Du Danemark à la Russie, en passant par l’Islande, la Norvège, l’Estonie et bien d’autres pays en voie de christianisation :
Saxo Grammaticus
&
Snorri Sturlusson
(plus quelques saints qui en découlent)
Saxo Grammaticus
La Geste des Danois
Gallimard 1995
448 pages
26,90 €
Présentation de l’éditeur
Rédigés aux alentours de l’an 1200 par un érudit danois du nom de Saxo, auquel la postérité devait décerner le qualificatif de “grammaticus » en raison de son goût pour les auteurs latins, les Gesta Danorum constituent la première chronique du Danemark, depuis les origines mythiques jusqu’à la fin du XIIe siècle. Dans la partie proprement historique de l’ouvrage (Livres X-XVI), l’auteur a élevé un remarquable monument à la gloire du roi Valdemar le Grand (1157-1182) et surtout de l’archevêque Absalon, qui gouverna le royaume pendant plusieurs décennies. Ce sont toutefois les neuf premiers livres des Gesta Danorum qui, depuis longtemps suscitent le plus vif engouement. Car, derrière la plupart des héros et des rois du Danemark fabuleux que Saxo fait revivre ici à l’aide de traits souvent empruntés à la littérature classique, derrière les strophes aux accents virgiliens ou horaciens qu’il fait déclamer à nombre de ses personnages, se dissimule en réalité le vaste trésor tout à la fois poétique, légendaire et mythologique de l’antiquité scandinave. Voici le roi Hadingus dont la carrière est certainement démarquée de celle d’un dieu nordique, comme l’a démontré Georges Dumézil. Voici, éclairé par le même savant, le héros Starcatherus et les trois fautes commises par ce personnage d’origine monstrueuse. Voici encore le prince Amlethus, sa simulation de la folie, sa mélancolie et sa vengeance, légende sans doute très ancienne et promue à la plus brillante fortune : c’est elle en effet qui fournira à William Shakespeare le sujet de sa tragédie sur un prince du Danemark. À l’exception de quelques chapitres, cette œuvre puissante, dont le style et la composition firent l’admiration d’Erasme, n’avait pas encore été traduite en français.
Mais pourquoi vous arrêter en si bon chemin ? Vous pourriez, par exemple, lire aussi Snorri Sturluson, pas danois mais islandais et auteur prolifique de choses en vers, naviguant entre la chronique historique et le récit fantastique. Le mot « roman » n’existant pas encore
Snorri Sturluson
La Saga d’Óláfr Tryggvason
Traduction : Régis Boyer
Actes Sud, 1993
224 pages
Note de l’Éditeur :
La Saga du légendaire souverain de l’an mil qui évangélisera la Norvège par le fer et qui inspira au grand poète et seigneur islandais du XIIIème siècle, Snorri Sturluson, l’un des plus fameux épisodes de son épopée, la Heimskringla (la Sphère du Monde).
Évangélisateur et saint.
Mais si, quand vous dites « saint », vous pensez François d’Assise ou Vincent de Paul, vous vous fourrez le doigt dans l’œil, car au temps du roi Olaf Tryggvason, on évangélisait « par le fer ». Entendez pas là qu’Olaf kidnappait à main armée un ou deux chefs ou notables et les transportait dans son bateau, pour leur mettre, en pleine mer, le marché en main : « Tu te convertis ou je te jette à la baille ». Ils se sont presque tous convertis.
C’est ainsi qu’entre le 8e et le 11e siècles, dans ce qui avait été le Monde Connu, un nombre époustouflant de chefs de guerre ou de roitelets aux dents longues entreprirent de succéder à Rome sur l’une ou l’autre portion de l’empire chuté, en utilisant pour ce faire à la fois le sabre et le goupillon, c’est-à-dire en se faisant prêter main-forte par des mercenaires souvent vikings (= latin tyrannus = bandits) et par des troupes cléricales de choc de la nouvelle croyance (moines irlandais souvent), l’exemple le plus connu restant le célèbre roi Arthur (Dux Bellorum ou Prigogine d’époque) du Pays de Galles.
J’ajoute, pour pinailler, que l’Irlande est le seul pays d’Europe qui n’ait pas été converti par le fer mais par la ruse. Le temps me manque ici pour vous raconter l’histoire de saint Patrick.
Donc, saint Olaf.
Qui est loin d’être le seul de son espèce dans la céleste cohorte. Après tout, on fête bien, au pays de Liège, un saint Charlemagne et un saint Napoléon.
