ICH se demande si Israël existera encore dans 20 ou 50 ans

 

 

Pour les Israéliens, l’avenir est impossible à voir

 

 

Gideon Levy – Information Clearing House – 9.6.2022

 

Source d’origine : Middle East Eye”

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

 

 

 

S’il y a une chose qui manque complètement au programme public en Israël, c’est bien la vision à long terme. Israël ne regarde pas vers l’avenir, même pas à la distance d’une demi-génération.

 

Les enfants sont importants en Israël, et le temps et l’énergie qui leur sont consacrés dépassent largement ce qu’ils sont dans la plupart des autres sociétés. Pourtant, personne ne parle de ce qui les attend, eux ou leurs futurs enfants.

Il n’y a pas un seul Israélien, pas un seul, qui sache où va son pays.

Demandez à n’importe quel Israélien ordinaire ou à n’importe quel politicien, journaliste ou scientifique, du centre politique ou de la droite ou de la gauche : où allez-vous ? À quoi ressemblera votre pays dans 20 ans ? Ou dans 50 ans ? Ils ne sont même pas capables de décrire de quoi il pourrait avoir l’air dans 10 ans. Peu d’Israéliens pourraient même dire vers quoi ils aimeraient que leur pays se dirige, en dehors des slogans creux sur la paix, la sécurité et la prospérité.

 

Question troublante

Très instructive aussi est la seule question qui se pose à propos du long terme : Israël existera-t-il encore dans 20 ou dans 50 ans ? C’est tout ce que vous entendrez demander à propos de l’avenir d’Israël. En même temps, une autre question – « Y aura-t-il un jour la paix ? » – qui était omniprésente il y a une ou deux générations, n’est plus à l’ordre du jour et presque jamais posée.

Il y a très peu d’endroits au monde où les gens se demandent si leur pays existera encore dans quelques décennies. On ne se pose pas cette question en Allemagne ou en Albanie, ni au Togo ni au Tchad. Cette question n’est peut-être pas pertinente pour Israël non plus – qui est après tout une puissance régionale puissamment armée, avec des relations si impressionnantes, de telles prouesses technologiques et une telle prospérité, et en plus le chouchou de l’Occident. 

Pourtant, considérez le fait que de si nombreux d’Israéliens continuent de poser cette question, ces derniers temps plus que jamais. Remarquez les incroyables efforts que déploient les Israéliens pour obtenir un deuxième passeport pour eux-mêmes et leurs enfants – n’importe quel passeport ! Qu’il soit portugais ou lituanien, l’essentiel est d’avoir une option autre que le passeport israélien, comme si le passeport israélien n’était qu’une sorte de permis temporaire près d’expirer, comme s’il n’était pas possible de le renouveler éternellement.

Tout cela suggère que l’habitude israélienne de se mettre la tête dans le sable à propos de l’avenir du pays dissimule une peur profonde, et peut-être très réaliste, de ce que l’avenir peut réserver. Les Israéliens ont peur de l’avenir de leur pays. Ils se vantent de la puissance et des capacités de leur pays, une nation vertueuse, un peuple élu, une lumière pour les nations ; ils sont extrêmement fiers de leur armée, de leurs compétences, alors qu’en même temps une peur primordiale leur mord le ventre.

L’avenir de leur pays leur est caché, enveloppé dans un linceul de brume. Ils aiment parler en termes religieux d’éternité, de « une Jérusalem unie pour l’éternité » et de la « promesse éternelle de Dieu à Israël », alors qu’au fond, ils n’ont pas la moindre idée de ce qui va arriver à leur pays demain ou, au plus tard, après-demain.

 

L’auto-illusion ne fournit aucune réponse

Le nom de ce jeu est la répression, le déni, l’auto-illusion, à une échelle inconnue dans toute autre société imaginable. Tout comme pour la plupart des Israéliens, il n’y a pas d’occupation, et certainement pas d’apartheid, malgré les montagnes de preuves qui s’élèvent de plus en plus haut, de même, pour la plupart des Israéliens, demain n’existe pas. Demain n’est pas quelque chose dépendant d’un environnement ou d’un changement climatique possible ; demain n’est pas une circonstance où on est en relations avec un autre peuple, vivant à nos côtés avec notre genou sur sa gorge.

