« Le mots (et les images) sont des pistolets chargés »

 

Vraiment ?

 

Théroigne – LGO – 8.3.2020

 

 

 

 

 

L’ « affaire Polanski » fait vraiment couler beaucoup d’encre.

Roman Polanski étant juif et descendant d’une victime de la guerre, les sites sionistes ou siono-compatibles le défendent, au nom de la victime qu’il ne fut pas lui-même, en enjambant gaillardement les vraies victimes de ses actes, au prétexte que ses accusatrices d’aujourd’hui sont de consternantes nunuches qui donneraient de l’urticaire post mortem aux plus déterminées féministes d’hier, et transforment leur plaidoirie de défense en acte d’accusation de ses maladroites procureuses. Le tout, en se servant, dans cette affaire de morale publique, de projectiles présumés artistiques qui n’ont rien du tout à y voir.

Que les adeptes hexagonales d’un puritanisme amerlock dévoyé aient tort de s’en prendre aux œuvres artistiques du Polanski d’aujourd’hui au nom de ses œuvres comportementales du passé est indéniable. Que d’autres aient tort de minimiser ses actes au nom de ses œuvres ne l’est pas moins. Bref, cela grouille dans tout Landerneau de conneries volontaires ou involontaires et on n’est pas sortis de l’auberge.

 

 

Et voilà que Maxime Vivas, ne voulant ou ne se souciant peut-être pas de plonger dans une bagarre qu’eût adoré illustrer Dubout, profite de cette occasion pour recasser un sucre dont la date de péremption n’est même plus lisible sur le dos du seul et inusable bouc-émissaire que reste, au bout de trois quarts de siècle, Céline.

Soit Maxime Vivas est un peu bête, soit il est d’une mauvaise foi crasse. Ou les deux mongénéral.

Ah, bon ?

Ben, oui. Voyez plutôt :

Comme on le lit chez Les Grosses Orchades quasi quotidiennement depuis des années, on est immanquablement tombés, hier, sur l’article ci-dessus. Et ce sont les bras qui nous en sont, à nous, tombés. Donc, au bout d’aussi longtemps, après tout ce qu’on a vu, traversé et vécu, Maxime Vivas en est encore à se contenter de ce véritable catalogue des couillonnades ressassées à l’infini par les pires des imbéciles et des conformistes !

Prenons le problème par un autre bout :

Je suis sûre que, si Céline avait rencontré BHL sur un pont très étroit, il n’aurait même pas soufflé dessus pour se sauver la vie. En quoi il eût pourtant sauvé celle d’innombrables malheureux.

Céline n’a jamais tué ni violé personne. Il n’a jamais nommément dénoncé quiconque. Personne n’a jamais été arrêté au petit matin et déporté par la faute de Céline.

Si BHL, en revanche, est un parangon de malfaisance avec beaucoup de sang sur les mains, ce n’est pas par la qualité bonne ou mauvaise de ses œuvres (d’accord, inexistantes), mais par sa richesse, autrement dit son pouvoir, et par l’usage qu’il en fait.

Il n’est pas vrai que les écrits (d’art ou autres, y compris Mein Kampf !) tuent.

Si Tartempion écrit – et publie – une diatribe incendiaire et haineuse sur les habitants du Cantal et qu’un quidam – mettons Trucmuche – empoigne son petit couteau et s’en va percer quelques ventres auvergnats, le criminel n’est pas celui qui a écrit mais celui qui a frappé. [N’est-ce pas dans Le Grand Soir que j’ai lu, il n’y a guère, la phrase : « Je suis responsable de ce que j’écris, pas de ce que vous comprenez » ?] Ce genre d’aberration nous fait souvenir de Raymond Queneau condamnant (à quoi ?) le marquis de Sade, ce qui, pour un pataphysicien était quand même assez extraordinaire. Ah, si l’Église, au lieu de mettre à l’Index tout ce qui lui semblait menacer son pouvoir temporel autant que spirituel, s’était efforcée de faire avancer ses ouailles sur le chemin de l’intelligence et de la maturité, on n’en serait peut-être pas là. Mais c’eût été leur accorder une liberté dont elles auraient pu vouloir se servir, les mâtines… Aïe, aïe, aïe ! Bref, Maxime Vivas prend ici son pied à marier contre leur gré des carpes et des lapins, mais ce n’est pas très sérieux.

Au risque de casser certains pieds sensibles, puis-je me permettre de rappeler une donnée élémentaire ? Les barricades – celles de la Résistance incluses – n’ont que deux côtés (Elsa Triolet ? ma mémoire flanche). On choisit d’être d’un côté ou de l’autre et on tire. Non parce qu’on estime (à quelle aune ?) que ceux d’en face ont tort, mais parce qu’on estime (au risque de se tromper) qu’ils constituent une menace existentielle, que ce sera ou eux ou nous. On n’a aucun autre droit, surtout pas celui de s’ériger en juge et encore moins celui de cumuler cette fonction avec celle de bourreau.

