Vous voulez une  Constitution nouvelle ? Mais vous avez la meilleure du monde !

Qu’est-ce qui vous pose problème ? La flemme de la mettre en pratique ?

 

Théroigne – Les Grosses Orchades28.12.2018

 

 

 

 

La chute de la royauté le 10 août 1792 a rendu caduque la Constitution monarchique adoptée en 1791 et la mission de la Convention est de doter la France d’une nouvelle constitution.

En février 1793, Condorcet propose, au nom des Girondins, un projet qui renforce le pouvoir exécutif et celui des propriétaires, et la Convention adopte le 29 mai 1793 une déclaration dont l’article 17 stipule : « le droit de propriété consiste en ce que tout homme est maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie ».

Robespierre s’insurge contre une telle définition qui favorise ceux qui veulent accroître toujours plus leurs propriétés au détriment de celle des autres. Pour lui, ce projet girondin favorise les riches et oublie les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes et toutes nations. Robespierre avait lui-même, dès le 21 avril 1793, proposé son propre projet de déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen devant le club des Jacobins qui l’avait adopté. Il le présentera (malheureusement en vain) devant la Convention le 24 avril, en insistant sur les quatre articles qu’il propose (VI, VII, VIII, et XIX), concernant le droit de propriété qu’il veut limiter. C’est à cette occasion qu’il déclare à l’Assemblée : « Il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l’Univers que l’extrême disproportion des fortunes est la source de biens des maux et bien des crimes ».

Chacun des 38 articles du projet de Robespierre mérite d’être connu et médité et nous avons pensé utile de publier cette déclaration en plusieurs numéros de notre bulletin.

 

Nous avons piqué ce qui précède et ce qui suit au site « Révolution, jeunesse du monde », de Jean-Pierre Rissoan. Ce qu’il ne dit pas, c’est que la Constitution proposée par les Girondins était la copie conforme de celle des États-Unis, dont les Américains sont aujourd’hui encore si fiers, que Robespierre considérait comme mortifère. C’est la raison pour laquelle il a torché, en une nuit, sur un coin de table, sa « Déclaration des droits et des Devoirs de l’homme et du citoyen », dont il savait bien qu’elle ne serait jamais adoptée telle quelle – qu’il était beaucoup trop tôt – ni ne serait mise en pratique avant très, très, très longtemps. Son souci était d’opposer aux visées du « parti de l’égoïsme » un objectif, même éloigné, qui fût digne qu’on se batte pour l’atteindre et digne du peuple français. Du vrai peuple, pas des maîtres nouveaux qui voulaient remplacer les maîtres anciens. (« Un crime remplaçant un autre crime ».)

La chute des Girondins a précipité l’élaboration d’une vraie constitution populaire, et c’est de la proposition de Robespierre que les Conventionnels ont débattu, pour en tirer cette Constitution de l’An I dont parle Jean-Pierre Rissoan.

Rien n’empêche les Français de 2019 de revenir au modèle d’origine. Rien ne les empêche surtout de commencer à le concrétiser, de le transformer en actes, les yeux obstinément fixés sur le but à atteindre.

P.S. : Nous avons mis en gras les articles 35, 36 et 37 parce que ce sera la honte éternelle de la Convention de ne les avoir pas retenus.

Théroigne.

 

 

 

Constitution

ou

Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen proposée à la Convention par Maximilien Robespierre le 24 avril 1793

et ce que la Convention en a fait

 

ARTICLE PREMIER : Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l’homme, et le développement de toutes ses facultés.

ART. 2 : Les principaux droits de l’homme sont ceux de pourvoir à la conservation de l’existence et de la liberté.

ART.3 : Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales. L’égalité des droits est établie par la nature, la société, loin d’y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l’abus de la force, qui la rend illusoire.

ART. 4 : La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme d’exercer à son gré toutes ses facultés ; elle a la justice pour règle, les droits d’autrui pour bornes, la nature pour principe, et !a loi pour sauvegarde.

ART. 5 : Le droit de s’assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions, soit par voie de la presse, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires du principe de liberté de l’homme, que la nécessité de les énoncer suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.

ART. 6 : La propriété est le droit qu’a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.

ART. 7 : Le droit de propriété est borné comme tous les autres, par l’obligation de respecter les droits d’autrui.

ART. 8 : lI ne peut préjudicier, ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l’existence, ni à la propriété de ses semblables.

ART. 9 : Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.

ART. 10 : La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.

ART. 11 : Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire sont une dette de celui qui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.

ART. 12 : Les citoyens dont les revenus n’excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance, sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement selon l’étendue de leur fortune.

ART. 13 : La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.

Remarques : La déclaration des Droits de l’homme finalement adoptée par la Convention a repris presque textuellement (art. 21 et 22) les articles 10 et 13 proposés par Robespierre. Mais elle a refusé les articles 11 et 12 qu’aucun régime n’a depuis appliqués.

Art. 14 : Le peuple est souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis.

Par « fonctionnaires publics » il faut entendre « élus » ; Robespierre insiste sur le fait qu’ils sont aux ordres du peuple.

Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires.

