« Il y a quelque chose de pourri au Danemark » : Frank Olson et le macabre destin d’un lanceur d’alerte de la CIA au début de la guerre froide.

 

 

Jeremy Kuzmarov – Covert Action Magazine – 28.11.2021

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

Frank Olson [Source: mountolivehistory.com]

 

 

 

[Source: mountolivehistory.com]

 

 

 

« Frank Olson vole et c’est un long chemin vers le bas » – David Clewell, « La CIA au pays des merveilles ».

 

 

 

En septembre 1994, l’émission à succès Unsolved Mysteries de NBC a diffusé un épisode sur le Dr Frank Olson, biochimiste de la CIA au laboratoire de Fort Detrick consacré à la guerre bactériologique. Olson aurait sauté vers la mort du 13e étage de l’hôtel Statler de New York dans la nuit du 28 novembre 1953, après avoir été drogué à son insu avec de l’acide lysergique diéthylamide (LSD).

L’animateur Robert Stack fait remarquer que certains faits laissent toutefois soupçonner que le Dr Olson a été assassiné et que son meurtre a été dissimulé. En cette occasion, le comportement du collègue d’Olson, le Dr Robert Lashbrook, de la division des services techniques de la CIA, a été pour le moins étrange.

 

 


L’hotel Statler, à New York, d’où Olson a plongé vers sa mort. [Source: theguardian.com]

 

 

 

Robert Lashbrook en 1977, témoignant devant le Sénat américain où il a commis un parjure. [Source: illuminatirex.com]

 

 

 

Il n’a pas pu se rappeler si la fenêtre était ouverte ou fermée et n’a pas quitté la pièce après le saut présumé d’Olson ni appelé la police. Au lieu de cela, Lashbrook a passé un appel téléphonique enregistré manuellement à une source non identifiée, disant juste : « il est parti ».

 

La personne à l’autre bout du fil a répondu « ah, c’est dommage » et a raccroché. Le portier de l’hôtel, Armond Pastore, a déclaré à Unsolved Mysteries que « personne ne saute par une fenêtre en se précipitant à travers le rideau [comme Olson est censé l’avoir fait], ça n’a aucun sens ».

 

Une chute à travers la fenêtre l’aurait forcé à s’élancer en courant, ce qui était impossible vu la taille de la chambre dans laquelle se trouvait Olson.

 

 

 

Reconstitution artistique de 1977 du prétendu suicide d’Olson, qui était matériellement impossible en raison de l’exigüité de la chambre d’hôtel dans laquelle il se trouvait [le plongeon par la fenêtre l’aurait forcé à s’élancer en courant. Lashbrook a également affirmé qu’il n’a été réveillé qu’après le saut d’Olson, alors qu’il aurait dû l’entendre courir]. [Source : frankolsonproject.org].

 

 

 

Faisant référence à l’appel téléphonique suspect de Lashbrook, Pastore a déclaré à Unsolved Mysteries que « c’est Hamlet qui a dit “il y a quelque chose de pourri au Danemark”… Il ne faut pas être un génie pour comprendre qu’il y avait quelque chose de pourri à l’hôtel Pennsylvania [qui s’appelait alors Statler] à New York cette nuit-là »[1].

 

 

Lettre de 1975 d’Armond Pastore à Alice Olson l’informant que le récit officiel de la mort de son mari était faux. [Source : frankolsonproject.org]

 

 

 

Expériences secrètes du gouvernement

 

Né en 1910 dans le Wisconsin rural, Frank Olson était un scientifique employé par l’Army Biological Warfare Center de Fort Detrick, dans le Maryland.

 

Il a participé à des expérimentations gouvernementales secrètes sur les tests de médicaments, la guerre chimique et biologique et les sciences du comportement pendant les premières années de la guerre froide.

 

 

 

Entrée principale de Fort Detrick. Années 1940 [Source: historysharkproductions.com]

 

 

 

Le Dr. Frank Olson en 1952. [Source: theguardian.com]

 

 

 

En 1950, Olson devient chef de la branche « plans et opérations » de la Division des Opérations Spéciales (SOD) de la CIA, ce qui le met en relation avec Lashbrook[2].

