Elle est morte. Bon débarras !
Madeleine Albright est morte à 84 ans. Pionnière de l’impérialisme, elle prônait avec passion un recours accru à la violence meurtrière, dans la poursuite d’un ordre mondial d’après-guerre froide dominé par les États-Unis – et a tué beaucoup, beaucoup de gens en cours de route
Liza Featherstone – Jacobin – 28.3.2022
Traduction : c.l. pour L.G.O.
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De 1993 à 1997, Madeleine Albright a été ambassadrice des Nations Unies. À ce titre, elle a présidé aux sanctions brutales imposées à l’Irak après la guerre du Golfe.
Madeleine Albright, qui est décédée mercredi à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, a été la première femme secrétaire d’État des États-Unis. Mais les innombrables gros titres qui vantent ce fait risquent de mesurer ses « accomplissements » en fonction de son sexe. Ce n’est pas juste : elle a été bien autre chose qu’une pionnière féminine en politique
Albright était une goule impériale, aussi impitoyable dans sa poursuite de la domination mondiale américaine que n’importe quel homme. Elle a joué un rôle central dans l’élaboration d’une politique d’après-guerre froide qui a provoqué des ravages sur plusieurs continents. Sa biographie est dramatique : sa famille a fui les persécutions nazies lorsqu’elle était enfant, et vingt-six de ses proches, dont trois grands-parents, ont péri pendant l’Holocauste. C’est une histoire traumatisante, mais rassurez-vous : elle a présidé, à son tour, à de nombreux traumatismes et à la mort de beaucoup d’autres personnes.
De 1993 à 1997, Mme Albright a été ambassadrice des Nations unies. À ce titre, elle a présidé aux brutales sanctions imposées à l’Irak après la guerre du Golfe, dans le but de maximiser la misère des Irakiens, afin d’encourager le renversement de Saddam Hussein. Dans une interview accordée en 1996 à Lesley Stahl de l’émission « 60 Minutes », Mme Albright a eu tout à fait l’air de suggérer que la mort d’enfants d’autres personnes était simplement ce que coûtait l’empire. « Nous avons entendu dire qu’un demi-million d’enfants sont morts […] c’est plus d’enfants qu’il n’en est mort à Hiroshima », lui a dit Stahl. « Et, en somme, est-ce que cela en valait la peine ? » Albright a répondu : « Je pense que c’est un choix très difficile, mais, oui, je pense que cela en valait la peine ».
[…] Mme Albright a clairement indiqué qu’elle était tout à fait prête à infliger la mort dans ces proportions. Il est difficile d’imaginer la mort de plus d’un demi-million d’enfants, et la misère, pour tant de familles, contenue dans cette seule statistique. Pourtant, il s’agissait là d’un « prix » qu’Albright estimait légitime d’exiger, pour affermir son précieux empire, des gens de ce pays pauvre, où les « sanctions » ont privé les Irakiens de médicaments essentiels, de nourriture, d’eau potable et d’infrastructures vitales.
En tant qu’ambassadrice des Nations unies, Albright a chassé du pouvoir le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, après une campagne acharnée, épisode méprisable qui éclaire sa vision de l’ordre mondial fin de siècle. Boutros-Ghali, dont le mandat fut soutenu par tous les pays à l’exception des États-Unis, a, plus tard, attribué son éviction à la publication d’un rapport de l’ONU soutenant qu’une attaque israélienne contre un camp de réfugiés au Liban, qui a fait plus de cent morts [massacre de Sabra et Chatila, NdT] avait été délibérée et non une erreur, contrairement aux affirmations du gouvernement israélien. Les responsables américains ont nié qu’il s’agissait de cette raison, invoquant plutôt des différends concernant le Rwanda, la Croatie et la Bosnie, parce qu’il avait froissé certaines classes dirigeantes occidentales en qualifiant la Bosnie de « guerre des riches ». De plus, Boutros-Ghali, architecte des accords de Camp David, considérait la campagne d’Albright à son encontre comme une propagande raciste ou xénophobe en faveur des Républicains hostiles à l’ONU (Bob Dole, par exemple, avait pris l’habitude de se moquer du nom du secrétaire général égyptien : « Booootros Booootros » ou « Boo Boo »), lesquels étaient particulièrement excités, après la mort de quinze soldats américains lors d’un raid de maintien de la paix raté de l’ONU en Somalie. Entre autres moyens de chasser le secrétaire général du pouvoir, Albright a faussement accusé Boutros Boutros-Ghali de corruption. Écrivant dans Le Monde Diplomatique à l’époque, Eric Rouleau a suggéré la véritable raison de la vendetta d’Albright contre son collègue trop populaire :
La chute du mur de Berlin avait permis aux États-Unis de mener la guerre du Golfe presque à leur guise, ce qui en faisait un modèle pour l’avenir : l’ONU propose, à l’initiative de Washington, et les États-Unis disposent. Mais M. Boutros-Ghali ne partageait pas cette vision de la fin de la guerre froide.
