Tout ce qui brille n’est pas nécessairement de l’or russe

 

 

Pepe Escobar – The Unz Review – 18.3.2022

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

 

L’« ordre international fondé sur des règles » – comme dans « subis ma loi ou tire-toi » – s’effiloche beaucoup plus rapidement que quiconque aurait pu le prévoir.

 

 

 

 

 

L’Union économique eurasienne (UEE) et la Chine commencent à concevoir un nouveau système monétaire et financier contournant le dollar américain, supervisé par Sergueï Glazyev et destiné à concurrencer le système de Bretton Woods.

 

L’Arabie saoudite – perpétrateur des bombardements, de la famine et du génocide au Yémen, sous le parrainage des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Union européenne – accélère l’avènement du petroyuan.

 

L’Inde – troisième plus grand importateur de pétrole au monde – est sur le point de signer un méga-contrat d’achat de pétrole à la Russie, avec une énorme remise et en utilisant un mécanisme rouble-roupie.

 

Les exportations de pétrole de Riyad s’élèvent à environ 170 milliards de dollars par an. La Chine en achète 17%, contre 21% pour le Japon, 15% pour les États-Unis, 12% pour l’Inde et environ 10% pour l’UE. Les États-Unis et leurs vassaux – Japon, Corée du Sud, UE – resteront dans la sphère des pétrodollars. L’Inde, tout comme la Chine, pourrait ne pas le faire.

 

Le retour de flamme des sanctions est à l’ordre du jour. Même un chouchou du marché et du capitalisme de casino comme le stratège du Crédit Suisse Zoltan Poznar, anciennement à la Fed de New York, au FMI et au département du Trésor, a été forcé d’admettre, dans une note analytique : « Si vous pensez que l’Occident peut élaborer des sanctions qui maximiseront la douleur pour la Russie en minimisant les risques de stabilité financière et de stabilité des prix pour l’Occident, vous pouvez aussi croire aux licornes ».

 

Les licornes sont une marque de fabrique de l’appareil de propagande de l’OTAN, abondamment illustré par la mise en scène du « sommet » complètement bidon de Kiev entre le comédien Ze et les Premiers ministres de Pologne, de Slovénie et de la République tchèque, complètement démenti par John Helmer et des sources polonaises.

 

Poznar, un réaliste, faisait en réalité allusion à l’enterrement rituel du chapitre financier de « l’ordre international fondé sur des règles » en place depuis les premières années de la Guerre Froide : « Après la fin de cette guerre [en Ukraine], l’“argent” ne sera plus jamais le même ». Surtout lorsque l’hégémon formule ses « règles » en puisant dans l’argent des autres.

 

Et cela configure le principe central de la géopolitique martiale du 21ème siècle comme monétaire/idéologique. Le monde, en particulier le Sud, devra décider si l’« argent » est représenté par le casino virtuel et turbulent privilégié par les Américains, ou par des actifs réels et tangibles tels que les sources d’énergie. Un monde financier bipolaire – dollar américain contre yuan – est à portée de main.

 

Il n’y a pas de preuve irréfutable – pas encore. Mais le Kremlin a sans doute joué le jeu en utilisant les réserves étrangères de la Russie comme appât, susceptibles d’être gelées par les sanctions, le résultat final pouvant être l’effondrement du pétrodollar. Après tout, l’écrasante majorité des pays du Sud a maintenant parfaitement compris que le dollar américain, qui n’est soutenu par rien et qui sert de « monnaie » – selon Poznar – n’est absolument pas digne de confiance.

 

Si c’est le cas, on peut parler d’un ippon poutinien venu de l’enfer.

 

 

 

Voici venu le temps du vol de l’or

 

Alors que je décrivais l’émergence du nouveau paradigme, du nouveau système monétaire qui sera conçu par une coopération entre l’UEE et la Chine à l’avènement du pétroyuan, une discussion sérieuse et informée a éclaté sur une partie cruciale du puzzle : le sort des réserves d’or russes.

 

Des doutes ont été émis quant à la politique, sans doute suicidaire, de la Banque Centrale Russe, qui consiste à conserver des actifs dans des titres étrangers ou dans des banques vulnérables aux sanctions occidentales.

