Le croiseur Pierre le Grand, illustrant un tweet de félicitations d’un membre du Congrès à l’U.S. NAVY.

 

 

 

« U Thant… le seul Secrétaire général décent que les Nations unies aient jamais eu »

 

La vidéo sous-titrée en français de l’entretien entre Norman Finkelstein et Mouin Rabbani, que nous avons postée hier ici, s’arrêtait avant la fin, c’est-à-dire avant les Questions-Réponses échangées ensuite par les deux hommes.

Nous recevons aujourd’hui la transcription de l’échange intégral.

Grand merci au traducteur M. Alain Marshal

 

 

 

« Mettez fin au blocus ! Mettez fin à ce blocus ! »

 

 

Norman Finkelstein et Mouin Rabbani sur la révolte de Gaza 

 

Podcast enregistré le 8 octobre 2023

Traduit par :  Alain Marshal

 

 

Fils de rescapés de Majdanek-Auschwitz et du ghetto de Varsovie, Norman Finkelstein est une autorité internationale sur la question palestinienne.  Mouin Rabbani est un analyste néerlando-palestinien spécialiste du conflit israélo-arabe. Sana Kassem est une musicienne et une combattante que le sort des Palestiniens galvanise encore.

 

 

 

 

 

Transcription

 

Norman Finkelstein : […] Je vais parler du contexte historique de la situation actuelle, puis Mouin Rabbani parlera de ce qui se passe actuellement ou de ce qui s’est passé depuis le 7 octobre [2023]. Il y a eu de nombreux commentaires du genre « C’est le plus grand choc pour l’establishment politico-militaire israélien depuis la guerre d’octobre 1973 », qui s’est déroulée il y a plus de 50 ans, un demi-siècle. Je vais faire un rappel, car beaucoup ne se souviennent pas du contexte historique ou ne le connaissent pas. 

 

De la guerre des six-jours à la guerre de Kippour

Au cours de la guerre de juin 1967, Israël a conquis plusieurs territoires, à savoir le plateau du Golan syrien, le Sinaï égyptien, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ces territoires ont été appelés les « territoires occupés ». Immédiatement après la guerre de juin 1967, l’Assemblée générale des Nations unies, puis le Conseil de sécurité des Nations unies – les deux organes – se sont attachés à définir les conditions de la résolution du « conflit israélo-arabe ». Ce conflit ne s’appelait pas encore « conflit israélo-palestinien ». Il s’agissait d’une dimension plus large, le conflit israélo-arabe, et les termes de base ont été incorporés dans ce que l’on a appelé la résolution 242 des Nations unies. Adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, la résolution 242 de l’ONU comportait essentiellement deux volets.

L’élément numéro un était que, conformément au principe énoncé dans le préambule de la résolution 242 de l’ONU selon lequel il est inadmissible de conquérir un territoire par la guerre, Israël était obligé, en vertu du droit international, de se retirer des territoires qu’il avait conquis au cours de la guerre, pendant la guerre de juin 1967, à savoir, je le répète, le plateau du Golan, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et Gaza, ainsi que le Sinaï égyptien. L’autre composante de la résolution 242 de l’ONU, conformément au principe selon lequel chaque État du système des Nations unies a le droit de vivre en paix avec ses voisins, était que les États arabes devaient reconnaître le droit d’Israël à exister en tant qu’État dans la région, conformément aux principes de la Charte de l’ONU. C’était la contrepartie, la pleine reconnaissance par Israël du droit d’exister en tant qu’État dans la région. 

Lorsque la résolution a été adoptée, l’ONU a nommé un médiateur spécial, Gunnar Jarring, pour tenter de parvenir à un règlement sur la base de ces principes. Dès le début, il était clair que le principal protagoniste du drame serait l’Égypte. À l’époque, l’Égypte était la puissance la plus redoutable de la région et il était admis qu’il n’y avait aucune possibilité de règlement sans l’assentiment de l’Égypte, sans l’accord de l’Égypte. Gunnar Jarring est parti en mission de paix, faisant la navette diplomatique entre l’Égypte et Israël. Finalement, après plusieurs tentatives avortées, il s’est résolu à proposer des conditions pour mettre fin au conflit. Il a présenté ces conditions à l’Égypte et à Israël. Ces conditions étaient strictement conformes à la résolution 242 de l’ONU. L’Égypte a accepté les termes de la « mission Jarring ». La balle était alors dans le camp d’Israël. L’Égypte a accepté non seulement de reconnaître Israël, mais aussi de signer un traité de paix formel avec Israël. Et maintenant, comme je l’ai dit, la balle était dans le camp d’Israël, et dans un moment très dramatique, Israël a répondu, et je vais maintenant citer Israël, « Israël ne se retirera pas sur les lignes d’avant juin 1967 ». Cela signifie qu’Israël a refusé de se conformer à l’un des éléments de la résolution 242 de l’ONU, à savoir qu’il est inadmissible de conquérir un territoire par la guerre, et qu’Israël était donc obligé de renoncer au contrôle de tous les territoires qu’il avait conquis au cours de la guerre de 1967.

À ce moment-là, en 1971, alors qu’Israël refusait de se conformer au droit international et à la résolution 242 de l’ONU en particulier, le Secrétaire général de l’ONU – qui s’appelait U Thant – a été nommé président de l’Assemblée générale des Nations unies. Il était originaire de Birmanie et c’était un être humain remarquablement décent – probablement, à mon avis, pour ce que cela vaut – le seul Secrétaire général décent que les Nations unies aient jamais eu. C’était une personne très modeste, un bouddhiste, mais il était aussi remarquablement honnête dans sa position. Il a déclaré, juste après le rejet par Israël de ces conditions pour mettre fin au conflit, « Il ne fait guère de doute que si l’impasse actuelle dans la recherche d’un règlement pacifique persiste, de nouveaux combats éclateront tôt ou tard ». Ainsi, étant donné l’obstination d’Israël, son refus de respecter le droit international, comme l’a souligné U Thant, une guerre devenait alors inévitable. De nouveaux combats éclateraient tôt ou tard.

Après avoir refusé d’accepter les termes d’un règlement, Israël a poursuivi l’expansion de ses colonies dans la péninsule du Sinaï, qui était alors un territoire égyptien. Il est devenu évident qu’Israël ne renoncerait jamais au contrôle du Sinaï, le Sinaï égyptien. À ce moment-là, l’Égypte n’a cessé de dire, ou le chef de l’État égyptien de l’époque, Anouar El-Sadate, n’a cessé de dire : « Nous allons attaquer. Vous ne nous donnez aucune option. Vous refusez de céder le territoire que vous avez conquis. Vous ignorez le droit international, vous ne nous donnez pas d’autre choix que la guerre. »

Comme je l’ai écrit dans un livre publié il y a des décennies maintenant, j’ai dit, parce que cette guerre d’octobre, comme la plupart d’entre vous le savent, a été qualifiée de « surprise ». Israël a été choqué. En fait, comme je l’ai écrit, « Aucune guerre dans l’histoire n’a été lancée avec autant de publicité que l’attaque-surprise d’octobre 1973 ». On peut se poser la question suivante : « Pourquoi Israël a-t-il ignoré les avertissements d’Anouar el-Sadate sur son intention d’attaquer ? » C’est là qu’il faut se plonger dans l’état d’esprit des dirigeants et de la population israéliens actuels. L’opinion des Israéliens, et elle était très répandue, était que la guerre n’est pas un jeu arabe, que les Arabes n’avaient pas d’option militaire. Après l’humiliante défaite subie par les Arabes en juin 1967, ce que l’on appelle parfois la guerre des Six-Jours, l’idée s’est ancrée chez les dirigeants israéliens, mais aussi chez la population elle-même, que les Arabes étaient incapables de se battre. Le ministre des affaires étrangères israélien de l’époque, le général Moshe Dayan, célèbre à l’époque – il est aisément reconnaissable à son bandeau de pirate sur un œil – et héros de la guerre de juin 1967, a déclaré : « La faiblesse des Arabes est due à des facteurs trop profondément enracinés pour être, à mon avis, facilement surmontée. » Il parlait du retard moral, technique et éducatif des soldats des armées arabes. Yitzhak Rabin, autre grande figure de l’histoire militaire israélienne, mais aussi de l’histoire politique israélienne, a déclaré à l’époque : « Il n’est pas nécessaire de mobiliser nos forces chaque fois que nous entendons des menaces arabes », c’est-à-dire les menaces de Sadate. « Les Arabes ont une faible capacité à coordonner leur action militaire et politique. » Le ministre des affaires étrangères israélien de l’époque, Abba Ebban, commente dans ses mémoires que l’atmosphère de « destinée manifeste » [idéologie ancrée aux Etats-Unis au XIXe siècle, selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’Ouest, et à partir du XXe siècle, au monde entier], qui considère les peuples voisins comme des races inférieures, a commencé à se répandre dans le discours national. Et un historien militaire israélien a rapporté que le surnom donné aux soldats égyptiens était « les singes ».

Ce que l’on peut donc conclure, je pense, à propos de la guerre d’octobre 1973, c’est que, premièrement, elle n’a pas vraiment été une surprise dans le sens où, une fois qu’Israël a refusé de se retirer du Sinaï, comme l’a dit U Thant, la guerre est devenue inévitable. Mais l’autre point que je voudrais souligner, parce que c’était un lieu commun à l’époque, et c’est maintenant un lieu commun dans la discussion actuelle autour des événements à Gaza et en Israël – on parle de ce qui s’est passé en octobre 1973, comme aujourd’hui, en disant qu’il s’agissait d’un échec en matière de renseignement. Mais en fin de compte, à mon avis, il ne s’agit pas d’un échec en matière de renseignement, mais d’un échec politique. Israël aurait pu faire la paix, mais, partant du principe raciste que les Arabes ne résisteraient pas, il a choisi la conquête. C’était le problème à l’époque, et il me semble, comme Mouin Rabbani l’évoquera, que c’est le problème aujourd’hui. Il ne s’agit pas fondamentalement d’un « échec du renseignement », mais d’un échec politique, car le calcul politique des Israéliens était, et est toujours, qu’il est possible d’humilier et de soumettre les Arabes indéfiniment car ils sont intrinsèquement incompétents et qu’en fin de compte, la force l’emportera et les Arabes en général – ou les Palestiniens en particulier – se soumettront.

