Les élites dirigeantes occidentales montrent leur vrai visage en révérant un monstre moral  : Winston Churchill

 

 

Jeremy Kuzmarov –  Covert Action Magazine – 26.8.2022

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qui a dit cela –  Hitler, Mussolini ou Staline  ? – :  « Je n’admets pas qu’un grand mal ait été fait aux Indiens rouges d’Amérique ou aux noirs d’Australie… du fait qu’une race plus forte, d’une espèce supérieure, soit venue et ait pris leur place. » [Source: quora.com ; point d’interrogation sur Churchill avec la permission de Steve Brown]

 

 

Aucun des trois. C’est Winston Churchill.

Dans un discours prononcé en mars devant le Congrès américain et qui lui a valu une ovation debout, le président ukrainien Volodymir Zelenski, présentant la lutte de son pays contre les Russes comme celle du bien contre le mal, a fait écho à la rhétorique du leader britannique Winston Churchill.

Le républicain le plus haut placé au sein de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Michael McCaul du Texas, a déclaré après coup à Fox News que Zelenski était « le Churchill de notre temps » – affirmation qui a été reprise par l’ancien président George W. Bush.

 

 

 

[Source: express.co.uk]

 

 

 

Zelenski n’a, en réalité, rien à voir avec le Churchill de la légende populaire qui a tenu tête à Hitler – Zelenski est celui qui a provoqué la guerre avec la Russie et piétiné la démocratie en interdisant onze partis d’opposition et en faisant enlever et exécuter des dissidents politiques.

L’idolâtrie de Churchill, cependant, est encore plus grotesque que celle de Zelenski.

Comme le rappelle le militant politique Tariq Ali dans son livre Winston Churchill : His Times, His Crimes (Londres : Verso, 2022), Churchill était un partisan zélé de l’impérialisme britannique et a supervisé, au Bengale, une famine provoquée qui a fait des millions de morts.

Churchill a en outre a) déployé des troupes britanniques dans des bourbiers du genre Viêt Nam, en Grèce et en Russie, après la révolution bolchevique de 1917 ; b) aidé à coordonner la répression d’une grève des mineurs dans le sud du Pays de Galles et d’une grève générale à Londres en 1926 ; et c) supervisé la répression d’un soulèvement catholique irlandais.

 

 

 

[Source: amazon.com]

 

 

 

Henry Wallace, vice-président des États-Unis de 1941 à 1945, qui envisageait un ordre mondial exempt de colonisation, a écrit dans son journal que « la notion de supériorité anglo-saxonne inhérente à l’approche de Churchill [était] offensante pour de nombreuses nations du monde, ainsi que pour un certain nombre de personnes aux États-Unis ». Wallace a déclaré que lorsqu’il l’a rencontré, Churchill a été très franc à propos de ses opinions : « Il a dit, pourquoi faudrait-il s’excuser de la supériorité anglo-saxonne, du fait que nous sommes supérieurs, du fait que nous avons un héritage commun qui a été élaboré pendant des siècles en Angleterre et perfectionné par notre constitution. Il était lui-même à moitié américain [et] se sentait par conséquent appelé à assumer la tâche d’unir les deux grandes civilisations anglo-saxonnes afin de conférer le bénéfice de la liberté au reste du monde ».[1]

 

 

 

Henry Wallace en 1945. [Source: archives.gov]

 

 

 

Nostalgie de l’Empire et culte de Churchill

Dans les années 1970, le public britannique a fait un accueil favorable à une interprétation critique de la vie de Churchill.

 

 

 

[Source: amazon.com]

 

 

 

La pièce The Churchill Play de Howard Brenton (1974), qui a débuté sous la direction de Richard Eyre au Nottingham Playhouse, en obtenant les applaudissements nourris du public, comprenait une scène des funérailles de Churchill, où un marine portant son cercueil déclare : « Nous ne lui avons jamais pardonné, nous, au Pays de Galles. Il a envoyé des soldats contre nous, ce sanguinaire. Il a envoyé des soldats contre les mineurs gallois en 1910….. Il était notre ennemi. On haïssait ses tripes à cette espèce de grosse panse de la classe supérieure anglaise. Quand ils ont fait la collecte pour sa statue devant le Parlement… au Pays de Galles, les conseils municipaux et les conseils de comté ont refusé de collecter… »

Un soldat lui disant : « Mais il a gagné la guerre, il a quand même fait ça, il a fait ça », le marine répondait : « Ce sont les gens qui ont gagné la guerre. Lui, il s’est juste mis en rogne contre Staline… »

Ce type de représentation critique a cependant été noyé par une vague de chauvinisme, au moment de la guerre des Malouines, que la Grande Bretagne a faite pour tenter de garder la mainmise sur les îles au large de l’Argentine[2].

