Le coup de pied au cul reçu en Afghanistan va-t-il fournir l’occasion de réorienter la politique étrangère US – ou bien n’en sortira-t-il qu’un autre Jour sans fin ?

 

Ed Rampell – Covert Action Magazine – 4.9.2021

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

Des hélicoptères Chinook ont transporté le personnel de l’ambassade américaine à Kaboul vers l’aéroport Hamid Karzai, dans des scènes qui rappelaient l’évacuation de l’ambassade de Saigon en 1975. [Source : thetimes.co.uk]

 

 

Réveil en sursaut

Alors que l’Armageddon de l’Afghanistan se déroule, cette défaite humiliante et dévastatrice pour l’impérialisme des États-Unis et de leurs alliés, plus le 20e anniversaire du 11 septembre et la mort, le 29 juin, de l’extraordinaire fauteur de guerre qu’était le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, sont autant de signaux d’alarme. Ils offrent à ceux qui vivent aux États-Unis la possibilité de réfléchir, de reconsidérer et de repenser la politique étrangère interventionniste désastreuse de Washington.

 

 

Donald Rumsfeld à son heure de gloire. [Source : wired.com]

 

 

Après 20 ans de guerre, la retraite des forces américaines du théâtre afghan – coup de pied au cul de proportions bibliques – rappelle les limites du pouvoir des États-Unis et l’usage abusif qu’ils en font.

L’establishment responsable de la politique étrangère américaine a de nouveau suscité le mépris général pour son extraordinaire imbécilité, son incompétence, son arrogance et sa brutalité aux dimensions d’une tragédie grecque. Alors que Kaboul, comme Saïgon en 1975, échappe au contrôle impérial américain, et que l’on commémore l’attaque bidon du 11 septembre, en même temps que notre contentieux racial suit son cours, les États-Unis ont une occasion en or de procéder à une réévaluation des comptes impériaux, à une perestroïka en bonne et due forme de la manière dont les États-Unis – police capitaliste mondiale – en usent avec le reste du monde.

Mais à l’heure qu’il est, il semble bien que l’administration Biden reste bloquée dans une espèce de distorsion temporelle, incapable qu’elle est de penser en dehors de la boîte façonnée à son usage par le complexe militaro-industriel et de s’engager dans une épiphanie impériale où elle saisirait aux cheveux les possibilités offertes par ce moment historique.

 

 

Le farfadet qu’adorent les petits hommes d’État

Le roman de George Orwell, 1984, est peut-être le plus grand roman dystopique jamais écrit*. L’un des passages les plus effrayants de cette satire des États totalitaires perpétuellement engagés dans une guerre sans fin se déroule au cours d’une manifestation londonienne relatée dans la Deuxième partie, chapitre 9 :

« Au sixième jour de la Semaine de la Haine, après les processions, les discours, les cris, les chants, les bannières, les affiches, les films, les effigies de cire, le roulement des tambours, le glapissement des trompettes, le bruit de pas des défilés en marche, le grincement des chenilles de tanks, le mugissement des groupes d’aéroplanes, le grondement des canons, après six jours de tout cela, alors que le grand orgasme palpitait vers son point culminant, que la haine générale contre l’Eurasia s’était échauffée et en était arrivée à un délire tel que si la foule avait pu mettre la main sur les deux mille criminels eurasiens qu’on devait pendre en public le dernier jour de la semaine, elle les aurait certainement mis en pièces ; juste à ce moment, on annonça qu’après tout l’Océania n’était pas en guerre contre l’Eurasia. L’Océania était en guerre contre l’Estasia. L’Eurasia était un allié.

Il n’y eut naturellement aucune déclaration d’un changement quelconque. On apprit simplement, partout à la fois, avec une extrême soudaineté, que l’ennemi c’était l’Estasia et non l’Eurasia. »

 

 

[Source : Runnymede-times]

 

 

Orwell se moquait ironiquement des loyautés changeantes au temps de la Deuxième Guerre mondiale, en particulier du pacte Hitler-Staline de 1939, traité de non-agression entre adversaires, nazis et communistes.

Après que les riches nations occidentales eussent refusé de s’allier à l’URSS, les Soviétiques tentèrent de gagner du temps en s’alliant à l’Allemagne, et l’Union soviétique mit la trêve à profit pour dépecer l’Europe de l’Est – jusqu’à ce que les fascistes poignardent les bolcheviks dans le dos en 1941 et que, rechangeant de camp, Moscou se joigne aux Alliés pour combattre Berlin.

Mais ce qui est encore plus remarquable que ces alliances à géométrie variable, si on fait abstraction de l’impérialisme occidental, c’est que depuis 1949 – l’année même de la publication du classique d’Orwell – l’Amérique, l’Europe occidentale et le Japon se sont constamment unis pour s’opposer aux mêmes ennemis éternels. Pendant près de trois quarts de siècle, la Russie et la Chine ont été les croquemitaines des États-Unis et de leurs alliés.

Dans les guerres chaudes et froides – du pont aérien de Berlin à la Corée, en passant par Quemoy et Matsu, par le mur de Berlin, la crise des missiles de Cuba, l’Afghanistan et au-delà – les « Ruskofs » et les « Chinetoques rouges » ont été les sempiternelles bêtes noires** de l’Occident et de Tokyo. Et un autre élément clé de cet axe stratégique a été son incessante ingérence au Moyen-Orient pour contrôler la région et les prix du pétrole (où il fait également des ravages grâce à la crise climatique).

 

 

Bill Murray dans Groundhog Day[Source : getwallpapers.com]

 

 

Appelez ça « Le jour sans fin de la politique étrangère ». Comme Bill Murray, qui est coincé le 2 février, à répéter jour après jour la même chose à Punxsutawney, Pennsylvanie ouest, dans le film Groundhog Day [Le jour de la marmote c. à d. « Le jour sans fin »], de 1993, Washington et ses cohortes s’obstinent à poursuivre leur même vieille realpolitik de l’après-guerre. Le thème musical de leur film pourrait être « The Song Remains the Same » (« La chanson n’a pas changé ») de Led Zeppelin. Et comme l’a noté le philosophe Ralph Waldo Emerson: « Une obstination insensée est le daimon des petits esprits, des petits hommes d’État, des petits philosophes et des petits prédicateurs, qui tous l’adorent ».