 

La situation humanitaire à Gaza

Permettez-moi maintenant d’évoquer le contexte de la situation actuelle, car si on ne connait pas ces faits de base, on ne peut pas vraiment comprendre ce qui s’est passé. Premièrement, 70 % de la population de Gaza est composée de réfugiés de la guerre de 1948 et de leurs descendants. En d’autres termes, 70 % de la population de Gaza est composée de personnes qui ont été expulsées de leur patrie en 1948 et de leurs descendants (et, à ce stade, des descendants des descendants) de ceux qui ont été expulsés. En vertu du droit international, 70 % de la population est considérée comme réfugiée. Deuxièmement, la moitié de la population de Gaza – 2,1 millions d’habitants – est constituée d’enfants. Nous parlons, et je pense qu’il ne faut jamais l’oublier, nous parlons d’enfants. Troisièmement, Gaza est l’un des endroits les plus densément peuplés de la terre. Elle est plus densément peuplée que Tokyo, et cette population est confinée dans une bande de huit kilomètres de large et de 40 kilomètres de long. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Ce matin, j’ai cherché une analogie ou une façon d’imaginer ce que cela signifie. Ce que cela signifie, c’est que je fais mon jogging tous les matins le long de la côte de Coney Island. Cela fait 8 kilomètres. C’est la largeur de Gaza – mon jogging matinal – et sa longueur est inférieure à celle d’un marathon [42,195 km]. C’est 40 kilomètres. C’est Gaza. Huit kilomètres, mon jogging matinal, par 40 kilomètres, un marathon.

La moitié de la population de Gaza est actuellement au chômage. Je me suis penché sur un livre que j’ai écrit il y a quelques années, qui retrace l’histoire, et ce chiffre est resté constant. Environ la moitié de la population est au chômage au moins depuis 2010, mais probablement depuis plus longtemps. 60 % des jeunes sont au chômage. Environ la moitié de la population est classée par les organisations humanitaires comme souffrant d’une grave insécurité alimentaire. Sauf exception, personne ne peut entrer à Gaza et personne ne peut en sortir. Si vous imaginez une société soumise à un régime de famine, confinée dans une région qui compte parmi les plus densément peuplées au monde et dont la moitié de la population est âgée de moins de 18 ans, c’est-à-dire classée parmi les enfants, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’ancien Premier ministre britannique conservateur, David Cameron, a décrit Gaza comme une « prison à ciel ouvert ». Vous n’aimerez peut-être pas l’entendre, mais Baruch Kimmerling, qui était l’un des sociologues israéliens les plus éminents avant de mourir prématurément, a décrit Gaza dès 2003 – gardez à l’esprit que c’était avant qu’Israël ne renforce le blocus de Gaza, ce sur quoi je reviendrai – en 2003, il a décrit Gaza comme « le plus grand camp de concentration qui ait jamais existé ». C’est ça, Gaza.

 

« Offensive de paix » palestinienne et réaction israélienne

Comment Gaza est-elle devenue Gaza ? Comment est-elle passée d’une dénomination sur une carte à un objet de mort et de destruction incessantes ? Permettez-moi de me répéter : 1967, résolution 242 de l’ONU, retrait total d’Israël en échange d’un accord permettant à Israël d’exister en paix avec ses voisins. Dès le début des années 1970, l’organisation palestinienne représentative de l’époque, l’Organisation de libération de la Palestine, a accepté ces conditions pour résoudre le conflit, ce que l’on a appelé le règlement à deux États. L’OLP l’a accepté. Pour Israël, c’était une source de panique, car si les Palestiniens acceptaient une résolution du conflit conformément à la résolution 242, Israël allait être mis sur la sellette. « Pourquoi n’acceptez-vous pas les termes du droit international ? » 

Alors Israël, pris de panique, a fait ce qu’il fait toujours : il a tenté de provoquer l’Organisation de libération de la Palestine afin d’obtenir d’elle une quelconque action militaire. Ensuite, Israël est intervenu avec l’intention d’essayer de détruire l’OLP. Pourquoi Israël voulait-il détruire l’OLP ? Un très bon historien israélien, Avner Yaniv, a expliqué qu’Israël devait mettre fin à « l’offensive de paix palestinienne ». Pour ce faire, Israël a lancé une attaque contre le Liban en juin 1982. À l’époque, l’OLP avait son siège au Liban, et au cours de cette guerre, Israël a tué, selon les estimations, entre 15 000 et 20 000 Palestiniens et Libanais, en grande majorité des civils. 

Cette histoire particulière est en fait une histoire vivante pour un certain nombre d’entre nous, comme Sana Kassem qui est parmi nous. Je tiens à saluer Sana parce qu’elle se trouvait à Beyrouth en août 1982 lors du bombardement israélien brutal de Beyrouth. C’est une survivante. En plus d’être une mère et une merveilleuse enseignante, elle est en première ligne pour défendre les droits des Palestiniens depuis cette horrible invasion. 

Lorsque vous entendez les chiffres [le nombre des victimes] aujourd’hui, aussi choquants soient-ils, je dois toujours rappeler aux gens que tous les chiffres, dans toutes les attaques israéliennes sur Gaza et même aujourd’hui, pâlissent en comparaison de l’horreur qu’Israël a infligée au Liban en 1982. Les Palestiniens ont été vaincus en 1982, du moins sur le plan militaire, et ont subi une défaite majeure. Et les choses ressemblent à ce qui se passe périodiquement. Il semblait que c’était la fin des Palestiniens ou de la lutte palestinienne. Le conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, a dit de façon célèbre : « Bye-bye P.L.O. », que c’était fini.

 

Intifadas et « trahisons » de l’OLP

En 1987, les Palestiniens des territoires occupés, voyant qu’ils ne recevaient aucun soutien de l’étranger, ont décidé de prendre leur destin en main. Ils ont lancé ce que l’on a appelé l’Intifada, une révolte civile non violente contre l’occupation israélienne de ces territoires. J’ai passé pas mal de temps là-bas pendant les étés de cette révolte civile. Et pour ceux d’entre vous qui ne s’en souviennent pas, je peux simplement dire qu’il s’agissait d’un soulèvement profondément inspirant des masses du peuple palestinien, des Palestiniens les plus ordinaires, de tous âges, littéralement de tous âges, je dirais de trois à quatre-vingt-dix ans. Vous aviez des enfants en bas âge et des grands-mères qui, à leur manière, ont participé à cette révolte civile non violente. Les Israéliens ont lancé une répression très brutale de cette révolte, célèbre pour le slogan du ministre de la défense de l’époque, Yitzhak Rabin, qui a déclaré : « Nous allons infliger force, puissance et coups » aux civils palestiniens pour qu’ils se rendent.

Pour diverses raisons qu’il n’est pas utile d’évoquer ici, cette première Intifada palestinienne ou révolte palestinienne, la révolte civile, a en fait été vaincue. Le point culminant de cette défaite a été atteint en 1993, avec ce que l’on appelle l’accord d’Oslo. Et cet anniversaire vient d’être, pour ainsi dire, célébré. C’était il y a 30 ans. C’était le 13 septembre 1993, il y a donc 30 ans ce mois-ci. Mouin Rabbani a d’ailleurs écrit quelque chose d’assez perspicace, à mon avis, sur ce qui s’est passé à Oslo. Le bilan d’Oslo est très simple : il s’agit, comme l’a dit Edward Saïd, professeur et porte-parole des Palestiniens, à l’époque, d’une « capitulation palestinienne ». Israël a décidé de rationaliser son occupation, et rationaliser l’occupation signifiait : « Pourquoi devrions-nous faire le sale boulot et faire mauvaise figure devant les caméras internationales ? Engageons des Palestiniens pour faire le sale boulot à notre place. » À l’époque, l’OLP était désespérée et déjà très corrompue. C’est ainsi que l’OLP a changé de camp, pour dire les choses crûment, mais je pense que c’est exact. L’OLP est devenu le sous-traitant d’Israël pour maintenir l’occupation israélienne, pour ainsi dire, par télécommande. Et nous devons dire qu’Israël a remarquablement réussi. Pour les Israéliens, il s’agissait d’une expérience : « Pouvons-nous créer une classe de collaborateurs qui feront tout notre sale boulot, si en échange nous leur donnons certains des avantages du pouvoir ? » Je me souviens qu’à l’époque, de nombreuses personnes doutaient que les Palestiniens puissent un jour servir de complices volontaires au gouvernement israélien. Et bien que ce doute soit désormais dissipé, ce que l’on appelle l’ « Autorité palestinienne », qui est en fait le descendant de l’Organisation de libération de la Palestine, est un collaborateur volontaire d’Israël. 

Il y a eu ensuite une autre tentative, sous le Président Clinton, de sceller un accord entre Israël et les Palestiniens. Cette tentative a eu lieu à Camp David en 2000. Je ne veux pas entrer dans les détails de Camp David. Je me contenterai d’en présenter l’essentiel. L’essentiel a été appelé les « Paramètres Clinton », du nom de notre Président Bill Clinton, pour résoudre le conflit. Pour parler franchement, les paramètres Clinton n’étaient pas terribles, ils n’étaient pas formidables, mais ils constituaient, pourrait-on dire, une base pour parvenir à un règlement. Les Palestiniens et les Israéliens ont accepté ces paramètres avec – les deux parties ont utilisé la même expression – des « réserves ». Toutefois, après la conclusion d’un accord, lorsque les négociations ont repris dans cette région appelée Taba, qui fait partie de l’Égypte, à un moment donné, le premier ministre de l’époque, Ehoud Barak, a interrompu les négociations et la tentative de parvenir à un règlement s’est avérée infructueuse. Peu de temps après, les Palestiniens, fin août début septembre 2000, les Palestiniens entrent à nouveau en révolte civile contre l’occupation israélienne. Là encore, je ne peux pas entrer dans les détails, mais j’aimerais simplement établir les faits de base. Cette deuxième Intifada a commencé de la même manière civile que la première Intifada. Mais le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, a décidé que « nous devions infliger un maximum de morts dès le départ pour éviter que cette Intifada ne devienne incontrôlable comme la première ». Dans les premiers jours de la seconde Intifada, Israël a donc tiré un million de balles sur les Palestiniens qui protestaient de manière non violente. Et à la fin de la troisième semaine, je crois, la proportion était de 20 morts palestiniens contre 1 mort israélien. Face à cela, il était parfaitement prévisible qu’à un moment donné, la seconde Intifada deviendrait incontrôlable et violente. Et c’est effectivement ce qui s’est produit. Il y a eu beaucoup de morts du côté palestinien et du côté israélien. Il y a eu 2 400 Palestiniens tués, 800 Israéliens tués – c’est à peu près trois contre un – la grande majorité était des civils, et cette révolte s’est éteinte. La seconde Intifada n’a jamais officiellement pris fin, pas plus que la première Intifada d’ailleurs. Elle n’a jamais pris fin officiellement, mais cette deuxième révolte s’est éteinte. 

