CULTURE-TURECUL

 

 

Oui, c’est dans Causeur, mais quand c’est vrai…

 

 

La culture subventionnée est l’avant-garde du wokisme

 

No go zones culturelles

 

 

Didier Desrimais Causeur – 13.4.2022

 

 

 

Béatrice Dalle dans « Viril », spectacle de textes féministes et antiracistes, accompagnés par la musique du groupe post-rock lyonnais Zéro, Théâtre du nord, Lille © Arnaud Bertereau

 

 

 

Paris, Lille, Le Havre… Où que le spectateur porte son regard, il ne peut que constater que l’opéra et le théâtre subventionnés sont grignotés par le militantisme le plus insupportable.

 

 

Sophie de Menthon disait dernièrement dans ces colonnes son désarroi devant la récente « déconstruction » de Cendrillon, l’œuvre de Jules Massenet, à l’Opéra Bastille. La propagande wokiste campe dans les milieux artistiques, plus particulièrement dans ceux qui dépendent financièrement des deniers publics. Depuis des années, l’opéra et le théâtre subventionnés sont grignotés par le militantisme communautariste, Lgbtiste, néoféministe ou antiraciste, et se font plus ou moins subtilement les porte-voix de ces mouvements en substituant à l’art l’activisme politique. De la justice sociale à la fluidité sexuelle, de la dénonciation de la « suprématie blanche » à celle de l’hégémonie « hétéronormative », tout finit un jour ou l’autre dans le bouillon de la culture officielle. Tour d’horizon non exhaustif.

 

 

Jeanne Balibar, Abd al Malik, Ladj Ly…

En 2017, pour la deuxième saison de sa “3e Scène” (numérique), l’Opéra national de Paris proposait un film d’Abd al Malik intitulé… Othello. Dans cet Othello-là, pour éviter le grimage raciste d’un acteur blanc, le rôle principal est tenu par un comédien noir. La pièce de Shakespeare est revue et corrigée : « Après avoir passé un an en prison pour d’obscures raisons », Othello retrouve ses amis de la cité, dont Cassio et Desdémone, « son amoureuse », à laquelle il promet de changer de vie. Pour fêter ça, ses amis lui offrent une place à l’Opéra Garnier où il a toujours rêvé d’aller pour assister à une représentation de l’Otello de Verdi. Mise en abyme, paranoïa, l’Othello des cités étrangle sa Desdémone de bazar. Mais… ce n’était qu’un rêve absurde. Tout est bien qui finit bien. Le film est très mauvais mais ça a beaucoup plu aux administrateurs de l’Opéra de Paris sans doute enthousiasmés par les sous-entendus sociologiques de cet affligeant court-métrage, du genre « les quartiers c’est pas que des voyous qui vous maravent pour vous piquer votre portable, c’est aussi des jeunes issus de la diversité qui demandent qu’à aller à l’opéra pour sortir de la misère culturelle et de la délinquance inhérentes à la misère sociale ». Ça sonne archi-faux, personne n’y croit, mais ça soulage les consciences.

 

A lire aussi: Wokisme: la belle Marianne se laissera-t-elle complètement pervertir par l’Oncle Sam?

 

Il y a quelques semaines, le même Opéra national de Paris proposait de visionner sur son site un court-métrage intitulé “Ça passe” et réalisé par l’école de cinéma Kourtrajmé de Ladj Ly, le réalisateur des “Misérables” louangé par toute la bonne presse de gauche. Ce film d’une quinzaine de minutes raconte l’histoire d’un jeune « chouffeur » du 9-3 usant de sa voix magnifique pour prévenir les dealers de la cité de l’arrivée de la police – il ne hurle pas, il chante le fameux cri d’alarme : “Ça passe”.

 

 

Il n’y a pas plus conformiste que l’art qui s’auto-proclame subversif. Et il n’y a rien de moins artistique ni de moins subversif que cet art devenu propagande…

L’artiste Isabelle, jouée par l’insupportable Jeanne Balibar, passe comme par hasard par là sur sa trottinette électrique. Non seulement elle ne se fait pas dépouiller par la racaille droguée jusqu’aux oreilles, mais même elle parvient à décider Amin, le guetteur à la voix d’or, de venir pour une audition dans son théâtre car elle voit en lui le futur soliste de l’opéra qu’elle est en train de mettre en scène. Je vous laisse deviner le sort de ce délinquant qui aurait pu devenir chanteur d’opéra mais que la société et la police s’acharneront à maintenir dans la misère.

