Rouge de Chine

 

Chris Thomas – The Powys Society Newsletter N°106

Juillet 2022

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

Parmi les nombreux objets de la collection Powys acquis par Richard Simond en 2021 auprès de la succession de feu Michael Seidenberg (propriétaire de la librairie Brazenhead à New York – voir une note sur Michael dans la Newsletter 102, mars 2021, p.16) figure un curieux roman, China Red, de l’extraordinaire écrivain sino-américain H.T. Tsiang (1899-1971), livre publié par l’auteur lui-même. Le roman a été réimprimé par Tsiang en 1932. Les exemplaires originaux de ce livre sont aujourd’hui très rares et se vendent à des prix élevés. J’ai toutefois trouvé un exemplaire quelque peu délavé et fragile conservé dans une enveloppe protectrice à la British Library. Ce roman moderniste, expérimental et idiosyncratique, avec sa couverture très graphique et très colorée, raconte l’histoire d’une relation amoureuse entre deux personnages séparés, les protagonistes du roman, Chi et son fiancé Sheng qui écrit sur ses expériences en Amérique. Il s’agit d’un roman semi-autobiographique, car l’histoire de la vie de l’homme reflète l’histoire de la vie de Tsiang. Le récit, qui prend la forme d’un échange de lettres entre les deux amants, est tour à tour humoristique, ironique, didactique et rempli de disputes et de discussions animées comparant la Chine et l’Amérique, le socialisme et le communisme au capitalisme. Il est également mélodramatique, et violent, se terminant par des gouttes de sang dessinées et une incitation à la rébellion.

 

« J’ai été fasciné par Rouge Chine. L’humour nostalgique, sournois et malicieux, plein de tant de vibrations délicates comme le vent dans les feuilles de peuplier m’a beaucoup plu. Le caractère poignant de la conclusion et ses sombres implications n’a pas raté sa cible avec moi non plus. »  

John Cowper Powys

 

Parmi les commentaires imprimés à l’intérieur de China Red, on en trouve de Theodore Dreiser : « contient beaucoup de choses colorées et émouvantes » et de Moscow News : « c’est quelque chose de nouveau, de vital ». Sur la quatrième de couverture, Tsiang cite les lettres de refus qu’il a reçues d’éditeurs tels que Jonathan Cape et Alfred A. Knopf.

 

 

 

Couverture de l’édition originale de China Red

 

 

Cependant, Richard Simonds m’a fait savoir dans un e-mail, qu’il commençait à douter de l’authenticité de la notice de JCP, car ce dernier ne mentionne nulle part ailleurs ce roman de Tsiang. Mais il est tout à fait possible que Tsiang ait lui-même contacté JCP, directement ou par l’intermédiaire de l’éditeur, pour lui demander un commentaire sur Rouge de Chine. Nous savons en effet qu’il n’était pas rare que JCP soit invité par des éditeurs à soutenir des livres modernes ou à faire des commentaires sur la littérature moderne. Nous savons également qu’il a donné en 1922, en Californie, des conférences sur, par exemple, Galsworthy (To let), D.H. Lawrence (Women in love), Zona Gale (Miss Lulu Bet) et Virginia Woolf (The Voyage Out). The Argonaut, un journal publié à San Francisco, rapporte le 4 mars 1922, que JCP va droit dans le fond de l’âme des livres dont il parle. Et pourtant, il n’a plus jamais mentionné ces titres dans un cadre public. Morine Krissdottir, dans Descents of Memory, note que JCP était toujours prêt à aider d’autres écrivains et indique qu’il a fourni de nombreux commentaires [blurbs] sur des ouvrages parus à la fin des années 1930 et dans les années 1940 pour en dire du bien. Même en 1963, lorsque Gollancz a réédité un roman d’un ami de JCP, E.H. Visiak, intitulé Medusa, dans sa série des « Rare Works of Imaginative Fiction », un texte de présentation figurait en bonne place sur la couverture sous le nom de JCP : Un livre formidable. De plus, dans une lettre datée du 18 janvier 1943 adressée à Louis Wilkinson, JCP, conscient des nombreuses mentions qu’il avait rédigées, se disait un virtuose du blub. Heureusement, il y a quelques années, Robin Patterson a dressé une liste de tous les commentaires et de toutes les mentions de JCP, dans la mesure où il a pu les identifier. Cette liste a été publiée dans Newsletter 21, avril 1994, p. 22-28, à laquelle on peut maintenant ajouter les commentaires de JCP sur China Red. En 1952, JCP a également produit un long commentaire élogieux (qu’il considérait comme un blurb) de Seven Friends (1953) de Louis Wilkinson*, commentaire qui a ensuite été publié par The Richards Press sous la forme d’un dépliant publicitaire de quatre pages.

