La variole de Joseph Ier

 

              Joseph 1er

 

 

L’empereur Joseph Ier mourut à 10h15 le vendredi 17 avril 1711, à moins de trente-trois ans. Diagnostic officiel : variole.

Un préambule s’impose. La variole, horrible maladie aujourd’hui (presque) éradiquée, n’a jamais été vaincue par aucun traitement. En d’autres termes, il n’existe pas de traitement contre la variole.

Dans le célèbre manuel Harrison de médecine interne (Dennis L. Kasper, Harrison’s Manual of Medicine, XVI edizione, New York, 2005, traductionn française : Principes de médecine interne, XVIe édition, Paris, 2006), ouvrage fondamental pour tout étudiant en médecine, on lit que la variole est, avec l’anthrax, un des dix virus de classe A, c’est-à-dire la plus dangereuse, placée « sous surveillance spéciale » dans la lutte contre le bioterrrorisme.

En 1996, des délégués de cent quatre-vingt-dix pays prirent une résolution. Le 10 juin 1999, toutes les souches de variole encore existantes dans le monde allaient être détruites. Mais ce ne fut pas le cas. Le CDC d’Atlanta (Center for Disease Control and Prevention), aux États-Unis, en possède toujours.

Quand Joseph tomba malade, le 7 avril 1711, personne à la cour n’était atteint de variole. Des études ultérieures (voir par exemple C. Ingrao, Joseph I der « vergessene Kaiser », Graz-Vienne-Cologne, 1982), rapportent qu’à cette époque, une épidémie de variole sévissait dans tout Vienne. C’est faux.

L’historien Hermann Joseph Fenger, dans son répertoire des épidémies à vienne depuis 1224 (Historiam Pestilentiarum Vindobonensis, Vienne, 1817), ne mentionne aucune épidémie de variole en 1711, pas davantage Erich Zöllner dans son Histoire de l’Autriche (Geschichte Osterreichs, p. 275-278).

Nous avons voulu vérifier par nous-mêmes. Nous avons consulté, aux archives municipales de Vienne les Totenbeschauprotokolle, c’est-à-dire les certificats de décès remplis par les autorités médicales de la ville pour chaque mort. Nous avons passé en revue jour après jour les mois de mars, d’avril et de mai 1711. Non seulement il n’y avait aucune épidémie de variole, mais le nombre de décès est toujuours resté dans la moyenne de la période.

Dix jours avant de mourir, Joseph Ier était un jeune homme robuste en parfaite santé, sportif et grand chasseur.

Le certificat de décès décrit le visage du cadavre couvert de nombreuses pustules. Mais il n’en est pas fait mention dans la gazette distribuée à ce moment-là, où sont décrites la mort de l’empereur et l’exposition de sa dépouille (Umständliche Beschreibung von Weyland Ihrer Mayestät / JOSEPH / Dieses Namens des Ersten / Römischen Kayser /Auch zu Ungarn und Böheim Könih u. Erz~Herzegen zu Oesterreich / u. u. Glorwürdigsten Angedenckens Ausgestandener Kranckheit /Höchst~seeligstem Ableiben / Und dann erfolgter Prächtigsten Leich~Begängnuß / zusamengetragen / und verlegt durch Johann Baptist Schönwetter, Vienne, 1711). D’ailleurs, on n’aurait sûrement pas montré à ses sujets un  visage défiguré par des vésicules. Faut-il y voir l’œuvre des embaumeurs ?

Selon le journal personnel du docteur Franz Holler von Doblhof, tenu en langue latine (Archives nationales de Vienne, HausHof- und Staatsarchiv, Familienakten, Karton 67), l’empereur vomit des glaires et du sang dès les premiers symptômes. Juste après le décès,  lit-on dans cette chronique, « du sang s’écoula longuement des narines et de la bouche ». Le cou était enflé et « atro livore soffuso », c’est-à-dire bleu sombre à cause de l’hémorragie interne  À l’autopsie, effectuée par le même médecin, foie et poumons aussi sont décrits comme « bleus et gangréneux, ayant perdu leur couleur naturelle » (« amisso colore naturali, lividum et gangrenosum ») : une hémiorragie donc, là aussi. À cause de l’odeur insupportable, l’autopsie fut écourtée et on n’ouvrit pas le crâne.