 

 

Béatrice Dalle et Virginie Despentes dépêchées auprès de David Bobée, militant très actif dans le nord

Il n’y a pas de raison que les Lillois soient mieux lotis que les Parisiens. J’ai déjà eu l’occasion de parler du récent directeur du Théâtre du Nord à Lille, David Bobée. Plus militant « déconstructiviste » qu’artiste, ce metteur en scène se distingue surtout par son envie de  « décoloniser les arts ». Pour sa première saison lilloise, il promet de revisibiliser les femmes, de démasculiniser le théâtre, de combattre les stéréotypes de genre, d’ouvrir son théâtre à la diversité, etc. Il a par conséquent invité « trois femmes engagées » à jouer un spectacle supposé battre en brèche « les certitudes d’une société hétéronormée » et intitulé “Viril”. « Au nom d’un féminisme révolutionnaire », la rappeuse Casey, Béatrice Dalle et Virginie Despentes, plus vulgaires que jamais, régurgitent sur scène des textes stupides, orduriers, faussement rebelles, réellement obscènes. Béatrice Dalle bafouille les textes d’une Virginie Despentes qui, à son tour, inonde les spectateurs d’une matière bileuse. De son côté, Casey « dézingue le colonialisme et le racisme mal digérés des institutions françaises », précise le site du Théâtre du Nord. Elle éructe des textes de Paul B. Preciado, philosophe transsexuel adepte des thèses foucaldo-butlériennes les plus crétines (pléonasme) dont le journal Libération reproduit parfois la bouillie intellectuelle dont voici un échantillon : « Les sculptures publiques […] désignent un corps national et pur, et déterminent un idéal de citoyenneté coloniale et sexuelle. L’exaltation publique des valeurs de suprématie blanche, masculine et hétérosexuelle par des statues ecclésiastiques, militaires, gouvernementales… fait de la ville moderne un parc d’attractions patriarco-colonial » (1). La prestation de ces « artistes » rongées par le ressentiment, la haine et la bêtise, justifie, me semble-t-il, le petit nom que certains Lillois de mes amis donnent au Théâtre de leur ville : Dépotoir du Nord.

Il n’y a pas plus conformiste que l’art qui s’auto-proclame subversif. Et il n’y a rien de moins artistique ni de moins subversif que cet art devenu propagande. Le texte de présentation de “Viril” n’est rien d’autre qu’un tract wokiste : « Peu à peu, la succession des voix et des textes dessine le paysage d’un féminisme révolutionnaire né de l’alliance des luttes minoritaires et des pratiques dissidentes lesbiennes, prolétariennes, trans et racisées. Choc esthétique pour celles et ceux qui ne connaissent pas les racines lesbiennes radicales et antiracistes du féminisme, exercice joyeux de détoxification face aux langages dominants et véritable injection d’énergie poétique et de joie politique pour toutes celles et ceux qui cherchent à collectiviser leur volonté de résistance. » Les petits-bourgeois rebellocrates lillois qui ne savaient pas comment participer à la grande fête transidentitaire, à la révolution lesbienne, au combat décolonial et aux luttes des minorités forcément discriminées, paient leur ticket de dissident d’un soir et s’ébrouent dans cette auge théâtrale en compagnie d’un nouveau public composé essentiellement d’étudiants en sociologie non-binaires, de militants trans-écolos, de privilégiés blancs repentants, d’universitaires mélenchonistes, de lycéens pansexuels, de féministes haasiens et de lectrices de Mona Chollet et de Virginie Despentes.

 

 

Au Havre, on bouscule les codes

On retrouve le même type de public au Havre où il se bouscule pour aller écouter “No(s) Dames”, un « spectacle lyrique qui bouscule les codes » et dans lequel le contre-ténor Théophile Alexandre et les musiciennes du quatuor Zaïde se proposent de « rendre un hommage dégenré aux héroïnes tragiques d’opéra » en interrogeant « la duplicité des rôles assignés aux femmes dans tous ces opéras composés par des hommes : célébrées mais caricaturées et corsetées, virtuoses mais déshumanisées, magnifiées mais martyrisées » (2). Peu importe la qualité des musiciens, ce gribouillis devrait suffire pour prendre la seule décision qui vaille, celle de ne pas foutre les pieds et les oreilles à ce spectacle dogmatique et rééducateur !