 

Le redéploiement israélien à Gaza et l’arrivée au pouvoir du Hamas

L’événement majeur suivant survient en 2005, lorsque les Israéliens de Gaza redéploient leurs forces. La presse a faussement décrit cet événement comme un retrait d’Israël de la bande de Gaza. Israël ne s’est jamais retiré de Gaza : ses colons ont été retirés de Gaza, mais Israël a simplement redéployé ses forces de l’intérieur de Gaza vers le périmètre de Gaza. Israël, depuis ce jour et jusqu’à aujourd’hui, en vertu du droit international, reste la puissance occupante à Gaza. Ainsi, comme l’a signalé Human Rights Watch, que l’armée israélienne soit à l’intérieur de Gaza ou redéployée à sa périphérie, elle reste sous son contrôle. Encore une fois, à ce jour, Israël est toujours la puissance occupante à Gaza. J’aurai des choses à dire à ce sujet au cours de la conversation, car à mon avis, il n’est plus exact de parler d’Israël comme d’une puissance occupante. Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, tous ces territoires ont été intégrés à Israël. Ce qui se passe actuellement n’est pas une guerre au sens d’un conflit entre deux États. Il s’agit d’une guerre interne. Et la meilleure façon de la considérer, à mon avis – il faut trouver le bon langage et aucun langage n’est jamais parfait – est de la considérer soit comme une rébellion d’esclaves rappelant les rébellions d’esclaves dans mon propre pays, les États-Unis, soit comme la création par Israël d’un archipel du Goulag. Pour ceux d’entre vous qui connaissent cette référence [à Soljenitsyne], l’archipel du Goulag, ce sont les camps de travail d’esclaves qui ont été établis sous l’Union soviétique à l’époque de Staline. Israël a établi un archipel du Goulag, mais à l’intérieur de son propre pays. Il ne s’agit pas d’une guerre – comme on le dit maintenant – entre Israël et un État étranger. Au minimum, Israël reste une puissance occupante, mais à mon avis, pour des raisons que j’évoquerai plus tard, il ne s’agit plus d’une puissance occupante, mais d’une révolte civile d’une population esclave.

En 2006 – et c’est là que nous en arrivons à la situation actuelle –, en janvier 2006, des élections parlementaires ont eu lieu dans les territoires palestiniens occupés et le Hamas les a remportées. Jimmy Carter était à Gaza, l’ancien Président américain Jimmy Carter était à Gaza au moment des élections, et il les a qualifiées d’ « élections tout à fait honnêtes et justes ». Elles ont été si honnêtes et si justes qu’elles ont profondément déçu la sénatrice Hillary Clinton, qui a déclaré à l’époque : « Nous aurions dû nous assurer que nous faisions quelque chose pour déterminer qui allait gagner ». C’est l’idée que les États-Unis se font d’une élection démocratique.

Dès l’arrivée au pouvoir du Hamas, sa position sur la reconnaissance d’Israël a évolué. Jusqu’alors, il refusait de reconnaître l’existence d’Israël. Mais comme l’a dit l’une des figures de proue de l’ONU à Gaza à l’époque, après l’élection, le Hamas évoluait et il pouvait encore évoluer. L’un des principaux experts de Gaza a écrit plus tard qu’une solution politique était à portée de main du côté du Hamas, mais seulement si l’ingérence active des États-Unis et la passivité de l’Union européenne n’avaient pas saboté cette expérience de gouvernement. Du côté palestinien, et en particulier du côté du Hamas, il existe de réelles possibilités de parvenir à un règlement sur la base du droit international. Israël, les États-Unis et l’Union européenne les ont sabotées. 

Ce n’est pas tout. Israël a ensuite instauré le blocus de Gaza. Cela m’agace au plus haut point que l’on continue à dire que le blocus a commencé il y a 16 ans, en 2007. Il a commencé lorsqu’Israël a été mécontent des résultats de l’élection palestinienne. C’est à ce moment-là que le blocus a commencé ou, comme l’a dit le représentant de l’ONU à l’époque, que l’activité économique à Gaza s’est arrêtée, passant en mode de survie. C’est à ce moment-là qu’ont commencé les troubles qui ont culminé avec les événements de la semaine dernière, lorsqu’on a dit au peuple, qu’on lui a donné des instructions, qu’on lui a ordonné, qu’on l’a exhorté à organiser des élections, ce qu’il a fait, mais parce que les résultats n’étaient pas ceux que voulaient les États-Unis, Israël et l’Union européenne, il a été puni par l’imposition de ce blocus.

 

Les guerres israéliennes contre Gaza

En 2007, les États-Unis, l’UE et Israël ont tenté un coup d’État pour renverser le gouvernement de Gaza, le gouvernement du Hamas. Le Hamas a fait échouer le coup d’État et, à ce moment-là, Israël, les États-Unis et l’Union européenne ont renforcé le blocus. À partir du 26 décembre 2008, Israël a lancé l’un de ses assauts meurtriers contre Gaza. Il y en a eu tellement qu’il est très difficile de les compter. L’opération « Plomb durci », à laquelle je vais maintenant me référer, est la plus connue. Israël a lancé ce qu’Amnesty International a appelé « les 22 jours de mort et de destruction », et qui est comparable aux autres attaques israéliennes.

Pourquoi Israël a-t-il lancé l’opération « Plomb durci » ? Les habitants de Gaza ont-ils fait quelque chose qui l’expliquerait ? S’agissait-il d’une provocation ? Les habitants de Gaza ont-ils été les instigateurs de l’opération ? Non. La situation était très claire à l’époque, et elle l’est toujours aujourd’hui. Israël avait subi une défaite militaire spectaculaire en 2006 au Liban lors de la guerre contre le Hezbollah et le Hezbollah avait infligé une défaite massive à Israël. Ce que le chef du Hezbollah, Sayed Nasrallah, a appelé « la victoire divine ». Et Israël s’est inquiété – je ne suis pas sûr que le mot « terrifié » soit le bon, mais il s’est inquiété du fait que ce qu’il appelle sa « capacité de dissuasion » avait été mise à mal. En d’autres termes, après la victoire du Hezbollah, les Arabes ne craignaient plus Israël. Israël a donc voulu rétablir sa capacité de dissuasion et a lancé un assaut meurtrier contre Gaza. Au cours de cet assaut, 1 400 habitants de Gaza ont été tués. Près des quatre cinquièmes d’entre eux étaient des civils. 350 enfants gazaouis ont été tués.  Du côté israélien, dix combattants sont morts et trois enfants ont été tués. Israël a également ciblé massivement l’infrastructure et a détruit 6 000 maisons à Gaza. L’un des résultats notables de cet événement – qui a probablement représenté un point culminant du soutien international aux Palestiniens – a été qu’un Juif sioniste sud-africain de renom, Richard Goldstone, a publié un rapport en son nom dans lequel il a documenté en détail ce qu’il a appelé des crimes de guerre et d’éventuels crimes contre l’humanité qu’Israël a infligés au cours de ces « 22 jours de mort et de destruction ». Il s’est ensuite rétracté de ce rapport pour des raisons qui restent à ce jour mystérieuses. 

En 2014, Israël a lancé un nouvel assaut intensif sur Gaza. Il s’agissait de l’opération « Bouclier défensif ». Elle a duré 51 jours. Le président de la Croix-Rouge, Peter Moorer, s’est rendu à Gaza. Il s’est rendu à Gaza et il a déclaré… N’oubliez pas qu’il s’agit du président du Comité international de la Croix-Rouge. Il a vu de nombreuses zones de guerre. En fait, son travail consiste à visiter des zones de guerre. Après avoir visité Gaza, il a déclaré : « Je n’ai jamais vu une destruction aussi massive. » 550 enfants ont été tués, 18 000 maisons ont été détruites. 

 

La « Grande marche du retour »

Dernière chose avant de passer la parole à Mouin Rabbani : dans une dernière tentative désespérée, dans une dernière tentative désespérée de briser le blocus de Gaza, qui en a fait le plus grand camp de concentration du monde, avec la curieuse particularité d’être un camp de concentration où la moitié des détenus sont des enfants. La dernière tentative désespérée des habitants de Gaza, avant aujourd’hui, pour sortir de ce camp de concentration, a eu lieu en 2018, lors de la « Grande marche du retour », au cours de laquelle les Palestiniens ont tenté, de manière massive et non violente, de briser le blocus. Peu de rapports sur les droits de l’homme ont été publiés, mais il y en a eu quelques-uns. Le rapport le plus exhaustif et le plus fiable a conclu, et je fais appel à ma mémoire – mais ma mémoire est assez bonne pour ces choses-là – qu’Israël a ciblé, rappelez-vous, une manifestation civile non violente pour tenter de briser le blocus de Gaza. Israël a pris pour cible des enfants, du personnel médical, des journalistes et des personnes souffrant d’un handicap physique, comme les personnes en fauteuil roulant. À un moment donné, la brutalité est devenue insupportable et, comme par le passé, ce mouvement de protestation s’est éteint.

Il y a eu quelques autres échanges entre Israël et Gaza, mais je pense que vous avez eu une vue d’ensemble et maintenant nous en venons au présent, et je vais laisser Mouin s’exprimer. En plus d’être un vieil ami, je dirais qu’il est de loin le commentateur le plus astucieux, le plus compétent et le plus précis du conflit israélo-palestinien aujourd’hui. 

Je voudrais juste dire une dernière chose. J’ai pris un engagement lorsque, en 1982, je me suis engagé dans ce combat : « Je n’abandonnerai pas le peuple palestinien, quoi qu’il arrive, je m’en tiendrai à cette cause. » En 2020, j’avais abandonné. Je pensais que la cause était perdue. Je ne voyais pas l’intérêt de faire quoi que ce soit à ce moment-là. À partir de 2020, j’ai commencé à rédiger d’énormes documents juridiques de plus en plus détaillés et je me suis demandé ce que je faisais. De plus en plus de détails, de plus en plus de documentation sur la cause perdue. Et j’ai abandonné. Et quand j’ai lu récemment le récit de Mouin Rabbani, qui n’a pas encore été publié, sur la situation actuelle, j’ai appris des choses que je ne savais même pas. Vous avez parlé de la « Guerre de l’unité » de 2021. Je n’y ai pas prêté attention. Je compte donc sur Mouin Rabbani pour me tenir au courant et m’expliquer ce qui se passe en ce moment.

Mouin Rabbani : Merci beaucoup, comme toujours, pour ce résumé très détaillé et perspicace de l’histoire pertinente. Je vais donc expliquer pourquoi nous nous trouvons aujourd’hui au milieu de la crise que nous connaissons. 