Cette description médicale est cataloguée chaque jour comme « variole hémorragique », une forme particulièrement virulente et mortelle de la maladie. Chose étrange, cette forme de variole n’a pas existé de tout temps.

Avant la mort de Joseph Ier, aucun traité de médecine ne connaît la forme hémorragique de la variole.

Les premiers auteurs à parler de variole sont avant tout Galien, puis les médecins du Xe siècle : le Persan Rhazes, Ali Ben el Abbas et Avicenne, ainsi que, au XIe siècle, Constantin l’Africain, secrétaire de Robert le Guiscard. Tous se répandent en descriptions détaillées de la variole, de ses complications et évolutions possibles, mais aucun d’entre eux ne mentionne la possibilité d’une hémorragie. Bien au contraire : l’évolution de la variole est décrite comme habituellement bénigne. Son issue n’est mortelle que chez les enfants déjà affaiblis. Même chose dans les siècles suivants, jusqu’aux XVIe et XVIIe siècles : Ambroise Paré, Niccolò Massa, Girolamo Fracastori, l’Alpinus, Ochi Rizetti, Scipione Mercuri et Sydenham, pour ne citer que les plus célèbres, consacrent de longs chapitres de leurs œuvres à la variole, mais pas trace de variole hémorragique. Eux aussi décrivent cette maladie comme très commune et bénigne. Elle ne devient mortelle que pendant les vastes pandémies provoquées par la guerre et la famine. La variole est généralement décrite dans les chapitres qui traitent des maladies infantiles, souvent en même temps que la varicelle et la rougeole. Thazes, dans son Traité de la variole et de la rougeole, opère une distinction très détaillée entre ces deux maladies : « l’agitation, la nausée et l’anxiété sont plus fréquentes avec la rougeole qu’avec la variole ; les douleurs dans le dos sont plus caractéristiques de la variole ». De même, Ambroise Paré (Œuvres, Lyon, 1664, livre XX, chap. 1-2) ne consacre qu’un chapitre à la variole et à la rougeole, en insistant sur les différences entre les deux. Des précisions qui, pour nous modernes, apparaissent totalement incompréhensibles. Aujourd’hui, la variole est malheureusement très différente de la presque toujuours inoffensive rougeole. Les horribles pustules varioliques et l’ensemble de ce grave syndrome n’ont rien à voir avec les petits boutons de la rougeole ni avec les troubles qui les accompagnent. Sydenham aussi établit un diagnostic différentiel précis entre la variole et la rougeole. Du Xe au XVIIe siècle, la variole est donc restée identique, à savoir une maladie contagieuse qu’on pouvait confondre avec la rougeole. La fille de Joseph, Marie-Josèphe, l’avait contractée en janvier 1711, trois mois avant son père, et en avait guéri. Pas d’hémorragie non plus.

Le premier témoignage de variole hémorragique arrivé jusqu’à nous est précisément ce certificat du médecin de Joseph Ier.

Deux ans plus tard, en 1713, le médecin grec (ou, selon d’autres, bolonais) Emmanuele Timoni, dans son traité intitulé Historia Valiolarum quae per insitionem excitantur, rapporte pour la première fois une pratique suivie à Constantinople : l’inoculation sous-cutanée.

Préambule : l’inoculation est le terme désignant l’ancienne façon d’immuniser, avant que le médecin anglais Edward Jenner, à la fin du XVIIIe siècle, ne mette au point la méthode de vaccination encore employée aujourd’hui. L’inoculationn consistant à prélever du sérum dans des pustules de varioleux chez qui l’évolution était sans gravité, et à l’injecter au moyen d’une incision cutanée à un patient sain, afin de provoquer une variole, bénigne chez lui aussi. Le patient contractait ainsi une forme brève et bénigne de variole et était protégé pour toujours de sa forme grave. Il était universellement reconnu, en effet, que la variole ne frappait jamais deux fois la même personne.

Bien sûr, l’inoculation sous-cutanée peut aussi servir à des fins non-préventives, mais criminelles, avec une forme mortelle du virus.

