Le pique-nique des oligarques.

 

Qu’y a-t-il au menu quand les oligarques de Trump négocient avec les oligarques de Poutine ?

 

John Helmer – Dances with Bears – 23.1.2025

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

 

by John Helmer, Moscow
@bears_with

https://www.youtube.com/watch?v=6S_eKvc2PgQ

(Citation libre de j.h. et traduction plus libre  encore des G.O.)

 

 

Si vous allez aux bois ce-)jour, d’une surprise soyez sûrs

Si vous allez au bois ce-jour, n’y allez que déguisés

Car tous  les oligarques qui  jamais furent

Sont cartains de s’y retrouver.

Oui, c’est aujourd’hui, nique nique nique,

 Que les oligarques font leur pique-nique.

 

Tous ceux qui ont été malins, d’être gâtés seront certains.

Car il ty aura beaucoup de choses délectables à manger,

Et bien des  jeux amusants à jouer.

Sous les arbres, où personne ne peut les voir,

Ils joueront à cache-cache jusqu’au soir,

Car c’’est ainsi, nique nique nique,

Que les oligarques font leur pique-nique.

 

Il n’y a pas beaucoup de différence, politiquement parlant, entre les bisounours de la vieille comptine, les oligarques qui croient qu’ils viennent de mettre Donald Trump au pouvoir, et les oligarques qui croient qu’ils maintiennent Vladimir Poutine au pouvoir depuis 1999. Ils veulent tous les mêmes gâteries : « des choses délectabless à manger, » et « des jeux amusants à jouer ».

En résumé, ce qu’ils veulent, c’est de l’argent par tranches d’un milliard de dollars. Et parce qu’ils y croient, ils ont dit à Trump et à Poutine qu’une fois arrivés au pique-nique qu’ils ont préparé sur le champ de bataille ukrainien, ils seront forcément capables de se mettre d’accord sur ce qu’ils veulent faire ensemble.

Bien sûr, ce sera en secret, « sous les arbres, où personne ne peut les voir ».

Entre 1911 et 1915, pendant la Première Guerre mondiale, Robert Michels, un sociologue italien, a expliqué à quel point cette situation était courante.  Il n’a pas seulement décrit l’inévitabilité de la domination des oligarques sur les gouvernements et les organisations d’opposition des deux côtés de la guerre, mais ce qu’il a appelé la « loi d’airain de l’oligarchie ». Il a également indiqué que la guerre elle-même accélérerait le processus par lequel cette domination des oligarques des deux côtés dicterait l’issue de la guerre, en fonction de leurs intérêts communs.

« Jamais la puissance de l’Etat n’est plus grande, écrit Michels, et jamais les forces des partis politiques d’opposition ne sont moins efficaces qu’au moment où la guerre éclate. Cette guerre déplorable, venue comme une tempête dans la nuit, alors que chacun, fatigué des travaux de la journée, était plongé dans un sommeil bien mérité, fait rage dans le monde entier avec une violence inouïe, et avec un tel manque de respect pour la vie humaine et de considération pour les créations éternelles de l’art, qu’elle met en péril jusqu’aux pierres angulaires d’une civilisation plus que millénaire. »

 

 

L’assemblée des oligarques lors de l’investiture de Trump, le 20 janvier 2025. Pour en savoir plus sur la loi d’airain de l’oligarchie de Michels appliquée à la Russie, lisez ceci.

 

Épinglés (de gauche à droite) :

  • Mark Zuckerberg, PDG de META
  • Jeff Bezos, Président exécutif d’AMAZON
  • Sundar Pichal, PDG de GOOGLE
  • Elon Musk, PDG de TESLA MOTORS
  • Isaac Pertmutter, Homme d’affaires
  • Sergueï Brin, co-fondateur de GOOGLE
  • Tim Cook, PDG d’APPLE
  • Phil Ruffin, Propriétaire de casino
  • Miriam Adelson, Donatrice politique
  • Bernard Arnault, PDG de LMVH
  • Dana White, PDG d’UFC.