Une renaissance du Churchillisme était nécessaire à la propagande pour faire accepter ce conflit – tout comme une autre est nécessaire aujourd’hui, pour obtenir le soutien des foules à l’intervention occidentale au Moyen-Orient et en Ukraine.

 

 

 

[Source: express.co.uk

 

 

 

 

Enfant de l’empire

Enfant de l’ère victorienne, Churchill est né en 1874, alors que la Grande-Bretagne était de loin le premier empire du monde. Il a passé ses années de formation, dans un environnement colonial, en Irlande, où son grand-père était vice-roi. Le père de Churchill, Lord Randolph, était un membre conservateur du Parlement (MP). Négligé par lui et par sa mère, le jeune Winston trouvait une compensation en jouant avec ses petits soldats et en se racontant des histoires sur son ancêtre John Churchill, premier duc de Marlborough, celui qui a été un des dirigeants de la Glorieuse Révolution anglaise.

 

 

 

John Churchill – premier duc de Marlborough. [Source: wikipedia.org]

 

 

 

À l’école, Winston n’a pas fait d’étincelles. En 1893, alors qu’il fêtait son entrée comme cadet à Sandhurst, l’académie militaire d’élite, Lord Randolph lui écrivit une lettre cinglante dans laquelle il déclarait :

 « Jamais je n’ai reçu un rapport vraiment bon sur votre conduite et votre travail, de la part d’un maître ou d’un tuteur auquel vous ayez pu avoir à faire. Toujours à la traîne, jamais à la tête de votre classe, plaintes incessantes sur votre manque total d’application…. Après que tant d’efforts aient été faits pour que votre vie soit aisée et agréable et que votre travail ne soit ni oppressif ni pénible, le grand résultat est que vous vous retrouvez parmi ceux des 2e et 3e rangs qui ne sont bons qu’à être commissionnés dans un régiment de cavalerie… Je n’attache plus la moindre importance à tout ce que vous pourriez avoir à dire sur vos réussites ou vos accomplissements. Mettez-vous bien dans la tête  que si votre conduite et vos actes à Sandhurst sont semblables à ce qu’ils ont été dans les autres établissements dans lesquels on a vainement cherché à vous donner une certaine éducation, ma responsabilité à votre égard est terminée. »[3]

 

 

 

Lord Randolph Churchill [Source: winstonchurchill.org]

 

 

 

À partir de ce moment, prouver que son père avait tort fut le principal objectif de Winston dans la vie.

 

 

 

Meneur de claque pour les guerres impériales

En 1895, Churchill obtint un congé de son régiment pour devenir observateur militaire et rapporteur sur la guerre hispano-cubaine. Le rapport qu’il en fit privilégiait le point de vue des Espagnols, qui tentaient de conserver leurs dernières possessions coloniales en Amérique du Sud.

Il y minimisa les immenses souffrances endurées par le peuple cubain, sous cette « politique de la terre brûlée » de l’Espagne, qui s’inspirait des tactiques du général William T. Sherman en route vers Atlanta pendant la guerre civile U.S.

 

 

 

Le jeune Churchill pendant son affectation à La Havane [Source: winstonchurchill.hillsdale.edu]

 

 

 

À son retour de Cuba, en 1896, Churchill se rendit au Soudan où il assista à la victoire britannique sur les forces indigènes dans la bataille d’Omdurman, qu’il décrivit comme « le dernier maillon de la longue chaîne de ces conflits spectaculaires dont la splendeur vive et majestueuse a tant fait pour donner du glamour à la guerre »[4].

La bataille n’avait cependant pas été aussi glamour pour les Soudanais, auxquels elle avait coûté 10.000 morts et 5.000 prisonniers.