Timoni rapporte la présence, à Constantinople, de deux vieilles guérisseuses d’origine grecque, appelées la Thessalienne et la Philippopolis. Dès la fin du XVIIe siècle, ces deux femmes pratiquaient dans la capitale ottomane des inoculations sur la population « franque », c’est-à-dire non musulmane, les musulmans pour leur part refusant de se laisser inoculer. En 1701 et en 1709, c’est-à-dire quelques années après la diffusion de cette pratique dans la ville, Constantinople subit les premières hécatombes dues à la variole. Les deux guérisseuses ne furent pas lynchées, bien au contraire : on les encensa. En effet, des médecins renommés avaient affirmé que, sans l’intervention des deux Grecques, l’épidémie aurait frappé encore plus fort. Bientôt, le clergé local donna son aval, ouvrant définitivement la porte à l’inoculation.

En 1714, un an après les faits rapportés par Timoni, l’ambassadeur de Venise à Constantinople cite à son tour la pratique de l’inoculation dans son Nova et tuta variolas excitandi per transplantationem methodus nuper inventa et in usum tracta.

L’inoculation sous-cutanée connut une véritable explosion en Europe, deux ans plus tard, entre 1716 et 1718, quand la femme de l’ambassadeur anglais à Constantinople, Lady Mary Wortley Montagu, l’importa officiellement de Turquie en Angleterre. L’aristocrate britannique défendit avec enthousiasme la cause de l’inoculation auprès de toutes les cours européennes, et fit inoculer ses propres enfants. Comme en atteste son journal, elle était à Vienne en 1716, où elle rencontra la veuve et les filles de Joseph. En 1720, en Angleterre, elle convainquit le roi de faire inoculer des condamnés à mort. À partir de 1723, l’inoculation devint une pratique de masse.

Mais au cours des mêmes années, non seulement la variole ne perdit pas de terrain, mais elle cessa d’être « une maladie bénigne » pour devenir mortelle dans la presque totalité des cas. Elle ne fut plus considérée comme une maladie infantile. Les symptômes devinrent beaucoup plus graves que ceux décrits dans les siècles précédents. Ils étaient surtout d’une monstruosité sans équivoque. Impossible désormais de confondre les horribles pustules varioliques avec celles de la varicelle, et encore moins avec les petits boutons de la rougeole.

L’étude de Marco Cesare Nannini, La storia del vaiolo (Modène, 1963) fournit des statistiques effroyables. Dans les vingt-cinq années qui ont suivi l’ntroduction de l’inoculation, 10% de la population mondiale mourut. Les cas de variole hémorragique étaient très nombreux. L’inoculation se révéla bien vite un excellent instrument de conquête coloniale. On décima de la sorte Indiens d’Amérique, Peaux-Roouges et Indios. E. Bertarelli (Jenner e la scoperta della vaccinazione, Milan, 1932) rapporte que, dans la seule Saint-Domingue par exemple, 60% de la population mourut en quelques mois. À Haïti, la variole importée en 1767, tua rapidement les deux tiers des habitants. Au Groenland, en 1733, elle extermina les trois-quarts de la population.

En Europe, entre l’introduction de l’inoculation et la fin du XVIIIe siècle, soixante millions de personnes moururent de la variole. (H.J. Parish, A History of Immunization, Londres, 1965, p. 21). À la fin du XVIIIe siècle, les estimations donnaient les mêmes chiffres (D. Faust, Communication au congrès de Rastadt sur l’extirpation de la petite vérole, 1798, Archives nationales de France, F8 124). En 1716, à Paris, la variole causa 14.000 décès et 20.000 en 1723 ; en 1756, ce fut l’hécatombe en Russie, tandis qu’en 1730 c’était l’Angleterre qui avait été frappée, laquelle totalisa, en à peine quatre décennies, 80.505 décès dus à la variole ; à Naples, en 1768, on dénombra en quelques semaines plus de 6.000 morts ; à Rome en 1762, 6000 décès ; à Modène en 1778, à la suite d’une seule intervention d’inoculation sous-cutanée, la ville fut décimée par une épidémie qui dura huit mois ; à Amsterdam, en 1784, 2.000 morts ; en Allemagne en 1798, 42.379 ; rien qu’à Berlin, en 1766, 1.077 morts ; à Londres, en 1763, 3.528. L’Angleterre fit des affaires en or avec l’inoculation. Daniel Sutton avait fondé une entreprise florissante d’inoculation. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ses succursales étaient disséminées jusque dans les contrées orientales de la Nouvelle Angleterre et de la Jamaïque.