 

H.T. Tsiang était poète, romancier, dramaturge et fut même, plus tard, acteur de cinéma et de télévision. C’était exactement le genre de personnage marginal, radical et peu orthodoxe, doté d’empathie pour les autres marginaux sans défense, qui pouvait susciter l’intérêt de JCP. Dans un roman ultérieur de Tsiang intitulé The Hanging on Union Square [Errance dans Union Square] et ironiquement sous-titré « Une épopée américaine » (la conception et la typographie de la couverture sont encore plus expérimentales que celles de China Red), le protagoniste, M. Nut, un personnage solitaire, rencontre un groupe varié de marginaux, de radicaux politiques et d’excentriques (M. Wiseguy, Comrade Strade, etc.). Wiseguy, Comrade Stubborn, Mr System). Tsiang cite des textes de présentation de son roman ainsi que des lettres de refus d’éditeurs, soulignant sa conviction que : … les éditeurs sont des capitalistes… la littérature prolétarienne peut être produite sans eux.

 

 

H. T. Tsiang

 

 

Tsiang a été une figure marquante de la scène artistique et littéraire de New York dans les années 1930, où il s’efforçait de distribuer ses poèmes et ses romans dans la rue. Il connaissait bien un grand nombre d’artistes et d’écrivains d’avant-garde, de personnalités de gauche, anti-establishment et bohèmes qui se réunissaient à Greenwhich Village, que JCP connaissait également bien et qu’il décrit dans After my Fashion. Dans son Autobiographie, il mentionne que, bien qu’il lui soit arrivé de vivre à Greenwhich Village, il n’y a jamais mené une existence ou un style de vie bohème. Dans les années 1920 et 1930, Tsiang était considéré comme un nouveau talent passionnant, admiré pour sa puissante critique sociale et sa représentation des luttes de la classe ouvrière.

 

Alors qu’il n’était encore qu’un adolescent en Chine, Tsiang s’est profondément impliqué dans la politique radicale. Inspiré par le succès des bolcheviks en Russie en 1917 et motivé par les perspectives de la révolution mondiale de Lénine, il s’en prend ouvertement à Tchang Kai-chek et au Kuomintang (le parti nationaliste chinois) qu’il juge trop conservateur. En 1926, Tsiang s’exile en Amérique et entre à l’université de Stanford où il édite le journal Young China et le périodique The Chinese Guide in America. En 1928, il s’installe à New York, s’inscrit à l’université Columbia et publie son premier ouvrage à compte d’auteur : un recueil de poèmes (dont certains avaient déjà paru dans des publications communistes telles que le Daily Worker et New Masses) intitulé Poèmes de la révolution chinoise, qui comporte un commentaire d’Upton Sinclair : « Ce qu’il a écrit n’est pas de la poésie parfaite, mais c’est la voix parfaite de la jeune Chine qui proteste contre le sort de l’opprimé ». En 1935, Tsiang a publié une autre satire de l’existence bourgeoise intitulée The Hanging on Union Square (réédité par Penguin classics en 2019) qui fut mentionné dans la rubrique « Talk of the Town », dans The New Yorker, le 6 juillet 1935 : nous avons lu le livre et l’avons pour ainsi dire apprécié. La morale est communiste. Ce livre est suivi de And China has hands, publié par Robert Speller en 1937 (réédité par Kaya Press en 2016) et d’une pièce de théâtre China Marches On en 1938. En 1941, il participe à l’atelier dramatique d’Erwin Piscator à la New School fot Social Research de New York, où il apprend les techniques du théâtre épique et des pièces d’agit-prop destinées à éveiller la conscience sociale du public. De novembre 1940 à juillet 1941, il est emprisonné à Ellis Island pour avoir enfreint les conditions de son visa d’étudiant. Il est libéré de prison grâce aux efforts d’admirateurs tels que l’artiste Rockwell Kent, le poète Archibald MacLeish et le critique, éditeur littéraire et romancier Waldo Frank, bien connu de JCP. Waldo Frank a fait campagne pour la libération de Tsiang dans une lettre publiée dans la New Republic en avril 1941. Dans sa lettre, Frank décrivait Tsiang comme un patriote, un étudiant et un champion de la justice sociale, ainsi qu’un jeune homme courageux et doué. Frank a également préfacé le roman de Tsiang The Hanging on Union Square, qui, selon lui, transmet plus de vérité qu’une étagère de romans reportages, et il a également fait référence à China Red, au lyrisme poignant et précis et à l’humour à la fois terrible et tendre.

 

À la fin des années 1940, Tsiang s’installe à Hollywood où il apparaît dans des films tels que Tokyo Rose (1946), Panique dans les rues (1950) et Ocean’s 11 (1960) et dans des émissions de télévision telles que Wagon Train (1963) et Dr Kildare (1964). Cependant, Tsiang n’a pas abandonné ses liens antérieurs avec le communisme. Il est placé sous surveillance par le FBI.