 

Le Hamas prend l’initiative

Comme Norman l’a expliqué, le Hamas a remporté les élections de 2006 organisées parmi les Palestiniens résidant dans les territoires occupés, mais l’Autorité palestinienne et les puissances occidentales l’ont empêché de gouverner. Cette situation a conduit à un conflit croissant à l’issue duquel le Hamas a pris le pouvoir en 2007 en Cisjordanie. Je ne vais pas répéter l’histoire que Norman nous a déjà présentée, si ce n’est pour dire que si l’on examinait la situation du point de vue de ceux qui ont lancé hier ce que l’on appelle l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » on constaterait ce qui suit. Le Hamas dirige la bande de Gaza depuis 2007 et a atteint le point où il n’est plus pris au sérieux, en particulier par Israël. Ce que je veux dire par là, c’est qu’Israël est parvenu à la conclusion que la seule chose qui importe au Hamas est de maintenir et de perpétuer son autorité sur le territoire de la bande de Gaza et sur sa population, et que toutes les déclarations qu’il fait au sujet de la mosquée Al-Aqsa, de l’intensification de la colonisation en Cisjordanie, de toutes ces autres questions, ne sont que de la rhétorique qu’il utilise pour se légitimer et des questions qu’Israël peut ignorer sans risque. Dans le même temps, le blocus israélo-égyptien de la bande de Gaza n’était pas vraiment assoupli.

En outre, le gouvernement du Qatar, qui fournissait chaque mois de l’argent à la bande de Gaza en coordination avec Israël, a réduit son soutien à la bande de Gaza au cours des derniers mois et a déclaré impérieusement au Hamas qu’il devait trouver des solutions plus durables à sa crise financière. La Turquie, qui avait accueilli d’éminents dirigeants du Hamas, a exilé un certain nombre d’entre eux au cours de l’année écoulée. Le Hamas a donc vu qu’il était traité comme un élément insignifiant par Israël. Il a vu que l’escalade israélienne, en particulier sous le gouvernement actuel et son prédécesseur, s’était transformée en une véritable stratégie israélienne. Nous l’avons vu, par exemple, avec les raids quasi quotidiens des colons, assistés par l’armée, dans les villages de Cisjordanie, que même des commandants militaires israéliens de haut rang en sont venus à qualifier de « pogroms ». Le Hamas a assisté au nettoyage ethnique de la Cisjordanie et, bien sûr, au nombre croissant d’incursions dans le Haram al-Sharif, l’enceinte de la vieille ville de Jérusalem qui abrite la mosquée Al-Aqsa, par d’éminents politiciens israéliens et des groupes de colons, et je pense que le Hamas a essentiellement conclu qu’Israël était allé trop loin depuis trop longtemps et qu’il fallait faire quelque chose à ce sujet. L’ampleur, la portée et la sophistication de ce que nous avons vu hier ne peuvent s’expliquer comme une réponse à quelque chose qui s’est produit hier, la semaine dernière ou le mois dernier. Il s’agit manifestement d’une préparation de plusieurs mois et je pense que le Hamas a réédité ce qui s’est passé en 2021.

Vous savez, tous les conflits précédents – si je peux utiliser ce terme – entre le Hamas et Israël ont été initiés par Israël et portaient sur des questions relatives à la bande de Gaza. Ce qui s’est passé en 2021, c’est que non seulement la confrontation armée a été initiée pour la première fois par le Hamas plutôt que par Israël, mais elle a également été initiée par le Hamas pour des questions qui n’étaient pas directement liées à la bande de Gaza, mais qui avaient plutôt trait aux assauts israéliens croissants contre la mosquée Al-Aqsa pendant le mois de Ramadan et à l’intensification des activités de colonisation à Jérusalem-Est. Pour faire court, un cessez-le-feu a été conclu, des promesses ont été faites, et si l’on avance rapidement jusqu’à cette année et l’année dernière, la situation est restée essentiellement inchangée. Il n’y a pas eu d’assouplissement significatif du blocus de la bande de Gaza, etc. Il est donc clair que le Hamas est arrivé à la conclusion qu’il devait faire quelque chose de véritablement spectaculaire dans le but de rendre le statu quo obsolète.

 

L’opération « Déluge d’al-Aqsa » et les objectifs du Hamas 

Et je pense que c’est essentiellement ce que nous avons vu hier. Une opération militaire sophistiquée, si vous la considérez uniquement en ces termes, et je dois ajouter que je ne suis pas un analyste militaire, mais elle est comparée à l’attaque surprise conjointe égypto-israélienne du 6 octobre 1973 – il y a un demi-siècle, presque jour pour jour – qui a déclenché la guerre d’octobre 1973. Mais il y a une différence importante. La première est qu’en 1973, bien que l’Égypte et la Syrie aient déployé des efforts considérables pour dissimuler leurs intentions et leurs préparatifs, Israël avait sans doute été suffisamment averti de l’imminence de l’offensive arabe, mais il a choisi d’ignorer les avertissements pour des raisons que Norman a déjà expliquées. Hier, je pense qu’il est juste de dire qu’Israël était pratiquement dans l’ignorance totale de ce qui était sur le point de se produire. Et ce n’est pas tout : la bande de Gaza est le territoire et la population les plus intensivement étudiés de la planète et pourtant, le Hamas a pu le faire et a pu, pour la première fois depuis 1948, pénétrer dans un territoire situé à l’intérieur des frontières internationalement reconnues d’Israël, s’emparer d’installations militaires et de centres de population et en détenir un certain nombre qui non seulement sont toujours entre leurs mains, mais selon certaines informations, d’autres combattants palestiniens arriveraient encore depuis la bande de Gaza. Je crois que c’est un analyste israélien qui a déclaré que ce qui s’est passé, c’est qu’Israël a passé les dernières années à se préparer à une infiltration armée du Hezbollah à ses frontières Nord, mais cette infiltration s’est faite à partir de la bande de Gaza par le Hamas et le Jihad islamique, ce qui est d’autant plus étonnant si l’on tient compte du fait qu’il s’agit d’un territoire soumis à un blocus, avec des ressources très modestes et des personnes très ingénieuses, et que cette infiltration se poursuit encore.

Maintenant, sans entrer dans une analyse trop poussée des aspects militaires – qui, encore une fois, sont des choses que je connais très peu et qui ne m’intéressent pas particulièrement – examinons le contexte plus large, c’est-à-dire ce que le Hamas espère obtenir. Je pense que, premièrement, il insiste pour être pris au sérieux. Il insiste sur le fait que lorsqu’il pose des exigences sur la table des négociations, celles-ci doivent être sérieusement considérées et que, contrairement aux accords précédents, lorsque des accords sont conclus, ils doivent également être mis en œuvre dans la pratique. Son deuxième objectif est, je pense, d’imposer un échange de prisonniers à grande échelle avec Israël. Il y a des milliers de prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Certains d’entre eux y sont depuis des décennies et le Hamas espère vraiment vider les prisons israéliennes des prisonniers politiques palestiniens. Troisièmement, le Hamas souhaite également imposer au moins des restrictions à l’armée israélienne et à ses auxiliaires en Cisjordanie pour mettre fin au nettoyage ethnique de la vallée du Jourdain, qui est pratiquement terminé, pour mettre fin à ces raids violents quotidiens dans les villages de Cisjordanie et ainsi de suite. Troisièmement, la question de la Palestine a fait l’objet d’une complaisance internationale croissante. Les capitales mondiales sont en quelque sorte parvenues à la conclusion que « vous savez, nous avons la Libye, la Syrie, l’Irak et Daech. Il s’agit de crises réelles qui doivent être traitées. En revanche, la question de la Palestine existe depuis la fin des années 1940, le ciel ne nous est pas encore tombé sur la tête, et on peut donc l’ignorer pendant que nous nous occupons de la Syrie, de l’Ukraine, de la crise migratoire et d’autres choses encore. » Le Hamas voulait envoyer un message très clair : vous nous ignorez et vous ignorez la question palestinienne à vos risques et périls, parce que nous sommes non seulement capables de perturber le cours normal des choses, mais nous sommes capables de le perturber d’une manière très désagréable pour vous.

 

L’accord de paix entre Israël et l’Arabie Saoudite 

Beaucoup de gens ont parlé d’un accord de paix imminent entre Israël et l’Arabie saoudite et du fait que l’un des principaux objectifs du Hamas était de rendre cet accord infaisable. Je n’y crois pas. La première raison est que je ne pense pas qu’un accord israélo-saoudien soit vraiment à l’ordre du jour. Si vous regardez la manière dont il est discuté, un accord israélo-saoudien inclurait des engagements américains envers l’Arabie saoudite qui ne passeraient jamais le Congrès américain, et il inclurait des concessions israéliennes relativement mineures, pour ainsi dire, aux Palestiniens, qui, malgré leur nature largement cosmétique, ne seraient jamais validées par la coalition gouvernementale d’Israël. 

Pour ces raisons et un certain nombre d’autres facteurs, je pense qu’un accord israélo-saoudien n’est vraiment pas à l’ordre du jour. Mais si, pour les besoins de l’argumentation, un tel accord devait être conclu, je ne vois aucune raison de conclure qu’un amoncellement de cadavres palestiniens ou une offensive palestinienne réussie contre Israël feraient changer d’avis l’Arabie saoudite sur la conclusion d’un tel accord. Je veux dire qu’au mieux, ils peuvent intégrer un intervalle décent jusqu’à ce qu’ils signent un tel accord. Et vous savez, aucun autre État arabe n’a jamais été dissuadé de conclure des accords avec Israël parce que la question palestinienne n’était pas résolue.

Je ne pense donc pas que ces négociations israélo-saoudiennes soient un facteur. Je pense qu’embarrasser les gouvernements arabes qui ont des liens formels ou informels avec Israël est une sorte d’avantage supplémentaire du point de vue du Hamas. Mais je pense que les principaux objectifs sont ceux que j’ai exposés. 