De 1997 à 2001, Albright a été secrétaire d’État, sous la présidence de Bill Clinton. Dans ce rôle pionnier (pour une femme) tant célébré, elle a continué à infliger des souffrances inimaginables aux Irakiens. Le secrétaire général adjoint des Nations unies, Denis Halliday, a démissionné de son poste en 1999 pour s’élever contre les sanctions ; les États-Unis « tuent sciemment chaque mois des milliers d’Irakiens », a-t-il déclaré à l’époque, une politique qu’il qualifiait de « génocidaire ». Bien que de nombreux Américains aient été choqués lorsque l’administration de George W. Bush a envahi l’Irak, la réalité est que lorsque Bush est entré en fonction, les États-Unis bombardaient déjà l’Irak, en moyenne, environ trois fois par semaine. C’est notre fille ! Tout aussi belliciste qu’un homme.
Albright a également encouragé l’expansion de l’OTAN dans les anciens pays soviétiques d’Europe de l’Est, trajectoire téméraire dont de nombreux diplomates de haut rang ont averti, au fil des ans, qu’elle finirait immanquablement par provoquer la colère de la Russie. Cette politique a largement contribué au terrifiant conflit nucléaire potentiel auquel nous sommes maintenant confrontés, ainsi qu’au terrible massacre de civils ukrainiens (au moins 977 à coup sûr, à la date d’hier, et le haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme pense que le nombre réel est bien plus élevé).
Albright n’a jamais pris sa retraite, choix que ses fans verront sans doute comme un rejet sans appel de l’âgisme. Mais il aurait été bien plus bénéfique pour le monde qu’elle prenne un peu de temps pour se réjouir de ses réalisations considérables. Sa société de conseils a aidé Pfizer à éviter de partager ses propriétés internationales, alors qu’un tel partage eût permis de sauver des vies dans le monde entier pendant l’actuelle pandémie de COVID-19 : les brevets sur les vaccins restent une cause majeure d’apartheid vaccinal dans le monde et de mort massive. Mais il est peu probable que cela l’ait tracassée sur son lit de mort : pour Albright, la mort de personnes pauvres et brunes de peau qui ne sont pas américaines a toujours « valu le prix ».
Pendant la primaire présidentielle de 2016, elle a déclaré à propos des femmes de lettres qui (comme votre servante) ne soutenaient pas la candidature d’Hillary Clinton : « Il y a un endroit spécial en enfer pour les femmes qui ne s’entraident pas ». Elle s’est ensuite excusée de cette boutade dans un article du New York Times, donc, je n’insisterai pas sur le sujet. Mais le peuple irakien, lui, n’a jamais reçu d’excuses de sa part. Considérant ce qui précède, on peut estimer qu’il était singulièrement culotté de la part d’Albright d’envoyer d’autres femmes dans ce fameux enfer.
À coup presque sû, il y avait une réservation à son nom quand elle est arrivée dans ce grésillant endroit souterrain réputé très chaud. Peut-être est-ce là que justice sera enfin rendue à son mérite d’exterminatrice exceptionnelle entre tous les bellicistes impérialistes meurtriers, quel que soit leur sexe.
Liza Featherstone est chroniqueuse pour Jacobin, journaliste indépendante et auteur de Selling Women Short : The Landmark Battle for Workers’ Rights at Wal-Mart.
URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/elle-est-morte-bon-debarras/
Mars 2022
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