Cicéron contre Catilina :

Quand l’histoire n’est racontée que par les vainqueurs

 

 

Annalisa Lo Monaco – Vanilla Magazine – s.d.

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

Depuis son enfance, Marcus Tullius Cicero n’a qu’une seule idée en tête, absorbé par la lecture des textes homériques qu’il aime tant : « être toujours le meilleur et exceller sur les autres ».

 

 

Cicéron – Musées du Capitole, Rome

 

 

Pour lui, qui appartient à une famille de petite noblesse équestre, le chemin est une rude montée. Il arrive à Rome d’un petit village de la campagne du Latium, Arpinum, et il étudie, étudie beaucoup, d’abord la jurisprudence, afin d’accéder à une carrière juridique, et la philosophie, qui sera l’une de ses grandes passions tout au long de sa vie.

 

80 avant J.-C., Rome : la situation est difficile, Sylla est dictateur, le parti des Populares est en déroute, les opposants se retrouvent tous sur des listes de proscription, tués ou exilés, le Sénat a le contrôle total de l’État.

 

Il se trouve que cette année-là, un certain Sextus Roscius Amerinus est accusé du meurtre de son père. Aucun des orateurs du Forum ne veut prendre sa défense, car un affranchi de Sylla, Chrysogonus, pourrait être impliqué dans le crime. C’est finalement un débutant qui n’a rien à perdre en termes de carrière qui lui sert d’avocat. Ce débutant, c’est Cicéron qui non seulement défend son client, mais aussi fait comparaître ceux qu’il croit être les vrais coupables, parmi lesquels un couple de parents de la victime, et puis aussi Chrysogonus lui-même, accusé de vouloir s’approprier les biens du mort au prix de la vente aux enchères. Et Cicéron gagne le procès, en basant sa défense sur une question simple :

 

 

Cui prodest ?

[à qui profite le crime ?]

 

 

Il a réussi à démontrer ses talents d’orateur, mais pense qu’il est préférable de s’éloigner de Rome pendant un certain temps… allez savoir si l’idée ne pourrait pas venir à Sylla de venger son affranchi condamné ?

 

Cicéron part en Grèce pour y parfaire son éducation, et revient à Rome, en 78 avant J.-C., alors que Sylla est mort et que Pompée et Crassus ont quelque peu redimensionné le pouvoir du Sénat.

 

Il se met en quatre pour devenir quelqu’un et, en 63 avant J.-C., il est consul. C’est un homo novus, c’est-à-dire le premier de sa famille à occuper une fonction publique, et pour cette raison, il n’est pas très apprécié par l’aristocratie. Son ascension a réussi grâce à ce « parti du milieu » de la grande bourgeoisie qui s’allie, selon que cela lui convient, tantôt avec les optimates (l’aristocratie), tantôt avec les populares (la plèbe).

 

 

Portrait imaginaire de Catilina – Manuscrit médiéval

 

 

On ne sait pas grand-chose de Catilina, si ce n’est ce qu’en ont dit Cicéron et l’historien Salluste, lequel en a parlé, une bonne vingtaine d’années après sa mort, dans son De Catilinae coniuratione, où il brosse lui aussi le portrait d’un aristocrate corrompu, exemple de la décadence de Rome.

 

Lucius Sergius Catilina appartient à la plus ancienne noblesse romaine, mais sa famille est appauvrie et ne joue plus depuis longtemps aux jeux de la politique. Pendant la première guerre contre Mithridate, il se bat sous les ordres de Sylla et le soutient quand il rentre à Rome. Comme souvent avec les vaincus, on raconte de lui, a posteriori, des choses à faire frémir, certains l’ont même accusé de cannibalisme.

 

Après la mort de Sylla, Catilina entame, comme Cicéron, le cursus honorum (suite de fonctions publiques à exercer dans l’ordre, quand on aspire au consulat). Par trois fois, il pose sa candidature, mais, à chaque fois, il est arrêté dans sa progression par des accusations infâmes et des procès dont il sort toujours acquitté, et quand ce n’est pas suffisant, par des fraudes électorales.

 

Il est accusé du meurtre de son propre fils. Il l’a tué, dit-on, pour faire plaisir à sa maîtresse, qui va devenir sa seconde épouse. En 66 avant J.-C., lorsqu’il se présente pour la première fois au consulat, on l’accuse de conspiration, mais le coup monté doit être si évident que Cicéron lui-même envisage de prendre sa défense.

 

Dans la foulée, il est accusé d’un autre crime terrible : le viol d’une vestale, par ailleurs belle-sœur de Cicéron. Mais cette fois encore, Catilina est acquitté.

 

Il se présente aux élections de 64 av. J.-C. (pour entrée en fonction l’année suivante) contre Cicéron lui-même. Il espérait être élu avec les votes de la classe anti-sénatoriale qui avait soutenu Crassus et Pompée après le règne de Sylla. Mais la grande bourgeoisie, qui soutient les populares à chaque fois qu’il s’agit de brider les sénateurs, choisit cette fois Cicéron, qui lui a promis une « concorde des ordres », c’est-à-dire une alliance entre aristocratie et bourgeoisie. Catilina n’est pas un révolutionnaire, il veut réformer la République, un peu comme ont voulu le faire les Gracques, pour assurer une plus grande justice sociale, à savoir : redistribution des terres à une plèbe rurale réduite à la misère, redistribution des butins de guerres et annulation des dettes.

