EUX

 

Jean-Paul Brighelli – Bonnet d’âne – 19.9.2019

 

 

Pour Guy Morel

 

Je crois que je n’ai plus pour eux que de la haine.

Il fut un temps où j’acceptais le débat. Où je pensais qu’ils étaient de la même espèce que moi. Avec des convictions erronées, certes, mais qu’un argumentaire sérieux, étayé d’évidences palpables — le niveau des élèves — convaincrait en deux coups de cuillère à pot.

Ma plus grande erreur a été de ne pas comprendre tout de suite que le pédagogisme était l’un des symptômes multiples de ce fameux « retour du religieux ». Ces gens ne sont pas des roseaux pensants : ce sont des missionnaires. Des Croisés.

Et j’aurais dû, dès le départ, les traiter comme tels : par l’épée.

 

 

 

                 

Ils m’ont d’ailleurs trouvé agressif, dès le départ. C’est qu’ils ont une sensibilité à fleur de peau. J’étais indigné, et cela remontait à loin. Après tout, les premiers écrits qui dénoncent l’emprise de ces Khmers rouges-là sur l’Ecole ont été publiés dans les années 1980. De l’école, de Jean-Claude Milner, remonte à 1984. L’Enseignement de l’ignorance, de Jean-Claude Michéa, c’est 1999 — vingt ans déjà ! Vingt ans de luttes au couteau — pour rien : le mouvement qu’ils ont initié, perpétué par le réseau de copains recrutés à tous les étages, et si possibles aux étages supérieurs, n’a fait que s’amplifier. Ils ont gangrené le système éducatif de la Maternelle à l’Université, où ils se sont infiltrés, quelques-uns d’abord, puis les portes se sont ouvertes et désormais ils tiennent l’essentiel du système. Ils ont ainsi stérilisé la recherche dans tous les autres domaines, parce que 80% des postes ont été consacrés à la didactique. « Apprendre à apprendre » ! Beau slogan ! Il fallait l’inventer. Il a été le mot d’ordre de tous les médiocres, qui ne réussissaient pas dans leur domaine spécifique, et qui ont trouvé là un merveilleux cheval de Troie. Il n’y a guère que les classes préparatoires qui ont échappé à cette table rase. Pas faute d’avoir essayé de les supprimer. Désormais, ils s’acharnent à vider les Grandes Ecoles de leur contenu, en s’attaquant aux concours. « Trop élitistes » ! Oh ! Comme on sent bien, dans ce genre de reproche, la haine qu’ils vouent à ce joli mot républicain, « l’élite » ! Eux, ils sont le peuple de l’abîme pédagogique. Le néant qui ronge. Les minables qui grignotent, qui mordent, qui dévorent.

 

 

 

 

Crétin que je suis de n’avoir pas saisi plus tôt que leur passage, dans les années 1960, par les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes était un signe sûr d’embrigadement mental. C’est Savonarole multiplié par mille — car leur nom est légion.

Preuve s’il en fallait, tous ces incapables portés au pouvoir par l’incapacité de tant de ministres sont tous de Gôche ! Ils n’ont à la bouche que la défense des plus démunis, que leurs pratiques accablent encore, ce qui renforce la spirale descendante — et leurs ambitions : si le niveau des plus faibles descend, c’est que l’on n’a pas appliqué à fond les consignes. C’est qu’il reste encore quelques enseignants qui prétendent — une prétention impérialiste, certainement, un reste d’instinct colonisateur — apprendre quelque chose à leurs élèves. Alors que les savoirs, d’essence bourgeoise, doivent être partout remplacés par des « compétences », si floues qu’elles méritent d’être sans cesse redéfinies. Creusons encore !