 

 

 

La bataille d’Omdurman et la conquête britannique du Soudan. [Source: commons.wikimedia.org]

 

 

 

Churchill rédigea ensuite des rapports tout aussi optimistes pour le Morning Post sur la guerre des Boers en Afrique du Sud (1899-1902), qui opposait des colons hollandais à des colons britanniques, tous désireux d’accéder aux mines d’or et autres richesses minérales du pays.

Churchill a  réussi à s’acqu érir un public populaire avec l’histoire de son audacieuse évasion de captivité chez les Boers [descendants des conquérants Hollandais]. Selon lui, les Boers étaient « le peuple le plus humain vis-à-vis des Blancs ; pour eux, la destruction de la vie d’un Blanc, même en temps de guerre, était un événement lamentable et choquant ». Il n’en allait pas de même, cependant, pour les « Kaffirs », terme péjoratif qu’il utilisait lui-même pour désigner les Noirs[5].

 

 

 

Churchill pendant la guerre des Boers. [Sources: history.com]

 

 

Churchill prisonnier des Boers. [Sources: history.com]

 

 

Churchill en 1911. [Source: wikipedia.org]

 

 

 

 « Le mauvais chancelier »

Capitalisant sur sa renommée de correspondant de guerre, Churchill fut élu député conservateur en 1900 dans le nord-ouest de Manchester, puis fit défection au parti libéral et devint ministre de l’Intérieur, poste dans lequel il devait devenir très vite celui qui était capable d’étouffer agressivement les efforts que faisait la classe ouvrière pour s’organiser.

C’est ainsi qu’il est  particulièrement détesté dans le sud du Pays de Galles, où il a fait appel à des troupes militaires pour écraser une grève de mineurs en septembre 1910, épisode connu sous le nom d’émeutes de Tonypandy. Même pendant la Deuxième Guerre mondiale, les spectateurs, dans les cinémas gallois, sifflaient les apparitions de Churchill aux images d’information.

Churchill était également détesté à Glasgow, en Écosse, où, en janvier 1919, il avait ordonné le déploiement de l’armée britannique pour empêcher d’autres « troubles sociaux ».

Nommé chancelier de l’Échiquier à la fin des années 1920, Churchill s’y opposa aux réformes sociales qui auraient pu bénéficier aux pauvres, tout en appuyant les idées avancées par les grands banquiers – conduits par Montague Norman, gouverneur de la Banque d’Angleterre – soucieux d’empêcher toute dérive de l’Empire britannique.

 

 

 

La police bloquant les rues pendant les Tonypandy riots. [Source: wikipedia.org]

 

 

 

 

Montagu Norman [Source: krugman.blogs.nytimes.com]

 

 

 

Le célèbre économiste John Maynard Keynes, qui a surnommé Churchill « le mauvais chancelier », a publié un pamphlet démontrant le caractère fallacieux de ses politiques économiques et l’injustice qu’elles entraînaient contre les classes laborieuses.[6]

 

 

 

          

[Source: iblio.com]                    John Maynard Keynes [Source: nytimes.com]

 

 

 

Au cours de la Grève Générale de 1926 en Angleterre – provoquée par des réductions de salaire – Churchill lança un journal où les grévistes étaient traités d’« agitateurs inspirés par les bolcheviks », dont le but était de créer « un Soviet Syndical qui allait s’emparer de la vie économique et politique du pays ».

Churchill, quant à lui, n’hésitait pas à organiser le travail au noir et les briseurs de grève, en utilisant pour ce faire des groupes d’extrême droite, dont la Ligue Fasciste de Saint-Georges. Il devait d’ailleurs se vanter plus tard d’avoir aidé à briser la grève[7].

 

 

 

[Source: marxist.com]

 

 

 

Churchill et la Grande Guerre

En tant que Premier Lord de l’Amirauté, Churchill fut un partisan inconditionnel de la participation britannique à la Grande Guerre, qui a coûté la vie à plus de 880.000 jeunes hommes britanniques. Et il a présidé à une débâcle militaire en orchestrant l’ouverture d’un front naval dans les Dardanelles, pour s’emparer de Constantinople et porter un coup fatal à l’Empire ottoman, qui avait rejoint les puissances centrales.

 

 

 

[Source: mideastcartoonhistory.com]

 

 

 

La première étape fut l’attaque de Gallipoli, qui entraîna le massacre de milliers de soldats britanniques et se transforma en une impasse tout aussi sanglante et inutile que celle du front occidental.