Quoi qu’il en soit : il est de notoriété publique qu’Olaf Tryggvason fut le fils du roi norvégien assassiné Tryggvi, dont la veuve s’appelait Astrid, laquelle s’enfuit en secret avec leur fils nourrisson et les biens qu’elle avait pu sauver, en compagnie de son son père adoptif Porolf barbe-à-poux, mais avec aussi, sur les talons, ceux qui avaient tué le roi, voulaient ses biens, son royaume et la mort de son héritier.
Deux courts extraits :
Chapitre VI
Il y avait un frère d’Astrid qui s’appelait Sigurd, fils d’Eirik. Il avait été longtemps parti du pays, il était à l’Est en Russie, chez le roi Valdimarr. Sigurd y était .tenu en grand honneur. Astrid eut envie d’aller là-bas, voir Sigurd son frère. Hákon le vieux lui fournit une excellente escorte et de bons vivres. Elle partit avec quelques marchands. Elle avait passé alors deux hivers chez Hákon le vieux. Olaf avait trois hivers. Mais alors qu’ils se dirigeaient vers l’est par la mer, des bandits fondirent sur eux. C’étaient des Estoniens. Ils s’emparèrent des hommes et des biens, en tuèrent quelques-uns, et certains, ils se les répartirent entre eux pour en faire des esclaves. Olaf fut séparé là de sa mère. Le prit Klerkón, un Estonien qui prit aussi Porolf et Porgis. Klerkón trouva Porolf âgé pour en faire un esclave, il ne lui parut pas qu’il pourrait rendre service et il le tua, mais il garda les garçons et il les vendit à un homme qui s’appelait Klerk et reçut un bon bouc pour cela. Un troisième homme acheta Olaf et donna pour cela une bonne houppelande ou une cape. Celui-là s’appelait Réás et sa femme Rékón, leur fils Rékóni. Olaf resta là longtemps et fut bien traité, le bóndi l’aimait beaucoup. Olaf passa six hivers en Estonie, dans cet exil.
[…]
Chapitre VIII
Un jour, Olaf Tryggvason se trouvait sur la place du marché. Il y avait grande presse. Il reconnut Klerkón qui avait tué Porolf barbe à poux, son père adoptif. Olaf avait à la main une petite hache. Il en asséna un coup sur la tête de Klerkón si bien qu’elle s’enfonça dans la cervelle ; il courut aussitôt à l’endroit où il résidait et dit la chose à Sigurd son parent, qui emmena sur le champ Olaf à la demeure de la reine, à qui il dit la nouvelle. Elle s’appelait Allógiá. Sigurd lui demanda d’aider le garçon. Elle répôndit en le regardant qu’il ne fallait pas tuer un si beau jouvenceau et ordonna d’appeler des hommes en armes. Régnait à Novgorod une paix si sacrée que les lois stipulaient de tuer quiconque avait occis quelqu’un sans jugement. Selon leurs coutumes et leurs lois, tout le monde se pressa de se mettre à la recherche du garçon pour savoir où il était allé.. On dit alors qu’il était dans la demeure de la reine, avec une troupe d’hommes tout armés. La chose fut dite au roi. Il s’y re,ndit avec sa suite et ne voulut pas que l’on se battît. Il imposa une trêve puis institua des conciliations. Il imposa compensations et la reine les versa. Ensuite, Olaf resta chez la reine et elle fut très affectueuse pour lui. Les lois de Russie voulaient qu’il n’y eût pas là d’hommes de royale naissance, à moins que le roi n’y consentît. Alors, Sigurd dit à la reine de quelle famille était Olaf et pour quelle raison il était venu là : il ne pouvait rester dans son pays pour cause de guerre. Il lui demanda d’en parler au roi. C’est ce qu’elle fit : elle demanda au roi d’aider ce fils de roi, tant il était durement traité, et ses persuasions aboutirent à ce que le roi le lui accorda, il prit Olaf sous sa protection et le traita honorablement, comme il seyait que l’on agît envers un fils de roi. Olaf avait neuf hivers quand il arriva en Russie ; il resta chez le roi Valdimarr neuf autres hivers. Olaf était le plus beau, le plus grand et le plus fort des hommes ; en fait d’accomplissements, il surpassait tous les hommes du Nord dont on ait jamais parlé.
Ce qui ressort de la lecture de ces deux livres, c’est que les hommes du nord de l’Europe n’ont pas beaucoup changé en mille ans.
