Un asile diplomatique de plusieurs années qui finit mal :

Bonaventure Des Périers

 

Théroigne  – L.G.O. – 1.5.2019

 

 

Bonaventure Des Périers

 

 

L’histoire de Bonaventure est non seulement liée à celle de Dolet, dont il fut l’ami, mais elle préfigure elle aussi, par bien des côté le martyre des Assange et des Manning d’aujourd’hui.

Car la Renaissance ne fut pas qu’un épisode de l’histoire humaine où les hommes (et femmes !) de tout un continent ont voulu passionnément renouer avec ce qu’avaient su, voulu, été les Grecs et les Romains de la période appelée « Antiquité », cette floraison incroyable de l’Europe, qui avait été interrompue par la chute au ralenti de l’Empire Romain, les invasions barbares et l’irruption du christianisme, imposé à tous  – de souche et immigrés –  par l’union du sabre et du goupillon, d’où était issu le long Moyen-Age auquel on doit d’autres merveilles telles que Notre-Dame de Paris, par exemple.

Mais reprenons notre souffle et commençons par le commencement…

Bonaventure Des Périers est surtout un écrivain, mais aussi, comme on le verra, un révolutionnaire français né à Arnay-le-Duc (en Bourgogne) à une date imprécise de 1510. Comme Dolet, il fut également traducteur et même éditeur.

Il avait fait ses études à Autun, auprès de Robert Hurault, abbé de l’abbaye de Saint-Martin, détail important parce que l’abbé Hurault était proche, au moins par l’esprit, de la reine de Navarre.

Or, la reine de Navarre était Marguerite d’Angoulème  – surnommée « la Marguerite des Marguerites » c’est-à-µdire la perle des perles – et Marguerite d’Angoulême était aussi Marguerite de Valois, sœur de François Ier, un peu légèrement qualifié de roi-chevalier et de roi-humaniste, alors que son parcours préfigure si fort celui de Donald Trump, mais passons.

 

 

François Ier, par Jean Clouet

 

 

Pourquoi est-ce important ? Parce qu’après avoir participé à la traduction de la Bible par Olivetan (une traduction qui fut célèbre) et avoir aidé son ami Dolet à rédiger ses Commentaires sur la langue latine – autre monument de l’époque – il soutint encore Clément Marot, autre très grand écrivain  qui avait eu des ennuis avec l’Inquisition au point de devoir s’exiler en Italie.

C’est en 1536 (il avait 26 ans) que, sans doute à cause de leurs liens communs avec l’abbé Hurault, il entra au service de la reine de Navarre, en qualité de valet de chambre (c’était un titre autant qu’une fonction). Et on ne sait pas au juste quand ni pourquoi, mais le bruit a couru que c’était François Ier en personne qui avait dénoncé le familier de sa sœur à l’Inquisition.

 

 

Marguerite de Navarre, portrait attribué à jean Clouet

 

 

Marguerite, reine-consorte de Navarre par son second mariage avec Henri d’Albret (c’est leur fille qui sera la mère du roi Henri IV) ne vivait guère avec son époux, tenant sa cour vagabonde un peu partout dans le royaume de son frère et principalement à Bourges.

Une fois dénoncé à l’Inquisition, Bonaventure Des Périers pouvait être saisi à tout moment, sauf chez sa souveraine, dont la cour, où qu’elle fût, était « terre de Navarre » et qui a donc joué pour lui le rôle que l’ambassade d’Équateur a joué pour Julian Assange. S’il mettait un pied dans la rue, les sbires du roi ou de l’Église lui mettaient la main dessus et l’envoyaient à l’échafaud en passant par la torture, qui était, rappelons-le, automatique.

On ne sait pas au juste combien d’années le poète-éditeur a été obligé de se cloîtrer entre son entrée en fonctions en 1536 et sa mort en 1544. Certains ont dit que la reine l’avait laissé tomber, d’autres ont prétendu qu’il s’était passé son épée en travers du corps au moment d’être arrêté à l’intérieur de la résidence royale, mais personne ne sait exactement pour quelles raisons il était tout à coup devenu possible de s’y emparer de lui. Les savants se disputent là-dessus depuis plus de quatre siècles.

Cette brève évocation ne rend pas justice à la personnalité et au destin funeste d’un des plus délicieux, spirituels et libres écrivains de France.