 

Aujourd’hui, nous en sommes à peu près au même point, mais les oligarques pensent en termes commerciaux, pas en termes sociaux ou éthiques. Pour les oligarques des deux camps, le problème réside dans le fait que la guerre des sanctions de ces trois dernières années a créé l’écart le plus important qui soit entre la valeur réelle des actifs et leur valeur commerciale, telle qu’elle existe aujourd’hui sur le marché mondial – il s’agit de l’écart entre la valeur bancaire d’avant-guerre des matières premières, des ressources et des actifs des entreprises russes et leur prix actuel diminué sous l’effet des sanctions. Pour les oligarques des deux camps, il s’agit de savoir comment gagner de l’argent en comblant cet écart grâce aux négociations de fin de guerre.

Il a été demandé à une poignée de sources russes assez proches des oligarques russes de prédire les conditions de fin de guerre que les oligarques russes et américains tenteront, par des pressions, d’obtenir de leurs présidents.  Voici leurs prédictions :

 

  • Pétrole et gaz. Les Russes estiment qu’aucun accord sur le moindre assouplissement des sanctions actuelles n’est probable parce que les oligarques US ont convaincu Trump d’utiliser les sanctions pour augmenter le prix, la rentabilité et la part de marché internationale du pétrole et du gaz américains.  La dernière menace de Trump en est la preuve . « Je vais faire une très grande FAVEUR à la Russie, dont l’économie est défaillante, et au président Poutine », a déclaré Trump le 22 janvier.  « Réglez la question maintenant et mettez fin à cette guerre ridicule ! ELLE NE FERA QU’EMPIRER. Si nous ne parvenons pas à un “accord”, et rapidement, je n’aurai pas d’autre choix que d’imposer des taxes, des droits de douane et des sanctions encore plus élevés sur tout ce qui est vendu par la Russie aux États-Unis et à d’autres pays participants ». Une source russe estime que cette dernière phrase de Trump signifie qu’il ciblera les principaux bénéficiaires de l’actuel commerce à prix réduit du pétrole et du gaz russes, à savoir la Chine et l’Inde. L’objectif de Trump, selon les sources russes, sera d’empêcher le prix du pétrole de dépasser les 80 dollars le baril ou de tomber en dessous de 60 dollars. « Cela lui reviendra dans la figure », ajoute une source de l’industrie pétrolière. « [Le Premier ministre Narendra] Modi vise à faire de l’Inde une superpuissance pétrolière. La guerre des sanctions US l’aide à atteindre cet objectif. Trump n’aura aucun moyen de l’en empêcher. »
  • Avions Boeing. Au cours des cinq dernières années, Boeing Corporation a perdu près de la moitié de sa capitalisation boursière. La sécurité, la gestion, la logistique et d’autres facteurs ont également fait perdre à l’entreprise sa part du marché international en matière d’avions, ce qui a conduit à des spéculations sur un démembrement des actifs.

 

Une source russe estime qu’un assouplissement des sanctions sur l’exploitation par la Russie de sa flotte aérienne Boeing serait le type de sauvetage dont Boeing a besoin. C’est comparable, rappelle la source, à la tentative de sauver General Motors de la faillite en vendant sa division Opel au groupe Russian Machines d’Oleg Deripaska – accord que Hillary Clinton a empêché en 2009.

 