 

Catilina est vaincu par Cicéron mais n’abandonne pas et se représente aux élections de l’année suivante, avec le soutien total de la plèbe.

 

 

Cicéron contre Catilina

 

 

Cicéron dénonçant Catilina – Fresque de Cesare Maccari – Palais Madama, Rome

 

 

 

Quelques jours avant les élections, Cicéron, devant le Sénat, accuse Catilina de conspiration, au cours d’une assemblée mémorable à laquelle Catilina lui-même se présente par surprise. Cicéron commence son oraison par le célèbre :

 

 

« Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? »  

[Jusques à quand abuseras-tu, Catilina, de notre patience ?]

 

 

Il l’accuse, sans aucune preuve, d’avoir réuni un groupe d’hommes armés près de Fiesole et présente des lettres anonymes censées prouver une alliance de Catilina avec certaines tribus gauloises. Il n’est donc pas surprenant que Catilina soit battu aux élections, mais l’hypothèse d’une fraude électorale est plus que fondée, si un homme aussi incorruptible que Caton d’Utique l’invoque, alors qu’il est notoirement hostile à Catilina.

 

Devant le tribunal, Cicéron défend le consul vainqueur, Murena, de l’accusation de fraude et, sans attendre le verdict – qui aurait pu renverser le résultat des élections – il accuse Catilina de conspiration : les conspirateurs auraient planifié l’assassinat de diverses personnalités politiques importantes, dont Cicéron lui-même, qui n’aurait eu la vie sauve que grâce à l’indiscrétion d’une certaine Fulvia, maîtresse de l’un des conjurés.

 

Cicéron réussit à se faire accorder, par le Sénat, les « pleins pouvoirs », et fait aussitôt comparaître devant l’assemblée deux conspirateurs présumés, lesquels seraient restés à Rome tandis que leur chef, avec quelques fidèles, s’enfuyait en Étrurie. Les deux hommes et quelques-uns de leurs partisans sont condamnés à mort. Une seule voix s’élève pour les défendre : celle d’un tout jeune Jules César, mais elle n’est pas entendue. Les « conspirateurs » sont étranglés dans la prison de Mamertine, sans la possibilité, prévue pour tous les citoyens romains, d’en appeler à la clémence du peuple. Pour cet abus de pouvoir, Cicéron sera quelques années plus tard, condamné à un an d’exil (entre 58 et 57 av. J.-C.), qu’il passera en Grèce.

 

 

 

Catilina – Détail de la fresque de Cesare Maccari
Cicero e Catilina (1882-1888)

 

 

 

Le 5 janvier 62 av. J.-C., Catilina, avec un petit groupe de partisans, est arrêté près de Pistoia alors qu’il tente d’atteindre la Gaule cisalpine. Il a en face de lui l’armée romaine, mais il ne recule pas : il décide de livrer une bataille perdue d’avance. Catilina, bien entendu, meurt, et Salluste lui-même lui rend honneur :

 

 

Catilina a été retrouvé loin des siens, au milieu des cadavres ennemis. Il respirait encore un peu ; sur son visage, l’indomptable fierté qu’il avait de son vivant.

 

 

Même Cicéron, qui, dans les années de lutte politique, l’avait décrit comme « un trouble individu, en conflit perpétuel avec les dieux et les hommes », s’est laissé aller, dix ans avant sa propre mort, à en faire un éloge tardif, disant qu’il l’avait considéré quelquefois comme « un bon citoyen, admirateur passionné des meilleurs des hommes, ami sûr et loyal ».

 

 

 

Découverte du corps de Catilina  – Alcide Segoni 1871

 

 

 

Ces quelques mots ne suffiront pas à empêcher la diffusion, jusqu’à nos jours, de la mauvaise réputation de Catilina vaincu, qui ne passera dans l’histoire qu’à travers la voix de ses calomniateurs. Cicéron, en revanche, pour avoir déjoué la prétendue conspiration, en verra son prestige encore augmenté, et le Sénat l’autorisera à se parer du titre de pater patriae : Père de la Patrie.

 

 

 

La dénonciation de Cicéron ­ – Gravure satirique du XIXe s.

 

 

 

La conjuration de Catilina, si tant est qu’elle ait existé, ressemble à la tentative maladroite d’un anarchiste qui aurait mobilisé autour de lui d’obscurs partisans et quelques troupes hétéroclites. L’historiographie moderne a plutôt tendance à croire qu’il y avait, derrière lui, des personnages bien plus importants qui sont restés dans l’ombre. Comme ce Caius Julius César qui mourra une vingtaine d’années plus tard dans une autre tentative de transformer la Res Publica romaine. Mais c’est une autre histoire….

 

Source : Cicerone contro Catilina: quando la storia è raccontata solo dai vincitori – Vanilla Magazine

 

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