Combien de personnes mouraient de la variole avant l’introduction de l’inoculation ? Quelques chiffres pour Londres : 38 morts en 1666, 60 en 1684, 82 en 1636. Bref, quasiment personne. À la cour de Vienne, la variole n’avait frappé que Ferdinand IV avant Joseph. En revanche, la maladie explosa après le décès de Joseph. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, elle ne tua pas moins de neuf autres Habsbourg. À cette époque, les cas de variole hémorragique, désormais innombrables, se terminèrent par la mort du malade.

Voici la comparaison entre deux descriptions de la maladie. La pmremière, de Scipione Mercuri, le célèbre médecin romain qui vécut entrev 1540 et 1615 (La commare, Venise, 1676, livre trois, chap. XXIV, p. 276, Delle varole e cure loro), est antérieure à l’introduction de l’inoculation. On notera que Mercuri aussi assimile la variole à la rougeole (il s’y attarde dans son De morbis puerorum, lib. I, De variolis et de morbillis, Venetiis, 1588).

La seconde description de la variole, du docteur Faust, est tirée du rapport déjà cité datant de 1798, c’est-à-dire en pleine euphorie de vaccination.

Voici ce qu écrit Mercuri :

« Je traiterai maintenant des maladies universelles externes, et en premier lieu de la plus commune, qu’on appelle en ce pays petite vérole. Il y a des différences entre la petite vérole et la rougeole, mais comme elles se soignent de la même façon, je les aborderai ensemble. Dans la petite vérole, des pustules ou vésicules apparaissent partout sur le corps de façon spontanée, ell’es provoquent douleurs, démangeaisons et fièvre et quand elles éclatent, elles donnent des plaies… Les signes annonciateurs sont les maux de ventre, les maux de gorge, les rougeurs au visage, les maux de tête, les éternuements pituiteux. Les signes montrant que  la maladie est déjà installée sont le délire, les pustules ou vésicules sur tout le corps, tantôt blanches, tantôt rouges, de taille variable selon les patients. En général, la petite vérole n’est pas mortelle, sauf certaines fois où, à cause de l’air ou d’erreurs commises par ceux qui s’occupent de ces enfants, il meurt autant de gens que pendant une peste. »

Et voici la description de Faust en 1798 :

« La variole prolifère en pustules innombrables de la tête aux pieds. Le corps semble plongé dans l’eau bouillante, les douleurs sont atroces Avec la suppuration, le malade dont le visage enfle de façon monstrueuse est défiguré ; les yeux sont fermés, la gorge enflammée et contractée est incapable d’avaler l’eau qu’un râle réclame sans cesse. Le malade est privé à la fois de la lumière, de l’air et de l’eau ; de ses yeux coulent du pus et des larmes, ses poumons exhalent une odeur fétide ; sa salive aigre coule de façon incontrôlée ; les excréments sont corrompus et purulents, de même souvent que l’urine. Le corps n’est que pus et pustules et ne peut ni bouger ni être touché ; il gémit et gît immobile, tandis que la partie sur laquelle il repose est souvent gangrenée. »

 

En 1773, dans son poème L’inoculation, l’abbé Jean-Joseph Roman donne du varioleux une description en vers non moins terrible :

 

La douleur contre lui s’arme de nouveaux traits,

Ses yeux sont arrosés d’une liqueur ardente,

La salive, sortant de sa bouche écumante,

N’apaise point la soif qui brûle son palais ;

De ses sens enchaînés il a perdu l’usage :

Il ne voit qu’à travers le plus sombre nuage,

Sa voix n’a point de timbre et son corps oppressé

N’est plus que la prison d’un esprit affaissé.

