Feu !
Quand les méthodes de colonisation de la minuscule Palestine sont appliquées à l’immense Brésil…
De sa prison, Lula déclare au monde entier qu’il est de retour dans la partie.
Pepe Escobar – The Saker.is – 29.8.2019
(En direct du Brésil, avec permission d’Asia Times)
Pendant ce temps, les feux font rage en Amazonie et le président brésilien Bolsonaro est devenu la cible de l’indignation universelle.
L’ex-Président Lula s’entretient avec des reporters, dans une cellule de la prison de Curitiba, au sud du Brésil. Photo : Editora Brazil 247
Le Brésil a toujours été un pays de superlatifs. Pourtant, rien ne vaut la configuration perverse actuelle : un homme d’État de stature mondiale croupit en prison alors qu’un bouffon voyou est au pouvoir, ses pitreries étant désormais considérées comme une menace pour la planète entière.
Au cours d’une grande interview de deux heures, en exclusivité mondiale, réalisée dans une cellule de la prison de la Police Fédérale de Curitiba, dans le sud du Brésil, l’ancien Président Luiz Inácio Lula da Silva a non seulement défendu devant l’opinion publique mondiale son innocence dans toute la saga de corruption du Lava Jato, innocence confirmée par le véritable pavé dans la mare des fuites de l’Intercept, mais il s’est également positionné en vue de reprendre sa place de dirigeant mondial. Plutôt tôt que tard – dépendant d’une prochaine décision de la Cour Suprême du Brésil, pour qui la justice n’est pas complètement aveugle.
La demande de permission d’interview a été introduite il y a cinq mois. Lula s’est entretenu avec les journalistes Mauro Lopes, Paulo Moreira Leite et moi-même, représentant dans les trois cas le site Brasil 247 et dans mon cas Asia Times. Un montage préliminaire, avec une seule caméra se concentrant sur Lula, a été publié jeudi dernier, jour de l’interview. Une version intégrale, sous-titrée en anglais, destinée à l’opinion publique mondiale, devrait être publiée d’ici la fin de la semaine.
Pepe Escobar, premier plan gauche avec keffieh, rencontre Lula en prison
Lula est une incarnation visible de la maxime de Nietzsche : tout ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. En pleine forme (il fait du tapis roulant au moins deux heures par jour), vif, avec beaucoup de temps pour lire (sa lecture la plus récente était un essai sur Alexander von Humboldt), il a montré l’ampleur et la portée de sa parfaite maîtrise de multiples sujets – qu’on dirait sortie d’un récit réaliste fantastique de Garcia Marquez.
L’ancien Président vit dans une cellule de trois mètres sur trois, sans barreaux, avec la porte ouverte, mais toujours deux policiers fédéraux à l’extérieur, sans accès à Internet ou à la télévision par câble. L’un de ses assistants lui apporte tous les jours une clé USB Pen Drive, comble à ras bords de nouvelles politiques, et repart avec une brassée de messages et de lettres.
L’interview apparaît encore plus étonnante dans le contexte littéralement incendiaire de la politique brésilienne actuelle, qui flirte activement avec une forme hybride de semi-dictature. Alors que Lula parle de questions essentielles et retrouve indiscutablement sa voix, même en prison, le président Jair Bolsonaro, se fait prendre à son propre piège en suscitant l’indignation du monde, qui le considère comme une menace (à contenir) envers l’humanité..
Carte des feux en Amérique du Sud (état du 26 août).
Tout vient de « La Journée du Feu »
Coup d’oeil sur le G7 à Biarritz, au mieux une attraction, un entracte bavard où l’Occident qui se dit libéral va baigner dans son impuissance à s’attaquer aux graves problèmes mondiaux en l’absence des dirigeants des pays du Sud.
Et ceci nous amène à la question littéralement brûlante des incendies de forêts d’Amazonie. Dans notre interview, Lula est allé droit au but en pointant la responsabilité absolue de la base électorale de Bolsonaro.