 

A lire aussi, du même auteur: Quand Mélenchon évoquait les Normands «alcooliques»

 

Partout où la moraline recouvre l’art de ses slogans modernes et inclusifs, partout où les messages dits progressistes gélifient l’art et boursouflent la bonne conscience de ce public qui ne sait plus faire le distinguo entre ce qui est beau et ce qui est laid, entre l’esthétique de l’art et la niaiserie de la propagande sociétale, l’art véritable disparaît. Le récent “Rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris” préconisant de créer un poste de responsable diversité et inclusion ou de « repenser l’unité chromatique » pour favoriser « la diversité mélanique », n’est que la partie émergée de l’iceberg wokiste et culturel. Là où il est question de diversité et d’inclusion, il n’y a plus de place pour le sublime, pour le tragique, pour le merveilleux, pour la magie, pour la beauté, en un mot, pour l’art. Nous ne sommes qu’au début du travail d’amnésie totale encouragé par l’école et la culture officielle. Si tout va bien, c’est-à-dire mal, il ne faudra pas cinquante ans pour que le répertoire classique du théâtre et de l’opéra ne soit plus du tout joué – pas seulement parce qu’il sera d’une manière ou d’une autre censuré ou interdit, mais aussi, mais surtout, parce qu’il n’y aura plus personne pour comprendre cet art ou pour même seulement imaginer le monde auquel il s’adressait… 

 

_________________

(1) Libération, chronique du 3 juillet 2020.

(2) Site de la Scène nationale du Havre Le Volcan, présentation de la saison 21/22.

 

Source : https://www.causeur.fr/la-culture-subventionnee-est-lavant-garde-du-wokisme-230430

 

 

 

 

M. Desrimais a certes raison,  mais reconnaissons que nos zélites zautoproclamées n’ont pas attendu le wokisme pour mettre le pied sur la pente savonneuse quasi verticale qui devait nous faire atterrir là où, peut-être, il y a du pétrole, mais plus de savoir ni d’intelligence.

Pour s’en convaincre, si nécessaire, il pourrait lire ceci :

 

 

Patrick Broguière

France Culture : la destruction programmée d’une université populaire

Éditions DELGA

126 pages

9 €

Il aura suffi de moins d’une décennie pour que la radio de Service Public France Culture, l’un des derniers îlots de culture humaniste héritier de la Libération, soit brutalement transformée par quelques personnalités proches du pouvoir en une station généraliste banale. À la mission encyclopédique et généreuse de transmission des savoirs va succéder la promotion de « produits culturels » sans confrontation critique et le bavardage autour de « faits de société » entendu partout. Une centaine de producteurs rompus à l’art radiophonique seront ainsi remplacés par une nuée d’éditorialistes consensuels et d’animateurs mondains.

Ce livre témoigne du combat des auditeurs regroupés dans diverses associations, qui ont tenté de s’opposer à ce rouleau compresseur de mépris des connaissances érudites et de fascination pour les paillettes. Dernier épisode en date de ce combat : Radio France traîne en justice le président du Rassemblement des Auditeurs contre la Casse de France Culture. À ce compte-là, toute critique de la liquidation du Service Public va devenir impossible.

 

 

 

 

Cela dit…

 

Cet engouement pour les choses américaines porte un nom : conformisme. Et il fut un temps où ce mot était, dans ces pays-ci, considéré comme une insulte.

 

Mais M. Desrimais se trompe s’il croit que le conformisme soit propre à l’art subventionné.

 

Il est sans doute trop jeune pour avoir connu les années soixante, où, pour être pris au sérieux par le public bourgeois, il fallait faire des pièces, des poèmes ou des films sur le Vietnam ou sur la Commune (on anticipait sur 1971 sans savoir…), mais où les bourgeois bien-pensants – qu’ils fussent subventionnés ou de chapelles se croyant subversives – devenaient pire que myopes quand ils avaient en face d’eux des prolétaires acteurs en quête de travail. Pas exactement myopes, en fait : leurs yeux les traversaient sans les voir.