 

À ce titre, il a été l’adjoint du Dr Sidney Gottlieb, qui dirigeait MK-ULTRA (le programme de tests sur les drogues de la CIA)[3].

 

Travaillant dans des laboratoires patrouillés par des gardes armés ayant l’ordre d’abattre tout intrus, le SOD a cultivé des cellules mortelles et des virus mortels, ainsi que des « techniques d’utilisation offensive d’armes biologiques », selon des documents judiciaires, et la « diffusion secrète d’agents de guerre biologique »[4].

 

 

 

Le Dr. Sidney Gottlieb, le « Docteur la Mort » de la CIA [Source: npr.org]

 

 

 

Dans les années qui ont précédé sa mort, Olson se serait rendu en France, en Allemagne, en Angleterre et en Norvège, où un employé anonyme de Fort Detrick a déclaré que son travail « pouvait être lié à des essais à base de médicaments psychoactifs ».

 

Le 12 juin 1953, des documents déclassifiés montrent qu’Olson est arrivé à Francfort en provenance de l’aéroport militaire de Hendon en Angleterre et a fait le court trajet en direction de l’ouest jusqu’à Oberursel.

 

 

 

Allen Dulles [Source: archives.gov]

 

 

 

Là, les expériences Artichaut avaient lieu, dans une maison sécurisée appelée Haus Waldorf.

 

« Entre le 4 juin 1953 et le 18 juin 1953, une équipe de l’IS&O [Bureau d’inspection et de sécurité de la CIA]… a appliqué les techniques Artichaut à des cas opérationnels, dans une maison sécurisée », explique un mémorandum Artichaut, rédigé pour le directeur de la CIA Allen Dulles, et un des rares mémos d’action enregistrés qui n’aient pas été détruits par Richard Helms lorsqu’il était directeur de la CIA.

 

Les deux individus interrogés dans le bâtiment sécurisé de Camp King « pouvaient être considérés comme des agents expérimentés, de type professionnel, et soupçonnés de travailler pour les services de renseignement soviétiques. Dans le premier cas, des doses légères de drogues couplées à l’hypnose ont été utilisées pour induire une transe hypnotique complète », révèle le mémo. « Cette transe a été maintenue pendant environ une heure et quarante minutes d’interrogatoire, et ont entraîné une amnésie totale »[5].

 

 

 

[Source: stewross.com]

 

 

 

Grâce à son travail avec SOD, Olson a appris le recrutement de scientifiques nazis dans le cadre de l’opération Paperclip.

 

 

 

[Source: marvelcinematicuniverse.fandom.com]

 

 

 

Olson aurait fait partie d’un groupe secret de scientifiques de Fort Detrick qui ont interrogé le Dr Walter Schreiber, l’expert nazi en matière d’anthrax qui avait testé des drogues psychochimiques sur des détenus des camps de concentration, et il aurait assisté à des expériences d’interrogatoire menées par le Dr Kurt Blome, le chirurgien général adjoint du Troisième Reich, à Camp King[6].

 

 

 

Le Dr. Walter Schreiber [Source: monstermadnessandmagic.com]

 

 

 

Le Dr. Kurt Blome [Source: wikipedia.org]

 

 

 

D’après son collègue de Fort Detrick, Norman Cornoyer, Olson a eu « une période difficile après l’Allemagne….[d]rogues, torture, lavage de cerveau »[7], a expliqué Cournoyer des décennies plus tard dans un documentaire réalisé par la télévision allemande en 2001. Cournoyer a déclaré qu’Olson avait honte de ce dont il avait été le témoin, et que les expériences à Camp King lui rappelaient ce qui avait été fait aux gens dans les camps de concentration.

 

 

Une terrible erreur

 

De retour dans les bureaux de la CIA au bâtiment numéro 439 de Fort Detrick, le docteur Olson envisage de quitter son emploi, déclarant à sa femme, Alice, qu’il a « fait une terrible erreur ». Bien qu’on ne sache pas exactement ce qu’il entendait par là, on pense que le Dr Olson pourrait avoir reconnu s’être mis en danger en admettant lors d’un interrogatoire qu’il avait enfreint les protocoles de sécurité.