  • Immobilier. Des oligarques russes comme Roman Abramovitch et Oleg Deripaska possèdent des biens immobiliers somptueux aux USA : à Manhattan, à Washington, DC, ainsi que dans les stations balnéaires du Colorado et de la Floride. L’assouplissement des sanctions pour permettre à ces personnes de récupérer l’accès à leurs propriétés américaines ou de vendre leurs biens immobiliers contre de l’argent convertible, est le type d’accord que Trump et sa famille sont censés privilégier. La perspective d’une telle conversion générant une marge bénéficiaire importante pour les acheteurs liés à Trump en fait un pot-de-vin légal.
  • Re-dollarisation. Dans son discours de campagne devant l’Economic Club de New York en septembre dernier, Trump a affirmé que la guerre des sanctions était néfaste pour le dollar américain, parce qu’elle « finira par tuer le dollar et tout ce qu’il représente. « Je pense que si nous perdions le dollar en tant que monnaie mondiale, cela équivaudrait à perdre une guerre. Nous deviendrions un pays du Tiers Monde… [Dans ce cas-là] vous perdez l’Iran, vous perdez la Russie. La Chine essaie de faire en sorte que sa monnaie devienne la monnaie dominante… Je veux utiliser les sanctions le moins possible. »  Les sources russes s’attendent donc à un assouplissement de l’exclusion de la Russie du système de paiement SWIFT et à d’autres mesures visant à renforcer l’influence de la Banque Centrale Russe et de son gouverneur, Elvira Nabiullina, dans le processus décisionnel du Kremlin.
  • Cieux ouverts. Le survol de la Russie et les autres limitations des routes aériennes ont été largement auto-imposés par les compagnies aériennes américaines, européennes et alliées, ce qui a déclenché des représailles de la part de Rosaviatsiya, l’agence fédérale du transport aérien. Ces mesures ont eu pour effet d’exercer une pression sur les coûts des compagnies aériennes occidentales et de leur faire perdre des parts de marché. Trump s’attribuera probablement le mérite d’avoir ouvert les cieus en levant les restrictions imposées par les USA et fera sans doute pression sur l’Union européenne pour qu’elle fasse de même.
  • La plaque tournante de Dubaï, la fermeture de Chypre. L’administration Biden a forcé la fermeture des structures d’évasion fiscale des oligarques russes à Chypre, et déclenché leur délocalisation vers les Émirats Arabes Unis (EAU), en particulier Dubaï. Une source reconnaît : « ils utilisent le système SWIFT et tout ce qu’ils font est totalement transparent pour les Américains. Les trois dernières listes de sanctions comportent tellement d’entités des EAU que nous devons nous attendre à ce qu’elles partagent toutes les informations sur les flux financiers qu’exigent les Américains. Toutefois, contrairement aux Chypriotes, les Émiratis ne s’en prennent pas aux Russes. Chypre s’est distinguée à plusieurs égards. Pendant 25 ans, les Chypriotes ont activement blanchi l’argent des oligarques par le biais de prix de transfert et d’autres stratagèmes. Ils ont été le principal centre offshore pour les sorties de capitaux russes, sans offrir de véritable service au commerce. En revanche, Dubaï offre des services commerciaux et est bien plus qu’un centre offshore de transfert de capitaux. Les Chypriotes ont vendu des passeports aux oligarques et ont empoché beaucoup d’argent. Les Émirats Arabes Unis n’ont pas agi de la sorte. Sous la pression des USA, les Chypriotes ont vendu tous leurs clients russes et sont devenus l’un des pires états anti-russes de l’UE. Trump peut faire pression sur Dubaï pour qu’il fasse de même, mais il n’y parviendra pas. Les Émirats Arabes Unis vont préserver leur rôle, qui est de remplacer Chypre et Londres, et même Anvers pour le commerce des diamants. C’est parce qu’ils sont la plaque tournante idéale pour que les Russes investissent dans leurs systèmes de transport maritime, d’assurance et de règlement des échanges avec l’Inde et la Chine.

 

Comment les ours paieront-ils leur pique-nique ?

Avec les « memecoins » et les crypto-monnaies ajoute une source moscovite. « Je pense que Trump sera très gentil avec les Émiratis, ainsi qu’avec les Saoudiens. Les gens comme Justin Sun – cerveau et opérateur des systèmes de crypto-monnaie de Donald et Melania Trump – et Pavel Durov de Telegram protègent le cœur de leurs activités aux Émirats Arabes Unis, et ce sont des activités dont Trump et sa famille profitent déjà.  C’est là qu’ils pourraient éventuellement accumuler leur richesse. Les oligarques de Trump et les oligarques de Poutine aussi.

Source : https://johnhelmer.net/the-oligarchs-picnic-whats-on-the-menu-when-trumps-oligarchs-negotiate-with-putins-oligarchs/

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/le-pique-nique-des-oligarques/

 

 

 

Janvier 2025

One Responses

  • semimi

    Merci pour la traduction particulièrement édifiante des moeurs de la « caste » russe ou trumpiste. Pour l’instant, ils ont les mêmes objectifs, mais pas le mêmes moyens, ce qui fait saliver les moins favorisés.
    Merci d’avoir traduit ce texte de John Helmer dont les zombies occidentaux n’ont probablement jamais entendu parler qui permet de mieux comprendre la taille des icebergs entre lesquels naviguent Le président Poutine et son gouvernement.

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