 

Offensive terrestre à Gaza, risques d’explosion régionale et perspectives de paix

Nombreux sont ceux qui regardent ce qui s’est passé ces derniers jours. Plusieurs centaines d’Israéliens sont morts. Bien qu’il soit peut-être prématuré de l’affirmer, il me semble que l’objectif principal de cette attaque ait été d’envoyer un choc dans l’establishment militaire et sécuritaire israélien, plutôt que de simplement tuer un grand nombre de civils israéliens, bien qu’il y ait des rapports qui doivent être examinés et que je puisse me tromper sur ce point. Quoi qu’il en soit, les gens disent « Il est clair qu’il y aura une réponse israélienne massive » et c’est en effet déjà le cas. Le Hamas s’y est préparé, mais je pense que le Hamas s’appuiera également sur l’expérience des précédents assauts israéliens contre la bande de Gaza dans lesquels Israël a choisi de ne pas mener l’offensive terrestre de grande ampleur qui lui aurait permis de faire tomber le Hamas. Il a choisi de ne pas le faire car, d’une part, il hésite beaucoup à rétablir une présence permanente dans la bande de Gaza pendant une période prolongée. Elle serait soumise à des attaques quotidiennes depuis des centres de population très densément peuplés, etc. Une autre raison est qu’aussi hostile qu’Israël puisse être au Hamas, d’un point de vue stratégique, une priorité pour Israël est de promouvoir la fragmentation et le morcellement politique des Palestiniens. Il préfère donc une Cisjordanie et une bande de Gaza séparées non seulement territorialement, mais aussi par un schisme politique entre les dirigeants, qu’une Cisjordanie et une bande de Gaza réunies sous une seule Autorité palestinienne, même si celle-ci est en fait un supplétif d’Israël. Je pense donc que le Hamas calcule qu’Israël lancera des incursions massives dans la bande de Gaza, tentera d’écraser ces mouvements, causera des dégâts considérables – et probablement des victimes en masse – mais se retirera au bout d’un certain temps. Encore une fois, nous n’avions aucune idée de ce dont le Hamas était capable hier. Et nous ne savons pas non plus ce que le Hamas peut avoir en réserve pour les forces armées israéliennes si et lorsque elles lanceront une invasion terrestre.

Il y a un dernier point que j’aimerais aborder, à savoir que le Hamas est un membre à part entière, si l’on peut dire, de l’Axe de résistance autoproclamé, qui comprend le Hezbollah, l’Iran, la Syrie, les Houthis au Yémen et d’autres encore. Et je pense qu’il y a une question sans réponse à poser sur le degré de coordination entre le Hamas et le Hezbollah au Liban en particulier. Il est évident que le Hamas a bénéficié de l’expertise du Hezbollah de manière significative par rapport à ses performances antérieures, mais je me demande plus précisément si le Hezbollah fait potentiellement partie d’une campagne plus large à l’heure actuelle.

Je pense qu’il s’agit d’une question qui restera sans réponse. Je soupçonne que, comme nous l’avons vu aujourd’hui à la frontière nord d’Israël, le Hezbollah est en train de s’engager dans une campagne plus large. Le Hezbollah s’engage dans des escarmouches mineures simplement pour rappeler aux Israéliens qu’ils devraient peut-être réfléchir à deux fois avant d’engager tout le poids de leurs forces armées dans la bande de Gaza, et il se peut aussi qu’il y ait un accord entre ces deux organisations selon lequel si Israël franchit certaines lignes rouges, le Hezbollah et peut-être d’autres forces s’engageront alors de manière plus significative dans le conflit qui se déroule actuellement. Ce sont là mes premières impressions. Je pense qu’il est également très important de ne pas perdre de vue la dimension humaine de tout ce qui se passe actuellement, car je pense que l’on peut supposer que la situation va s’aggraver considérablement dans les jours, voire les semaines à venir. 

Le Conseil de sécurité des Nations unies se réunit aujourd’hui. Il n’est évidemment pas question d’appeler à un cessez-le-feu, car cela nécessiterait l’assentiment des Américains. Les Américains ont clairement indiqué qu’Israël avait le feu vert de Washington pour poursuivre cette campagne. Si l’on se réfère aux expériences passées, Norman a mentionné 2006, la guerre avec le Liban, par exemple, la façon dont ces choses fonctionnent généralement est la suivante : lorsqu’Israël lance une attaque, les États-Unis bloquent toutes les tentatives de cessation des hostilités ou même de désescalade. Finalement, Israël se retrouve bloqué et veut arrêter, mais ne peut le faire lui-même de peur de perdre la face, comme on dit, et tout d’un coup, Washington devient un grand artisan de la paix et fait adopter une résolution de cessez-le-feu par le Conseil de sécurité des Nations unies. Je soupçonne qu’il se passera quelque chose de similaire cette fois-ci. Voilà pour mes commentaires introductifs.

 

Le Hamas a-t-il eu raison d’attaquer ? Voulait-il maximiser les pertes civiles israéliennes ?

Norman Finkelstein : Je voudrais te poser quelques questions, Mouin, parce que je veux entendre ton point de vue. Les deux choses principales que j’ai entendues de la part de mes correspondants, et aussi de mes lectures, sont les suivantes : premièrement, même si le Hamas était justifié dans son opération (je déteste ces termes cliniques, mais je vais les utiliser), même si le Hamas était justifié, c’était imprudent : nous savons tous ce qu’Israël va faire, il y aura tellement de morts et de destructions qu’ils n’auraient pas dû le faire, c’est la première chose à dire. Deuxièmement, je sais qu’il est très tôt pour poser la question, mais comme je reçois beaucoup de demandes à ce sujet, vous y avez fait allusion, je me demandais si vous pouviez nous donner des informations spécifiques sur ce qui s’est passé en ce qui concerne la mort de civils au cours de l’assaut du Hamas. Evidemment, tant que les rapports sur les droits de l’homme ne seront pas publiés, il s’agira de spéculations. J’aimerais savoir sur quelle base vous semblez croire que les civils n’ont pas été, au moins, pris pour cible dans le cadre d’une politique délibérée. Je ne sais pas ce que ces jeunes gens ont pu faire lorsqu’ils sont entrés [dans les localités israéliennes]. Mais aussi, et surtout, ce qu’a fait le Hamas était-il stupide, à votre avis ?

Mouin Rabbani : C’est une question légitime. Mais, vous savez, pouvons-nous également dire que la première Intifada était une initiative stupide, dans la mesure où elle a été préparée de telle sorte que la seconde Intifada n’aurait jamais dû avoir lieu [si la première avait réussi] ? En d’autres termes, vous placez les gens dans une situation où ils n’ont aucun moyen de surmonter leurs circonstances exceptionnellement difficiles. En fait, vous dites aux gens qu’il vaut mieux mourir lentement que d’entreprendre une « opération » spectaculaire pour tenter de sortir de l’impasse et éviter ainsi une mort à petit feu. Ce que j’essaie de dire, c’est que je comprends la logique qui a présidé à la planification de cette opération. Je comprends qu’il s’agissait d’un risque calculé. Je vois aussi les inconvénients de ne rien faire et de ne rien changer.

S’agissait-il d’une initiative justifiée ou d’une initiative stupide, je pense que la seule conclusion à laquelle nous pouvons parvenir est que seul l’avenir nous le dira. Je pense que nous pouvons déjà conclure que le coût humain sera très important. En même temps, d’autres pourraient répondre en disant « Oui, mais l’alternative est d’avoir des enfants qui meurent du cancer sans médicaments et un chômage de masse, une pauvreté de masse, parce qu’aucune initiative significative n’est prise pour briser le blocus et mettre fin à l’état de siège. » Je pense donc qu’il est très difficile de répondre clairement à cette question, et je regrette de ne pas pouvoir être plus précis. Je pense que le temps nous le dira. Je peux tout à fait comprendre le raisonnement selon lequel il faut faire quelque chose d’important pour sortir de l’impasse et imposer à Israël, à la région, au monde, que vous nous ignorez à vos risques et périls. Je peux également comprendre le point de vue selon lequel le prix à payer sera si élevé que vous auriez dû réfléchir cent fois avant de vous engager dans cette voie. 

En ce qui concerne votre deuxième question, oui, il y a des rapports qui semblent de plus en plus étayés selon lesquels il y a eu un grand nombre de victimes lors d’une rave party qui se tenait dans le désert du Néguev. Cela faisait-il partie de la planification ? Cela explique-t-il le moment choisi pour l’opération ? Je n’en sais vraiment rien. Je dirais également qu’étant donné – comme vous le savez mieux que quiconque – la nature de la propagande israélienne et pro-israélienne, j’aimerais ne pas confirmer et ne pas juger jusqu’à ce que les faits soient connus. Mais s’il y a effectivement eu une attaque délibérée contre un rassemblement de civils dans le but explicite de faire un grand nombre de victimes, j’aurais deux observations à faire : A. C’est une chose méprisable, et B. Les Palestiniens seraient tout à fait justifiés de traiter avec un mépris total les condamnations émanant de personnes qui n’ont jamais condamné les crimes perpétrés contre eux.

 

Qu’en pensent les Palestiniens ?

Norman Finkelstein : Je vais poser une dernière question à Sana. Sana, vous êtes une mère, vous êtes une grand-mère. Si vous viviez à Gaza, après avoir tout entendu et lu, je suppose que vous avez lu tout ce qu’il y a à lire en ce moment, quelle serait votre position par rapport à ce qui se passe ? Soutiendriez-vous le Hamas ou diriez-vous « la mort et la destruction sont trop importantes, c’est irresponsable, je ne veux pas voir mes enfants et mes petits-enfants mourir » ?

Sana Kassem : Non, même sans être à Gaza, je soutiens cette opération. Il est tout à fait légitime que les Palestiniens ripostent, qu’ils libèrent leurs prisonniers, qu’ils forcent leur prison, la prison de Gaza. Bien sûr, je soutiendrais l’opération. Je soutiens l’opération, sans aucun doute. En fait, c’était comme un rêve pour moi de me réveiller le matin et de voir cette opération. Je n’arrivais pas à y croire. Et je suis heureuse de vous entendre, car vous m’avez souvent répété que la cause palestinienne était morte. Non, elle n’est pas morte. Tant qu’il n’y aura pas de justice, elle ne sera pas morte. Ce n’est pas une cause morte. Nous continuerons à nous battre. Nous n’avons pas d’autre choix. 

 

Parallèles historiques : l’insurrection du ghetto de Varsovie et la Commune de Paris

Norman Finkelstein : Je vais faire quelques brefs commentaires puis nous passerons aux questions. Mes parents étaient dans le ghetto de Varsovie jusqu’au soulèvement d’avril 1943. Le soulèvement du ghetto est normalement considéré comme un chapitre héroïque, ou le seul chapitre héroïque de l’extermination nazie. À l’occasion de cet anniversaire, il y a probablement 20 ou 30 ans, Amy Goodman, de l’émission Democracy Now ! a interviewé ma mère sur le soulèvement du ghetto de Varsovie. Et ma mère était très – disons-le comme ça – elle était très sceptique quant à toutes les louanges qu’on lui adressait. Elle disait, premièrement, « Nous étions tous destinés à mourir, et il n’y avait donc pas de grand héroïsme à essayer de résister alors qu’il n’y avait pas d’autre option, que nous allions être déportés et exterminés ». Deuxièmement, elle a dit que la résistance était largement exagérée, ce qui était en fait vrai. Il s’agissait d’une résistance minuscule à l’occupation nazie de Varsovie à l’époque. J’ai donc vu Amy Goodman, dont le visage a commencé à se décomposer parce que ma mère diminuait ce qui était censé être un chapitre héroïque ou le seul chapitre héroïque de cette horrible séquence d’événements. Alors Amy lui a demandé, « Y a-t-il quelque chose de positif dans ce qui s’est passé ? » Et je me souviens que ma mère a fait un commentaire, elle a d’abord parlé de l’ingéniosité, de l’ingéniosité des combattants du ghetto de Varsovie. Elle a décrit le fait qu’ils n’avaient ni matériel ni outils. Et ils ont construit ces catacombes très complexes – ce qu’on appelait des « bunkers » dans le ghetto – à mains nues. Je me souviens qu’elle avait utilisé le mot « ingéniosité ». Et puis, quand j’ai vu, vu ou lu l’ingéniosité des gens du Hamas à Gaza, l’endroit le plus surveillé sur la terre de Dieu, chaque coin et recoin est sous 10 000 technologies de surveillance israéliennes différentes. Chaque recoin de Gaza est soumis à 10 000 technologies de surveillance israéliennes différentes. Et pourtant, ils ont réussi, au milieu de tout cela, à contourner toute la surveillance israélienne et à mener cette opération – je rends hommage à cette ingéniosité ! Je rends hommage à la résistance d’un peuple qui a littéralement, ou presque littéralement, trouvé un moyen de résister à ce camp de concentration qui lui est imposé ou de le surmonter.