 

 

Légères anomalies passagères sur l’écran radar de la Realpolitik

Pour être juste, il y a eu quelques zigs et quelques zags dans cette politique étrangère de type Jour sans fin, lorsque des espèces de « dégels » de Moscou et de Pékin ont parfois donné l’impression que ces ennemis de toujours allaient se comporter de manière à servir les intérêts de l’Amérique et de ses amis. Et il y a effectivement eu un moment « Nixon en Chine » ou des déclarations du Premier ministre Thatcher, comme quoi elle pouvait « faire des affaires avec M. Gorbatchev ».

 

 

Nixon lors de sa célèbre visite en Chine en 1971. [Source : bbc.com]

 

 

Des réformateurs comme Deng Xiaoping déclarant : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, du moment qu’il attrape des souris », ou le président de la Fédération de Russie Boris Eltsine ont même pu faire sourire, tant qu’ils apparaissaient comme des laquais demandeurs, s’adressant poliment à ce qu’on appelle plutôt par euphémisme « les démocraties ».  Et bien sûr, le rapprochement Trump-Poutine et les rencontres entre le Donald et le président Kim n’ont été que des anomalies (blips) sur l’écran radar d’une inimitié par essence éternelle, de simples aberrations passagères dans un continuum d’hostilité acharnée.

 

 

[Source: newrepublic.com]

 

 

Trump et Kim Jung-Un en 2019. [Source: cnbc.com]

 

 

 

La politique de Washington au Moyen-Orient a, elle aussi, connu bien des zigzags tortueux : la relation entre Rumsfeld, récemment décédé, et Saddam Hussein est un exemple quintessencié des alliances des États-Unis avec les dictateurs de tout poil.

Le 23 décembre 1983, en tant qu’envoyé spécial de l’administration Reagan, Rumsfeld s’est rendu à Bagdad où il a serré la main du despote irakien et apporté son soutien à l’Irak dans sa guerre contre l’Iran, ce qui a été immortalisé par une photo tristement célèbre

 

 

Donald Rumsfeld serrant la main de Saddam Hussein en décembre 1983. [Source : peoplesworld.org]

 

 

Selon The Guardian :

 

« Les États-Unis ont fourni [à l’Irak] moins d’équipements militaires conventionnels que les entreprises britanniques ou allemandes, mais ils ont autorisé l’exportation vers ce pays d’agents biologiques, dont l’anthrax, d’ingrédients vitaux pour les armes chimiques et de bombes à fragmentation vendues par une organisation-écran de la CIA au Chili  […] Des renseignements ont été fournis sur les mouvements des troupes iraniennes, malgré une connaissance détaillée de l’utilisation par l’Irak de gaz neurotoxiques. »

 

La politique moyen-orientale de Washington, axée sur le pétrole, a prévalu et, au début des années 1990, lorsqu’il a été géopolitiquement opportun de le faire, le criminel de guerre Rumsfeld, secrétaire à la Défense, a perpétré son fameux canular des ADM (« Armes de Destruction Massive ») contre l’Irak (sujet qui ne l’avait nullement préoccupé dans les années 1980), déclenchant par là une abomination d’atrocités « justifiées » par le 11 septembre, sans parler de l’instauration d’un État « sécuritaire » de haute surveillance à l’intérieur, comme l’a révélé Snowden.

La poignée de main de Rummy avec Saddam n’était qu’un nouveau clin d’oeil de la realpolitik américaine, de l’ingérence incessante de Washington au Moyen-Orient, laquelle remonte au moins aussi loin que le renversement, soutenu par la CIA, du gouvernement démocratiquement élu de Mohammad Mossadegh en Iran : 1953.

 

 

Ennemis éternels et implacables, quoi qu’il arrive !

Cependant, comme au Moyen-Orient, à la fin du compte, les réformes de marché et les « libéralisations » adoptées par la Russie et la Chine, ou les entités internationales auxquelles elles sont autorisées à adhérer – Nations unies, OMC, G8, etc. – importent peu. Pour ce qui est de l’URSS, elle a complètement sabordé toutes ses positions et prétentions socialistes, qu’elles fussent politiques ou économiques, et elle a volé en éclats, tandis que le Pacte de Varsovie était dissous. En République Populaire de Chine, le capitalisme a été adopté ; en 1992, Deng s’est écrié « il est glorieux d’être riche », bien que la Chine soit restée un État à parti unique dirigé par le (supposé) Parti Communiste.

L’adhésion des plus grands États ostensiblement communistes au système capitaliste n’a pas suffi et n’a pas satisfait ; pour les États-Unis et leurs satellites, rien n’est jamais suffisant. Donnez-leur un doigt, ils voudront le bras. Lors du sommet du G7 de juin 2021 à Carbis Bay, en Cornouailles, sous la pression du président Biden (alors que les Américains d’origine asiatique sont victimes aux États-Unis d’une augmentation spectaculaire de crimes racistes, déjà encouragés par la bigoterie du « virus chinois » de Trump), le communiqué final émis par le Groupe des Sept s’est  distingué par une critique aussi cinglante que téméraire des pratiques chinoises en matière de droits de l’homme, que Pékin a qualifié de « calomnie ».

 

 

À Carbis Bay, les dirigeants du G-7 ont adopté une rhétorique anti-chinoise qui pourrait dégénérer en guerre. [Source : qz.com]

 

 

Puis, à l’issue du sommet de Biden avec les dirigeants de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord à Bruxelles, l’OTAN a publié – le 14 juin – un communiqué très agressif, déclarant :

 

« Les ambitions déclarées et le comportement péremptoire de la Chine sont un défi systémique à l’ordre international fondé sur des règles et aux régions assurant la sécurité de l’alliance ».

 

Pourtant, des observateurs qui jetteraient un œil à un globe terrestre seraient enclins à se gratter la tête en se demandant où diable la République Populaire de Chine peut bien toucher à l’Atlantique Nord. (En plus de l’hameçon raciste qu’est la « Kung-flu » de Trump, ce matraquage anti-chinois amplifie également, au USA, les crimes racistes dont sont de plus en plus victimes les Asiatiques et les Américains d’origine asiatique).

 

 

Le Léviathan de Washington

Si on veut parler de position militaire « péremptoire », Washington maintient jusqu’à 800 installations à l’étranger, dans 80 pays, que justifierait paraît-il sa position de base avancée.