 

 

 

Une famille américaine type : Frank Olson avec sa femme Alice et leurs trois enfants, au début des années 1950. [Source : frankolsonproject.org]

 

 

 

Le consultant de la CIA Stanley Lovell a dit d’Olson qu’il n’avait « aucune inhibition. Mise à nu de l’homme intérieur », signifiant par là qu’il s’était exprimé à tort[8].

 

William Sargant, un psychiatre qui conseillait les services secrets britanniques, a signalé qu’Olson présentait un risque pour la sécurité, après qu’il lui eut fait part de ses doutes sur son travail dans le cadre d’Artichaut.

 

En conséquence de quoi la CIA a versé un mémo à son dossier, affirmant qu’il pouvait avoir violé des restrictions de sécurité, ce qui, selon ses fils, a conduit à son assassinat[9].

 

 

 

Stanley Lovell [Source: prabook.com]

 

 

William Sargant [Source: alchetron.com]

 

 

 

« La clé de la mort de ton père » : la Corée et la guerre bactériologique

 

Alice Olson a dit à ses enfants, avant sa mort en 1994, que « la Corée dérangeait vraiment votre père »[10]. Elle ont fait partie d’une tentative de créer une ceinture de contamination destinée à stopper les mouvements des soldats et des fournitures à travers le 38e parallèle séparant le Nord du Sud[11].

 

 

 

Femmes nord-coréennes ramassant des insectes largués par des avions des États-Unis au-dessus de la Corée du Nord, dans le cadre de leur guerre bactériologique [Source : whowhatwhy.org]

 

 

 

Olson et ses collègues de Fort Detrick avaient développé une capacité de production et de livraison d’armes bactériologiques grâce à une expertise secrètement acquise auprès de scientifiques japonais tels que le général Shiro Ishii qui, selon Reuters, a visité la Corée du Sud pendant la guerre de Corée[12].

 

Selon un livre paru en 2001 en japonais, les membres de son Unité 731 – qui a mené d’effroyables expériences en Chine pendant la Deuxième Guerre mondiale – ont travaillé pour la section chimique d’une unité clandestine dissimulée dans la base navale de Yokosuke, pendant la guerre de Corée[13].

 

 

 

Le général Shiro Ishii [Source: wikipedia.org]

 

 

 

La trop fameuse Unité 731. [Source: wearethemighty.com]

 

 

 

Selon le professeur Masataka Mori, qui a étudié l’Unité 731, il existe des similitudes frappantes entre les maladies et les armes utilisées par l’armée japonaise en Chine et celles qui auraient été déployées par les États-Unis contre leurs cibles en Corée du Nord. « Les bombes trouvées dans la péninsule coréenne étaient en métal, alors que celles utilisées en Chine étaient en céramique », a déclaré Mori, « mais les symptômes signalés en Corée du Nord étaient les mêmes que ceux observés en Chine »[14].

 

L’auteur britannique Gordon Thomas rapporte que Sidney Gottlieb avait chargé l’agent de la CIA Hans Tofte de se procurer une sélection d’insectes et de petits animaux des champs de Corée, tels que rats de la jungle et campagnols. Ceux-ci ont été ramenés à Fort Detrick où Olson et les autres « cinglés des laboratoires » les ont testés sur des cobayes, des lapins, des singes rhésus et des porcs, pour mesurer leur aptitude à servir d’armes biologiques[15].

 

 

 

 

Hans V. Tofte [Source: arsof-history.org]

 

 

 

Olson se serait ensuite rendu avec le Dr Gottlieb à Tokyo pour visiter le laboratoire médical de l’Unité 406 du Commandement d’Extrême Orient, dans le bâtiment Mitsubishi Higashi où des chercheurs assistés de scientifiques japonais travaillaient sur la peste, l’anthrax, la fièvre ondulante et le choléra pour découvrir leur potentiel d’utilisation comme armes.

 

Selon Thomas, Olson a contribué à la mise en place d’une unité de très haute sécurité, connue sous le nom de 8003, qui était spécialisée dans le développement d’agents pathogènes aéroportés[16].