Bien sûr, il y a toujours la possibilité, calculée par Moscou, que les nations détenant des réserves russes – comme l’Allemagne et la France – ont des actifs en Russie qui peuvent être facilement nationalisés. Et que la dette totale de l’État et des entreprises russes dépasse même le montant des réserves gelées.

 

Mais qu’en est-il de l’or ?

 

Au 1er février, trois semaines avant le début de l’opération Z, la Banque centrale russe détenait 630,2 milliards de dollars de réserves. Près de la moitié –

 

311,2 milliards de dollars– ont été placés en titres étrangers, et un quart – 151,9 milliards de dollars – en dépôts auprès de banques commerciales et centrales étrangères. Pas vraiment une stratégie brillante. En juin de l’année dernière, le partenaire stratégique qu’est la Chine détenait 13,8 % des réserves de la Russie, en or et en devises.

 

Pour ce qui est de l’or physique, 132,2 milliards de dollars, soit 21 % des réserves totales, restent dans les coffres de Moscou (deux tiers) et de Saint-Pétersbourg (un tiers).

 

Donc aucun or russe n’a été gelé ? Eh bien, c’est compliqué.

 

Le principal problème est que plus de 75 % des réserves de la Banque Centrale Russe sont en devises étrangères. La moitié d’entre elles sont des titres, comme les obligations d’État : elles ne quittent jamais la nation qui les a émises. Environ 25 % des réserves sont liées à des banques étrangères, principalement privées, ainsi qu’à la BRI et au FMI.

 

Une fois encore, il est essentiel de se souvenir de ce que dit Sergueï Glazyev dans son essai révolutionnaire Sanctions et souveraineté : « Il est nécessaire d’achever la dédollarisation de nos réserves de change, en remplaçant le dollar, l’euro et la livre par de l’or. Dans les conditions actuelles de croissance explosive attendue du prix de l’or, son exportation massive à l’étranger s’apparente à une trahison et il est grand temps que le régulateur y mette fin ».

 

C’est là un puissant acte d’accusation contre la Banque Centrale Russe, qui empruntait contre de l’or et l’exportait. À toutes fins utiles, la Banque Centrale pourrait être accusée d’avoir perpétré un délit d’initié. Sans compter qu’ensuite, elle a été prise au dépourvu par les sanctions américaines dévastatrices.

 

Comme le dit un analyste moscovite, la Banque Centrale « avait livré quelques volumes d’or à Londres en 2020-2021. Cette décision était motivée par un prix de l’or élevé à l’époque (près de 2000 dollars l’once) et pouvait difficilement résulter d’une initiative de Poutine. Si tel est le cas, cette décision peut être qualifiée de très stupide, voire avoir fait partie d’une tactique de diversion (…) La plupart de l’or livré à Londres n’a pas été stocké mais vendu et transféré dans des réserves en devises étrangères (en euros ou en livres) qui ont été gelées par la suite ».

 

Pas étonnant que beaucoup de gens en Russie soient livides. Un rapide retour en arrière s’impose. En juin de l’année dernière, M. Poutine a signé une loi annulant les exigences relatives au rapatriement des recettes en devises provenant des exportations d’or. Cinq mois plus tard, les propriétaires de mines d’or russes exportaient comme des dingues. Un mois plus tard, la Douma voulait savoir pourquoi la Banque Centrale avait cessé d’acheter de l’or. Il n’est pas étonnant que les médias russes aient explosé en accusations sur un « vol [d’or] sans précédent ».

 

Maintenant, les choses sont devenues beaucoup plus dramatiques : RIA Novosti a décrit le gel imposé par les Américains comme ni plus ni moins qu’un « vol » et a dûment prédit le chaos économique mondial. Quant à la Banque Centrale, elle a repris ses activités d’achat d’or.

 

Rien de ce qui précède n’explique cependant l’existence d’un or « manquant » qui, de facto, n’est pas en possession de la Banque Centrale Russe. Et c’est là qu’intervient un personnage un peu louche comme Herman Gref.