Je me souviens de la guerre du Viêt Nam, ce chapitre horrible de notre histoire, qui a malheureusement été complètement oublié par les nouvelles générations. Je me souviens d’un historien et écrivain de gauche, I.F. Stone. Et il a dit que si quelque chose de rédempteur pouvait être lu dans cette expérience, c’était le pouvoir des Vietnamiens de résister pendant trente ans, trois décennies, à ce bombardement incessant de leur pays. Les États-Unis larguaient l’équivalent de deux bombes atomiques au Viêt Nam chaque mois. Je me souviens avoir demandé un jour au professeur Noam Chomsky : « Comment pensez-vous qu’ils ont fait cela ? » « Je ne sais pas. Je ne sais pas. » a-t-il répondu. Et c’est le même sentiment d’émerveillement que j’ai ressenti quand je me suis levé le matin, et je crois que c’est Sana qui m’a envoyé un e-mail, « Regarde les infos ». Et je ressens le même émerveillement – je suis encore totalement époustouflé – face au fait que le Hamas a trouvé un moyen de mettre à profit l’ingéniosité humaine et l’esprit de résistance, ainsi que tous les pouvoirs que chaque individu peut invoquer dans cette lutte pour la résistance pour vaincre un adversaire très redoutable ou imposer une défaite, même si elle ne s’avère pas durable, pour imposer une défaite momentanée à ces suprémacistes racistes et Übermenschen qui ne croient tout simplement pas que les Arabes sont assez intelligents, assez malins, assez ingénieux pour l’emporter.

Quant à la question des civils Israéliens et de leur mort, je ne sais pas ce qui s’est passé. J’écouterai patiemment et j’analyserai aussi équitablement que possible les preuves au fur et à mesure qu’elles seront disponibles. Je ne mettrai pas de « mais », je ne mettrai pas de « cependant », je me contenterai d’exposer les faits. Premièrement, je relisais l’autre jour La guerre civile en France de Karl Marx, qui décrit la période où les ouvriers parisiens prennent le pouvoir à Paris, forment une Commune, et où le gouvernement, le gouvernement officiel, assassine les prisonniers de guerre, les otages, et cela devient si brutal que les Communards, comme on les appelait, prennent environ 50 ou 60 otages. Le gouvernement n’a pas voulu céder, il n’a pas voulu céder, et les Communards ont tué les otages. 

Karl Marx a défendu cette action. Il l’a défendue. Il a dit que « c’était une question de… Les communards étaient traités avec un tel mépris. » Les communards cherchaient un moyen de résoudre pacifiquement ce problème. Ils ont demandé que l’un de leurs chefs, Blanqui, leur soit rendu, mais le gouvernement n’a pas voulu. Vous savez, John Brown [1800-1859, abolitionniste américain qui en appela à l’insurrection armée pour abolir l’esclavage] n’avait pas un casier judiciaire vierge. Lors d’une bataille au Kansas à propos d’un endroit appelé Osawatome, il a tué des otages. C’est ce qu’il a fait. Et lorsqu’il a été pendu, il a été très difficile de trouver quelqu’un pour le défendre. En fait, j’ai récemment appris, en lisant un article de Cornel West, que l’une des rares personnes à avoir pris sa défense était Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, ce que j’ignorais. Mais il a tué des otages, il a été pendu et très peu de gens ont pris sa défense, mais très vite après, la guerre civile est arrivée. Et l’un des chants de marche de la guerre civile était « Le corps de John Brown gît dans la tombe ». Le jugement de l’histoire peut être très différent du jugement du moment. 

 

Le naufrage de la « gauche » moderne

Et la troisième chose que je voudrais dire, c’est qu’il est tellement consternant, ce n’est pas seulement le mépris, c’est tellement consternant, la réaction de tous ces lâches, ces carriéristes et ces ordures qui utilisent leur micro appelé Twitter pour simplement dénoncer l’attaque du Hamas. Et je me dis que j’ai lu récemment des livres sur Eugene Debs – le grand socialiste américain du début du XXe siècle – et que je les lis parce que je veux me plonger dans la candidature de M. Cornel West, et que j’ai besoin de lire sur les candidatures radicales passées qui ont eu un succès substantiel.

Et Eugene Debs est allé en prison. Nous sommes au début du siècle, en 1918. Il est emprisonné à l’âge de 63 ans. N’oubliez pas qu’à l’époque, 63 ans équivaut à environ 83 ans aujourd’hui. Les gens mouraient de mort naturelle à 63 ans. Il avait donc environ 83 ans d’aujourd’hui. Il est allé en prison parce qu’il s’opposait à la Première Guerre mondiale et parce qu’il défendait les droits, sa défense radicale des droits des travailleurs. Il est entré en prison sans crainte, bien qu’il soit maintenant clair, d’après ses lettres, qu’il était profondément déprimé et abattu. Il a été condamné à 10 ans de prison. Lorsqu’il est sorti de prison, au bout de trois ans, à sa sortie, le directeur de la prison a ouvert toutes les cellules de la prison et tous les détenus se sont précipités hors des cellules pour dire au revoir à Eugene Debs. Pour moi, c’est ça la grande tradition de la gauche. Quand je vois les Alexandria Ocasio-Cortez, les Ilhan Omar, les Bernie Sanders, quand ils « condamnent » la révolte des détenus dans le camp de concentration, quand ils disent « Israël a le droit de se défendre quand les détenus franchissent les murs du camp », je leur crache dessus. Ils me donnent la nausée.

La déclaration faite aujourd’hui par Cornel West était bonne. Elle n’était pas parfaite, mais il est candidat à la présidence. C’était bien. Il s’est racheté. Gideon Levy aussi. Il a écrit un excellent article aujourd’hui dans Haaretz. Il s’est racheté. Mais malheureusement, on peut compter sur les doigts d’une main – et même moins que les doigts d’une main – le nombre de personnes qui ont montré du cœur, de l’âme, de la compassion pour la population de Gaza, abandonnée de tous.

 

Les roquettes du Hamas et le « Dôme de fer »

Question : Norman a déclaré précédemment que les roquettes du Hamas étaient des feux d’artifice et qu’elles ne causaient pas de réels dommages. Avez-vous la même position aujourd’hui, étant donné les scènes que nous avons vues dans les médias, où cette fois-ci il semble que les dégâts aient été faits ?

Norman Finkelstein : Tout d’abord, je ne suis pas encore en mesure de faire une telle évaluation. Ce que j’ai vu, et je ne prétends pas que mes lectures soient exhaustives à ce stade, j’ai essayé de lire autant que possible, mais ce n’est pas exhaustif. Je ne sais pas si les roquettes, s’il s’agit bien de roquettes, causent beaucoup de dégâts ou non. Ce que j’ai vu, c’est que lorsqu’Israël a commencé à attaquer les tours, pas les gratte-ciel, mais les tours, l’un des chefs du Hamas a dit : « Si vous continuez sur cette voie, nous allons viser un bâtiment à Tel-Aviv. » Et de fait, peu de temps après, un immeuble de Tel-Aviv a été frappé. Cela reste donc compatible avec la possibilité que la plupart des roquettes ne causent pas de dégâts importants, mais que certaines d’entre elles soient dotées de ce que l’on appelle la différence entre une roquette et un missile, à savoir un système de guidage. Il est possible que certains missiles dotés d’un système de guidage puissent atteindre des cibles. Je n’en sais rien. 

L’une des choses que j’ai remarquées, et qui est assez intéressante, et encore une fois, je peux me tromper, alors Mouin Rabbani, j’aimerais que vous me corrigiez – ou que quelqu’un qui écoute me corrige. C’est la première fois depuis l’opération « Pilier de défense » en 2012 qu’il n’est pas fait mention du Dôme de fer. Le Dôme de fer, ce système anti-missile israélien supposé fantastique, ne semble pas faire beaucoup parler de lui. Est-ce que je me trompe ? C’est assez drôle, il faut le dire, parce qu’Israël se vante de ce Dôme de fer, de ce miracle, de ce miraculeux système de défense antimissile, dont il prétend, en montrant toutes ces images aériennes, qu’il peut détruire toutes les roquettes du Hamas. Ils essaient ensuite de le commercialiser dans le monde entier, en disant « Nous avons cette défense miraculeuse ». Et maintenant, il semble que cette défense miraculeuse soit, comme l’a dit mon frère, du gruyère, et non le Dôme de fer. Mais je ne sais pas. Mouin, vous pouvez répondre ? Y a-t-il des preuves concrètes que les roquettes ont un impact substantiel ?

Mouin Rabbani : Oui, mais pas dans le sens d’une destruction militaire. Encore une fois, il s’agit de spéculations, mais je pense que la plupart des dommages physiques que nous constatons sont causés par des mortiers plutôt que par des missiles. Je pense que l’objectif principal de ces projectiles, qu’il s’agisse de missiles ou de roquettes, n’est pas de détruire des structures physiques ou de tuer des gens comme on pourrait le penser, mais plutôt de paralyser la vie normale dans les zones urbaines israéliennes, de paralyser l’économie et d’autres formes de vie normale. Deuxièmement, je pense que la raison pour laquelle nous entendons beaucoup moins parler du Dôme de fer cette semaine est qu’il a été reconnu dès le départ que l’une de ses faiblesses est son incapacité à faire face à un grand nombre de missiles tirés simultanément sur une seule cible. Et par là, je ne parle pas de constructions spécifiques, mais vous savez, un centre de population particulier. Et je pense que ce que nous avons vu, c’est que le Hamas a développé la capacité de lancer un grand nombre de roquettes et de missiles, ou peu importe ce qu’ils sont, simultanément, et de submerger ainsi, si vous voulez, le Dôme de fer. Et je pense que c’est essentiellement ce qui se passe. Il semble qu’ils aient également réussi à accroître l’efficacité de ce qu’ils ont, mais je ne sais pas s’ils ont des systèmes de guidage ou s’ils sont capables de cibler des bâtiments individuels. Je pense qu’ils peuvent peut-être cibler des bases militaires ou des villes particulières, mais pas beaucoup plus que cela.