 

Norman Cornoyer a dit à Eric Olson, le fils de Frank, en mai 2001, que « si la guerre biologique a été utilisée en Corée, ton père l’a forcément su. Étant dans les opérations spéciales à Detrick… oh oui, il l’a su ». Cournoyer a ajouté que la Corée était « la clé de la mort de ton père. C’est là que les deux programmes secrets de la CIA – les expériences sur le contrôle des cerveaux et l’utilisation d’armes biologiques – ont fusionné »[17]

 

Norman Cornoyer told Eric Olson—Frank’s son—in May 2001 that, “if biological warfare was used in Korea your father definitely would have known it. Being in special operations at Detrick…oh yes, he would have known it.” Cournoyer stated further that Korea was “the key to your father’s death. It was where the two secret CIA programs—mind control experiments and the use of biological weapons—came together.”[17]

 

 

 

« L’Amérique utilize la guerre bactériolmogique contre les peuples coréen et chinois » [Source: samim.io]

 

 

 

Le feu de Saint Antoine : La CIA, le LSD et la peste de Pont-Saint-Esprit

 

Hal Albarelli Jr, auteur d’un livre très documenté intitulé A Terrible Mistake, pense que les menaces de dénonciation d’Olson portaient sur le contrôle mental et l’expérimentation de médicaments non éthiques de la CIA et sur le lien entre l’agence et l’apparition d’une peste mystérieuse dans la ville de Pont-Saint-Esprit, dans le sud de la France, le 16 août 1951[18].

 

 

 

Pont-Saint-Esprit. [Source: mentalfloss.com]

 

 

 

Ce jour-là, 250 habitants de la ville sont tout à coup devenus très désorientés, bafouillant de manière incohérente tout en étant pris d’hallucinations.

 

Sept personnes sont mortes de l’épidémie, dont un homme de vingt-cinq ans auparavant en bonne santé, et de nombreuses autres ont dû être placées dans des institutions pour malades mentaux.

 

 

 

Enterrement d’une des victims à Pont-Saint-Esprit. [Source: Haaretz.com]

 

 

 

À l’époque, les gens ont pensé que le pain avait été empoisonné par du grain contaminé à l’ergot de seigle, comme lors des pestes médiévales connues sous le nom de feu de Saint-Antoine, ou que c’était l’approvisionnement en eau qui avait été contaminé d’une manière ou d’une autre.

 

 

 

Le Dr. Albert Hoffman [Source: nytimes.com]

 

 

 

Rendant compte dans le British Medical Journal du premier livre consacré au désastre – St. Anthony’s Fire [« Le feu de saint Antoine »] – par le journaliste américain John Fuller, le critique Griffith Edwards a noté : « L’explication officielle [de l’épidémie] était que la farine avait été contaminée par un fongicide organique à base de mercure, mais la plupart des preuves indiquent une variété d’empoisonnement à l’ergot. La similitude des symptômes avec ceux des effets du LSD est surprenante »[19].

 

Le livre de Fuller mentionne la présence du Dr Albert Hoffmann, chercheur de la société Sandoz, à Pont-Saint-Esprit, durant l’été 1951 (Sandoz fournissait du LSD à l’armée américaine et à la CIA)[20].

Le passeport de Frank Olson et ceux de ses collègues du SOD montrent qu’ils se trouvaient eux aussi en France à cette époque.

George H. White a fait allusion au « secret » de Pont-Saint-Esprit dans un mémo de l’agence ; d’autres documents déclassifiés montrent que Sandoz et les responsables de la CIA ont eu des discussions discrètes et continues au sujet de l’affaire de Pont-Saint-Esprit, où celle-ci était qualifiée d’« expérience » et non d’accident.

 

 

 

George Hunter White [Source: history.com]

 

 

 

Selon Albarelli Jr, le village a été choisi parce qu’il était en froid avec le gouvernement De Gaulle et qu’un certain nombre de ses habitants étaient communistes[21].

 

L’armée américaine considérait à l’époque le LSD comme une arme secrète potentielle qui, ajoutée à l’eau potable, pouvait mettre hors combat une armée entière en déboussolant les soldats et en les rendant psychotiques.

 

Le major général William M. Creasy, ancien chef du Corps Chimique de l’Armée, a écrit dans le Reader’s Digest de septembre 1959 que les agents psychochimiques étaient préférables aux bombardements conventionnels pour reprendre des positions [tenues par l’ennemi] et qu’ils pouvaient même livrer une ville indemne « une fois que la population se serait remise d’une brève période de folie »[22].

