Dissimulatio

 

 

 

 

 

Monaldi e Sorti

Dissimulatio

Baldini & Castoldi – 2017

Langue : italien

235 pages

 

 

Dissimulatio est la suite ou si on veut le pendant de Mysterium. Ensemble, les deux livres forment ce que les auteurs appellent : une fable à deux visages.

 

 

 

Paris, janvier 1647. Il y a 375 ans tout juste. Dans un relais de poste des environs de la ville, un groupe de voyageurs qui viennent d’arriver d’Italie se réchauffent au coin du feu : un libraire, un castrat vénitien qui est en réalité la chanteuse Barbara Strozzi, fille du compositeur du même nom, le jeune castrat Atto Melani, prêté à Mazarin par ses « protecteurs » les Médicis de Florence, accompagné de son secrétaire et de son maître et rival, le célèbre Malagigi, et enfin Gabriel Naudé, bibliothécaire du cardinal-Premier ministre français.

 

Son Éminence a convoqué à la hâte, à Paris, des dizaines de chanteurs, de musiciens et de décorateurs, pour créer  – en dépit de l’aversion grandissante des Français pour tout ce qui vient d’Italie – un nouvel opéra, Orphée, quoiqu’il se murmure déjà qu’il ne sera pas joué, sans que l’on sache pourquoi, car à la Cour de France, rien n’est plus important que les représentations d’opéra, de théâtre et de ballet. Alors, qu’est-ce qui se passe au juste ?

 

On ne sait pas, mais les répétitions viennent de commencer au Théâtre Royal, en présence du Cardinal, quand un attentat sème la panique parmi les artistes : quelqu’un a saboté une machine de scène, qui s’écrase sur le plateau et manque de peu tuer Malagigi, protagoniste principal… qui se trouvait à deux pas du prélat. Qui voulait le tuer ? Lui ou qui d’autre ? Et pourquoi ? Le principal suspect est Atto Melani, son rival sur la scène et en ce moment dans la vie (tous deux étant les amants de Barbara en dépit de leur condition commune). Atto refuse obstinément de fournir un alibi, mais son secrétaire et la jeune chanteuse déguisée ne s’arrêtent pas à ces apparences et décident d’aller chercher la vérité, où qu’elle se trouve.

 

Franchement, trop de bizarreries accompagnent les répétitions d’Orphée : à commencer par les coûts énormes et par le comportement bizarre de Mazarin, qui, avec cet opéra et cette affluence ostentatoire d’Italiens universellement mal vus, n’a pas peur d’irriter les Français. Des complotistes diraient qu’il les provoque. Mais encore une fois, pourquoi ? Dans quel but ?

 

Il ne faut pas oublier, planant sur tout cela enfin, l’ombre des vrais puissants : les grands banquiers, usuriers détenteurs de la dette française par le biais des prêts qu’ils consentent à Mazarin, tout en conspirant contre lui. Italiens eux aussi.

 

Disons pour abréger qu’il n’est bruit que du remplacement de l’opéra par un ballet qui serait donné en l’honneur du prince de Condé, vainqueur idolâtré de Rocroi, où celui-ci et les autres grands du royaume devraient danser dans un ballet à leur gloire, le rôle des planètes qui président de là-haut aux destinées de la France ; autour de lui, gravitent en effet les duc de Beaufort et de Guise, le marquis de Chateauneuf, la duchesse de Chevreuse, le comte de Montrésor, bref la belle brochette de traîtres qui prépare en sous-main la Fronde. Faut-il rappeler qu’ils s’allieront, contre leur pays, à Cromwell et à Philippe IV d’Espagne ? C’est à se croire déjà en pleine contre-Révolution.

 

 

 

Le grand Condé

 

 

 

Il est aussi, dans ce livre, question d’une oeuvre perdue-peut-être-exprès de Naudé sur la Conjuration des Pazzi, où le digne homme, qui ne déparerait pas l’extrême-droite en marche d’aujourd’hui, s’applique à préconiser le Coup d’État à la manière des Médicis contre les Pazzi, c’est-à-dire au complot ourdi non pour subvertir la puissance de l’État, mais par l’État, contre tout ce qui respecte les règles communément admises, pour imposer sa tyrannie. Oui, bien sûr que l’histoire se répète.

 

Il y est aussi question d’un opéra qu’a chanté Melani adolescent à Venise : La finta pazza, de Giulio Strozzi, père de Barbara. Oeuvre intéressante dans la mesure où Mazarin la joue au naturel en se conduisant avec toutes les apparences de la folie, mais… le titre du livre n’est-il pas Dissimulatio ?

 

Ce que dissimule celui que le Grand Condé appelle « le faquin écarlate », c’est le piège qu’il tend aux grands squales du royaume, pour les inciter à l’attaquer trop tôt, maladroitement, et à se jeter ainsi sur leurs propres armes. Ce qui, finalement arrive. Le reste : la fuite de la Cour à Saint-Germain, avec un Louis XIV enfant dont son cousin n’eût fait qu’une bouchée s’il avait pu le saisir, est dans tous les livres d’histoire. S’il en reste sous Micron Ier.

 

Ces considérations sur un roman qui n’est pas près de voir le jour en France, parce qu’il nous semble ici, depuis pas mal de temps quoique sans preuves, que Vladimir Poutine a peut-être, qui sait, décidé de rejouer, lui aussi, la Finta pazza, dans des buts passablement identiques. Car on dirait bien, en effet, que la situation de la Russie poutinienne ressemble vraiment très fort à celle qu’a connue la France au temps de la régence d’Anne d’Autriche. Mais on peut se tromper…

 

Ce que nous pensons avoir compris en tout cas, du Mazarin de Monaldi et Sorti, c’est que le cardinal de Richelieu ne l’avait pas, à la légère, choisi pour successeur. Et surtout que la reine et lui en avaient reçu une feuille de route draconienne, qui fut suivie à la lettre, avec le résultat escompté : préservation de l’intégrité de l’État autour de la personne, encore mineure, du monarque légitime. Et, non, il n’était pas encore question de « peuple souverain ». Le peuple d’alors, berné par les Frondeurs, a aussi copieusement haï le Cardinal que celui d’aujourd’hui vomit les non-vaccinés et obéit aux Faucistes.

 

Une anecdote rigoureusement exacte est qu’Anne d’Autriche appréciait vivement la voix et le répertoire du Melani adolescent, lequel fut, pendant la Fronde, l’hôte de Saint-Germain, où la reine le pria un soir de chanter a capella pour endormir son fils, plutôt secoué pour un gamin de cinq ans qui avait dû s’enfuir sans jouets. Est-ce parce qu’il se souvenait de ces nuits mouvementées de son enfance que Louis XIV, adulte et roi, prit à son service, en qualité d’agent secret, l’un des six fils châtrés de Domenico di Sante Melani ? Un fait assuré est que tout au long des quarante ans qu’il a servi fidèlement la France, Atto n’a plus jamais, une seule fois, mentionné par écrit la musique, mais qu’il a en revanche échangé, avec Marie Mancini  (« Vous êtes roi, vous pleurez et je pars »), une correspondance qui n’a cessé qu’avec sa vie à lui, le 4 janvier 1714. Elle devait mourir le 8 mai 1715 et Louis XIV le 1er septembre de la même année.

 

 

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Février 2022

 

 

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