Essayez de demander à des Israéliens ce qu’il en sera quand ils se retrouveront avec une majorité de Palestiniens entre le Jourdain et la Méditerranée : dans le meilleur des cas, vous n’obtiendrez qu’un haussement d’épaules. Où tout cela va-t-il nous mener ? Allons-nous vivre éternellement par l’épée ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Vous découvrirez que – devinez quoi ? – les Israéliens ne se sont jamais posé cette question auparavant et que personne ne la leur a jamais posée. Leur expression vous dira qu’ils n’ont jamais entendu une question aussi bizarre. Quoi qu’il en soit, il n’y aura pas de réponse. Les Israéliens n’ont pas de réponse.

Cette situation est très malsaine, évidemment. Une société ne peut pas aller loin avec la tête enfouie dans le sable, et elle n’est certainement pas capable d’affronter les défis réels qui se poseront à elle. L’occupation, qui, plus que toute autre chose est ce qui définit Israël aujourd’hui, présente quelques défis – avec lesquels Israël refuse de se colleter. Que va-t-il se passer avec l’occupation ? Où va-t-elle mener les deux sociétés, celle de l’occupant et celle de l’occupé, l’Israélienne et la Palestinienne ? L’occupation pourra-t-elle durer toujours ?

Jusqu’à récemment, j’étais convaincu que l’occupation ne pouvait pas durer toujours. L’histoire nous a appris qu’un peuple qui se bat pour être libre l’emporte généralement et que les régimes pourris, comme l’occupation militaire du peuple palestinien par Israël, s’effondrent d’eux-mêmes, s’effondrent de l’intérieur à cause de la décomposition qui les imprègne et s’étend. Mais tandis que l’occupation israélienne s’éternise et que sa fin s’éloigne à mesure qu’on avance, des doutes ont commencé à ébranler ma conviction, autrefois solide, que quelque chose allait sûrement se produire bientôt pour faire tomber cette occupation, comme un arbre qui semble robuste mais qui a pourri de l’intérieur.

Le cas le plus effrayant qui vient à l’esprit est celui de l’Amérique et des Amérindiens, l’histoire d’une conquête devenue permanente, avec les conquis rassemblés comme du bétail, dans des réserves où ils n’ont l’indépendance et l’autodétermination qu’en théorie et où leurs droits nationaux sont ignorés.

 

Occupation sans limite

En d’autres termes, il existe bel et bien des occupations qui se poursuivent indéfiniment, défiant les probabilités et toutes les prédictions, persistant et persistant jusqu’à ce qu’un peuple conquis cesse d’être une nation et devienne une curiosité anthropologique vivant dans sa cage, à l’intérieur d’une réserve. C’est ce qui arrive quand l’occupation est particulièrement puissante, que les conquis sont particulièrement faibles et que le monde se désintéresse de leur sort. C’est un avenir de ce genre qui plane aujourd’hui sur la tête des Palestiniens. Ils sont à leur heure de plus grand danger depuis la Nakba de 1948.

Divisés, isolés, manquant d’un leadership fort, saignant au bord de la route et perdant lentement leur atout le plus précieux en termes de la solidarité qu’ils suscitaient dans le monde entier, en particulier dans le Sud..

Yasser Arafat fut une icône mondiale ; il n’y avait aucun endroit sur terre qui ne connaissait pas son nom. Aujourd’hui, aucun dirigeant palestinien ne s’en approche. Pire encore, leur cause disparaît progressivement de l’ordre du jour du monde, qui se tourne vers des questions qui lui paraissent plus urgentes comme les migrations, l’environnement et la guerre en Ukraine. Le monde en a assez des Palestiniens, le monde arabe s’en est lassé depuis longtemps et les Israéliens ne leur ont jamais trouvé aucun intérêt. Cela pourrait encore changer, mais les tendances actuelles sont profondément décourageantes.