 

 

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La description de l’hémorragie décelée chez Joseph Ier semble très proche de la Purpura variolosa décrite par le médecin allemand Gerhard Buchwald dans son ouvrage Vaccinations. Le marché de l’angoisse (traduction française d’Alain Bernard, Riom, 2003). En 2004, quand nous l’avions contacté, le Dr. Buchwald était un des rares médecins vivants à avoir observé et étudié en personne des cas de variole (il est hélas décédé le 19 juillet 2009, à l’âge de 89 ans). Nous lui avions alors envoyé la documentation relative à la maladie de Joseph Ier, puis nous avions longuement conversé au téléphone. Sur la base de son expérience personnelle, Buchwald affirmait qu’on ne rencontre de lésions aux vaisseaux sanguins que dans les cas de variole provoquée par le virus injecté dans ces vaisseaux. On lit la même conclusion dans son ouvrage (p.43) :

« Il faut mettre de tels développements [c’est-à-dire hémorragiques ndr], qui par ailleurs sont toujours fatals, sur le compte de la vaccination administrée peu de temps auparavant. »

Pour Buchwald, la variole hémorragique n’existe pas dans la nature : elle a été artificiellement suscitée par l’introduction des pratiques d’inoculation et de vaccination.

 

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La littérature moderne sur la variole abonde d’études affirmant que l’inoculation sous-cutanée était connue depuis des millénaires en Chine et en Inde On retrouve là le même discours de propagande qu’au XVIIIe siècle, destiné à inspirer la confiance en cette pratique. Or, c’est faux.

En ce qui concerne la Chine, on cite en général le père jésuite d’Entrecolles, missionaire à Pékin. Celui-ci n’écrit cependant pas avant 1726, et se contente de citer un livre chinois où l’on décrit une pratique d’immunisation contre la variole, mais par inhalation. Rien à voir, donc, avec l’inoculation.

Dans son ouvrage History of Indian Medicine (Delhi 1922-1929, vol. I, p. 113-133), le célèbre médecin indien et professeur à l‘université de Calcutta, Girindranath Mukhopadhyaya, examine toutes les affirmations selon lesquelles, en Inde, la pratique de l’inoculation s’enracinerait dans la nuit des temps. Mukhopadhyaya arrive à la même conclusion que nous : il n’en existe pas la moindre preuve. Des médecins, presque tous anglais, rappellent dans leurs ouvrages qu’ils ont entendu en Inde des récits concernant cette pratique qui remonteraient à l’Antiquité. L’un d’eux, un certain docteur Gillman, a même mis en avant un traité de médecin sanscrit qui citerait l’inoculation. Mukhopadhyaya l’a fait expertiser par deux spécialistes du sanscrit, qui l’ont reconnu comme « interpolé ». En d’autres termes, il s’agit d’un faux en bonne et due forme. Dans les anciens traités de médecine indiens de Caraka, Suśruta, Vāgbhata, Mādhava, Vrnda Mādhava, Cakradatta, Bhāva Miāra et d’autres, Mukhopadhyaya n’a pas trouvé la moindre allusion à la pratique de l’inoculation de la variole. Plus encore, dans les hymnes à la déesse Śitala, tirés du Kāśikhanda de Skanda Purana, il est dit explicitement qu’il n’y a pas de remède à la variole, sinon les prières à cette déesse. Pourtant, souligne Mukhopadhyaya, « personne encore ne remet en discussion le fait que l’inoculation ait été fréquemment pratiquée en Inde ».  

Comme nous, Mukhopadhyaya souçonne une machination dans le but de fournir un pedigree à l’inoculation d’abord et à la vaccination ensuite, tout cela pour inciter les masses à se fier à de telles pratiques et à se faire vacciner, enfants comme adultes.

Constellée de faux, l’histoire de la variole l’est aussi de silences embarrassants. L’inventeur de la vaccination – étape qui suit immédiatement l’inoculation –, le célèbre médecin anglais Edward Jenner, vaccina avec des matières extraites des pustules d’un varioleux son fils de dix mois qui resta handicapé mental et mourut à l’âge de vingt et un ans. En 1798, Jenner vaccina un enfant de cinq ans qui mourut presque aussitôt et une femme enceinte de huit mois qui, un mois plus tard, avorta d’un petit corps couvert de pustules semblables à celles de la variole. Malgré ces précédents, Jenner envoya des souches de ces matières utilisées pour ses expériences aux dynasties régnantes en Europe, lesquelles en firent large usage sur des enfants orphelins, afin de développer de nouvelles maladies et d’en tirer de nouvelles souches de matière infectée. Les manuels d’histoire de la médecine se gardent bien de rapporter ces faits.