C’est pourtant ce qu’a fait ou voulu faire, pendant la guerre, Roger Vailland. Je dis « voulu » parce qu’il ne l’a pas fait, puisqu’il était, aussi, pusillanime. Sa pusillanimité lui a heureusement évité de commettre une bien vilaine action, autrement dit un lynchage.

Soit dit en passant, la force des choses a fait preuve, dans cette affaire, d’un humour involontaire assez rare. Car, c’est à peu près à l’époque où Curzio Malaparte envoyait à Céline, dans sa prison danoise, la moitié de ses droits sur La peau, (aide que Céline, qui ne voulait partager son enfer avec personne, refuserait comme toutes les autres), qu’il hébergeait Roger Vailland dans sa célèbre maison de Capri. Oui, c’est là où Jean-Luc Godard tournerait plus tard Le mépris que Vailland a écrit deux pièces, dont Héloïse et Abélard. Et c’est là que, moi, je voulais en venir avec cette parenthèse en gidouille : sa pièce est nulle. Nulle de chez NULS. ! Étalage de fantasmes sans intérêt d’un petit-bourgeois conformiste (quand on pense aux titans, Lénine en tête, que Malaparte a stigmatisés de cette épithète…enfin, passons !). Là où je veux en venir, donc, c’est à ceci : Héloïse a été un des esprits les plus forts que la France ait enfanté. Non, je n’exagère pas. On connaît d’elle exactement quatre lettres (celles échangées, avec son mari, plus une écrite à Pierre le Vénérable) qui datent de huit siècles et sont dans le domaine public. Elles sont d’une clarté éblouissante : véritables diamants taillés, rutilant au soleil. On doit quand même supposer que Roger Vailland les a lues. Or, il est évident qu’il n’y a rien compris, sa pièce en témoigne.

Ergo, s’il a lu Céline comme il a lu Héloïse…

 

 

 

 

La difficulté, disait le père Simon (René), c’est d’apprécier. Or, quiconque comprend s’abstient définitivement de juger, quoi et qui que ce soit. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas combattre ses ennemis. Ce n’est pas la même chose.

Il y a deux siècles et demi, Maximilien Robespierre a été nommé juge au criminel. Il avait vingt-trois ans, si ma mémoire ne me joue pas encore des tours. L’auteur de la première affaire qu’il ait eue à juger avait commis un délit qui n’offrait pas d’échappatoire : la mort. Dans la jurisprudence d’Ancien Régime, c’était le tarif pour son genre de crime. Robespierre a donc prononcé la mort. Le lendemain, il s’est démis de ses fonctions. C’est lui que 50% de gredins et 50% d’imbéciles, soit 100% d’ignorants, traînent depuis deux siècles dans la boue en le qualifiant de guillotineur maniaque, en dépit de toutes les preuves rassemblées à grand peine par quelques historiens dignes de ce nom.

Il n’y a peut-être pas de fléau plus grand, aujourd’hui, que le conformisme.

Pour en finir avec ce sujet, on peut se demander pourquoi il a fallu près d’un siècle pour découvrir qu’à l’issue de la IIe guerre mondiale, aucun des vrais responsables des crimes – y compris des crimes de masse – n’a jamais été sanctionné. Que, seuls, des intellectuels et des artistes se sont retrouvés sur la roue et à l’estrapade. On ne le saurait toujours pas s’il n’y avait eu Annie Lacroix-Riz qui, en historienne exemplaire, s’abstient de juger, se contente d’énoncer des faits dont elle apporte les preuves. Je doute que Mme Lacroix-Riz porte Céline dans son cœur, mais je suis bien sûre qu’elle ne concourra jamais à le lyncher. La différence entre Annie Lacroix-Riz et Maxime Vivas, c’est qu’Annie Lacroix-Riz sait lire.

 

 

Pour en revenir à Polanski et pour finir, il est possible que son film soit une œuvre d’art exemplaire. Il est possible qu’il ait répondu, pour lui, à une nécessité intérieure, qu’il soit le résultat d’un cheminement moral ou intellectuel que nous ignorons et non d’un calcul, mais rien ne pourra empêcher que le cinéaste soit soupçonné de l’avoir fait pour se servir de l’épreuve du capitaine comme d’un bouclier ou d’un parapluie. Dans cinquante ou cent ans les cinéphiles auront pris de la distance envers ces choses.

Si je n’irai pas voir ce film, ce n’est pas seulement parce que je ne vais plus au cinéma depuis des lunes, mais aussi parce que le capitaine Dreyfus, quels qu’aient été ses malheurs, n’est pas à mes yeux l’icône qu’il est devenu pour certains. Quiconque choisit, pour gagner sa vie, d’entrer dans un corps dont la fonction est de tuer les gens en temps de guerre et de les brimer en temps de paix, devrait se savoir exposé au risque d’être un jour écrasé par la machine, fût-ce injustement ou par accident. On peut dire que sont les risques du métier.

Enfin, il est bien dommage que le livre de Maxime Vivas ait eu lui aussi des malheurs. À son défaut, on pourra certainement lire ou relire :

 

 

 

 

et tous les autres, qui sont nombreux. Tous importants.

 

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Mars 2020

 

 

 

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