À l’apogée même de la Pax Romana, l’empereur en titre se serait émerveillé de l’ampleur et de la portée des bases avancées des États-Unis, dans le seul but d’occuper d’autres nations et de projeter leur puissance aussi loin que possible dans le monde. À l’opposé de l’empire américain, la République Populaire de Chine dispose d’une installation militaire en dehors de son territoire : à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique (et peut-être aussi plus ou moins trois autres installations à l’étranger, compte non tenu des bases qu’elle entretient dans ses territoires contestés des mers de Chine méridionale).

 

 

[Source : global-politics.eu]

 

 

Quant à l’expansion de l’OTAN… dans le documentaire de 2017 Entretiens avec Poutine, le président de la Fédération de Russie a déclaré au réalisateur Oliver Stone qu’à la fin de la guerre froide, les responsables américains, onusiens et ouest-allemands « avaient dit… que la présence orientale de l’OTAN n’outrepasserait jamais la frontière orientale de la République Démocratique Allemande ».

Comme on le sait, depuis cette époque, une dizaine des anciens pays du Pacte de Varsovie qui avaient joué un rôle tampon entre l’Est et l’Ouest ont rejoint l’Alliance Transatlantique, ainsi que l’Union Européenne. Des camarades d’antan sont devenus, aujourd’hui, des adversaires et donnent beaucoup de fil à retordre à un Kremlin qui se sent de plus en plus encerclé et isolé.

 

 

[Source : medium.com]

 

 

Et voilà que des démarches sont en cours pour que l’Ukraine rejoigne l’OTAN et l’UE – le président ukrainien Volodymyr Zelensky a finalement obtenu le tête-à-tête qu’il convoitait si ardemment avec Biden à la Maison Blanche, le 1er septembre – ce qui, si on voulait comparer, reviendrait à une adhésion du Québec au Pacte de Varsovie (du temps qu’il existait encore). Quand on voit qu’au bout de 60 ans, le Washington de Biden continue d’écraser Cuba avec son blocus interminable, pourtant sévèrement condamné, pour la 29e année consécutive, le 23 juin dernier, par un vote de 184 voix contre 2 (USA – Israël) et 3 abstentions, à l’Assemblée générale de l’ONU, on n’a aucune peine à imaginer les décideurs de Washington et du Pentagone passant littéralement (et d’office) au nucléaire, si jamais un procédé de ce genre avait été infligé à l’Occident ou au Japon.

(La gravité elle-même n’arrive pas à freiner les appropriations de territoires par l’OTAN : Les rovers martiens, les sondes lunaires, les stations célestes de la Chine et le lancement, le 17 juin, du vaisseau spatial habité Shenzhou-12, ou Vaisseau divin, menacent prétendument la « supériorité spatiale » des Occidentaux. Comme si l’univers était leur propriété privée dans un jeu de Monopoly cosmique !)

Selon l’Institut international de Recherche sur la Paix de Stockholm,

 

« … en 2020, les États-Unis ont dépensé 778 milliards de dollars pour l’armée. L’année dernière, le budget militaire de la Russie a été de 61,7 milliards de dollars, tandis que les Chinois dépensaient 252 milliards de dollars. Washington a dépensé plus que les 10 nations suivantes combinées, en tant que pays unique représentant « environ 40% des dépenses militaires mondiales ».

 

 

« L’Amérique est de retour » – mais où ?

Les thèmes de Biden, aux sommets du G7 et de l’OTAN en juin dernier, ont été que « l’Amérique est de retour » et que « les démocraties » sont unies contre « les autocraties ». Après l’interrègne isolationniste et perturbateur de Trump, Washington recommençait donc à consacrer ses efforts au « multilatéralisme ». Mais étant donné que les États-Unis sont la queue que remuent les chiens de course G7 et OTAN, ce multilatéralisme-là ressemble plutôt à de l’« hégé-latéralisme », si on veut bien me permettre ce néologisme. Autrement dit : la superpuissance hégémonique américaine donne ses ordres au G7 et à l’OTAN.

Comme Poutine l’a dit à Stone :

 

« L’OTAN n’est qu’un instrument de la politique étrangère des États-Unis. En son sein, il n’y a pas d’alliés… rien que des vassaux… Et iI n’y a que deux opinions dans l’OTAN – l’opinion américaine et la mauvaise opinion ».

 

Il suffit de regarder la débâcle en Afghanistan : les États-Unis décident unilatéralement de se retirer, avec apparemment très peu, voire pas du tout, de consultations de ses alliés, et les larbins de l’OTAN se mettent automatiquement à suivre le chef, la queue entre les jambes, révélant ainsi de façon criante le mauvais leadership et l’unilatéralité des États-Unis. (Ou encore, en août, le « caniche » de Washington, la pas-si-Grande-que-ça-Bretagne, et les États-Unis renvoyant de concert des troupes en Afghanistan – mais pas, bien sûr, pour protéger les Afghans, seulement pour défendre le personnel des ambassades des États-Unis et du Royaume-Uni, et ainsi de suite.)

 

 

Vladimir Poutine en discussion avec Oliver Stone au Kremlin. [Source : conversaafiada.com]

 

 

 

Une ville radieuse dans la vase

[Jeu de mots entre A Shining City on the Hill (« Une ville radieuse sur la colline »), métaphore de l’Amérique éclairant le monde, et A Shining City on the Swill (« Une ville radieuse dans la vase »)]

Et sur quoi repose, voulez-vous me le dire, cette prétention américaine à l’« exceptionnalisme », à être « la nation indispensable », autoproclamée et non élue, comme l’ont tant dit et répété le président Obama et d’autres qui n’en finissent pas de se congratuler ? Ce ne sont là bien sûr, que les mots immortels pondus par un propriétaire d’esclaves en 1776, comme quoi « tous les hommes sont créés égaux », ce qui fait que – puisque les Yankee Doodle Dandies croient en « l’égalité » – ils sont simplement meilleurs que tous les autres.

Et lequel des idéaux immortels de la « Ville radieuse sur la Colline » l’Amérique veut-elle continuer à exporter par ses invasions sans fin, ses bombardements « choc et effroi », ses assassinats ciblés, ses ingérences dans des élections, ses guerres de drones, ses gangs d’opérations spéciales et tout ce qui en découle, pour imposer sa volonté et le changement de régime qui lui convient à tous les peuples de la planète ? Le Collège Électoral ?