 

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Mais revenons au XVIIIe siècle. De nombreuses voix s’élevèrent bientôt contre l’inoculation. On dénonça le cas tragique de Mme de Sévigné qui, atteinte de variole, mourut elle aussi en 1711 dans d’atroces souffrances, non de la maladie elle-même, mais des effets de son traitement (cf. J. Chambon, Traité des métaux et des minéraux, Paris, 1714, p. 408 et suivantes). Luigi Gatti, médecin italien qui exerçait à Paris au milieu du XVIIIe siècle, soigna la variole de Mme Helvetius en exécutant devant sa patiente toutes sortes de cabrioles et de pitreries. Il était intimement convaincu du fait que la gaieté était le seul remède en pareil cas, et que les varioles mortelles n’avaient d’autres causes que les traitements des médecins. Pour des raisons mystérieuses, le même Gatti changea radicalement d’opinion un beau jour, devenant l’un des inoculateurs les plus actfs. Et les plus riches.

Au XIXe siècle encore, van Swieten rapportait que les nobles et les riches qui attrapaient la variole mouraient presque tous, alors que les gens du peuple, qui ne recevaient aucun soin, survivaient (cf. Rapport de l’Académie de Médecine sur les vaccinations pour l’année 1856, p. 35).

Ce n’est pas tout. Des rumeurs circulèrent selon lesquelles l’inoculation, quand elle ne tuait pas, était de toute façon inopérante. On relevait des cas de patients in oculée qui, ayant déclaré une forme bénigne de la variole ainsi provoquée, attrapaient quand même la variole, parfois des années plus tard. Le Mercure de France de janvier 1765 (tome II, p. 148) rapporte ainsi le cas de la duchesse de Boufflers.

Mais il y a un soupçon encore plus grave. L’inoculation peut-elle provoquer la variole chez les sujets qui l’ont déjà eue ? Comme dit Avicenne, il est notoire que « la variole ne frappe qu’une fois dans la vie », conférant une immunité définitive. Selon de nombreux médecins opposés à l’inoculation, la variole artificiellement donnée bouleverse cette loi de la nature. La preuve ? Un cas hyper célèbre : Lousi XV, qui avait eu la variole à l’âge de dix-huit ans, en mourut en 1774, à soixante-quatre ans, dans des circonstances très proches de celles de la mort de Joseph Ier.

Louis XV avait une particularité. Enfant, il avait été le seul survivant de l’incroyable hécatombe qui avait décimé les rangs des enfants et petits-enfants du Roi Soleil, son grand-père, frappant brutalement la dynastie des Bourbons de France engtre 1711 et 1712. Le comte de Mérode-Westerloo (Mémoires, Bruxelles, 1840) raconte avoir entendu Palatino prophétiser ces morts en 1706, les attribuant à des meurtres. Le petit Louis n’avait que deux ans en 1712, c’était le deuxième fils des ducs de Bourgogne. Ses parents et son jeune frère aîné étaient morts de la variole, mais Louis en avait réchappé. Quand les premiers signes de la maladie s’étaient déclarés chez l’enfant, ses nourrices s’étaient barricadées avec lui dans sa chambre, interdisant aux médecins de l’approcher. En effet, elles étaient persuadées que les autres membres de la famille royale avaient été tués par les médecins eux-mêmes. C’est ainsi que Louis échappa à la prophétie de Palatino. À sa majorité, il monta sur le trône de France, succédant à son grand-père Louis XIV. Entre-temps, la France avait subi les longues années de la Régence où avait sévi le maléfique John Law, l’inventeur des billets de banque, qui, comme le rappelle le ramoneur, avait mené le royaume à un désastre économique sans précédent.

Mais certaines « prophéties », tôt ou tard, se réalisent… À soixante-quatre ans, Louis XV n’avait plus ses braves nourrices pour le protéger.