 

 

 

[Source: facebook.com]

 

 

 

Churchill est depuis longtemps au centre de théories du complot entourant le naufrage du Lusitania – un paquebot qui transportait 1201 passagers, y compris 160 Américains, dont 128 sont morts – qui a servi de prétexte à l’intervention des États-Unis dans la Grande Guerre.

Selon l’historien Colin Simpson, Churchill, en tant que Premier Lord de l’Amirauté, a envoyé le Lusitania dans les eaux allemandes sans son escorte – la H.M.S. Juno, qui lui avait été retirée – dans le but de maximiser l’indignation morale face à l’offensive des U-boots allemands qui ont coulé le navire, et de provoquer ainsi une intervention militaire américaine susceptible d’assurer une victoire alliée[8].

À l’époque, Churchill travaillait dans la salle secrète 40 d’un ancien bâtiment de l’Amirauté au centre de Londres, centre d’une opération secrète dirigée par lui, qui surveillait et décodait les messages radio de la marine allemande. Il était manifestement au courant de l’extrême danger que les sous-marins allemands représentaient pour le Lusitania, mais n’a rien fait pour protéger le paquebot et ses passagers, bien au contraire.

 

 

 

 

 

Tableau représentant le naufrage du Lusitania. [Source: irishcentral.org]

 

 

 

Irlande

Réhabilité après sa rétrogradation à la suite du désastre des Dardanelles, Churchill a occupé le poste de Secrétaire à la guerre pendant la guerre d’indépendance irlandaise (1919-1921). Le 25 mars 1920, Churchill il y envoyait les célèbres « Black and Tans », qui étaient des paramilitaires rattachés à la Royal Irish Constabulary (RIC) en guise d’escadrons de la torture et de la mort.

 

 

 

Black and Tans arrêtant un suspect. [Source: irishcentral.com]

 

 

 

Auparavant, Churchill avait dénoncé l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise) comme un « gang de meurtriers sordides », faisant en revanche l’éloge de la Police et de l’Armée britanniques qui étaient, selon lui, obligées de « combattre des ennemis difficilement identifiables parce qu’ils peuvent se fondre dans la population sans laisser de trace » – ce qui est toujours un problème pour les États impériaux confrontés à une résistance populaire[9].

Lors des négociations, Churchill contribua à assurer un compromis favorable à la Grande-Bretagne  qui  a divisé l’Irlande, divisé le Sinn Fein (branche politique de l’IRA), contribué à institutionnaliser la discrimination contre la minorité irlandaise catholique en Ulster et bloqué l’émergence de partis politiques radicaux.

 

 

 

Guerre à la Russie

L’hostilité de Churchill envers les idées de gauche se manifesta dans son soutien zélé au renversement de la Révolution Bolchevique en Russie, et ce, dès ses débuts. Son collègue Lloyd George s’est même inquiété du fait que l’obsession de Churchill pour la Russie pût  « perturber son équilibre ».

Se jurant d’« étrangler le bébé bolchevique dans son berceau », Churchill proclamait que « de toutes les tyrannies, la tyrannie bolchevique est la pire… la plus destructrice, la plus dégradante et… bien pire même que le militarisme allemand »[10].

Sous la direction de Churchill, Secrétaire à la Guerre, les Britanniques envoyèrent 15.000 soldats pour soutenir les officiers de l’Armée Blanche dans « l’une des campagnes les plus mal conçues et les plus mal planifiées du XXe siècle », selon l’historien Damien Wright. « Elle n’est pas arrivée à grand-chose d’autre que la perte de vies humaines et la mutilation de centaines de soldats, marins et aviateurs qui avaient déjà tant donné pendant quatre ans de guerre sur le front occidental et sur d’autres théâtres. »

 

 

 

L’amiral “blanc” Alexander Kolchak et Anna Timiryova (sa maîtresse, assise à sa droite), avec le commandant de la mission britannique, le général Alfred Knox, et des officiers anglais,  supervisant des exercices militaires sur le Front de l’Est de la guerre civile russe, en 1919.  [Source: richardlangworth.com]

 

 

 

De nombreuses unités de l’Armée Blanche soutenue par les Britanniques passèrent aux bolcheviks, dont l’Armée Rouge était alors organisée, rendue efficace et motivée sous la direction de Léon Trotski. En plus d’une occasion : « les troupes russes blanches se sont mutinées et ont assassiné leurs officiers britanniques, avant de passer à l’ennemi. La corruption et l’inefficacité aux niveaux les plus bas et les plus hauts de la hiérarchie, ont affecté les forces russes blanches »[11].