Oui, de gôche. Ils ont caricaturé la Gauche, à vous donner envie d’être de droite — sauf qu’ils ont berné aussi la droite, qui trouvait dans leur libertarisme de quoi alimenter les envies d’économies de son libéralisme. Les heures de Français en moins, les postes en moins, c’est eux — admirablement relayés par des ministres aussi incompétents que prétentieux — ou tout simplement aveugles. Et quand le système n’en put plus, ils ont imposé la création brutale de milliers de postes sur lesquels ont été nommés des gens qu’ils avaient formés à ne rien faire. Essayez un peu d’imposer de l’orthographe et de la grammaire sérieusement en classe de Sixième ! Aussitôt le chœur des militants de la pensée zéro s’élève pour fustiger vos méthodes coercitives.

Ils ont tué l’École. Ils ont tué la Gauche. Pour la plus grande gloire de Philippe Meirieu — et de quelques autres, c’est une religion à messies diversifiés.

Et ils ont appliqué des œillères à tous leurs affidés, afin qu’ils ne réagissent pas devant les catastrophes qui s’annonçaient, puis se précipitaient. Vingt ans que l’on dénonce l’emprise islamiste — les Territoires perdus de la République, c’était en 2002. Mais vingt ans de déni. Au point qu’une légère inflexion électoraliste de la marionnette élyséenne suffit pour qu’ils crient au martyre, à la discrimination, à la lepénisation des Marcheurs.

Ils ont gagné et nous avons perdu, m’a dit un jour une agrégée de Lettres réfugiée dans le journalisme, après avoir dénoncé la manière dont ils gâchaient nos enfants. Elle avait raison. La nouvelle religion a tout grignoté dans les cervelles, parce qu’elle s’accommodait fort bien du narcissisme général des ilotes et des idiots. Ainsi meurent les civilisations.

 

 

 

 

Peut-être vous rappelez-vous le conte du pauvre pêcheur et du génie ? C’est dans les Mille et une nuits. Tout ce qu’il a ramené dans son filet, c’est une petite bouteille de plomb. Il l’ouvre, un filet de fumée s’en échappe, qui devient un monstrueux génie. « Je te remercie, dit la créature, et maintenant, dis-moi comment tu veux mourir ». Le pêcheur se récrie, et le génie explique. « Pendant les mille premières années de mon incarcération, je me suis promis de faire de celui qui me délivrerait l’être le plus heureux de la terre. Mais rien n’est venu et je me suis aigri. Alors, j’ai dit que je lui accorderais trois vœux — mais rien n’est venu… Si bien que je me suis juré, finalement, de lui laisser le choix de sa mort. »

J’en suis là. Je n’ai plus que de la haine. Je me suis battu comme un chien, défaite après défaite. Je ne me bats plus que par habitude, mais je vais bientôt laisser la place, abandonner cette École en lambeaux et ces élèves livrés aux monstres.

Ils ont gagné sur tous les plans. Ils ont investi la formation, l’inspection, le ministère. Ils connaissent toutes les méthodes d’atermoiement, ils ont des réseaux infinis, tissés de minable à minable — et on ne manque jamais de bras cassés. Leur pédagogie se résume à écrire « professeure » et « auteure » — parce qu’ils pratiquent l’intersectionnalité, croyez-moi ! Ils ont imposé au ministère la création de 250 000 relais de la greluche suédoise, des gardes verts de l’écologie profonde, qui veilleront désormais aux bonnes pratiques et au conformisme général. Luc Ferry n’en est pas revenu

Et rien d’autre. Les écolos aussi sont des croyants. Nous sommes farcis de sectes, en cet état déliquescent d’une civilisation qui se meurt. Le pédagogisme était la doctrine scolaire qui manquait à notre décadence annoncée. Tout comme l’écologisme — et faute de faire du grec ou des Sciences naturelles, il n’y en a pas un seul qui sache vraiment ce que signifie le mot — est l’incantation qu’il lui fallait. Saint Meirieu à gauche, sainte Greta à droite. Entre les deux, un abîme, et des ruines.

Source : Bonnet d’âne.

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Octobre 2019

 

 

 

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