Sa mort rappelle beaucoup celle de Joseph Ier. Tous deux étaient ennemis des jésuites (Louis XV abolit la compagnie de Jésus) et, tout comme Joseph, Louis XV entendit d’un prédicateur l’annonce menaçante, mais exacte, de sa propre mort. C’était le 1er avril 1774, un jeudi de carême. En chaire, l’évêque de Senez, pointant un doigt sur le roi, s’écria : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite ! ». Quarante jours plus tard, jour pour jour, le 10 mai, Louis XV rendait son dernier soupir (Pierre Darmon, La variole, les nobles et les princes, Bruxelles, 1989, p. 93-94). Une semaine auparavant, il ne cessait de murmurer : « Si je ne l’avais pas déjà eue, je jurerais que c’est la variole. » Enfin, le 3 mai, il comprit : « C’est la variole !… Mais c’est la variole. » Devant l’approbation muette des personnes présentes, il avait détourné le visage en disant : « Voilà qui est vraiment incroyable. »

Une mort ironique à plus d’un titre, dont le moindre n’est pas que Louis XV s’était toujours opposé avec ténacité à la pratique de l’inoculation.

 

***

 

Nos recherches historiques sur la variole achevées, et forts de l’avis du docteur Buchwald sur la mort de Joseph Ier, nous décidons de passer à la dernière phase de nos études : la recherche d’un anatomopathologiste qui appuie notre demande d’exhumer la dépouille de l’empereur et soit disposé à l’autopsier.

D’entrée de jeu, nous éliminons certains médecins qui occupent le devant de la scène quand il s’agit d’exhumer les corps de personnages historiques. Cette pratique sert avant tout à mettre au point de nouveaux vaccins, et les médecins impliqués sont régulièrement sponsorisés par les colosses de l’industrie pharmaceutique.

Nous nous adressons à plusieurs professeurs d’université italiens et autrichiens, mais notre requête ne suscite aucun intérêt, provoquant parfois même une certaine irritation.

Ce qui n’est pas pour nous surprendre. En 2003, quand il nous avait fallu trouver des experts en graphologie pour examiner la signature figurant sur le testament du roi d’Espagne Charles II de Habsbourg, la plupart des graphologues s’étaient défilés par crainte de mécontenter l’actuel roi d’Espagne, Juan Carlos de Bourbon. Pensez un peu, maintenant qu’il s’agit de variole…

En attendant, nous adressons une demande par lettre recommandée au Denkmalamt de Vienne (la direction du patrimoine) pour lancer les démarches d’exhumation de la dépouille de Joseph Ier. Nous savons que la procédure est longue et nous ne voulons pas perdre de temps.

Dans l’espoir de trouver une personne un peu plus courageuse, nous passons par notre réseau de connaissances. Nous arrivons ainsi au professeur Andrea Amorosi, anatomopathologiste originaire de la même ville qu’un de nous. Amorosi travaille au département de médecine expérimentale et clinique de l’université Magna Grecia de Catanzaro, dans le sud de l’Italie. Nos premiers contacts sont excellents. Le professeur Amorosi est attentif et disponible. Après avoir étudié la documentation que nous lui adressons, il est très séduit par l’idée d’exhumer la dépouille de Joseph. C’est lui qui nous apprend que la variole est « sous surveillance spéciale », classée « A » dans la lutte contre le bioterrorisme.

Nous lui demandons s’il est possible, si longtemps après, de prouver que Joseph a été empoisonné ou tué par une variole artificielle ou si, au contraire, il est vraiment mort d’une variole naturelle. Dans le cas d’un poison, nous répond-il, ce ne devrait pas être trop difficile, car on employait surtout des métaux à cette époque, dont le matériel moderne détecte la trace aujourd’hui. Les poisons actuels, en revanche, ne laissent aucune trace.

Dans le cas d’une mort par inoculation d’une maladie, explique encore le professeur, l’entreprise, sans être impossible, est plus compliquée. Il faut exhumer plusieurs dépouilles en plus de celle de Joseph. L’idéal serait d’avoir à disposition des corps morts de la variole longtemps avant Joseph, quand la variole n’était pas encore aussi mortelle, pour lesquels on pourrait donc raisonnablement partir du principe que le décès est dû à une variole naturelle – et des corps décédés de cette variole vers la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire à l’époque des inoculations. Il faut également prélever l’ADN de ces dépouilles et le comparer avec celui de Joseph Ier. Au téléphne, le professeur Amorosi nous explique de fond en comble et avec force termes scientifiques les méthodes pour déceler une éventuelle cause artificielle à la mort du jeune empereur. Seule notre condition de profanes nous empêche de rapporter dans leur terminologie rigoureuse les idées et les intentions du professeur Amorosi.