 

 

 

 

Ses œuvres, qu’on peut et même qu’on doit, lire encore aujourd’hui :

 

– Les disciples et amys de Marot contre Sagon, La Hueterie et leurs adherentz, Morin, 1537

– La prognostication des prognostications non seulement de ceste presente année MDXXXVII, mais aussi des aultres à venir, voire de toutes celles qui sont passées, composée par Maistre Sarcomoros, natif de Tartarie et secretaire du tres illustre et tres puissant roy de Cathai, serf de vertus, Paris, sans nom d’éditeur, 1537 (qui est un pamphlet contre les faiseurs d’horoscopes et de prédictions)

Les Nouvelles récréations et joyeux devis de feu Bonaventure Des Périers, valet de chambre de la royne de Navarre, Lyon, Granjon, 1558,

– Recueil des œuvres de feu Bonaventure Des Périers, Lyon,

– Peut-être avec Élie Vinet et Jacques Peletier : Discours non plus mélancoliques que divers de choses mesmement qui appartiennent à notre France, et à la fin la manière de bien et justement entoucher les lucs et les guiternes, Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1557

Mais il est surtout connu par le Cymbalum Mundi (dont certains lui chipotent la paternité, mais qui fut sans doute la cause et l’origine de sa ruine) :

– Cymbalum mundi en françoys : contenant quatre dialogues poétiques, fort antiques, joyeux et facétieux, paru – sans nom d’auteur – à Paris, chez Jean Morin, rue Saint-Jacques, à l’enseigne du Croissant. Il a été saisi le 6 mars 1537 (1538, puisque le Jour de l’An était alors celui de Pâques), l’imprimeur arrêté et très probablement torturé, et le tirage entier brulé avec tant de soin qu’on n’en connaîtra jamais que deux exemplaires, dont l’un, celui de la Bibliothèque du roi au XVIIIe siècle, a disparu, et dont l’autre se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque de Versailles.

 

 

 

 

Mais qu’est-ce donc que ce Cymbalum ? Un livre composé de quatre dialogues… Mais laissons Charles Nodier nous expliquer de quoi il retourne :

 

Le premier dialogue est à quatre personnages, une hôtesse comprise. Mercure descend à Athènes chargé par les dieux de différentes commissions, et, entre autres choses, de faire relier tout à neuf le Livre des Destinées, qui trombait en pièces de vieillesse. Il entre au cabaret, où il s’accoste de deux voleurs qui lui dérobent son précieux volume pendant qu’il est allé lui-même à la découverte pour voler quelque chose, et qui en substituent un autre à la place, « lequel ne vaut de guère mieux ». Mercure revient, boit, et se dispute avec ses compagnons, qui l’accusent d’avoir blasphémé et le menacent de la justice « parce qu’ils peuvent lui amener de telles gens, qu’il vaudroit mieux pour lui avoir affaire à tous les diables d’enfer qu’au moindre d’eux ». Ces deux drôles s’appellent Byrphanes et Curtalius. Et La Monnoye croit reconnaître sous ces deux noms les avocats les plus célèbres de Lyon, Claude Rousselet et Bernard Court. Quoique le grec et le latin se prêtent assez bien à cette hypothèse d’étymologie ou d’analogie, elle est certainement plus hasardée que les hypothèses du même genre qui sont fondées sur l’anagramme, et cependant, je n’hésiterais pas à l’admettre. L’idée de mettre le dieu des voleurs aux prises avec deux avocats qui s’emparent du Livre des Destinées pour le remplacer par le bouquin de la Loi, qui font ensuite à ce dieu, qu’ils ont reconnu d’abord, un procès en sacrilège, et qui parviennent à lui faire redouter à lui-même les suites de son impiété, cette idée, dis-je, est tout à fait digne de des Périers, et je serais désespéré qu’il ne l’eût pas eue ; mais c’est une conviction qu’on ôterait difficilement de mon esprit.