 

Une offensive terrestre à Gaza ?

Norman Finkelstein : Je voudrais juste ajouter au sujet de l’objectif des soi-disant roquettes, que dans le passé, Israël a déclaré qu’elles constituaient une menace. Donc, une fois que vous avez déclaré qu’il s’agissait d’une menace, vous devez maîtriser cette menace. Ainsi, si le Hamas continue à tirer, la pression augmente sur Israël pour qu’il lance une invasion terrestre. Et Israël n’a jamais voulu lancer ces invasions terrestres, car elles se révèlent toujours désastreuses pour lui. En 2006, lors de la guerre du Liban, Israël a attendu les 72 dernières heures pour envoyer des troupes au Liban, puis les a précipitées à la frontière, ce qui a donné lieu à une séance de photos des troupes israéliennes au Liban. Ils ne voulaient pas se battre avec le Hezbollah. La dernière chose qu’ils voulaient sur la terre était de s’empoigner avec le parti de Dieu. Ils ne voulaient pas le faire. 

Et dans les opérations « Plomb durci » et « Bouclier défensif », ce qui se passe généralement, c’est qu’Israël envoie des avions la première semaine pour tout détruire à Gaza dans l’espoir que les roquettes s’arrêtent. Mais lorsque les roquettes continuent d’arriver, la pression monte sur le gouvernement. Il faut alors lancer une invasion terrestre. Et à chacune de ces attaques, ils accumulent des troupes à la frontière, comme ils le font en ce moment même. Mais ils attendent encore et encore avant d’intervenir, car les combattants de Gaza ont fait leurs preuves. N’oubliez pas qu’Israël a un seuil de tolérance très bas pour les pertes militaires. Ce seuil s’est construit au fil des ans, car les Israéliens sont habitués à des guerres de luxe où les soldats israéliens ne sont pas tués. Lors du dernier assaut majeur, l’opération « Bouclier défensif », un nombre important de soldats israéliens ont été tués. C’est considéré comme un désastre dans la société israélienne. Dans la société israélienne, qui est une société spartiate, la mort d’un soldat est beaucoup plus importante que la mort d’un civil. C’est l’inverse de ce que l’on pourrait appeler une société normale. Le seuil de tolérance à la mort de civils est donc très bas. C’est pourquoi le gouvernement s’abstient toujours de lancer une invasion terrestre, mais l’objectif principal de ces projectiles est d’inciter, d’attirer Israël à lancer l’invasion terrestre.

Mouin Rabbani : Je voulais juste ajouter que l’invasion terrestre du Liban par Israël en 2006 est un parfait exemple de ce que je disais plus tôt à propos du Conseil de sécurité. Lorsque l’assaut aérien israélien contre le Liban a commencé, cette idiote de Condoleezza Rice a parlé des douleurs de l’enfantement d’un nouveau Moyen-Orient, et je crois que c’était John Bolton à l’époque au Conseil de sécurité, je ne sais plus qui était l’ambassadeur des États-Unis, vous savez, sabotant fondamentalement chaque tentative d’imposer un cessez-le-feu. Et lorsque les chars israéliens ont commencé à s’enflammer les uns après les autres, un cessez-le-feu immédiat est soudain devenu une question d’urgence pour les Américains.

 

La violence est-elle contre-productive pour la cause palestinienne ?

Question : Je soutiens la cause palestinienne, mais je n’ai jamais considéré que le recours à la terreur constituait un effort utile de libération nationale. Je considère qu’il est contre-productif, qu’il aliène l’opinion publique, qu’il cause des dommages, en particulier dans la réaction qu’il suscite, comme le fera sans aucun doute Israël. Que vous soyez ou non d’accord avec moi sur ces points, quelles sont les alternatives non violentes et non terroristes que les Palestiniens peuvent utiliser pour faire avancer leur cause sans risquer d’en pâtir comme on le voit aujourd’hui ?

Norman Finkelstein : Écoutez, on l’a oublié, mais il n’y a pas si longtemps, en 2018, les Palestiniens ont essayé une tactique non violente. Israël l’a réprimée brutalement, selon le rapport de l’ONU, qui était le seul rapport faisant autorité. Human Rights Watch a également fait un rapport, mais pas tout à fait dans l’ampleur du rapport de l’ONU. Israël a commencé à prendre pour cible des civils, des enfants, des journalistes, du personnel médical, des Palestiniens handicapés en fauteuil roulant. La non-violence ne peut fonctionner que dans certaines circonstances, et ces circonstances sont très limitées. Premièrement, il faut qu’il y ait des gens qui prêtent attention. Si vous êtes dans une forêt tropicale indienne, et que vous tentez une résistance non violente, le gouvernement arrive et vous élimine. Fin de la résistance non violente. Il existe des circonstances très spécifiques dans lesquelles vous pouvez réussir, et elles sont très limitées, en fait. Elles sont très étroites. Voilà pour le premier point.

Deuxièmement, je ne le dis pas avec fierté, mais je dois le dire honnêtement. Les Palestiniens m’avaient perdu. J’ai abandonné. J’ai pensé que la cause était désespérée et j’ai passé mon chemin en 2020. Ils m’ont perdu, mais malheureusement pour eux, ils étaient toujours en vie. Je pouvais passer à autre chose. J’avais cette possibilité. Je n’étais pas heureux et je n’étais pas fier. Et dans une certaine mesure, j’avais honte d’avoir tourné la page. Et je sais que Sana n’était pas heureuse parce qu’elle m’écrivait souvent : « Pourquoi n’écrivez-vous rien sur les Palestiniens ? Pourquoi ne publiez-vous rien sur les Palestiniens sur votre site web ? » Et bien sûr, je me sentais coupable. Mais je ne voyais pas d’issue. Et cela fait 40 ans que j’étudie la question. Je ne voyais pas d’issue. Donc, s’il y avait une option, je serais le premier à la préconiser, une option non violente. Mais je n’en ai vu aucune. Et vous ne me convaincrez jamais, cela n’arrivera jamais, jamais personne ne me convaincra que les Palestiniens ont l’obligation de se coucher et de mourir dans un camp de concentration. Vous vous trompez de cible si vous pensez que vous me convaincrez un jour de cela.

 

Le droit international est du côté du Hamas

Jusqu’où sont-ils autorisés à aller pour sortir de ce camp ? Jusqu’où peuvent-ils aller ? Je pense que c’est une question légitime. Mais je vais vous donner un exemple. En 1996, la Cour internationale de justice (CIJ) a été invitée à rendre ce que l’on appelle un avis consultatif. La question posée à la Cour était la suivante : l’utilisation ou la menace d’utilisation d’armes nucléaires est-elle illégale au regard du droit international ? Comme vous le savez tous, le principe fondamental du droit de la guerre est la distinction entre les civils et les combattants, entre les sites civils, les bases militaires, etc. Donc, dans la mesure où les armes nucléaires, de par leur nature même, sont incapables de faire la distinction entre les civils et les combattants, entre les sites civils et les sites militaires, dans la mesure où elles ne peuvent intrinsèquement pas le faire, la question se pose évidemment de savoir si elles sont légales en vertu du droit international.

Cette question a fait l’objet d’une vaste délibération de la Cour suprême de la CIJ, qui a conclu que, dans presque toutes les circonstances, l’utilisation d’armes nucléaires était illégale au regard du droit international, pour les raisons que nous venons d’évoquer. Cependant, la Cour a déclaré qu’il y a un domaine dans lequel nous ne pouvons pas décider. Et le domaine dans lequel nous ne pouvons pas décider, a déclaré la Cour, est celui où la survie d’un État est en jeu. En d’autres termes, qu’en est-il si un pays est confronté à la perspective d’une attaque pouvant mener à la désintégration de l’État ? La CIJ a répondu que, peut-être, si la survie d’un État était en jeu, peut-être que le recours à l’arme nucléaire serait alors justifié.

Il ne faut pas oublier que la CIJ n’a pas délibéré sur la survie d’un peuple. Elle a délibéré sur la survie d’un État. Si la Cour internationale de justice – la plus haute instance judiciaire du monde – n’a pas pu décider si vous avez le droit d’utiliser des armes nucléaires pour défendre la survie de votre État, alors je dirais que vous avez clairement le droit d’utiliser la force armée pour protéger la survie de votre peuple. Ainsi, selon les normes actuelles du droit international, il m’est très difficile de condamner les Palestiniens, quoi qu’ils aient fait. Je trouve cela très difficile. 

Mouin Rabbani : Puis-je ajouter quelques points ? Je pense qu’il faut d’abord définir le terrorisme. Je dirais que toute action armée dirigée contre une cible militaire ne peut en aucun cas être qualifiée de terrorisme. Ainsi, dans la mesure où ce que nous avons vu hier était une offensive militaire contre l’armée israélienne, cela ne peut tout simplement pas être qualifié de terrorisme. On peut, je pense, avoir une discussion et un débat très légitimes sur la sagesse de mener une telle offensive, mais tant qu’elle est conforme aux lois de la guerre internationalement reconnues, il est tout simplement impossible de la qualifier de terrorisme. Et je pense, et ce n’est pas une accusation ou un reproche, que si vous regardez la presse israélienne par exemple, vous savez que chaque fois qu’un Palestinien attaque un soldat israélien, c’est considéré automatiquement comme un acte de terrorisme, et cette définition est habituellement adoptée par les grands médias occidentaux. Deuxièmement, je pense que les Palestiniens ont une très longue histoire d’adoption d’autres formes de résistance. La première Intifada, qui a duré de 1987 à 1993 et ne s’est transformée en une résistance principalement armée que dans les dernières années, est à cet égard l’exemple classique. Je dirais également, en particulier en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu’Israël déshumanise, réprime et opprime les Palestiniens au point qu’en l’absence d’organisations disciplinées et efficaces telles que celles que nous avons vues ailleurs dans le monde, les gens adoptent presque naturellement la lutte armée sous ses diverses formes, qu’il s’agisse de terrorisme ou d’attaques contre l’armée israélienne. Il y a eu un procès – je ne me souviens plus si c’était à New York ou quelque chose comme ça à la fin des années 1970 – où le juge a décidé qu’une famille qui poursuivait je crois l’OLP parce qu’un colon qui avait des liens avec les États-Unis avait été tué, le juge a décidé que les colons étaient, selon ses termes, « des participants volontaires à une guerre civile ».