 

L’armée, selon Creasy, avait la capacité de disperser des substances psychochimiques par le moyen de bombes aérosols [la spécialité d’Olson] ou sous forme de liquide ou de poudre, par des « méthodes de sabotage » telles que la contamination des réserves d’eau et de nourriture, ce qui aurait pu être testé à Pont-Saint-Esprit.

 

 

 

Le général William M. Creasy [Source: goordnance.army.mil]

 

 

 

Albarelli Jr. a trouvé un document secret du FBI qui mentionnait qu’une expérience impliquant des agents chimiques avait été prévue dans le métro de New York, et un ancien biochimiste de Fort Detrick lui a révélé que les expériences prévues à New York « avaient été retardées jusqu’après que l’expérience ait été faite en France ».

 

Les résultats de cette dernière, lui dit-il, étaient « bons » mais ont produit « un effet indésirable ou ce que l’on appellerait aujourd’hui une réaction “cygne noir”. Le fait que plusieurs personnes soient mortes était inattendu, complètement inattendu. Ce n’était pas censé se passer comme ça ».

 

La même source a dit à Albarelli Jr. qu’Olson avait été drogué lors d’une retraite d’entreprise à Deep Creek Lodge dans le Maryland, plusieurs jours avant sa mort, parce qu’on pensait qu’il « avait parlé avec les personnes qu’il ne fallait pas » à Pont-Saint-Esprit, y compris un voisin avec lequel il faisait du covoiturage, et que la CIA voulait connaître l’étendue de ses indiscrétions.[23].

 

 

 

Prospectus comprenant la liste des participants à une retraite de la CIA, quelques jours avant la mort d’Olson, où ce dernier a été drogué. La liste comprend Sidney Gottlieb et Robert Lashbrook. [Source : frankolsonproject.org]

 

 

 

Le Dr. Harold Abramson [Source: asthmaallergieschildren.com]

 

 

 

La veille de sa mort, Olson craignant pour sa vie, a dit à sa femme que quelqu’un essayait de l’empoisonner. Avant de se faire enregistrer à l’hôtel Statler, il a été conduit chez son ancien patron, le Dr Harold Abramson, car les deux hommes se connaissaient bien et on pensait qu’Olson serait franc sur les raisons de ses atteintes à la sécurité, mais en vain[24].

 

 

 

Camouflage

 

Après la mort de Frank Olson, sa femme Alice a reçu la visite du supérieur de Frank, le lieutenant-colonel Vincent Ruwet, qui lui a déclaré qu’il y avait eu « une sorte d’accident », que Frank était « tombé ou avait sauté par la fenêtre », deux choses très différentes[25].

 

 

 

[Source: brainsandcareers.com]

 

 

 

L’enquête de police a été abruptement arrêtée, et aucune autopsie n’a jamais été ordonnée. Le prêtre appelé pour administrer les derniers sacrements à Frank a été tranquillement écarté. On a dit à la famille que le corps de Frank était trop défiguré pour qu’elle puisse le voir – mensonge qui l’a empêchée d’apprendre qu’il avait un hématome à la tempe, blessure correspondant évidemment à un coup à la tête qui ne figure pas dans le rapport du médecin légiste de 1953.

 

 

 

Le Dr. Olson avec sa femme Alice et leurs enfants (de gauche à droite) Eric, Lisa et Nils, juste avant sa mort. [Source: mountolivehistory.com]

 

 

 

Cinq « enquêteurs » de la CIA ont mené leur propre « enquête » sur ce que les documents de l’agence ont qualifié de « suicide », versant des sommes importantes au Dr Harold Abramson et à un autre collègue non identifié qui connaissait la vérité[26]. L’un des hommes de la CIA, James McCord, a ensuite été impliqué dans l’affaire du Watergate.

 

 

 

James McCord [Source: politico.com]

 

 

 

Robert Lashbrook et Sidney Gottlieb sont venus chez les Olson après les funérailles et Vincent Ruwet leur a rendu régulièrement visite pour « encourager [Alice] à penser des choses qui n’étaient pas vraies à propos de la mort de Frank », comme il l’a dit[27].