Nous convenons avec le professeur Amorosi qu’avant toute chose, il nous enverra par la poste les pages du manuel Harrison de médecine interne relatives au bioterrorisme, et qu’entre-temps il consultera des collègues, dont il ne précise pas le nom de façon à travailler en équipe pour l’exhumation et l’autopsie de la dépouille.

Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui.

Nous n’avons jamais reçu les photocopies du manuel de Harrison (qu’au bout du compte, nous nous sommes procuré par nos propres moyens). Il n’a pas répondu à nos courriels et pendant des mois, nos nombreux appels téléphoniques se sont heurtés à la barrière d’une secrétaire, d’une infirmière ou d’une assistante qui nous demandait régulièrement notre nom, nous priant d’attendre, puis nous informait que le professeur Amorosi n’était pas là. Jusqu’au jour où nous décrochons notre téléphone, bien décidés à ne plus nous contenter d’une réponse évasive, qui nous oblige à rappeler ultérieurement. Nous insistons, rappelons cinq fois le même jour, puis le lendemain, et ainsi toute la semaine. Chaque fois, nous réexpliquons l’affaire depuis le début, même si nous sentons bien que la personne à l’autre bout du fil ne veut pas l’écouter. Peu à peu, nous sommes en mesure de reconnaître les voix et ces voix nous reconnaissent également. Nous surprenons nos interlocutrices en flagrante contradiction, certaines raccrochent après avoir tout juste pris le temps de dire bonjour. Ils font preuve d’une grande patience, car ils pourraient nous traiter beaucoup plus mal. En juin 2006, alors que nous prononçons pour la énième fois les mots « exhumation», « variole », « inoculation », quelqu’un nous murmure enfin d’une voix lasse et traînante : « Mais quel âge avez-vous ? Vous ne vous rendez donc pas compte ? Arrêtez avec cette histoire. Ne harcelez plus le professeur. »

Nous n’avons plus appelé. Pour la première fois depuis que nous menons nos enquêtes historiques à contre-courant, nous avons peur. La voix n’était pas menaçante, au contraire. Elle semblait sincère. C’était clair. Le professeur Amorosi avait reçu des intimidations, au point de rompre tout contact avec nous, fût-ce pour inventer un prétexte et se dégager de cette affaire. Serions-nous en train de jouer avec le feu ? Nous rouvrons alors le chapitre du manuel de médecine interne de Harrison consacré au bioterrorisme.  Nous lisons et relisons le même passage, comme si nous n’en comprenions la portée que maintenant. En dépit des recommandations réitérées de l’Organisation mondiale de la santé de détruire toutes les souches in vitro de variole, le CDC d’Atlanta, aux États-Unis, en conserve toujours qui servent à toutes sortes d’expériences. Le manuel souligne que la variole recombinante (c’est-à-dire artificielle) est beaucoup plus dangereuse et meurtrière que sa forme naturelle.

Reprenons le livre du professeur Buchwald. Il dresse une liste des scélératesses commises voici quelques décennies encore, pour cacher les morts dues au vaccin antivariolique et les faire passer pour des cas de variole naturelle : substitution de dossier médical, disparition de documents et ainsi de suite En voyant les photos terrifiantes de Waltraud B., une fillette horriblement couverte de pustules et de croûtes de sang à cause de la variole provoquée par le vaccin antivariolique, ainsi que celles du sang coulant des yeux et de la bouche ouverte du cadavre d’une jeune infirmière morte d’une variole hémorragique due elle aussi à la vaccination à Wiesbaden, dans les années soixante (p. 42 et 43) la plume nous tombe des mains. Et ce n’est pas une métaphore.

Au moment où ce livre va être imprimé, notre lettre recommandée au Denkmalamt de Vienne, contenant la demande d’exhumation de la dépouille de Joseph Ier, ainsi que la relance de cette demande n’ont reçu aucune réponse.

 

Source : http://lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/notreblogskynet/rita-monaldi-et-francesco-sorti-sont-ils-en-train-de-re-ecri-8029803.html

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Avril 2020

 

 

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