Une autre Nakba sur le modèle de 1948 ne semble pas être une option réaliste pour Israël à l’heure actuelle ; la seconde Nakba est un phénomène continu qui s’insinue insidieusement de façon permanente, mais sans provoquer de drame. Il y a certainement des gens qui, en Israël, caressent l’idée que, sous couvert d’une guerre future, Israël pourrait « finir le travail » qui n’a été que partiellement accompli en 1948. Des voix menaçantes, dans cette tonalité, ont résonné plus fort ces derniers temps, mais elles restent minoritaires dans le discours israélien.

Poursuivre les implantations ? Pourquoi pas. La plupart des Israéliens s’en moquent. Ils ne sont jamais allés dans les colonies, ne s’y rendront jamais et se fichent éperdument qu’Evyatar soit évacué ou non.

La lutte s’est depuis longtemps déplacée sur le front international. Le changement crucial ne viendra pas seulement de là, comme cela s’est produit en Afrique du Sud. Mais ce qui est sûr, c’est qu’une partie du monde est tout simplement indifférente, et que le reste s’accroche à la formule de la solution à deux États comme si elle était sanctifiée par un édit religieux. Pourtant, la plupart de ceux qui décident savent que la solution à deux États est morte depuis longtemps, si tant est qu’elle ait jamais vécu et respiré.

 

C’est l’égalité qui est la voie à suivre

La seule façon de sortir de cette impasse déprimante est de créer un nouveau discours, un discours de droits et d’égalité. Les gens doivent cesser de chanter les chansons d’antan et adopter une nouvelle vision. Pour la communauté internationale, cela devrait être évident ; pour les Israéliens et, dans une moindre mesure, les Palestiniens, l’idée est révolutionnaire, menaçante et extrêmement douloureuse.

L’égalité. Des droits égaux de la rivière à la mer. Une personne, un vote. Si élémentaire et pourtant si révolutionnaire. Cette voie exige une rupture avec le sionisme et le rejet de la suprématie juive, ainsi que l’abandon de toute l’auto-définition des deux peuples – mais elle représente la seule lueur d’espoir.

En Israël, il y a quelques années encore, cette idée était considérée comme subversive, traître et illégitime. Elle l’est toujours, mais un peu moins fortement. Disons qu’on peut désormais la mentionner. Il reste aux sociétés civiles occidentales, puis à leurs hommes politiques, à embrasser ce changement. La plupart d’entre eux savent déjà que c’est la seule solution qui reste, mais ils craignent de l’admettre de peur de perdre la formule magique censée garantir une occupation israélienne continue fournie par la solution à deux États, laquelle est assurément défunte.

Le présent est profondément décourageant, l’avenir ne l’est pas moins. Et pourtant, persister à penser que l’on peut encore espérer quelque chose, que l’on peut encore agir, est de la plus haute importance. La pire chose qui puisse arriver dans cette partie du monde serait que chacun se désintéresse de ce qui s’y passe et se résigne à la réalité actuelle. Il ne faut pas que cela soit. 

 

 

Gideon Levy est chroniqueur à Haaretz et membre du comité éditorial du journal. Il y est entré en 1982 et a été pendant quatre ans le rédacteur en chef adjoint du journal. Il a reçu le prix de Journaliste Euro-Med en 2008, le Prix de la Liberté de Leipzig en 2001, le Prix de l’Union des Journalistes Israéliens en 1997 et le prix de l’Association des Droits de l’Homme en Israël en 1996. Son nouveau livre, The Punishment of Gaza, vient d’être publié par Verso.

Source : http://www.informationclearinghouse.info/57062.htm

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/pour-les-israeliens-lavenir-est-impossible-a-voir/

 

 

 

 

 

Juin 2022

 

 

 

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