Carnets de confinement

 

 

Didier Porte arrête l’autoflagellation

 

Là-Bas si j’y suis à distance –  10.4.2020

 

 

 

 

Ami abonné,

 

Ça fait déjà un moment que je m’interroge sur mon engagement politique de fin de vie ; et je crois bien que ce coup-ci, je n’ai pas le choix. Je suis dans son collimateur au jeune Corola-virus, et ça sera lui ou moi. Et ne me dis pas que je suis parano.

Pour un jeune virus chinois un peu ambitieux désireux de se faire un nom dans la bactériosphère, je suis carrément hyper-corona-compatible : 62 piges, fumeur invétéré depuis l’âge de 14 ans, 15 kilos de trop sans problème – et peut-être même un peu plus – et pour coronarer le tableau, le tout irrigué par ce bon vieux raisiné, comme aurait dit San-Antonio, du groupe A1 – le plus répandu, certes, mais aussi le préféré, d’après les médecins, des vampires de la nouvelle génération.

Bref, c’est comme si sur le front, j’avais une cible fluorescente qui clignotait, avec marqué dessus : amis virus mortels et bactéries tueuses, bienvenue chez Didier Porte, ici, c’est open bar et happy hours 24 sur 24. Surtout ne vous gênez pas, faites-vous plaisir, c’est cadeau !

C’est pas compliqué, depuis le début de l’épidémie, toutes les cinq minutes, j’ai un symptôme qui apparaît et qui disparaît aussi vite ; juste le temps de passer faire un petit coucou !

Et alors, depuis que j’ai appris que les hôpitaux français étaient au bord de la rupture de stock sur tous les produits qui servent à anesthésier les patients, comme le curare, par exemple ; et entendu un soignant expliquer que pour gérer la pénurie, il faisait bien attention à calculer au plus juste le mélange de ses produits anesthésiants, de manière à ne pas gâcher, là, je suis au-delà du psychosomatique auto-réalisateur.

Tous les soirs, avant de m’endormir en suffoquant, je m’imagine, attaché à mon lit de réanimation, oublié dans un couloir de grand hôpital parisien. Sous respirateur et intubé, comme il se doit. Sauf qu’il y a un petit détail qui cloche : le cocktail que m’a concocté l’anesthésiste surmené qui s’est occupé de mon cas était trop ric-rac, et je suis en train de me réveiller doucement. Dans quelques minutes, je le serai complètement, sauf que je serai toujours intubé, et ça, c’est très très inconfortable. Et là, je ne me réveille pas en criant « au secours », puisque je ne dormais pas, donc je crie au secours tout court !!!

À ce moment, en général, je suis parti m’enfermer dans le cellier, au fond de mon appartement, le cellier étant le terme bobo qui désigne le « débarras ».

En principe, c’est là que viennent me chercher mon fils, âgé de 12 ans, et ma fille, de dix, pour me consoler :

« — Ouvre-nous, Papa, on veut te faire un câlin !

— Non, non ! Vous êtes gentils, les enfants, mais pas de câlins, surtout pas de câlins ! Passez votre chemin !

— Mais si, enfin, Papa, nous t’aimons et nous voulons te câliner !

— Mais, par les barbes de Captain Iglo et du père Fouras réunies, comment faut-il vous le dire ? Les putains de bisous, de câlins, de papouilles, de guili-guilis, de ronrons, de gazou-gazous et autres, c’est terminé, kaputt, au moins jusqu’à la fin du mois de mai !

— Mais enfin, Papa, nous t’aimons trop pour être privés de tes câlins pendant si longtemps !

— Argh ! Cassez-vous !

— Tu vois, tu refuses de nous faire des câlins, tu ne nous aimes pas beaucoup, dis-donc.

— Mais bien sûr, que je vous aime, espèces de petits connards ! Vous le faites exprès ? Si, vous le faites exprès. Ils le font exprès ! Ils savent pertinemment que, même s’ils sont attaqués par le virus, à leur âge, il sont et resteront à coup sûr porteurs sains. Alors que moi, je risque ma peau, avec leurs foutus câlins. Barrez-vous, je vous dis, assassins !! »

Ah, les enfants ! Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire l’été prochain, si on survit. Car enfin, comme le disent les jeunes des cités, ce satané virus est bien parti pour nous fiche en l’air tous nos projets de grandes vacances ! C’est pas compliqué, toutes nos réservations ont été annulées : avions, hôtels, transports sur place, spectacles folkloriques, tout !

On avait prévu d’aller aux Philippines pour fêter Pâques, avec les enfants. Personnellement, je suis pas spécialement branché religion, mais il paraît qu’aux Philippines, pays à 80 % catholique, même pour ceux qui y connaissent rien, ça vaut le voyage, c’est vraiment spectaculaire.

Ainsi, dans la procession du lundi de Pâques, il y a des crucifiés qui défilent. Mais attention, ce ne sont pas des crucifiés en peau de lapin, mais des vrais de vrais, à qui on a planté dans les mains des clous comme aç !

 

 

Rituel d’auto-flagellation pour le jeudi Saint aux Philippines par euronews (en français)

 

 

Commentaire du champion du monde de la discipline, Wilfredo Salvador, avec pas moins de 14 crucifixions au compteur : « je ne m’arrêterai pas tant que je serai en vie, parce que c’est ce qui me donne la vie ». « Un rite qu’il s’est infligé pour la première fois il y a 14 ans, après une dépression nerveuse. » Eh ben, voilà ce que j’appelle une thérapie de choc ! Autre commentaire recueilli par l’AFP, cette fois auprès d’Annika, une touriste allemande de 24 ans : « c’est très intense. Je ne m’attendais pas à quelque chose comme ça [1]. »

L’Église estime, quant à elle, que les fidèles devraient passer le Carême dans la prière et la réflexion.

« La crucifixion et la mort de Jésus sont plus que suffisantes pour sauver l’humanité des effets de ses péchés », a déclaré le père Jerome Secillano, de la Conférence des évêques catholiques des Philippines.

« La Semaine sainte (…) n’est pas le moment de faire étalage de la propension de l’homme au divertissement, a-t-il conclu. Ah ! j’aime beaucoup l’acception que Monsignor Spaghetto donne au mot « divertissement ».

En attendant, les autorités philippines ont interdit toutes les manifestations de ferveur religieuse à l’occasion des fêtes de Pâques – crucifixions comprises – et franchement, c’est pas malin, pour une fois qu’on étaient meilleurs que les musulmans.

Didier Porte

 

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Parti socialiste… pardon, je voulais dire P.S., comme post-scriptum, mais j’ai fait exprès de dire P.S. comme parti socialiste, parce que, désormais, quand on commente l’actualité dans les médias, on n’a plus jamais l’occasion de dire « parti socialiste », ou tout simplement P.S., sauf quand on veut faire un post-scriptum, et moi, ça me manque donc : post-scriptum ! Euh non… parti socialiste… pardon, P.S. !

Ami abonné, la semaine prochaine je traiterai le sujet que j’ai oublié en chemin aujourd’hui et qui est le suivant : j’ai trouvé ce qui sera mon engagement politique de fin de vie et je t’engage fortement, ami abonné, à rejoindre mon rang : fais comme moi, deviens survivaliste de centre gauche !

 

 

[RADIO] Didier Porte Hebdo #111 : Didier Porte arrête l’autoflagellation [INTÉGRALE]

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Avril 2020

 

 

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