 

 

 

Trotski haranguant la Garde Rouge [Source: britannica.com]

 

 

 

Churchill fut rendu fou furieux par la décision du War Office d’interdire aux troupes britanniques l’utilisation de gaz toxiques. C’est ainsi qu’il écrivit au chef de l’état-major impérial, le 25 janvier 1919 : « Quelle est la raison de cette injonction donnée à Arkhangelsk ? Parce qu’un ennemi qui a perpétré toutes les barbaries imaginables est actuellement incapable, par son ignorance, de fabriquer du gaz empoisonné, est-ce une raison pour empêcher nos troupes de tirer pleinement parti de leurs armes ? »

 

 

 

Soutien au fascisme

L’hostilité de Churchill à l’égard du bolchevisme russe et des syndicats en général se traduisit aussi par son soutien aux fascistes européens qui écrasaient la gauche politique dans leurs pays. En 1938 encore, il défendait Adolf Hitler qu’il disait admirer pour avoir réussi à «  rendre à l’Allemagne la position la plus puissante en Europe »  et à faire en sorte qu’elle ne soit « plus prosternée aux pieds des vainqueurs [de la Première Guerre mondiale] »[12].

En 1927, cinq ans après la prise du pouvoir par les fascistes en Italie, Churchill s’en alla rencontrer Mussolini – qu’il appelait « le génie romain » – et lui dit : « si j’avais été italien, je suis sûr que j’aurais été de tout cœur avec vous du début à la fin dans votre lutte triomphante contre les appétits et les passions bestiales du léninisme »[13].

 

 

 

Churchill (dr.) a  fait l’éloge de Mussolini (g.) [Source: prof-pirola.medium.com]

 

 

 

Une décennie plus tard, après le déclenchement d’une guerre civile en Espagne entre les forces fascistes dirigées par le général Franco et une coalition de communistes, d’anarchistes et de républicains libéraux, Churchill devait proclamer : « Je ne prétendrai pas que, si je devais choisir entre le communisme et le nazisme, je choisirais le communisme »[14].

Churchill admettait que les bandes de Franco en Espagne « fusillaient régulièrement une partie de leurs prisonniers pris les armes à la main » mais il insistait sur le fait que cela n’était pas comparable à ce qu’il appelait les « tortures et les outrages sans nom commis au niveau le plus bas de la dégradation humaine par les Républicains ». Dans ce cas, concluait-il, « ce serait une erreur envers la vérité et la sagesse, que l’opinion publique britannique mette les deux camps sur le même plan »[15].

 

 

 

« Un tyran et un boucher »

Le soutien de Churchill aux fascistes s’est prolongé bien au-delà de la Deuxième Guerre mondiale : dans la Grèce d’après-guerre, il a soutenu l’aristocratie royaliste qui avait collaboré avec les nazis contre le peuple grec.

Tariq Ali souligne que Churchill est encore aujourd’hui considéré en Grèce comme « un tyran et un boucher ». C’est lui qui a donné l’ordre au général Ronald Scobie de traiter Athènes comme une « ville coloniale », et de neutraliser et détruire les EAM-ELAS (groupes résistants de gauche) qui s’approchaient de la ville. « Nous devons tenir et dominer Athènes. Ce serait une grande chose pour vous d’y parvenir sans effusion de sang si possible, mais avec effusion de sang si nécessaire »[16], ce qui fut le cas.

 

 

 

Le general Ronald Scobie [Source: wikipedia.org]

 

 

 

Le soldat britannique Chris Barker, interviewé pour un documentaire par Channel 4 en 1986, a déclaré : « Je pensais que nous étions venus libérer les Grecs, mais en un laps de temps qui m’a semblé très court, nous étions en train de les tuer. Et, pour être plus précis, des Britanniques mouraient pour une cause que je n’arrivais pas à comprendre. C’est ça qui a provoqué l’indignation. »[17]

 

 

Famine au Bengale

Une plus grande indignation encore s’est légitimement manifestée contre Churchill pour son rôle dans la famine de 1943 au Bengale (alors sous colonisation britannique), qui a fait trois millions de morts.

