    La référence à la Commune de Paris n’est valable que si l’on restitue d’abord la juste mémoire de ce phosphène comme je l’ai tentée avec mon essai « Les 72 Immortelles ».
    Car l’essentiel communeux se trouve dans les débats des « Clubs rouges » qui avaient lieu dans la plupart des églises de Paris…et non pas dans le parlementarisme de l’Hôtel de Ville.
    Une prise de conscience collective d’un profond désir d’émancipation : de Saint-Just à Gustave Flourens (en passant par Babeuf), c’est à dire le retour aux sources de la révolution prolétarienne qui constitue la voie indispensable et impérieuse pour éradiquer le fléau du capitalisme !

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