 

 

La mentalité « ville sur la colline » des puritains s’avère persistante, au détriment d’une grande partie de l’humanité. [Source : politicaldictionary.com]

 

 

L’obstructionnisme [parlementaire] qui garantit le règne d’une minorité et fait que 35 voix au Sénat l’emportent sur 54 (bloquant ainsi, le 28 mai, la création d’une commission sur les émeutes au Capitole) ? [Que par les dispositions de vote d’une Constitution gravement défectueuse, le pouvoir d’une minorité soit coulé dans le béton, en sorte que « 16 % du pays contrôle la moitié des sièges du Sénat des États-Unis », ne prouve-t-il pas que « La démocratie américaine est profondément antidémocratique » ?]

Ou encore les récentes lois des États et décisions de la Cour suprême limitant les droits de vote et protégeant l’argent noir en politique, alors que les mesures fédérales sur les droits de vote restent lettre morte ? Que les putschistes en haut lieu et les co-conspirateurs qui ont tenté d’empêcher la ratification de l’élection présidentielle et le transfert pacifique du pouvoir soient libres de continuer à se pavaner au grand jour ?

Sont-ce là les fruits de l’américanisme que nous souhaitons imposer à « nos petits frères colorés » du monde entier dans le cadre de notre « fardeau de l’homme blanc » du XXIe siècle ? Les commentateurs peuvent spéculer tant qu’ils veulent sur la corruption des régimes fantoches américains, mais les observateurs plus avisés savent que « aux fruits on connaît l’arbre ».

 

 

Réponse du berger à l’hôpital qui se moque de la charité.

Au cours de la conférence de presse qu’il a tenue en juin à Genève à la suite de sa rencontre avec Biden, un journaliste de la BBC a posé à Vladimir Poutine la question suivante : « L’Occident pense que l’imprévisibilité est une caractéristique de la politique russe. Êtes-vous prêt à renoncer à cette instabilité pour améliorer vos relations avec l’Occident ? »

En réponse, Poutine lui a rappelé les actions erratiques, « imprévisibles », de Washington, à commencer par son retrait du Traité sur les Missiles Antibalistiques, du Traité sur les Forces Nucléaires à Portée Intermédiaire et de l’accord « Ciels ouverts ». « Est-ce là ce que vous appelez stabilité ? » a demandé le président russe. M. Poutine aurait pu ajouter à sa liste le retrait de Washington des protocoles de Paris alors que le réchauffement climatique s’intensifiait, ainsi que de l’accord sur le nucléaire iranien, les aventures militaires sans fin ni raison des USA, loin de leurs frontières, etc.

Interrogé lors de la même conférence de presse sur le bilan de la Russie en matière de droits de l’homme, M. Poutine a continué à mettre aux chiots le nez dans leurs fèces, en mentionnant la recrudescence du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, « La prison de Guantanamo » et « Les prisons secrètes de la CIA partout dans le monde… où des gens sont torturés. Est-ce là un bilan reluisant en matière de droits humains ?…Quelqu’un ici oserait-il prétendre que c’est ainsi qu’on protège les droits de l’homme ? »

 

 

Guantanamo Bay – symbole du « deux poids-deux mesures » américain en matière de droits de l’homme. [Source : Britannica.com]

 

 

Poutine a poursuivi en dénonçant l’ingérence des États-Unis dans les affaires intérieures de la Russie, puis a fait référence au meurtre de George Floyd par la police et au mouvement BLM. Il aurait pu, encore, mentionner le lanceur d’alerte Edward Snowden, qui, pour avoir révélé le vaste système de surveillance ultra-secret et sans mandat des États-Unis sur leur sol est un homme traqué par le pays de la « liberté »… qui a trouvé refuge et asile politique dans la Mère Russie.

 

 

« Défendre » sa patrie… au bout du monde.

Le 28 juin, après la deuxième série de frappes aériennes américaines au Moyen-Orient depuis l’entrée en fonction de M. Biden, l’attachée de presse de la Maison Blanche a bidouillé un tout nouveau sens à l’expression « violence domestique ».

Jen Psaki a défendu les attaques menées par des F-15 et des F-16 de l’armée de l’air américaine à coups de munitions guidées par satellite contre des installations soupçonnées de déployer des drones en Syrie et en Irak « dans le cadre du droit national » [« domestique » en anglais, NdT], « conformément » à une disposition de loi dont vous pouvez être sûrs à 100% qu’aucun Irakien ou Syrien n’a jamais voté pour.

La distance entre Al-Qaim, en Irak (site de l’un des bombardements américains) et Washington D.C., est de 9.700 kilomètres, et pourtant la porte-parole de Biden a invoqué une règle nationale et qualifié ce bombardement à l’autre bout du monde de « légitime défense, la défense des États-Unis et de nos intérêts est notre justification nationale pour ces frappes ».

 

 

Images du Pentagone montrant des frappes aériennes à la frontière entre l’Irak et la Syrie lancées par l’administration Biden à la fin du mois de juin. [Source : cnn.com]

 

 

Et la crème de la crème** du double langage orwellien de Psaki est l’étonnante justification de ces attaques à l’étranger « destinées à limiter le risque d’escalade ». Cette façon de percevoir les choses a été reprise à Rome par Antony Blinken, ce vieil habitué de Foggy Bottom, dont le dernier portefeuille en date est celui de secrétaire d’État. Bien sûr, bombarder pour désescalader sonne un peu comme violer pour restaurer la virginité ou brûler un village pour le sauver. Mais le raisonnement cosmique de Psaki et Blinken est la quintessence même de la doublepensée impériale.

 

 

Jen Psaki – la nouvelle porte-parole de la Maison Blanche, dont George Orwell eût été si fier. [Source : spectrumlocalnews.com]

 

 

Disposant de données de surveillance détaillées sur l’Irak depuis des années, les États-Unis ont envahi ce pays en 2003, sous le prétexte fallacieux qu’il était prêt à se servir d’armes de destruction massive. Cependant, deux décennies plus tard, les ADM fictives de Saddam n’ont jamais été trouvées, les Yankees ne sont jamais rentrés chez eux, leurs troupes sont toujours en Irak, et pas un seul décideur de haut niveau n’a fait face aux conséquences judiciaires qu’impliquent des centaines de milliers de personnes mortes pour rien. Même pas après que le Parlement irakien ait voté l’expulsion des troupes américaines du pays, en janvier 2020, suite à l’attaque par drone de l’aéroport international de Bagdad, où le Pentagone a encore assassiné le général iranien Qassem Soleimani.