Au plus fort de la famine, le niveau des pluies était en fait supérieur à la moyenne, ce qui signifie que la famine était le résultat d’une mauvaise politique –combinaison d’inflation en temps de guerre, d’achats spéculatifs et de thésaurisation panique – qui a poussé les prix de la nourriture hors de portée des pauvres Bengalis.

La famine fut exacerbée par les décisions du cabinet de guerre de Churchill, qui avait été averti à plusieurs reprises que l’utilisation exhaustive des ressources indiennes pour l’effort de guerre pourrait entraîner une famine, mais qui avait choisi de continuer à exporter du riz de l’Inde vers le reste de l’Empire britannique.

Churchill attribua, lui, la famine au fait que les Indiens « se reproduisent comme des lapins » et demanda comment il se faisait, si les pénuries étaient si graves, que son ennemi juré, le Mahatma Gandhi, fût encore en vie…

 

 

 

Familles entières émaciées par la famine du Bengale en 1943, que la politique de Churchill contribua à exacerber. [Source: theguardian.com

 

 

 

« Les temps changent » 

Les opinions impérialistes de Churchill et son mépris pour les classes laborieuses perdurent aujourd’hui parmi ses héritiers et dans les allées du pouvoir, à Washington et à Londres.

Sir Winston approuverait sans doute leur soutien à l’expansion de l’OTAN, à une nouvelle guerre froide et potentiellement chaude avec la Russie et à la recolonisation de l’Afrique.

Les vents géopolitiques commencent néanmoins à tourner. Le fait que les opinions pro-impérialistes ne soient plus à la mode dans la société a été démontré par la pulvérisation de peinture sur la statue de Churchill sur la place du Parlement à Londres lors de manifestations anticapitalistes en 2000 et par le bombage du slogan « Churchill était un raciste » par des militants de Black Lives Matter sur une autre en 2020.

 

 

 

[Source: npr.org]

 

 

 

L’empereur, paraît-il, est nu, mais la question se pose de savoir quelles nouvelles icônes et quels nouveaux héros le remplaceront une fois la révolution consommée et l’ère de la domination mondiale anglo-américaine terminée.

 

 

 

 

 

 

  1. Tariq Ali, Winston Churchill: His Times, His Crimes(London: Verso, 2022), 398. 
  2. Ali, Winston Churchill, 6. 
  3. Ali, Winston Churchill, 21. 
  4. Ali, Winston Churchill, 45. 
  5. Ali, Winston Churchill, 53. 
  6. Ali, Winston Churchill, 167. 
  7. Ali, Winston Churchill, 170, 171. 
  8. Voir Colin Simpson, The Lusitania : A Shocking Second-By-Second Account of the Single Most Important Event in the Outbreak of World WarI (New York: Ballantine Books, 1972), 118, 119, 120.
  9. Ali, Winston Churchill, 124. 
  10. Ali, Winston Churchill, 154. 
  11. Ali, Winston Churchill, 155. 
  12. Ali, Winston Churchill, 189, 190. 
  13. Ali, Winston Churchill, 184. 
  14. Ali, Winston Churchill, 196, 197. 
  15. Ali, Winston Churchill, 201. 
  16. Ali, Winston Churchill, 318. 
  17. Idem

___________________________  

Source : Western Ruling Elites Show Their True Colors by Revering a Moral Monster—Winston Churchill – CovertAction Magazine

 

 

 

 

 

 

Histoire d’une haine de classe incoercible.

 

Tariq Ali a oublié (ou est-ce ce Jeremy Kuzmarov ?) le siège de Sidney Street, inauguration sanglante s’il en fut de la carrière d’homme politique du jeune Winston Churchill, où la police et l’armée furent mobilisées et deux pauvres analphabètes baltes cyniquement sacrifiés pour pouvoir mettre un coup d’arrêt aux revendications dérangeantes de la classe ouvrière britannique.

L.G.O.

 

 

Winston Churchill (2e à partir de la gauche), alors Secrétaire d’État à l’Intérieur.  Sidney Street, janvier 1911.

 

 

 

 

 

 

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Août 2022

 

 

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