Norman Finkelstein : J’aimerais ajouter un point. Je reconnais la distinction entre civils et combattants. Mais je sais que je vais sembler me contredire, parce que je pense que ni les formules juridiques, ni les textes sociologiques ne peuvent, en toutes circonstances, rendre compte de la réalité de la vie. La plupart des militants du Hamas, probablement ceux qui ont franchi la clôture, c’est la première fois qu’ils sortent de Gaza parce qu’on suppose qu’ils ont pour la plupart une vingtaine d’années. Le blocus dure depuis 18 ans. Ils ont grandi dans un camp de concentration. Ils veulent être libres. L’une des caractéristiques de la technologie actuelle est qu’ils peuvent voir à l’écran tous ces gens qui marchent librement. Ils veulent être libres. Ils ont rejoint le Hamas, ils se sont portés volontaires. Oui, en vertu du droit international, ils sont des combattants. Est-ce que je pense qu’ils sont des cibles légitimes parce qu’ils sont des combattants ? Vous ne me convaincrez jamais de cela. Vous ne me convaincrez jamais.

Je sais ce que dit la loi. Je sais ce que je suis légalement obligé de dire. Je sais ce qu’en tant qu’universitaire ou universitaire déclaré, je suis censé dire. Mais allez-vous me convaincre qu’une personne qui a grandi dans un camp de concentration et qui veut respirer de l’air libre, est – pour utiliser le langage du droit international – une cible légitime ? Je ne peux pas l’accepter. Je ne peux pas l’accepter. Maintenant, les gens vont dire « Vous êtes un hypocrite, vous dites que vous défendez le droit international, et vous savez que le principe fondamental du droit international est le principe de distinction entre civils et combattants. Maintenant, vous vous contredisez. » Oui, je l’admets. Je ne pense pas que les formules juridiques puissent s’appliquer à toutes les situations. Et je ne crois pas qu’un enfant né dans un camp de concentration soit une cible légitime s’il veut être libre. Je ne vois pas comment ce pourrait être le cas. 

 

Vers une guerre régionale ?

Question : Dans quelle mesure ce conflit pourrait-il s’étendre à d’autres pays et devenir incontrôlable ?

Mouin Rabbani : Eh bien, ce qui m’a frappé ce soir, c’est que les États-Unis déplacent un porte-avions vers les côtes israéliennes en signe de soutien, et je me demande ce que fait un navire de guerre en Méditerranée : pourquoi cela serait-il nécessaire en signe de soutien ? Et j’ai été frappé par le fait que, malgré tous les discours sur le génie militaire d’Israël, le Conseil national de sécurité des États-Unis est peut-être parvenu à la conclusion que si cette guerre s’étend, contrairement à tout ce que les dirigeants d’Israël nous ont toujours dit, vous savez, comme quoi ils sont parfaitement capables d’assurer leur propre sécurité, que les Etats-Unis estiment qu’Israël n’a tout simplement plus la capacité de se défendre et qu’il aura besoin d’une intervention militaire américaine directe pour combattre deux milices [Hamas et Hezbollah]. Je veux dire que je ne pense pas qu’il s’agisse d’une démonstration de soutien dans le sens d’une entrée dans le port pour boire un verre ensemble, non : on parle d’un porte-avions. J’ai vraiment pensé qu’il y avait peut-être une évaluation américaine selon laquelle les capacités militaires et de renseignement d’Israël sont en si mauvais état qu’ils pourraient avoir besoin d’une assistance militaire américaine directe en plus des livraisons d’armes et autres. Je n’en sais rien. C’est possible. Et encore une fois, vous savez, nous ne parlons que du Hezbollah. Mais les gouvernements de Damas et de Téhéran ont-ils décidé qu’ils en avaient assez d’être constamment bombardés par l’armée de l’air israélienne dans le cas de la Syrie ou d’être victimes d’assassinats à gauche et à droite dans le cas de l’Iran ? Et que si les choses atteignent un certain point, ils voudront peut-être aussi se joindre à la mêlée ? La situation pourrait très facilement, à un certain moment, devenir incontrôlable, pour reprendre votre expression.

 

Que doit faire Israël ?

Norman Finkelstein : Dans le cas de Gaza, la première étape est évidente. La première étape consiste à mettre fin au blocus illégal, inhumain et criminel de Gaza. Alors, quand quelqu’un vous demande « Que doit faire Israël ?! Que doit faire Israël ? » Tout d’abord, mettre fin à ce blocus illégal, inhumain et immoral de Gaza, qui a confiné plus d’un million d’enfants dans un camp de concentration. Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape. Je sais en tout cas ce que doit être la première étape. Mettre fin au blocus. Et c’est ce que toute personne de gauche, à l’exception de ce que l’on appelle la « brigade », devrait dire. Chaque personne de gauche devrait dire : « Mettez fin au blocus ! Mettez fin à ce blocus ! »

L’opération « Plomb durci » a duré 22 jours. L’opération « Bordure protectrice », a duré 51 jours. Comme toujours, les États-Unis vont donc donner à Israël suffisamment de temps pour anéantir Gaza. Et si, à un moment donné, Israël est contraint de lancer une invasion terrestre, la question sera de savoir quelle résistance les Palestiniens seront capables d’opposer, combien de victimes israéliennes en résulteront, des victimes parmi les combattants, et si Israël sera contraint, comme il l’a fait par le passé, de mettre un terme à la destruction. Ce sera un long parcours.

Source : https://normanfinkelstein.substack.com/p/video-recording-and-transcript-special 

 

 

 

N.B.

Toutes les communications importantes de Norman Finkelstein, comme celle de ce vendredi 13 à propos de Bernie Sanders, paraissent généralement en français sur Le cri des peuples

 

 

 

Sana Kassem – Die Gedanken sind frei

“This song is dedicated to Norman Finkelstein for being such an inspiration !”

 

 

 

Die gedanken sind frei

My thoughts freely flower

 Die gedanken sind frei

 My thoughts give me power

 No scholar can map them

 No hunter can trap them

No man can deny

 Die gedanken sind frei

 

 I think as I please

 And this gives me pleasure

 My conscience decrees

 This right I must treasure

 My thoughts will not cater

 To duke or dictator

 No man can deny

 Die gedanken sind frei

 

 Tyrants can take me

 And throw me in prison

 My thoughts will burst forth

 Like blossoms in season

 Foundations may crumble

 And structures may tumble

 But free men shall cry

 Die gedanken sind frei

 

 

(Munich, 24 juillet 1942)

 

 

 

Les livres de Norman Finkelstein

(Il y en a même quelques-uns en français si vous les cherchez bien)

https://www.amazon.fr/norman-Finkelstein-Livres/s?k=norman+Finkelstein&rh=n%3A301061

 

 

 

 

Films à voir

 

 

Elia Suleiman

Le temps qu’il reste

Présenté au festival de Cannes en 2009

DVD

Langues : Français- Arabe

 

Si l’école existait encore, nos chères petites têtes blondes y verraient ce très beau film historique, au lieu des zizis et des foufounes en velours avec lesquels on les force à jouer. Pour une douzaine d’euros, vous pouvez l’acheter en DVD et le leur faire voir à la maison.

 

 

C’est sur Netflix mais pas pour vous :

 

Oh non ! Ce titre n’est actuellement pas proposé dans votre pays. 

Born in Gaza

1 h 9 min | Documentaires

Filmé peu après la guerre de Gaza de 2014, ce documentaire montre comment la violence a transformé la vie de 10 enfants palestiniens.

 

 

 

On le trouve, cependant, en arabe et sous-titré en espagnol :

 

Hernan ZIN

Nacido en Gaza

DVD – Durée 1 heure 10’

Arabe, sous-titres en espagnol

Tourné pendant l’offensive israélienne qui a ravagé la bande de Gaza en juillet et août 2014. Né à Gaza suit dix enfants qui nous racontent leur quotidien sous les bombes. Des enfants comme Udai, qui a perdu sa maison dans un bombardement, Malak, qui est abrité dans une école de l’ONU, Sondos, qui est à l’hôpital avec de graves blessures à l’abdomen, et Mohamed, qui est obligé de ramasser des déchets pour survivre.

 

 

 

Et vous ne verrez sans doute pas celui-ci non plus

 

Farha : pourquoi ce film Netflix crée la polémique

5 déc. 2022 à 13:05

 

Depuis son arrivée sur Netflix le 1er décembre, le film Farha réalisé par Darin J. Sallam ne plaît pas à tout le monde. En racontant l’histoire de la Nakba d’un point de vue palestinien, la plateforme s’est attirée les foudres d’Israël.

 

 

 

 

Dans Farha, la réalisatrice palestinienne-jordanienne Darin J. Sallam place son action dans la Palestine de 1948. C’est là où son héroïne, une jeune fille de 14 ans jouée par la jeune Karam Taher, assiste depuis un garde-manger fermé à clé à la catastrophe qui dévaste sa maison. Cette catastrophe, la plupart l’appelle la Nakba.

Elle désigne l’exode des Palestiniens et l’expropriation de leurs terres après la création de l’Etat d’Israël. Un sujet un peu touchy sur le papier qui n’a pas empêché le long-métrage d’être présenté au Festival de de Toronto l’année dernière.

Lire la suite…

Source : https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000005109.html

 

 

 

 

James Longlay

Gaza Strip

DVD – durée : 1 heure 14’

Langues : anglais, français

12,70 €

En janvier 2001, le réalisateur américain James Longley s’est rendu dans la bande de Gaza. Il avait l’intention de rester deux semaines pour recueillir des informations préliminaires en vue d’un film documentaire sur l’Intifada palestinienne. C’est pendant son séjour qu’Ariel Sharon a été élu Premier ministre israélien. Alors que la violence éclate autour de lui, Longley jette son billet de retour et filme pendant les trois mois suivants, accumulant près de 75 heures d’images. Gaza Strip, son premier long métrage documentaire, est un voyage extraordinaire et douloureux dans la vie des Palestiniens de la bande de Gaza qui luttent au quotidien contre l’occupation israélienne. Filmé en style vérité et sans narration, Gaza Strip donne enfin la parole à une population largement ignorée par les médias grand public.

 

 

 

Les merdias aujourd’hui : « L’armée israélienne a décidé de reporter de quelques jours son offensive annoncée dans la bande de Gaza »

https://www.lesoir.be/543473/article/2023-10-15/guerre-israel-hamas-le-deplacement-massif-de-gazaouis-vers-le-sud-de-lenclave-se

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mis en ligne le 15 octobre 2023

 

 

0 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.