 

 

Les Iraniens pleurent le général Qassem Soleimani après son assassinat par un drone américain. [Source : nbcnews.com]

 

 

Ainsi en va-t-il de l’essence de la logique de l’impérialisme : « Nous pouvons envahir et occuper n’importe quel pays, n’importe où et n’importe quand, y compris sous les plus faux prétextes. Mais si vous osez résister, nous vous traiterons comme des terroristes menaçant la sécurité territoriale américaine, quand bien même vous seriez à l’autre bout du monde : au nom de notre droit à l’autodéfense, nous prendrons des mesures offensives contre vous, et il va sans dire que si vous ne pouvez pas utiliser des drones, nous le pouvons. »

Washington peut agir en toute impunité, sans rendre de comptes aux organismes de régulation et aux tribunaux transnationaux, tels que la Cour Pénale Internationale. Comme Ben Burgis l’a dit avec pertinence dans Jacobin : « Tout l’intérêt d’être un empire est de pouvoir jouer selon des règles différentes de celles du reste du monde ». Cette mentalité impériale donne une toute nouvelle tournure et signification à la chanson de 1985 « We Are the World« .

 

 

Il y en a qui ne sont pas d’accord

 

 

Musatafa al-Kadhimi

 

 

Mais bien sûr, tout le monde n’est pas d’accord avec ce type de raisonnement. Le Premier ministre irakien Moustafa al-Kadhimi a condamné l’attaque aérienne américaine du 24 juin, la qualifiant de « violation flagrante et inacceptable de la souveraineté et de la sécurité nationale irakiennes ».

Selon Reuters, le porte-parole militaire irakien, le major-général. Yehia Rasool a critiqué le raid aérien comme étant un « viol de souveraineté  ».

Selon la BBC, Rasool

 

« a condamné les frappes, écrivant sur Twitter qu’elles représentaient “une violation flagrante et inacceptable de la souveraineté et de la sécurité nationale irakiennes”… Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a déclaré que les États-Unis “détruisaient la sécurité” au Moyen-Orient et qu’ils devraient “s’abstenir de prendre des mesures émotionnelles, de créer des crises et des tensions, et de multiplier les problèmes pour les habitants de la région” ».

 

Dans une déclaration envoyée à Newsweek, le Conseil National de Sécurité de Bagdad a indiqué qu’il « discutait [avec les États-Unis] des détails logistiques du retrait d’Irak des forces de combat ».

Une puissance nucléaire éprouve des sentiments identiques. En ce qui concerne la position anti-République Populaire de Chine du G7 en Angleterre, le 13 juin, un porte-parole de l’ambassade de Chine à Londres a déclaré :

 

« L’époque où les décisions mondiales étaient dictées par un petit groupe de pays est depuis longtemps révolue. Nous croyons toujours que tous les pays, qu’ils soient grands ou petits, forts ou faibles, pauvres ou riches, sont égaux, et que les affaires mondiales doivent être traitées en consultant tous les pays ».

 

Dans un discours prononcé le 1er juillet sur la place Tiananmen à Pékin pour commémorer le 100e anniversaire de la fondation du Parti Communiste Chinois, le président Xi Jinping – en veste Mao pour bien préciser à quelle mode obéissait sa déclaration – a ironisé sur les « prêches moralisateurs » des États-Unis et a énoncé une claire mise en garde :

 

« Nous ne permettrons jamais à personne d’intimider, d’opprimer ou d’assujettir la Chine. Quiconque osera s’y risquer se fracassera la tête contre la Grande Muraille d’acier forgée par plus de 1,4 milliard de Chinois ».

 

 

Xi Jinping prononce un discours sans équivoque, en veste Mao. [Source : theguardian.com]

 

 

 

L’éternelle rivalité entre grandes puissances*

Si la Russie a complètement abandonné le socialisme et si la Chine a une économie de plus en plus capitaliste et s’est muée en une société de consommation en expansion permanente, quel est le principal sujet de chicane que Washington et sa coterie persistent à nourrir envers Moscou et Pékin ? En 1949, il y avait assurément une composante idéologique très puissante opposant l’Est à l’Ouest (et à Tokyo). Mais depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’Union Soviétique, ainsi que la pénétration généralisée du capitalisme en République Populaire de Chine, le socialisme et le communisme ne sont plus les principaux enjeux.

Pourtant, la Russie et la Chine sont « la chanson qui reste la même » et d’éternels ennemis, simplement parce que ce sont de grands pays dotés de l’arme nucléaire, et qu’ils possèdent également d’importantes forces militaires conventionnelles. Dépouillés de toutes leurs différences doctrinales, les crises de nerfs du G7 et de l’OTAN se résument à une rivalité entre grandes puissances, à un affrontement entre concurrents, à un « nous contre eux » dans la course sans fin pour la domination mondiale.

Biden essaie-t-il de redonner à cette compétition un petit goût idéologique de guerre froide, en la faisant passer pour un affrontement entre « les démocraties et les autocraties » (version 2021 de « l’empire du mal » de Ronald Reagan dans les années 1980 ou de « l’axe du mal » de George W. Bush) ? Si tel est le cas, qu’en est-il de la Hongrie, membre fondateur de l’OTAN et de l’UE, dirigée d’une main de fer par le Premier ministre Viktor Mihály Orbán (avec l’aide de Tucker Carlson de Fox, qui adore l’orbánisme) ?

 

 

Tucker Carlson et Viktor Orban à Budapest – août 2021

 

 

Mais les Américains n’ont pas besoin de regarder jusqu’en Europe de l’Est pour trouver des signes d’autoritarisme, il nous suffit de regarder chez nous : Un président qui perd une élection à propos de laquelle il n’a cessé de mentir*, enflammant une foule qui prend d’assaut le Capitole, et, dans la foulée, un Congrès incapable de mettre sur pied une commission d’enquête indépendante chargée de tenir pour responsables de leurs actes les putschistes de haut vol et les co-conspirateurs responsables de la tentative de coup d’État.