Pour Robespierre, l’exercice de la citoyenneté n’est pas intermittent c’est-à-dire limité au temps d’une élection, mais il doit être permanent.

Art 15 : La loi est l’expression libre et solennelle de la volonté du peuple.

Art. 16 : La loi doit être égale pour tous.

Art. 17 : La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.

Art. 18 : Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme est essentiellement injuste et tyrannique; elle n’est point une loi.

Art 19 : Dans tout Etat libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l’autorité de ceux qui gouvernent.

Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse.

Art. 20 : Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier; mais le vœu qu’elle exprime doit être respecté comme le vœu d’une portion du peuple qui doit concourir à la volonté générale. Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités constituées, et maîtresse de sa police et de ses délibérations. Pour Robespierre, les minorités ont le droit de se faire entendre et participent à la vie démocratique.

Art. 21 : Tous les bons citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talents, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.

Art 22 : Tous les citoyens ont droit à concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.

Art. 23 : Pour que ces droits ne soient point illusoires et l’égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics et faire en sorte que les citoyens qui vivent de leur travail puissent assister aux assemblées publiques où la loi les appelle, sans compromettre leur existence et celle de leur famille.

Dès 1789-90 Robespierre avait réclamé l’indemnisation des citoyens qui participaient aux assemblées publiques légales (telles les opérations électorales ou les séances municipales). Cette proposition n’a, depuis, jamais été retenue.

Art 24 : Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu’ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.

Art 25 : Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d’un homme, exercé par qui ce soit, même au nom de la loi, hors de cas déterminés par elle et des formes qu’elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s’y soumettre ; et si l’on veut l’exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force. Cette proposition n’a pas  été retenue.

Art 26 : Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique appartient à tout individu ; ceux à qui elles sont adressées doivent statuer sur les points qui en font l’objet ; mais ils ne peuvent ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l’exercice.

Ce droit de pétition a été repris par la Convention mais sans l’obligation d’y donner suite.

Art 27 : La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme et du citoyen.

Art. 28 : Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé.

Il y a oppression contre chaque membre du corps social lorsque le corps social est opprimé.

Art. 29 : Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Dans la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen décrétée en 1793 par la Convention et acceptée par le peuple français, les articles 21, 22, 27, 28 et 29 proposés par Robespierre ont été repris dans pratiquement les mêmes termes.

Art. 30 : Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il entre dans le droit naturel de défendre lui-même tous ces droits. Article XXIII retenu par la Convention : « La garantie sociale consiste dans l’action de tous pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits ; cette garantie repose sur la souveraineté nationale ».

Art. 31 : Dans l’un et l’autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l’oppression est le dernier raffinement de la tyrannie.

Art. 32 : Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions, ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.

Article XXX retenu par la Convention : « Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires ; elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs »

Art. 33 : les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n’a le droit de se prétendre pli inviolable que les autres citoyens.

Article XXXI retenu par la Convention : « Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens ».

Art. 34 : Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils lui doivent rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect.

Cette exigence n’a pas été retenue

Art. 35 : Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entr’aider selon leur pouvoir, comme les citoyens d’un même État.

Art. 36 : Celui qui opprime une seule nation se déclare l’ennemi de toutes.

Art. 37 : Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme doivent être poursuivis partout, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles.

Aucun des trois articles précédents relatif à la politique extérieure n’a été retenu par la Convention.

Art. 38 : Les aristocrates, les tyrans quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l’univers qui est la nature.

 

Source : http://www.jprissoan-histoirepolitique.com/articles/retours-sur-l-histoire-de-france/revolution-francaise/constitutiondelanilavant-projetderobespierre

 

 

 

À lire :

 

Albert MATHIEZ

Robespierre et la République sociale

Préface de Yannick Bosc et Florence Gauthier

Éditions critiques, 12.2.2018

372 pages

 

Présentation de l’éditeur

Alliant une prodigieuse érudition et une passion contagieuse pour la période révolutionnaire, Albert Mathiez est un historien incontournable de la Révolution française. Les études réunies pour la première fois dans ce volume, publiées entre 1910 et 1930, composent tout à la fois une biographie thématique de Robespierre et une plongée au coeur des grands moments de la Révolution. Mobilisant avec à-propos les faits et leurs sources, l’auteur recompose avec vivacité la logique des événements, mais aussi le parcours de Robespierre à travers ses actions et leurs mobiles. Par là, il dessine la vie de l’Incorruptible comme une oeuvre politique en actes. Détricotant la légende noire et les anecdotes fallacieuses, Mathiez donne à comprendre une politique robespierriste nourrie par le mouvement populaire, pour laquelle seule une république sociale peut se dire démocratique.

Biographie de l’auteur

Albert Mathiez (1874-1932), professeur à la Sorbonne, fondateur de la Société des études robespierristes, est considéré comme l’un des plus grands historiens de la Révolution française. Yannick Bosc, maître de conférences à l’Université de Rouen, et Florence Gauthier, anciennement maître de conférences à l’Université Diderot-Paris 7, sont spécialistes de l’histoire de la Révolution française.

 

 

 

 

 

28 décembre 2018

 

 

 

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