Les larmes de Roger Waters

 

 

 

Gideon Levy – I.C.H. – 16.8.2022

 

Traduction : c.l. pour L.G.O. 17.8.2022

 

 

 

 

 

 

Roger Waters a pleuré mercredi. C’était sur sa page Twitter, alors qu’il lisait, devant la caméra, un essai qu’il avait trouvé sur le site d’information Mondoweiss la nuit précédente. Il y était question d’un gamin de la bande de Gaza.

 

« J’aimerais vraiment pouvoir me reposer, ou qu’un psychologue m’aide comme d’autres personnes dans le monde qui souffrent des guerres », avait déclaré Mohammed. « Personne, pendant ou après la guerre, n’a demandé, à moi ou à ma famille, “comment ça va ?” ».

 

Mohammed est soutien de famille, à 13 ans. Et seuls ses pleurs, écrit Tareq Hajjaj, « arrivent à faire fondre le bouclier de virilité » qu’il est obligé de porter. « Je ne veux pas que ma mère souffre comme les mères des enfants qui ont été tués », sanglote-t-il.

 

Il aurait souhaité grandir ailleurs, là où il ne mourrait que « lorsque son corps serait complètement développé », écrit Hajjaj. Et c’est là que Waters a lui-même fondu en larmes. Aucun être normalement constitué ne pourrait rester indifférent aux larmes du musicien. Waters, grand homme de la conscience.

 

 

 

Page Twitter de Waters

https://twitter.com/i/status/1557109596917039106

 

 

 

Mais pour les Israéliens, ce n’est jamais qu’un show venu d’une autre planète. Ils ont mille mécanismes de défense contre les larmes de Waters. Supposons même que Waters soit vraiment, comme ils le disent, « un antisémite » et « quelqu’un qui déteste Israël » – ce qu’il n’est pas – mais… pleurer pour un gamin de Gaza ! Et les enfants de Sderot alors ?

 

Un Israélien a-t-il jamais versé des larmes sur un gamin de Gaza ? Y a-t-il même beaucoup d’Israéliens qui aient la moindre conscience de ce qui est arrivé aux enfants de Gaza pendant ces trois jours de « succès colossal », qui ont submergé Israël de vagues de fierté et d’autosatisfaction telles qu’on n’en avait pas connu depuis longtemps ? C’est bien simple, on n’avait plus vu un tel succès depuis la victoire d’Israël dans la guerre des Six Jours en 1967. Encore quelques journées comme celles-là et on aurait vu sortir des albums.

 

Seule la mort de Zili, un chien de la police des frontières, à Naplouse – qui a fait la une du quotidien Yedioth Ahronoth, ses funérailles, les larmes, la tombe, les éloges funèbres et la déclaration officielle de deuil par le Premier ministre – a pu peser un peu sur l’ivresse de la victoire. Qui n’a pas été troublée une seule seconde par les scènes de Gaza, parce que les scènes de Gaza n’ont jamais été montrées. Jamais auparavant une tuerie n’a été aussi stérile. Mais les médias israéliens n’en ont rien montré, absolument rien.

 

Cette opération a été une des plus corruptrices de l’histoire d’Israël. Au lieu d’être minimisée, comme l’ont été les autres frappes sur Gaza, celle-ci a été totalement exhibée. Pas une goutte de sang israélien, pas une seule maison détruite et pas une seule condamnation du monde extérieur, même prudente. Avec un coût aussi bas que celui-ci, l’appétit pour d’autres opérations du même genre ne va pas manquer d’enfler. Mardi, à Naplouse, on aurait dû pouvoir discuter au moins les résultats.

 

L’arrogance habituelle s’est accompagnée cette fois du sentiment enivrant d’une victoire douce et facile. Apportez-nous encore plein de guerres à prix réduits. Après tout, personne n’a été tué et presque aucune maison n’a été endommagée par l’opération Breaking Dawn du week-end dernier.

 

Mais il est impossible d’ignorer un autre des facteurs qui ont alimenté ce sentiment de victoire : c’est que, cette fois, l’opération a été lancée par les bons Israéliens. Ce sont eux qui sont au pouvoir maintenant. Vous avez vu avec quel brio ils ont vaincu ?

 

Il s’agit à vrai dire de la guerre la plus politique qu’Israël ait jamais menée. La droite était unie et soyez sûrs qu’elle ne va jamais prononcera un seul mot de critique sur le fait de tuer des Arabes. Le centre-gauche ruisselait de fierté : quel succès ! quelle gestion ! quelle audace ! La flatterie à l’égard des commandants de l’opération – le Premier ministre Yair Lapid et le ministre de la Défense Benny Gantz, qui sont deux « des nôtres » – a fait des heures supplémentaires.

 

Yossi Verter, pour sa part, a décrit comment la garde-robe de Lapid a changé grâce à ce pharamineux succès. Son « costume vide a été rempli », a-t-il écrit en guise de litote. Et d’ajouter le lendemain : « Sans aucun doute, c’est une plume au chapeau de Lapid » (Haaretz, le 8 août). Le costume qui a été rempli (de sang) et la plume au chapeau sont les vrais butins de cette guerre, qui s’est terminée sur « un rêve pour Israël ». Un rêve de guerre.

 

Verter a été rapidement suivi par un Uri Misgav débarrassé de tous ses faux-semblants : la véritable image de victoire de cette guerre, écrit-il, est celle de Lapid « briefant » le leader de l’opposition Benjamin Netanyahu (Haaretz en hébreu, du 7 août). Cela valait la peine d’aller en guerre pour cette image de victoire. Pour Misgav et ses pareils, il n’y a rien de plus doux.

 

Roger Waters s’est écrié. « Mais qu’est-ce qu’ils ont ces crevards d’Israéliens ? Qu’est-ce qu’ils ont dans le corps, qui ne va pas ? » J’aimerais tellement savoir quoi répondre à sa colère et à son désespoir.

 

Source : http://www.informationclearinghouse.info/57186.htm

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/les-larmes-de-roger-waters/

 

 

 

 

 

 

Août 2022

 

 

0 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.