Erdogan veut résoudre le problème Kurde avec Assad

 

 

Steven Sahiounie – TheDuran – 10.1.2023  

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

 

 

 

 

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré jeudi : « Nous avons lancé un processus Russie-Turquie-Syrie », et a ajouté : « Nous réunirons nos ministres des affaires étrangères, puis, en fonction de l’évolution de la situation, nous nous réunirons en tant que dirigeants ».

 

La semaine dernière, les ministres des Affaires étrangères de la Turquie, de la Syrie et de la Russie se sont réunis à Moscou pour les pourparlers du plus haut niveau depuis 2011. Avant le conflit en Syrie, Erdogan et le président syrien Bachar el-Assad étaient suffisamment proches pour se qualifier de frères. Tout a changé après que la Turquie ait participé à l’attaque américaine contre la Syrie pour y fomenter un changement de régime, qui a fait des milliers de morts et des millions de réfugiés, et qui a utilisé des milliers de terroristes islamistes radicaux comme fantassins, à l’intérieur de la Syrie.

Les États-Unis ont imposé une impasse en Syrie, mais Erdogan a décidé de créer une solution à la question de la sécurité nationale de la Turquie en travaillant conjointement avec Assad.

Steven Sahiounie de MidEastDiscourse a interviewé Hamide Rencüzoğulları, éducatrice et chercheuse turque spécialisée dans le Moyen-Orient.

 

 

 

 

[Livres de Hamide Rencüzoğulları publiés : La guerre syrienne de l’AKP, Le printemps sanglant en Libye, Tous à la fois : l’ISIS et les femmes dans la griffe du djihad. Ses articles ont été publiés dans divers journaux et magazines, et elle a préparé et présenté le programme télévisé « Agenda : Middle East ». Neuf procès ont été intentés contre elle pour ses livres et ses articles et elle est toujours en cours de jugement par la justice turque.]

 

 

 

1/ Steven Sahiounie (SS) :  Depuis quelque temps, il est évident que la Turquie essaie par tous les moyens de réparer ses relations avec la Syrie ; cependant, la Turquie a participé à la guerre US/OTAN contre la Syrie. Maintenant, il est clair pour tout le monde que l’attaque a échoué. À votre avis, qu’est-ce que la Turquie veut obtenir de la Syrie ?

 

Hamide Rencüzoğulları (HR) :  La Turquie ne peut plus supporter le fardeau des militants, formés et équipés par l’OTAN et les pays arabes, dans la région. Tout le monde s’est retiré du jeu et ce fardeau ne repose plus que sur les épaules de la Turquie. D’autre part, les pays occidentaux ne paient plus rien pour l’assistance aux réfugiés. La crise économique s’est déjà aggravée. Le report de la dette envers la Russie pour le gaz naturel a soulagé le gouvernement turc. Les Russes voulaient que Damas et Ankara se rapprochent en contrepartie de ce cadeau que Poutine a offert à Erdogan en prévision des élections. En fait, parce que Poutine faisait pression sur Erdogan, celui-ci a cherché une formule pour se réconcilier avec Assad, mais la raison ne réside pas dans la seule volonté de Poutine. La Turquie, sur le territoire syrien, est dans une impasse. Elle a donc des raisons à la fois économiques et politiques de souhaiter ce rapprochement. Il est devenu difficile d’investir dans les infrastructures et de payer les salaires des militants dans les régions contrôlées par la Turquie. D’autre part, Erdogan présente la position des FDS (Forces démocratiques syriennes) et du PYD (Parti – kurde – des Forces Démocratiques) en Syrie comme une justification de l’occupation turque pour des raisons de sécurité nationale, mais ni la Russie ni l’Amérique n’ont donné leur autorisation pour l’opération finale. L’idée d’Erdogan est que les Kurdes se retirent à une profondeur de 32 kilomètres, pour pouvoir, à leur place, relocaliser les militants djihadistes et leurs familles. Plutôt que risquer d’échouer dans des guerres contre les FSD, il veut résoudre le problème avec Damas. Bien sûr, si Damas veut faire un cadeau électoral à Erdogan, il acceptera cette condition, mais ce n’est pas évident qu’il le voudra.

 

2/ SS : Le président Erdogan a fait du renvoi des réfugiés syriens dans leur pays une politique nationale. N’est-ce pas la même politique que celle adoptée par tous les partis d’opposition turcs ?

 

HR : Le problème des réfugiés a commencé à mettre le parti au pouvoir dans une position difficile. Car une grande partie de la société souhaite le départ des réfugiés syriens. Le pouvoir a perdu des élections quand il a dit que nous n’enverrions pas la force armée pour les forcer à partir. Surtout après que les leaders de l’opposition nationaliste aient commencé à transformer les réfugiés syriens en outil électoral contre Erdoğan. Lui-même a alors annoncé qu’il allait renvoyer les Syriens. Le principal parti d’opposition, le CHP (Parti Républicain du Peuple, socialiste), a déjà inscrit le sujet de l’expulsion des Syriens vers leur pays à son programme, mais il ne dit pas « nous voulons les expulser ». Il parle de : « retour honorable et volontaire », ce qui signifie une réconciliation avec Damas et la création d’une solution politique commune. Erdogan a parlé, dans un premier temps, d’occuper une zone de 32 kilomètres de profondeur et d’y reloger les Syriens. Maintenant, il s’est aligné sur ce qu’a ptéconisé le CHP. C’est pour cette raison qu’il dit vouloir faire la paix avec Damas. Il entend apparemment faire cette paix malgré les réactions des opposants au gouvernement syrien qu’il protège et nourrit. C’est en fonction de tout cela qu’il a besoin de cette propagande en vue des élections : la propagande du « Nous sommes en train de résoudre la crise des réfugiés et des Kurdes avec la Syrie ».