Le droit de vote est restreint par des tas de dispositions d’État et par la Cour suprême, tandis que le Congrès ne parvient pas à adopter les lois qui garantiraient que tous les citoyens qui en ont le droit puissent voter. Pendant ce temps, une droite qui relèver la tête et  des suprémacistes blancs menacent la démocratie, et on voit les nationalistes chauvins blancs célébrer le 4 juillet 2021 en défilant dans les rues (et qui sait quelle merde pourra toucher le ventilateur quand le 20e anniversaire du 11 septembre et/ou le rassemblement « Justice pour J6 » prévu pour le 18 septembre sur le terrain du Capitole arriveront ?)

 

 

Des extrémistes de droite devant le capitole de l’État du Michigan en avril 2002, une scène de plus en plus familière aux États-Unis [Source : usnews.com].

 

 

Ce que je veux dire, ce n’est pas que la Russie et la Chine ont un bilan sans tache en matière de droits de l’homme – ce n’est certainement pas le cas.

Mais ce n’est pas non plus le cas des États-Unis et de leurs collaborateurs. Les États-Unis peuvent bien se vanter d’être le « leader du monde libre » – mais quand a eu lieu l’élection de l’Amérique à cette position élevée par tous les peuples de la planète ?  Le fait est que, dans le monde de l’après IIe mondiale, avec son état de guerre perpétuel, on peut soutenir que Washington a été l’acteur le plus perturbateur qui se soit produit sur la scène internationale, fomentant d’innombrables coups d’État, s’ingérant dans tous les scrutins et truquant toutes les élections d’innombrables pays, envahissant dans une série éternelle de guerres, des nations qui n’ont jamais, elles, attaqué les États-Unis.

Il suffit de penser aux guerres totalement injustifiées, déstabilisantes et coûteuses du Viêt Nam et de l’Irak, où les décideurs américains ont commis des meurtres de masse sur des millions de personnes et extorqué des milliards à leurs contribuables – pour quoi faire ? Pour montrer « qui est le chef » et « qui dirige le spectacle » ? Et comment cela a-t-il marché ? Le 31 août, Biden a expliqué que la poursuite des dépenses des États-Unis en Afghanistan se traduirait par un bond de « 300 millions de dollars par jour pendant deux décennies ».

Mais que signifie au juste « L’Amérique est de retour » d’un Biden exultant ? Si l’administration Biden pense poursuivre le vieux scénario d’après-guerre mangé aux mites qui consistait à chercher des noises à la Russie et la Chine et à bombarder le Moyen-Orient, elle découvrira bientôt qu’au lieu de se contenter de jouer « La chanson est toujours la même » (« The Song Remains the Same ») de Led Zeppelin, Washington chantera aussi les paroles d’« On ne nous y reprendra plus » (« Won’t Get Fooled Again ») des Who : « Va voir le nouveau patron, c’est le même que l’ancien patron » (« Meet the new boss, same as the old boss »).

 

 

« REGRETTER QUOI ? » : L’Apocalypse de l’Afghanistan est un cas type.

Le dénouement de fin du monde en Afghanistan est un cas type qui montre exactement ce qui ne va pas dans la géopolitique U.S. d’après la Deuxième Guerre mondiale. Il montre bien comment les intérêts matériels comme moteur suprême et les obsessions de l’anticommunisme et de l’endiguement de la Russie et de la Chine, combinés à l’ingérence tous azimuts des États-Unis, ont semé les graines du désastre actuel en Afghanistan.

 

 

Scène de la prise de pouvoir des Talibans à Kaboul. [Source : nytimes.com]

 

 

On pourrait remonter jusqu’à Alexandre le Grand ou aux immixtions de T.E. Lawrence en Arabie pendant la Première Guerre mondiale pour expliquer cette débâcle, mais quoique pertinent, cela dépasserait le cadre de cette analyse. Voici quelques faits qui mettent en relief la perfidie et l’absurdité de l’interventionnisme catastrophique de la politique étrangère U.S. dans un pays qui enterre les empires. Ils expliquent assez bien comment nous en sommes arrivés là.

 

 

Alexandre le Grand en Afghanistan. [Source : warfarehistorynetwork.com]

 

 

Jimmy Carter, 96 ans, est généralement dépeint et perçu comme un président défenseur des droits de l’homme, un ancien président modèle qui a servi comme observateur électoral et constructeur de maisons Habitat for Humanity après avoir quitté ses fonctions.

Mais sous le personnage bienveillant au sourire plein de dents, on découvre que le chaos afghan d’aujourd’hui est directement imputable à Carter et à son administration. Dans une interview publiée du 15 au 21 janvier 1998 sous le titre « Comment Jimmy Carter et moi avons créé les moudjahidines », dans l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, le conseiller à la sécurité nationale de Carter, Zbigniew Brzezinski, avouait :

 

« Selon la version officielle de l’histoire qui a prévalu jusqu’à présent, l’aide de la CIA aux moudjahidines a commencé au cours de l’année 1980. La vérité est complètement différente. En effet, c’est le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive d’aide secrète aux opposants au régime pro-soviétique de Kaboul. Et le jour même, j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait susciter une intervention militaire soviétique ».

 

Interrogé 20 ans après que ce Gros Mensonge ait été répandu et que des dizaines de milliers de vies aient été perdues – « Vous ne regrettez rien aujourd’hui ? » –, Brzezinski a répondu :

 

« Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter : “Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam.” Et en effet, pendant près de dix ans, Moscou a dû poursuivre une guerre que le gouvernement ne pouvait pas soutenir, un conflit qui a entraîné la démoralisation et qui a fini par faire éclater l’empire soviétique. »

 

 

Zbigniew Brzezinski et Jimmy Carter – Architectes du djihad en Afghanistan et à l’origine de 40 ans de désastre pour le pays. [Source : rt.com]

 

 

Lorsque Le Nouvel Observateur a pressé plus avant le faucon de la guerre froide, en lui demandant : « Et vous ne regrettez pas non plus d’avoir soutenu le [fondamentalisme] islamique, d’avoir donné des armes et des conseils aux futurs terroristes ? », Brzezinski a répondu :

 

« Qu’est-ce qui est le plus important pour l’histoire du monde ? Les talibans ou l’effondrement de l’empire soviétique ? Quelques musulmans agités ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

 

Or donc, bien que Washington soit à des milliers de kilomètres de Kaboul, alors que l’URSS partageait une frontière de plus de 1.600 kilomètres avec l’Afghanistan, sous Carter et Brzezinski, les États-Unis ont commencé à intervenir secrètement dans les affaires intérieures afghanes avant que les Soviétiques ne le fassent et non après, ainsi que Moscou l’a cru de bonne foi mais que Washington a dissimulé pendant des décennies.