 

En juin 1975, la Commission Rockefeller, créée pour enquêter sur les méfaits de la CIA, a avancé la théorie selon laquelle la mort d’Olson aurait été due à une réaction indésirable au LSD. La famille Olson a rencontré le directeur de la CIA, William Colby, et le président Gerald Ford, qui ont laissé publier certains documents pertinents, présenté des excuses officielles et accordé à la famille une compensation de 750 000 dollars.

 

 

 

Rencontre entre la famille Olson et le président Ford en 1975. [Source: frankolsonproject.org]

 

 

 

Alice Olson rencontre le président Gerald Ford. [Source: mountolivehistory.com]

 

 

 

Cependant, après la mort de la veuve de Frank, Alice, leur fils Eric a fait exhumer le corps de Frank, puis l’a fait examiner par le Dr James E. Starrs, pathologiste de l’université de Georgetown, qui a trouvé un trou dans la tête de Frank provenant de la crosse d’un pistolet et non d’une chute d’une fenêtre de treizième étage.

 

 

 

Le Dr. James E. Starrs [Source: news.aafs.org]

 

 

 

Le procureur du district de New York a par la suite changé la désignation de la mort de Frank de « suicide » à cause inconnue ».

 

L’autopsie exécutée par Starrs avait également révélé l’absence de coupures ou de lacérations, ce qui signifiait qu’il avait dû passer par une fenêtre ouverte, sinon le verre brisé de la fenêtre lui aurait entaillé la peau.

 

 

 

Recronstitution de la chambre de l’hôtel Statler où Olson est mort, dans le film Wormwood. [Source : frankolsonproject.org]

 

 

 

En outre, la présence de LSD dans son organisme n’a pas été établie de manière concluante[28].

 

Selon deux sources confidentielles de la CIA interrogées par H.P. Albarelli Jr, lorsqu’on a tenté, tard dans la nuit, de faire sortir un Olson maîtrisé de sa chambre du Statler pour le transporter en voiture dans le Maryland, « les choses ont très mal tourné. L’explication courte et complète est qu'[Olson] a résisté et que, dans la lutte qui s’en est suivie, il a été projeté à travers la fenêtre fermée ».

 

Ces mêmes sources notent que Lashbrook était apparemment éveillé pendant tout ce temps-là, bien qu’à l’écart. Selon elles, Olson n’était pas « taillé pour le type de travail qu’il faisait. Il était dépassé par les événements, et il a fini par le comprendre »[29].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Source: amazon.com]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Source: wikipedia.org]

 

 

 

Une tragédie shakespearienne

 

Le film d’Errol Morris de 2017, Wormwood, relate la tragédie shakespearienne dans laquelle le fils de Frank, Eric, abandonne une carrière prometteuse de psychiatre pour rechercher la vérité sur la mort de son père.

 

À la fin, il est sur le point de découvrir l’identité des tueurs, bien que Seymour Hersh ne veuille pas révéler sa source « profonde ».

 

Le meurtre d’Olson a eu une importance majeure à l’époque pour empêcher la divulgation d’opérations criminelles de la CIA au début de la guerre froide.

 

 

 

Sy Hersh [Source: wikipedia.org]

 

 

Au cours d’une conférence de presse en août 2002, Eric Olson a déclaré aux médias que le cercueil de son père s’était « avéré être une boîte de Pandore ». Il n’est pas surprenant que les expériences humaines immorales de la CIA aient conduit à des assassinats. Une fois que la vie humaine a été dévaluée, le meurtre rôde au coin de la rue »[30].

 

 

Une fascination qui perdure

 

That the American public has remained fascinated with the Olson case 68 years later reflects a deep-seated mistrust in government institutions.

Que le public américain soit encore fasciné par l’affaire Olson 68 ans plus tard dénote une méfiance profondément ancrée dans ses institutions gouvernementales.

 

 

 

Eric Olson [Source: mountolivehistory.com]

 

 

 

L’identité nationale américaine a longtemps été fondée, et la poursuite de l’empire d’outre-mer légitimée, sur la conviction que le système démocratique américain était moralement vertueux, par rapport à des rivaux illibéraux comme la Chine et la Russie et que des agents du gouvernement ne tueraient jamais leurs propres citoyens comme dans ces nations.