 

3/ SS : Nous entendons dans les médias que la Turquie et la Syrie se rencontrent et que la Turquie est prête à abandonner les terroristes islamistes radicaux. À votre avis, où iront les terroristes, y compris les Ouïghours ?

 

HR : Il n’a pas d’issue avec ces terroristes. Plus précisément, l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) n’a pas le pouvoir de résoudre le problème. Parce que, d’abord, l’« Armée nationale syrienne » créée par l’AKP, comprend plus de 100.000 militants et qu’elle n’est pas homogène. Il existe de nombreux groupes différents et tous ne sont pas disposés à prêter une allégeance inconditionnelle à Erdogan. Il peut toujours dire qu’il va déposer les armes, mais il sait qu’ils ne le feront pas tous. Ensuite, il y a HTS (Hayat Tahrir Al-Sham) et le Parti islamique du Turkestan, dont l’AKP ne se porte pas garant. À ceux-là, il ne peut même jamais parler. Mais la Turquie semble avoir, depuis plusieurs mois, un accord secret avec HTS. Des groupes proches de la Turquie se sont mis à agir avec HTS, et HTS a pris Afrin en collaboration avec ces groupes pro-Turquie. De son côté la Turquie n’a pas fait de commentaire et n’a pris aucune mesure pour les empêcher d’agir. Au contraire, lorsque HTS a lancé l’opération d’Afrin, de hauts fonctionnaires turcs se sont rendus à Azaz pour y rencontrer les dirigeants de l’opposition et en sont revenus. Au cours cette réunion, je pense que la Turquie a donné le feu vert à HTS et a dit à l’opposition de ne pas s’engager dans un conflit. Pourquoi la Turquie ouvre-t-elle la voie à HTS ? Il existait, depuis le début, une alliance secrète, et voilà que, maintenant, les brigades Hamza, Suleyman Shah et Sultan Murad, qui sont les plus proches de la Turquie, ont rejoint HTS et ont pris le contrôle des zones sous contrôle turc. L’AKP fait probablement les comptes de la manière suivante : Il veut se retirer de Syrie et laisser cette zone à HTS. Les groupes de l’« Armée Nationale Syrienne » qui refusent de déposer les armes rejoignent HTS de la même manière, de sorte que l’AKP peut dire qu’il s’est retiré de Syrie, mais d’un autre côté, pourra continuer à approfondir le conflit en Syrie avec cette armée djihadiste en pleine expansion. Je suppose qu’ils ont des plans de ce genre. Mais tout cela est très dangereux. Parce que le museau des djihadistes abandonnés peut revenir se montrer en Turquie.

 

 

 

 

 

 

4/ SS : Des fuites dans les médias ont indiqué que l’Amérique aurait offert un marché à la Syrie, à condition qu’elle ne restaure pas ses relations avec la Turquie. À votre avis, pourquoi l’Amérique s’oppose-t-elle à une nouvelle relation entre Ankara et Damas ?

 

HR : Bien que les Etats-Unis se soient retirés de l’opposition syrienne, ils ont en fait continué à diriger les conflits par le biais de la Turquie. Même s’ils ne sont présents en Syrie que par Kurdes interposés, les Etats-Unis soutiennent les invasions turques. Ils veulent que la Turquie maintienne sa position sur le territoire syrien qu’elle a pénétré. Cependant, ils ne veulent pas offenser la Turquie, qui considère le FSD comme lui posant un problème de sécurité. Et surtout, les Etats-Unis ne veulent pas qu’Ankara se rapproche jamais de Damas. Nous avons lu dans certains médias que les États-Unis ont fait une proposition d’un autre genre à la Turquie afin d’empêcher cela, à savoir qu’ils feraient reculer les FSD d’un kilomètre, mais en réactivant le groupe Suvvarül Raqqa (Révolutionnaires de Raqqa) et en le plaçant à la frontière turque. Ce groupe des Révolutionnaires de Raqqa est une structure djihadiste et les USA partent du principe que la Turquie ne serait pas dérangée par eux. Tant que la Russie et la véritable armée syrienne ne remplacent pas les Kurdes… Je suppose que c’est la formule des USA.

 

5/ SS : Nous avons appris, également par les médias que l’opposition syrienne en Turquie a été priée de quitter la Turquie immédiatement. Selon vous, la rupture avec l’opposition syrienne signale-t-elle que le rapprochement avec Damas est jugé plus important ?

 

HR : Je ne pense pas qu’il y aura une rupture complète. Le processus de persuasion continue. Il y a ceux qui acceptent sans condition. La Turquie peut fermer quelques chaînes de l’opposition qui émettent dans le pays à titre de formalité. Ou bien, quelques leaders de l’opposition peuvent être expulsés du pays, mais je pense que tout cela ne dépassera pas le stade des formalités. Parce que la Turquie ne peut pas affronter complètement les opposants, c’est trop risqué…

 

 

Steven Sahiounie est un journaliste syro-américain spécialiste du Moyen-Orient, basé en Syrie, qui a été deux fois primé. Il est aussi apparu à la télévision et à la radio au Canada, en Russie, en Iran, en Syrie, en Chine, au Liban et aux États-Unis.

 

Source : Erdogan wants to solve the Kurdish problem with Assad – The Duran

 

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Janvier 2023

 

 

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