 

Voyons cela avec le député de la Douma d’État Mikhail Delyagin, qui a eu deux ou trois choses à dire sur la véritable aubaine qu’a été l’or exporté à Londres :

 

« Ce processus se poursuit depuis l’année dernière. Nous avons exporté, selon certaines estimations, 600 tonnes. [La directrice de la Banque centrale russe, Mme Nabiullina, a déclaré : “Si vous voulez vendre de l’or pour obtenir des liquidités ou si vous extrayez de l’or et l’échangez, n’oubliez pas que l’État, en ma personne, ne vous achètera pas d’or au prix du marché. Nous le prendrons avec une forte décote. Si vous voulez obtenir de l’argent honnête pour votre or, exportez-le.” Le centre mondial du commerce de l’or est Londres. En conséquence, tout le monde a commencé à exporter et à vendre de l’or là-bas. Y compris M. [Herman] Gref. Ce chef de la Sberbank, une banque officiellement publique, a vendu une énorme quantité de ses réserves d’or. »

 

Voyez ici quelques détails fascinants sur les manigances du Gref de la Sberbank.

 

 

 

Regardez bien le rouble garanti par l’or

 

C’est peut-être trop peu et trop tard, mais au moins le Kremlin a maintenant établi un comité – qui a autorité sur les geeks de la Banque Centrale – pour s’occuper des choses sérieuses.

 

Il est ahurissant de constater que la Banque Centrale Russe ne soit pas assujettie  à la Constitution russe comme l’est le système judiciaire, mais qu’elle est, en fait, subordonnée au FMI. On peut affirmer que ce système financier conçu par un cartel – impliquant une souveraineté nulle – ne peut tout simplement pas être attaqué de front par une nation quelconque sur la planète, et Poutine a essayé de le miner étape par étape. Cela inclut, bien sûr, le maintien d’Elvira Nabiullina à son poste, même si elle persiste à suivre le consensus de Washington à la lettre.

 

Et cela nous ramène à la possibilité que le Kremlin ait voulu, dès le début, ne rien lâcher, forcer les atlantistes à révéler leur véritable jeu et exposer leur système dans un spectacle du type « Le roi est nu » devant un public mondial.

 

Et c’est là qu’intervient le nouveau système monétaire/financier de l’EAEU/Chine, sous la supervision de Glazyev. Nous pouvons certainement envisager que la Russie, la Chine et de vastes pans de l’Eurasie se séparent progressivement du capitalisme de casino, que le rouble soit reconverti en une monnaie adossée à l’or et que la Russie se concentre sur l’autosuffisance, l’investissement intérieur productif et la connectivité commerciale avec la plupart des pays du Sud.

 

Bien au-delà de ses réserves étrangères confisquées et de ses tonnes d’or vendues à Londres, ce qui compte, c’est que la Russie reste l’ultime puissance en matière de ressources naturelles. Des pénuries ? Un peu d’austérité pendant un petit moment y remédiera : rien d’aussi dramatique que l’appauvrissement national des années 1990 néolibérales. Et un coup de pouce supplémentaire viendrait de l’exportation de ressources naturelles à des prix très réduits vers les autres BRICS et la plupart des pays d’Eurasie et du Sud.

 

L’Occident collectif vient de fabriquer un nouveau clivage Est-Ouest de mauvais goût. La Russie est en train de le renverser, à son propre profit : après tout, le monde multipolaire se lève à l’Est.

 

L’Empire du mensonge ne reculera pas, car il n’a pas de plan B. Le plan A consiste à « annuler » la Russie sur tout le spectre – occidental. Et alors ? La russophobie, le racisme, les opérations psychologiques 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, la propagande à outrance, les populaces qui annulent la culture en ligne, ça ne veut rien dire.

Les faits comptent : l’Ours possède suffisamment de matériel nucléaire/hypersonique pour briser l’OTAN en quelques minutes avant le petit déjeuner et donner une leçon à l’Occident collectif avant l’apéritif du dîner. Il viendra un moment où un exceptionnaliste doté d’un QI décent comprendra enfin la signification des mots « indivisibilité de la sécurité ».

 

Source : https://www.unz.com/pescobar/all-that-glitters-is-not-necessarily-russian-gold/

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/tout-ce-qui-brille-nest-pas-necessairement-de-lor-russe/

 

 

 

 

Mars 2022

 

 

0 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.