Le G7 n’a rien fait d’autre que répéter les propos de Lula, le Président français Emmanuel Macron rappelant comment les ONG et de multiples acteurs judiciaires soulèvent, depuis des années, la question de la nécessité de définir un statut international pour l’Amazonie, question que la politique de Bolsonaro a réussi à elle seule à propulser au premier rang de l’Ordre du Jour mondial.
Pourtant, l’offre, par le G7, de 20 millions de dollars pour aider les pays de l’Amazonie à lutter contre les feux de forêt, puis à lancer une initiative mondiale en vue de protéger la forêt géante, équivaut à peine à une goutte de pluie.
[Le Brésil, après la rédaction de cet article, a rejeté l’aide offerte par les pays du G7, un haut fonctionnaire disant lundi au Président français Macron de « s’occuper de son pays et de ses colonies », d’après l’AFP. « Peut-être ces ressources sont-elles plus appropriées au reboisement de l’Europe » a déclaré Onyx Lorenzoni, ministre principal du Cabinet de Bolsonaro, sur le site internet G1 News. « Macron n’a même pas su éviter un incendie prévisible dans une église classée au patrimoine mondial. Qu’a-t-il l’intention d’apprendre à notre pays ? » Il faisait référence à l’incendie qui a ravagé la Cathédrale Notre-Dame en avril dernier. « Le Brésil est une nation démocratique et libre qui n’a jamais eu de pratiques colonialistes et impérialistes, comme c’est peut-être l’objectif du Français Macron » a ajouté Lorenzoni. –Ndéds]
Un incendie échappe à tout contrôle après s’être propagé jusqu’à une ferme de Nova Santa Helena au nord de l’État du Mato Grosso, dans le bassin sud de l’Amazone au Brésil, le 23 août 2019
Fait significatif, le Président américain Donald Trump n’a même pas assisté à la session du G7, qui portait sur le changement climatique, les attaques contre la biodiversité et les océans, et, bien sûr, la déforestation en Amazonie. Pas étonnant que Paris ait simplement renoncé à publier une déclaration commune à l’issue du sommet.
Au cours de notre interview, Lula a souligné son rôle historique lors du sommet sur le changement climatique de la Conférence des Parties (COP-15) qui s’est tenue à Copenhague en 2009. Mais pas seulement, car il nous a raconté aussi comment les négociations s’y sont déroulées et comment il est intervenu pour défendre la Chine, contre les États-Unis qui l’accusaient d’être le plus grand pollueur du monde.
À l’époque, Lula avait dit :
« Il n’est pas nécessaire d’abattre un seul arbre en Amazonie pour cultiver du soja ou pour faire paître le bétail. Si quelqu’un le fait, c’est un crime – et un crime contre l’économie brésilienne ».
La COP-15 était censée faire progresser les objectifs fixés par le Protocole de Kyoto, qui arrivaient à échéance en 2010. Mais le sommet a échoué après que les États-Unis – et l’UE – aient refusé de relever leurs projections de réduction de CO2 tout en blâmant les acteurs du Sud.
En opposition absolue avec ce que préconise Lula, le projet de Bolsonaro équivaut en fait à une destruction non créative d’actifs brésiliens comme l’Amazonie, au bénéfice des intérêts qu’il représente.
Aujourd’hui, le clan Bolsonaro reproche au Cabinet de Sécurité Institutionnelle – équivalent du Conseil National de Sécurité – dirigé par le Général Augusto Heleno, de ne pas avoir évalué l’ampleur et la gravité des feux de forêt amazoniens actuels.
Heleno, soit dit en passant, est celui qui a réclamé la peine de prison à vie pour Lula.
Un Brésilien proteste à Curitiba le 23 août 2019 contre la recrudescence des incendies de forêt en Amazonie, avec portraits des gens qu’il accuse : le Président américain Trump et le Président brésilien Bolsonaro
Pourtant, cela n’explique pas tout – même compte tenu du fait que Bolsonaro n’a pas arrêté d’accuser des « ONG » d’être les incendiaires.