 

Et c’est ainsi qu’on a connu, nous qui vous parlons, des gens qui se sont fait traiter comme du pus y compris par les critiques à la mode pour avoir osé mettre sur le théâtre une pièce en vers (jamais représentée et même pas publiée) de Théophile de Viau (XVIe-XVIIe s.). Pas Vietnam ! Pas Commune ! Ouak beurk ! Remarquez, Théophile lui-même, dans sa jeunesse, ne s’est pas privé d’être libertin avec quelque conformisme et de tourner en dérision une vieille fille à chats (elle s’appelait Marie de Gournay) qui avait le goût des vieux mots et qui, en lui offrant un chaton, est quand même arrivée à extorquer au grand Cardinal, la fondation de l’Académie française. Le propre des conformismes est de passer, celui des anticonformismes, quelquefois, de durer.

 

« Subventionné » veut dire proche du pouvoir et le pouvoir est bien toujours resté bourgeois depuis Thermidor, ou si on se trompe ?

 

 

 

 

 

 

Un exemple récent assez réjouissant : il y a quelques mois, un grand danseur venu de l’Est, Sergueï Vladimirovitch Polounine, ex-étoile en titre du Royal Ballet, engagé par l’Opéra de Paris pour y danser le Lac des Cygnes, s’est vu licencier par une directrice avant même d’avoir esquissé le moindre entrechat, pour « propos homophobes, sexistes, “grossophobes” et élogieux à l’égard de Poutine » (dont il s’est, en plus, fait tatouer le portrait sur la poitrine).

 

« Compte tenu des propos publics tenus [sur Twitter, NdE] par Sergei Polunin[sic], Aurélie Dupont, Directrice de la danse, a pris la décision de ne plus inviter l’artiste. Ces propos n’étant pas en adéquation avec ses valeurs et celles de l’Institution. »

 

On ne connaît pas ses valeurs, qu’on craint de deviner, mais vous nous direz qu’une « directrice de la danse » d’une institution – certes subventionnée, oui, M. Desrimais – peut bien passer son temps si elle veut sur les résosociaux  et gouverner l’Opéra en fonction de ce qu’elle y trouve à critiquer. Pourquoi pas ? En phallocratie à l’ancienne, Polounine eût pu y succéder à Serge Lifar et marquer son époque. Tant pis pour nous.

 

Remarquez encore que l’artiste, quoiqu’adepte du « tchat » en ligne, n’est pas sectaire : quand il a claqué la porte du Royal Ballet où, si on n’est pas de la confrérie des sœurs de Notre-Dame on n’a pas d’avenir, il s’en est allé « apprendre l’art dramatique à Hollywood ». Pour en revenir presque aussitôt, marri de s’être retrouvé dans un cimetière où, si on n’est pas robot numérique, on n’a pas de présent ni d’avenir. Il est clair qu’il se rêvait en nouveau Fred Astaire ou Gene Kelly. Hélas, ils ne sont plus. Ni Rita Hayworth, ni Cyd Charisse, ni les scénaristes, ni les metteurs en scène, ni les dialoguistes. Cimetière, on vous dit. Comme France-Culture.

 

Dans son cas, la Scala de Milan s’ était estimée trop heureuse de succéder à l’Opéra de Paris. Mais la Scala vient de virer le maestro Guerguiev « pour n’avoir pas voulu condamner Poutine ». Alors, vous pensez, l’autre, avec son tatouage ! Et Ukrainien en plus, ce qui aggrave encore, si possible, son cas.

 

Mais, en fait, non, tiens… il n’est plus ukrainien. Il a demandé la nationalité russe et il l’a obtenue. Il ne lui reste plus qu’a rassembler autour de lui, en Russie, assez de gens de talent pour créer une forme russe de comédie musicale, comme d’autres – en exil – l’ont fait jadis à Hollywood. Car il n’est pas nouveau qu’en art, les contraintes soient à l’origine de chefs d’œuvres.

 

Я желаю всего наилучшего M. Polounine !

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/18726-2/

 

 

 

 

Avril 2022

 

0 Comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.