 

L’affaire Olson montre que nous ne sommes pas ce que nous prétendons être et que nous n’avons aucune légitimité à coloniser le globe avec des bases militaires.

 

C’est pourquoi l’affaire est si explosive et pourquoi, au-delà de toute protection de réputations individuelles, il y a encore tant de secret et de résistance à un e révélation complète des faits.

 

*Cet article est une version abrégée d’un article paublié initialement dans le numéro d’hiver 2020 de Class, Race and Corporate Power [« Classe, race et pouvoir des grandes entreprises »]

 

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NOTES

  1. Jacobsen, Operation Paperclip [« Opération trombone »]; Jeffrey Steinberg, “It Didn’t Start with Abu Ghraib: Dick Cheney-Vice President for Torture and War,” [« Ça n’a pas commencé avec ABU Ghraib : Dick Cheney Vice-Président à la torture et à la guerre »] Executive Intelligence Review, 11 Novembre 2005, http://www.frankolsonproject.org /Articles/Steinberg-Cheney.pdf. Under a secret program called Dustbin, Blome, who had overseen medical experimentation at Dachau, had been hired to teach Americans interrogation methods.[« Dans un programme secret appelé Poubelle, Blome, qui avait supervisé les expériences médicales à Dachau, avait été engagé pour enseigner aux Américains ses méthodes d’interrogatoire »]
  2. Thomas, Secrets & Lies [« Secrets et mensonges »].
  3. Albarelli Jr., A Terrible Mistake[« Une terrible erreur »]; Jacobsen, Operation Paperclip, 369.
  4. Tom Schoenberg, “Six Decade Old Murder Subject of CIA Lawsuit,” [“Un meurtre vieux de soixante ans fait l’objet d’un procès à la CIA »] 2 Decembre 2012, Pittsburgh Post-Gazette, http://www.post-gazette.com/business/legal/2012/12/03/Six-decade-old-murder-subject-of-CIA- lawsuit/stories/201212030192 ; Albarelli Jr., A Terrible Mistake; Kinzer, Poisoner In Chief, 117.
  5. James Risen, “Suit Planned Over Death of Man CIA Drugged,” [« Poursuite en justice pour la mort d’un homme drogué par la CIA »]
  6. Sur l’utilisation d’armes biologique en Corée, voir Dave Chaddock, This Must Be the Place: How the U.S. Waged Germ Warfare in the Korean War and Denied It Ever Since [« Ce doit être l’endroit : Comment les États-Unis ont mené une guerre bactériologique pendant la guerre de Corée et le nient depuis. »] (Seattle: Bennett & Hastings Publishers, 2013); Thomas Powell, “Biological Warfare in the Korean War: Allegations and Cover-Up,” [« La guerre biologique dans la guerre de Corée : allégations et dissimulation »] Socialism and Democracy, 31, 1 (2017), 23-42.
  7. Jeffrey A. Lockwood, Six-Legged Soldiers: Using Insects as Weapons of War [«Soldats à six pattes : L’utilisation des insectes comme armes de guerre »] (New York: Oxford University Press, 2009), 126, 172; Ed Regis, The Biology of Doom: America’s Secret Germ Warfare Projects [« La biologie du malheur : les projets secrets américains de guerre bactériologique.»] (New York: Henry Holt, 2000), 110, 128; Sheldon H. Harris, Factories of Death: Japanese Biological Warfare, 1932-1945, and the American Cover-Up [« Fabriques de mort : armes biologiques japonaises et opération secrète américaine »]  2e éd. (New York: Routledge, 2002).
  8. Ban Shigeo, Rikugun Noborito Kenkyujo no shinjitsu [The Truth About the Army Noborito Research Institute – « La vérité sur l’Institut de recherches Noborito »], Tokyo: Fuyo Shobo Shuppan, 2001, examine par  Stephen C. Mercado sur le site web de la CIA, https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/csi- studies/studies/vol46no4/article11.html
  9. Julian Royall, “Did the US Wage Germ Warfare in Korea?” [«Les USA ont-ils mené une guerre bactériologique en Corée ?»] The Telegraph, 10 juin 2010. Voir aussi Stephen Endicott et Edward Hagerman, The United States and Biological Warfare: Secrets from the Early Cold War [« Les États-Unis et la guerre biologique : secrets du début de la guerre froide »] (Indiana University Press, 1999).