Attention à ne pas confondre le Valdemar de la Gesta Danorum, qui est Valdemar 1er, dit Valdemar le Grand, lequel a régné sur le Danemark de 1154 à 1182 avec le Valdimarr de la Saga d’Olaf Tryggvason, qui n’est autre, lui, que Vladimir Sviatoslavitch (958-1015), de la dynastie des Riourikides, c’est-à-dire Vladimir 1er le Grand (oui, aussi), qui fut le premier souverain de la Russie en gestation. Et saint Vladimir.
La cathédrale de Vladimir à Saint-Petersbourg
« Valdimarr ou Valdamarr est le grand roi Vladimir 1er le Grand – saint Vladimir – surnommé Soleil Rouge, qui régna en Russie de 980 à 1014. Il descendait comme on le sait d’ancêtres suédois responsables de la création de l’État russe (rüs) R.Boyer, Les Vikings, histoire et civilisation, Paris, Plon, 1992] – Régis Boyer, traducteur de La Saga d’Olaf Tryggvason.
Donc, saint Vladimir.
Né en 958 au village de Budiatino (Ukraine actuelle), fils naturel de Sviatoslav le Brave et de Maloucha, prophétesse venue au palais pour prédire l’avenir, qui y resta comme servante, y mit au monde ce fils et vécut cent ans.
Vladimir eut, s’il faut en croire la Chronique de Nestor (chapitre 38), cinq épouses et huit cents concubines, avant de se convertir au christianisme en 988. « Il est invraisemblable (dit M. Boyer dans une note) qu’une reine ait eu, de son temps, des pouvoirs comparables à ceux de la dénommée Allegia. En revanche, la grand-mère de Vladimir, Olga, a pu exercer une autorité comparable à celle que l’on évoque ici. Seulement, Olga mourut en 969, soit avant que Valdimarr prenne le pouvoir. »
Vladimir Ilitch doit son nom à saint Vladimir, et Vladimir Poutine doit le sien à Vladimir Lénine.
Soit duit en passant, il y eut bien d’autres choses que des tas d’épouses et de concubines dans la vie de saint Vladimir.
Carte des débuts de la Rus’ de Kiev
Car Sviatoslav le Brave avait désigné ce fils pour régner sur la Rus’ ou la Rous’ de Novgorod et légué la Rus’ de Kiev à un autre de ses fils ; Iaropolk. Comme souvent dans les familles, surtout royales, il y eut des mots entre les frères. En 977, après l’assassinat par Iaropolk de leur frère Oleg, Vladimir dut s’enfuir chez un parent, Hakon Sigurdsson, jarl de Norvège : le Hakon le vieux de la Saga d’Olaf.
[ Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière,
Et chantent, en heurtant les cruches d’or, en choeur,
À tire d’aile vole, ô rôdeur de bruyère !
Cherche ma fiancée et porte-lui mon coeur.
Leconte de Lisle, Le cœur de Hjalmar ]
(Dans le temps, on vous apprenait ça à l’école, au lieu de vous faire jouer avec des bas morceaux en peluche.)
Il y leva une armée de mercenaires vikings, qui l’aidèrent en 980 à reprendre Novgorod et à se débarrasser de Iaropolk en l’assassinant. Non sans violer, au passage, sa femme Julie, qui, du coup, lui donna un fils : Sviatopolk.
C’est que pour être saint on n’en est pas moins homme.
Rien d’étonnant à tout cela pour l’époque :
Né 216 ans plus tôt (le 1er avril 742), à un quart d’heure d’ici à vol d’oiseau, Charlemagne commença sa carrière en faisant un enfant à sa sœur à peine pubère Ghisla (sainte Gisèle), mais en légiférant tout de suite après contre l’inceste, puis en épousant six femmes (une de plus que Vladimir, mais deux seraient répudiées), dont il se délassait dans une piscine d’eau chaude avec ses concubines dont on ne sait pas le nombre exact. Pour l’eau chaude, ce n’était pas sorcier : il n’y avait qu’à la faire venir des sources qui ont fait la fortune d’Aix, puisque Aquae Granni avait été ainsi baptisée par les envahisseurs romains (« Eaux de Granus ») en inventant pour la circonstance un dieu Granus qui n’a jamais existé, parce qu’ils n’avoient jamais entendu parler de la déesse-soleil Grainné, dont on ne se souvient plus qu’en Irlande.
Lui aussi fut grand évangélisateur par le fer, au prétexte qu’il n’y a rien comme une religion bien dirigée pour cimenter un empire.
Mais pour saint Napoléon, qui se contenta de signer un Concordat avec Rome après la séparation de l’Église et de l’État, non, je cale. D’ailleurs les Russes nous en ont débarrassés.
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Août 2023
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