La véritable histoire confirme ce que Lula a déclaré dans l’interview. À savoir que le 10 août, un groupe de 70 riches fermiers, tous partisans de Bolsonaro, ont organisé sur WhatsApp une « Journée du Feu » dans la région de l’Altamira du vaste État du Pará.
Il se trouve que c’est la région qui compte le plus grand nombre d’incendies de forêt au Brésil, infestée qu’elle est de promoteurs ruraux agressifs se consacrant à la déforestation massive et caractérisée ; ces gens se sont investis dans l’occupation des terres et mènent une guerre sans merci aux paysans sans terre et aux petits producteurs agricoles. « La Journée du Feu » était censée soutenir la volonté de Bolsonaro de mettre fin à la surveillance officielle et d’effacer les amendes infligées à un des « B » du lobby BBB qui l’a élu (Bœuf, Balles, Bible).
Lula était évidemment bien informé :
« Il suffit de regarder les photos satellites, de savoir qui est le propriétaire de la zone en feu et de le suivre à la trace pour savoir qui brûle. Si le propriétaire foncier ne s’est pas plaint, n’est pas allé à la police pour dire que sa terre brûle, c’est qu’il en est responsable. »
Sur la route avec le Pape
Une brutale stratégie de guerre hybride post-vérité est peut-être en cours de déploiement au Brésil. Deux jours après l’interview que nous a accordé Lula, une paella fatidique a eu lieu à Brasilia, au palais du vice-Président, où Bolsonaro a rencontré tous les généraux, y compris le vice-Président Hamilton Mourao. Des analystes indépendants admettent sérieusement l’hypothèse de travail d’une vente corps et biens du Brésil, à la faveur de l’inquiétude mondiale actuelle pour l’Amazonie, toute l’arnaqudéguisée sous les oripeaux d’une fausse rhétorique nationaliste.
Cela ne ferait que suivre le modèle récent qui a consisté à vendre le champion national de l’aviation Embraer, à privatiser d’importants blocs de réserves pré-salifères et à louer la base de lancement du satellite Alcantara aux États-Unis. La souveraineté du Brésil sur l’Amazonie est bel et bien en jeu.
Compte tenu de la richesse des informations contenues dans l’interview de Lula, sans parler de ses récits sur le fonctionnement réel des couloirs du pouvoir, Asia Times va publier d’autres articles spécifiques, notamment sur le Pape François, les BRICS, Bush et Obama, l’Iran, l’ONU et la gouvernance mondiale. C’était la première interview de Lula en prison où il se soit senti suffisamment détendu pour raconter des histoires à propos de relations internationales.
Ce qui est clair, c’est que Lula est le seul facteur de stabilité possible au Brésil. Il est prêt, il a un programme, non seulement pour la nation mais pour le monde. Il a dit que dès qu’il sortira, il descendra dans les rues – et accumulera, en avion, des kilomètres et des kilomètres de « voyageur fréquent » : il veut s’engager aux côtés du Pape François dans une campagne mondiale contre la faim, la destruction néolibérale et la montée du néo-fascisme.
Maintenant, comparez un véritable homme d’État en prison avec un voyou incendiaire lâché dans son propre labyrinthe.
Source : Asia Times
Via : https://thesaker.is/lula-tells-world-hes-back-in-the-game-from-jail/
Traduction : Mohamed Bouhamidi
(pinaillée – pardon à lui – par c.l. pour Les Grosses Orchades)
Mis en ligne le 7 septembre 2019
2 Responses
La bonne question, de nouveau est: « Cui Bono « …
La collusion d’intérêts est manifeste, et cache mal de sombres et maléfiques desseins…À chacun de répondre à la question avec bonne foi, et que cessent l’aveuglement, le silence et l’apathie des peuples!…
@ hachemi hadjouj
Ce qu’il faudrait réveiller, c’est, comme vous dites « l’apathie des peuples », qui doivent avoir compris depuis longtemps et qui continuent à se laisser faire, à quelques très rares exceptions près.