Comme le souligne avec finesse le caricaturiste-chroniqueur et correspondant en Afghanistan Ted Rall dans son livre Political Suicide (2020) :

 

« C’est presque perdu pour l’histoire, mais la présidence de Jimmy Carter a marqué le premier virage à droite de la politique démocrate moderne ».

 

Le régime Carter a ouvert les vannes de l’opération clandestine américaine la plus coûteuse à ce jour, dont le nom de code prophétique était d’ailleurs « Opération Cyclone », et dont les vents sauvages continuent de souffler. Comme l’a écrit Tim Weiner (prix Pulitzer), le 7 janvier 2019 dans le Washington Post :

 

« La CIA a fait passer clandestinement pour des milliards de dollars d’armes entre les mains de la résistance afghane. Cela a saigné l’Armée rouge, et laissé au moins 15 000 soldats et commandos morts sur le champ de bataille…. »

 

Un trésor d’un millier de pages de documents de la Maison Blanche, de la CIA et du Département d’État qui vient de tomber dans le domaine public enrichit considérablement nos connaissances sur ce qui s’est passé avant et après l’invasion soviétique. Il montre qu’en 1980, la CIA du président Carter a dépensé près de 100 millions de dollars pour expédier des armes à la « résistance » afghane.

 

 

Lors d’une visite à un avant-poste de l’armée pakistanaise en 1980, Brzezinski a utilisé le viseur d’une mitrailleuse pour regarder au-delà de la frontière afghane. Il a fait cadeau de milliards de dollars en aide militaire aux militants islamiques qui combattaient les troupes soviétiques en Afghanistan. [Source : nytimes.com]

Le barbu qui l’écoute avec tant d’attention serait Oussama Ben Laden. LGO

 

 

Le trafic d’armes mondial de Carter a été plus agressif que nous ne l’avons su. Son but était d’évincer les Soviétiques… Dans les années 1980, il s’est encore développé, pour devenir la plus grande action secrète américaine de la guerre froide. Le président Reagan a fini par faire monter la barre jusqu’à 700 millions de dollars par an… En très peu de temps, l’Afghanistan s’est vu inonder d’armes pour des milliards de dollars.

Dans le zèle antisoviétique de DC, l’un des djihadistes armés et financés par la CIA s’appelait Oussama ben Laden, que l’ex-consultant de la CIA Chalmers Johnson qualifiait dans son livre Blowback, The Costs and Consequences of American Empire, publié en 2000, d’« ancien protégé des États-Unis ».

 

 

Oussama ben Laden avec les moujahadines afghans. [Source : experimentwithperspective.blogspot.com]

 

 

Alors que la guerre froide touchait à sa fin, le président George H.W. Bush, reflétant la puissance de l’impérialisme américain, a décidé de dilapider les « dividendes de la paix » dans une nouvelle aventure militaire, en s’empêtrant cette fois dans les conflits entre l’Irak et le Koweït. Selon Blowback, Ben Laden

 

« s’est retourné contre les États-Unis en 1991 parce qu’il considérait le stationnement de troupes américaines dans son Arabie saoudite natale [où se trouve la Mecque] pendant et après la guerre du Golfe, comme une violation de ses croyances religieuses ».

 

Dans un article de mars 2005 intitulé « La plus grande opération secrète de l’histoire de la CIA », Johnson poursuit en écrivant :

 

 « Les “dizaines de milliers de fondamentalistes musulmans fanatiques” que la CIA a armés sont les mêmes qui, en 1996, ont tué 19 aviateurs américains à Dhahran, en Arabie saoudite, qui ont bombardé nos ambassades au Kenya et en Tanzanie en 1998 [huit ans jour pour jour après le déploiement des troupes américaines en Arabie Saoudite] et qui ont fait un trou dans le flanc du destroyer américain Cole dans le port d’Aden en 2000… ».

 

On pense que c’est Oussama Ben Laden qui a exécuté ces attaques terroristes de plus en plus nombreuses et, selon le Presidential Daily Brief du 6 août 2001 intitulé « Bin Ladin Determined to Strike in US » :

 

« Des rapports clandestins, de gouvernements étrangers et de médias indiquent que Ben Laden souhaite depuis 1997 mener des attaques terroristes aux États-Unis. »

 

Ben Laden a laissé entendre, lors d’interviews à la télévision américaine en 1997 et 1998, que ses partisans suivraient l’exemple de Ramzi Yousef, le poseur de bombe du World Trade Center, et « apporteraient le combat en Amérique ».  

Malgré le fait qu’il ait réussi à frapper les biens et les bases-menaces des États-Unis, Washington a fait la sourde oreille à la demande d’Oussama Ben Laden de retirer ses troupes d’Arabie saoudite.

 

 

La base aérienne Prince Sultan, au sud de Riyad, qui a accueilli des troupes américaines. [Source : almashareq.com]

 

 

Dans son film Bowling for Columbine, récompensé par un Oscar en 2002, Michael Moore résume brillamment et de manière cinglante la politique étrangère et les actions secrètes des États-Unis, dans la séquence de montage « What a Wonderful World » qui culmine sur les avions percutant le World Trade Center, accompagnée du texte suivant : « 11 septembre 2001 : Oussama Ben Laden utilise sa formation d’expert de la CIA pour assassiner 3.000 personnes ».

Les changements d’alliances de l’Amérique en Afghanistan donneraient le tournis à Orwell.

Le 29 avril 2003, le secrétaire à la défense Rumsfeld a annoncé que les États-Unis retireraient toutes leurs troupes d’Arabie saoudite et le 26 août 2003, elles étaient parties. Le 11 septembre aurait-il pu être évité si les Yankees étaient simplement rentrés chez eux deux ans plus tôt, éliminant ainsi un sujet d’irritation majeur pour les djihadistes ? Dans ce cas, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan par les États-Unis – la plus longue guerre de l’histoire des USA – auraient-elles pu être complètement évitées ?