 

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* « Sept amis » qui étaient, outre Oscar Wilde, Aleister Crowley, Frank Harris, et Somerset Maugham, les trois frères Powys : John, Llewelyn et Theodore.

 

 

 

 

On n’a aucune preuve de  ce que, pendant son séjour en Amérique, JCP ait jamais rencontré Tsiang ou qu’il ait lu d’autres livres de lui. Mais il ne fait aucun doute que JCP aurait partagé l’identification de Tsiang au communisme, puisque nous savons, grâce à l’Autobiographie, que JCP se considérait à cette époque comme sympathisant des bolcheviks et champion des communistes. Il aurait aussi, sûrement, partagé l’attitude satirique de Tsiang et sympathisé avec les personnages non conformistes de ses derniers romans, de même qu’avec ses tentatives de défier l’orthodoxie et de donner une voix aux « untermensch » et autres éléments marginaux de la société moderne. Tsiang aurait pu, de son coté, trouver en JCP un allié, car ils partageaient la même préoccupation pour les souffrances et les « bizarreries » des inadaptés et des mal constitués, qu’ils voyaient graviter autour d’eux. Dans son Autobiographie, JCP déclare : « J’ai crié et dansé et hurlé et rugi et marmonné et pleuré avec tous ces solitaires et ces drôles de pauvres gens », phrase qu’on dirait sortie d’un des romans de Tsiang.

 

Il existe plusieurs bons articles et sites Internet consacrés à H.T. Tsiang, ainsi que des informations utiles dans l’édition Penguin de The Hanging on Union Square et une étude de sa vie et de son époque par Hua Hsu dans The Floating Chinaman, 2016.

 

Source : The Powys Society – Newsletter N°106 – July 2022

 

 

 

 

Celui-là,  en revanche, on le trouve :

 

 

H.T. Tsiang

The Hanging on Union Square

« Une satire de la vie bourgeoise d’un comique subversif, qui échappe à tous les genres, par une voix sino-américaine essentielle »

Penguin Classics 2019

Langue : anglais

256 pages

18,45 €

Quatrième de couverture de l’édition Penguin

C’est le New York de la Dépression, et Mr. Nut [M. Zinzin], Américain moyen, veut devenir riche, bien qu’il soit en ce moment chômeur et sans perspective d’emploi. En une seule nuit, dans un récit qui se déroule au fil des heures qui passent, il rencontre toute une série de personnages bizarres – des travailleurs mécontents dans une cafétaria communiste, des vieillards lubriques, des femmes sexuellement exploitées, des auteurs casse-pieds – qui finissent par le convaincre d’abandonner ses aspirations petites-bourgeoises d’ascension sociale et de devenir un militant radical. Absurde, inventif, imprégné de ferveur révolutionnaire et culminant, dans un face-à-face dramatique avec le pouvoir capitaliste sous l’aspect de l’avide homme d’affaires M. Système, Errance dans Union Square est une œuvre d’une originalité et d’un esprit flamboyants. Plus de quatre-vingts ans après sa publication à compte d’auteur – et après qu’il ait été rejeté par des dizaines d’éditeurs sidérés – c’est devenu un classique de la littérature US-asiatique, une parodie mordante de la politique de classe et du capitalisme et un cri de rage populaire qui résonne encore aujourd’hui.

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Quatrième  de couverture de l’édition Kaya (U.S.) de 2013

Publié à l’origine à compte d’auteur en 1935, le roman hallucinatoire et quasi-expérimental de H.T. Tsiang, Hanging on Union Square, explore la politique de gauche dans le New York de l’époque de la Dépression – une ère de lutte contre les syndicats et de files d’attente – dans un style ambitieux qui mêle brillamment le langage ludique de Gertrude Stein à la satire politique des fables en prose de Carl Sandberg. Il suit les rêveries péripatéticiennes d’un jeune homme, tout au long d’une journée qui le mène d’une cafétéria ouvrière à un monde de dîners en boîte et d’exploitation sexuelle dans les plus hautes sphères de la société, pour revenir ensuite dans les rues de Greenwich Village, où des familles affamées côtoient des personnes récemment expulsées. Chaque chapitre correspond à une heure de la journée. Le style de Tsiang combine l’allégorie satirique avec des bribes de poésie, des citations de journaux, des non sequiturs et des slogans, ainsi que des éléments de la littérature chinoise classique et contemporaine. Aventureux et inclassable dans sa combinaison de préoccupations avant-gardistes et prolétariennes, Hanging on Union Square est une redécouverte majeure d’une voix typiquement américaine.

 

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22 janvier 2023

 

 

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