  10. Thomas, Secrets & Lies, 48.
  11. Thomas, Secrets & Lies; Wilfred G. Burchett and Alan Winnington, Koje Unscreened [«Koje sans écran»] (Association des amities sino-américaines, 1952), www.revolutionarydemocracy.org/archive/koje.pdf .
  12. Thomas, Secrets & Lies, 18; Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 679.
  13. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 350; John G. Fuller, The Day of St. Anthony’s Fire[«Le jour du feu de saint Antoine»] (New York: The Macmillan Co., 1968).
  14. Griffith Edwards,  “Poison in Pont-St.-Esprit,”[« Poison à Pont-Saint-Esprit »] British Medical Journal, May 3, 1969, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1983173/pdf/brmedj02030-0064a.pdf ; Fuller, St. Anthony’s Fire, 301  .
  15. Hoffman mentionne l’épidémie dans son propre livre LSD: My Problem Child [«LSD mon enfant à problèmes »], en 1979, mais omet de préciser qu’il était en ville dans les jours qui ont immédiatement suivi .
  16. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 350; “Behind the Headlines: Hank Albarelli Interview,” [« Derrière les gros titres : une interview de Hank Albarelli»], 28 juillet 2013, https://www.sott.net/article/264434-Behind-the-Headlines-Hank-Albarelli-Interview-CIA-Mind-Control-Frank-%20Olson-and-JFK .
  17. William M. Creasy, “Can We Have War Without Death?” [« Peut-on avoir la guerre sans la mort ?»], Reader’s Digest, Septembre 1959, 73-76
  18. Olson était donc une cible pour un interrogatoire renforcé.
  19. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 689-691. Après avoir regardé un film sur Martin Luther, Olson se rendit au travail pour donner sa démission ; cependant, il fut au lieu de cela emmené par Lashbrook chez un ancien magicien de Broadway, John Mulholland, qui l’hypnotisa probablement, et Frank révéla à nouveau son intention de donner l’alerte.
  20. La notice nécrologique de Frank dans le Washington Star proclama également qu’Olson avait trouvé la mort en tombant ou en sautant et précisa que Frank avait été retrouvé en sous-vêtements et qu’il s’était écrasé par la fenêtre. Cependant, tomber et s’écraser par une fenêtre sont deux choses distinctes. ↑
  21. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 34, 35; James E. Starrs et Katherine Ramsland, A Voice for the Dead: A Forensic Investigator’s Pursuit of the Truth in the Grave [« Une voix pour les morts : Un médecin légiste à la recherche de la vérité dans une tombe »] (New York: G.P. Putnam’s Sons, 2005), 131, 148; Eric Olson and Nils Olson v. United States of America, Civil Action No. 12-1924, Plaintiffs’ Memorandum of Points and Authorities, May 3, 2013; Kinzer, Poisoner In Chief, 124. James McCord, a former FBI intelligence agent and future Watergate burglar, according to journalist Stephen Kinzer, visited the room to assist Lashbrook in the cover-up. His specialty was making police investigations evaporate.
  22. Eric Olson et Nils Olson contre les États-Unis d’Amérique, Action civile n° 12-1924, Mémorandum des plaignants sur les points et les autorités, 3 mai 2013..
  23. Starrs and Ramsland, A Voice for the Dead, 131, 148.
  24. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 693, 694.
  25. Albarelli Jr., A Terrible Mistake, 699.

 

L’auteur

 

Jeremy Kuzmarov

Jeremy Kuzmarov est directeur de la rédaction du magazine CovertAction.

Il est l’auteur de quatre livres sur la politique étrangère américaine, dont Obama’s Unending Wars (Clarity Press, 2019) et The Russians Are Coming, Again, avec John Marciano (Monthly Review Press, 2018).

 On peut le joinder à l’adresse : jkuzmarov2@gmail.com.

Source : https://covertactionmagazine.com/2021/11/28/theres-something-rotten-in-denmark-frank-olson-and-the-macabre-fate-of-a-cia-whistleblower-in-the-early-cold-war/

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/il-y-a-quelque-chose-de-pourri-au-danemark/

 

 

 

 

 

 

 

Décembre 2021

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