Demandons aux survivants des proches disparus dans les tours jumelles ou aux soldats tués ou blessés dans la guerre d’Afghanistan si le stationnement de troupes pour protéger le royaume saoudien – qui ont quand même fini par être retirées – valait la perte et le chagrin qu’ils ont subis ?

De même, demandons à ceux qui ont été pris dans le chaos qui règne en Afghanistan ces dernières semaines ce qu’ils pensent du subterfuge de Carter et Brzezinski en Asie centrale ? Toutes ces escapades impérialistes ont-elles été un jeu qui valait la chandelle, pour ceux qui souffrent maintenant de la realpolitik américaine ? Les gens ordinaires, de Manhattan à Kaboul, qui ont souffert  des conséquences de la politique étrangère américaine n’éprouvent-ils pas plus que jamais les « regrets » que des fanatiques impitoyables comme Brzezinski n’ont su que railler ?

 

 

Un jugement impérial

Sur le plan intérieur, on entend beaucoup dire que l’Amérique est en train de vivre « un règlement de comptes racial ». L’administration Biden semble rechercher des changements de politique sur le front intérieur, comme la nomination de la première personne indigène au poste de secrétaire d’État et un nouveau crédit d’impôt dont on annonce à grand bruit qu’il réduira considérablement la pauvreté pour les enfants. Mais en termes de relations internationales, les États-Unis ont également besoin d’un nouveau paradigme en matière de politique étrangère – appelons-le « Règlement des comptes impériaux ».

Martin Luther King déplorait que l’Amérique fût en train de perdre la guerre contre la pauvreté, parce que les fonds dont avait besoin la Grande Société étaient détournés vers les champs de bataille du Viêtnam. De même, les États-Unis risquent de perdre aussi la guerre contre la pandémie (et peut-être même celle des infrastructures) parce que les ressources américaines sont dépensées et gaspillées à l’autre bout du monde, dans des régions aussi éloignées que l’Afghanistan et dans les centaines d’« avant-postes » où sont stationnées les forces armées américaines à l’étranger.

 

 

Les idées de Martin Luther King Jr. font cruellement défaut aujourd’hui. [Source : leftvoice.org]

 

 

Il n’est pas étonnant que, selon un nouveau sondage AP, « près des deux tiers des Américains ne pensent pas que la guerre d’Afghanistan, la plus longue de l’histoire des États-Unis, valait la peine d’être menée ». Toutefois, la volonté générale du peuple est contrecarrée par un système qui poursuit, outre-mer, des objectifs intéressants pour la classe dirigeante, mais pas pour la majorité des Américains.

La chute de l’Afghanistan pourrait galvaniser une manière différente de voir les relations internationales par un ensemble de nouveaux yeux. En dépit de décennies d’ingérence dans les affaires intérieures de ce pays, qui remontent en fait à l’administration Carter, et malgré les dépenses massives et inutiles de sang et de trésorerie qu’ils ont accumulées pendant 42 ans, les États-Unis semblent bien avoir perdu leur guerre éternelle en Asie centrale.

Pour être précis, qu’est-ce que l’intervention américaine en Afghanistan depuis les années 1970 (et au-delà) a fait gagner à l’Amérique ? Les événements qui viennent de se dérouler – de Kaboul au 6 janvier du Capitole – prouvent que le si redoutable colosse « armée/espionnage/talon de fer US », n’est en réalité pas qu’un tigre de papier, mais également un tigre sans dents.

Ceci et le 20e anniversaire du 11 septembre, devraient réveiller les décideurs politiques et les Américains ordinaires du cauchemar dans lequel ils sont les gendarmes du monde. Au lieu de se bercer de l’illusion que les États-Unis sont une sorte de cité exceptionnelle sur une colline, un phare de la liberté éclairant le monde, l’Amérique pourrait enfin se rendre compte et accepter qu’elle est, en fait, juste un pays comme les autres.

 

 

Le 20e anniversaire du 11 septembre devrait offrir une occasion de réflexion et de transformation d’une politique étrangère destructrice et suicidaire. [Source : blackhelmetapparel.com]+

 

 

S’ils le faisaient, le Pentagone et les autres instances supérieures pourraient cesser de s’accrocher aux multiples bases dont ils ont ferré le globe ; il est temps que les Yankees rentrent chez eux. D’autant plus que Washington aggrave toujours les choses en intervenant dans les affaires intérieures des autres. L’Amérique doit prendre la place qui lui revient, celle d’une nation parmi d’autres, pas pire qu’une autre, mais pas meilleure non plus.

Si elle se réveille de son cauchemar du Jour sans fin, l’Amérique pourra enfin aller de l’avant, concentrer son énergie et ses ressources sur la résolution de ses problèmes intérieurs, au lieu de chercher à l’étranger des monstres à détruire, pour pouvoir dominer leurs pays. Si les Américains veulent cesser de se faire botter le cul, ils doivent arrêter de mettre leur nez là où il n’ont rien à faire, dans les affaires intérieures des autres, et de tuer, directement ou indirectement (des dizaines de millions  de personne rien qu’au cours du dernier demi-siècle). Personne n’aime les fouille-merde : occupez-vous de vos propres affaires.

Ceci n’est pas de l’« américanisme » ou de l’isolationnisme, c’est de l’anti-interventionnisme. À l’heure où l’Amérique fait ses comptes impériaux, mettez de l’ordre dans vos affaires en donnant la priorité aux besoins de votre peuple, au lieu de gaspiller du sang et des trésors dans des guerres éternelles, coûteuses et impossibles à gagner.

Laissez les autres tranquilles.

Washingtonien : Guéris-toi toi-même.

___________________  

* Nous laissons à l’auteur la paternité de ses opinions. LGO

** En français dans le texte

 

 

Ed Rampell

… est un critique de cinéma basé à Los Angeles qui critique aussi le plus grand spectacle de la planète : les affaires étrangères et l’actualité.

Il peut être contacté à l’adresse erampell@gmail.com .

 

Source : https://covertactionmagazine.com/2021/09/04/ass-kicking-in-afghanistan-offers-opportunity-to-reorient-u-s-foreign-policy-or-will-it-just-be-another-groundhog-day/

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/le-coup-de-pied-au-cul-recu-en-afghanistan-va-t-il-fournir-loccasion-de-reorienter-la-politique-etrangere-us/

 

 

 

 

Septembre 2021

 

 

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