Prosper Marchand imagine que le second dialogue est transposé et qu’il devrait suivre le troisième, qui pourrait en effet se rattacher immédiatement au premier, mais Prosper Marchand se trompe. Ce second dialogue est un entracte, un véritable intermède, dont l’action se passe entre le premier et le troisième. Mercure volé ne s’est pas aperçu d’abord du larcin qui lui avait été fait, il sortait de « l’hôtellerie du Charbon Blanc, où il avoit bu un vin exquis, c’étoit la veille des Bacchanales, il étoit presque nuit, et puis tant de commissions qu’il avoit encore à faire lui troubloient si fort l’entendement, qu’il ne savoit ce qu’il faisoit. » Il a donné au relieur un livre pour l’autre, sans y prendre garde, et c’est en attendant son livre qu’il s’amuse à parcourir Athènes, dans la compagnie de son ami Trigabus. Parmi les bons tours qu’il a joués autrefois aux habitants de cette ville classique de la sagesse, il en est un qui a produit de graves résultats. Pressé par eux de leur céder la pierre philosophale, qu’il leur avait fait entrevoir, il a mis la pierre en poudre et l’a ainsi semée dans l’arène du théâtre, où ils n’ont cessé depuis de s’en disputer les fragments. Il n’y en a cependant pas un qui en ait trouvé quelque pièce, quoique chacun d’eux se flatte en particulier de la posséder tout entière. C’est ici, selon Prosper Marchand, une raillerie des chimistes, c’est-à-dire de ceux qui cherchent la pierre philosophale, et c’est en effet le sens propre d’une métonymie dont des Périers n’a pas pris beaucoup de peine à cacher le sens figuré. Qu’est-ce en effet, selon lui,  que cette pierre philosophale ? « C’est l’art de rendre raison et juger de tout, des cieux, des champs élyséens, de vice et de vertu, de vie et de mort, du passé et de l’avenir. L’un dit que pour en trouver il se faut vêtir de rouge et de vert, l’autre dit qu’il vaudroit mieux être vêtu de jaune et de bleu. L’un dit qu’il faut avoir de la chandelle, et fût-ce en plein midi, l’autre tient que le dormir avec les femmes n’y est pas bon. » Nous voilà bien loin du grand œuvre des alchimistes. Et qu’importe leur vaine science à l’auteur du Cymbalum Mundi ? La pierre philosophale de des Périers, c’est la vérité, c’est la sagesse révélée, tranchons le mot, c’est la religion, et cette allégorie impie est si claire, qu’elle ne vaut presque pas la peine d’être expliquée ; mais si elle laissait quelque doute, l’anagramme l’éclaircirait ici d’une manière invincible. Quels sont ces hommes opiniâtres qui contestent entre eux la possession du trésor imaginaire ? Ce ne sont vraiment pas des alchimistes, ce sont des théologiens. C’est Cubercus ou Bucerus, c’est Rhetulus ou Lutherus, les deux chefs, divisés sur certains points, de la nouvelle Réforme ; c’est Drarig ou Girard, un des écrivains militants de la communion romaine. Tout ceci est d’une évidence qui devait frapper La Monnoye ; mais La Monnoye se contente de le faire deviner, sans le dire positivement. L’antiquité n’a certainement point de fiction plus vive et plus ingénieuse. Ajoutons qu’elle n’en a point de plus claire et de mieux exprimée.

Le troisième dialogue est moins important, mais il est délicieux. Mercure a remporté dans l’Olympe le prétendu Livre des Destinées, si méchamment remplacé par les Institutes et les Pandectes. Jupiter vient de renvoyer le messager céleste sur la terre pour y faire promettre, par un cri public, une récompense honnête à la personne qui aura trouvé  « iceluy livre, ou qui en saura aucune nouvelle. – Et par mon serment ! je ne sais comment ce vieux rassoté n’a honte ! Ne pouvoit-il pas avoir vu autrefois dans ce livre (auquel il connaissoit toutes choses) ce qu’il devoit devenir ? Je crois que sa lumière l’a ébloui, car il falloit bien que cettui accident y fût prédit aussi bien que tous les autres, ou que le livre fût faux. » Une fois ce gros mot lâché, des Périers oublie son sujet, et le reste du dialogue n’est qu’une fantaisie de poète, mais une fantaisie à la manière de Shakespeare ou de La Fontaine, dont la première partie rappelle les plus jolies scènes de La Tempête ou du Songe d’une nuit d’été, dont la seconde a peut-être inspiré un des excellents apologues du fabuliste immortel. Il faut relire dans l’ouvrage même, pour comprendre mon enthousiasme, et, si je ne m’abuse, pour le partager, la charmante idylle de Célia vaincue par l’Amour, et les éloquentes doléances du Cheval qui parle.

L’idée de faire parler des animaux avait mis des Périers en verve. Son quatrième dialogue, qui n’a aucun rapport avec les autres, est rempli par un entretien entre les deux chiens de chasse qui mangèrent la langue d’Actéon, et qui reçurent de Diane la faculté de parler. Les raisons dont Pamphagus se sert pour se dispenser de parler parmi les hommes contiennent les plus parfaits enseignements de la sagesse, et, quoique n’étant que d’un simple chien, elles méritent toute l’attention des philosophes. Il faut remarquer aussi, dans ce dialogue la jolie fiction des nouvelles reçues des antipodes, où la vérité menace de se faire jour par tous les points de la terre, si on ne lui ouvre pas une issue libre et facile. C’est une de ces inventions familières au génie de des Périers, comme la vérité disséminée en poudre impalpable dans l’amphithéâtre, comme le livre délabré des lois divines, et la moindre de ces idées aurait fait chez les anciens la réputation d’un grand homme.

 

Inutile de préciser que Le cheval qui parle, c’est le Peuple, ancêtre des Gilets Jaunes, qui ne veut plus se taire, et que les deux chiens philosophes sont, sous l’allégorie, des philosophes-chiens, c’est-à-dire des disciples revendiqués (Rabelais) ou implicites (les autres) de Diogène de Sinope. le plus célèbre représentant de l’école cynique (413-327 av. J.-C.)

 

Couverture du Cymbalum Mundi, Verviers, La Thalamège, 1997

(d’où est tiré l’extrait ci-dessus)

 

 

 

 

2 mai 2019

 

 

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