De Michel Raimbaud, ancien ambassadeur, auteur récemment de l’Appel à la levée des « sanctions » contre la Syrie.

 

 

Et c’est reparti… comme en l’An XI

 

 

 

 

 

Après le paradis artificiel des vœux de bonne année, la réalité aura vite repris ses droits : une planète en effervescence croissante, un Occident en déclin contre une Eurasie qui affirme sa puissance, et dans les parages où s’affrontent les deux blocs, des conflits à n’en plus finir, comme en témoignent une guerre en Ukraine devenue virale et un Proche-Orient chroniquement enflammé. C’est dans cette région au parfum d’éternité que l’an de disgrâce 2023 a choisi d’annoncer la couleur : il sera le digne successeur de 2022.

 

Le lundi 6 février, la Syrie, berceau de la civilisation, que tout être civilisé devrait adopter comme seconde patrie, comme le dit le grand archéologue André Parrot, a été frappée par un terrible tremblement de terre dont le bilan ne cesse de croître. La Turquie, sa voisine du Nord, a également payé un lourd tribut, enregistrant un nombre élevé de victimes, parmi lesquelles sans doute de nombreux réfugiés syriens…L’élan de solidarité envers celle-ci est à la hauteur de la catastrophe. On ne saurait dire la même chose s’agissant de la Syrie. Le malfaisant Axe du Bien, qui voulait « la ramener à l’âge de pierre » et s’acharne à détruire son peuple, a adopté à l’occasion du séisme une odieuse posture justicière. Toujours bon élève pour les mauvaises causes, la France officielle aura mérité la médaille du déshonneur, ayant remobilisé le ban et l’arrière-ban de l’An 11 pour tenter de remettre en selle les « révolutionnaires » et justifier son indifférence ostentatoire face aux victimes syriennes du séisme.

 

On me pardonnera donc de rappeler le calvaire que vit la Syrie, ravagée, systématiquement détruite et saignée à blanc, sa population étant martyrisée avec sadisme depuis douze ans. C’est une durée aussi longue que les trois conflits qui agrémentent les livres d’histoire du « pays des lumières », comme si notre débâcle de 1870 à Sedan et les deux guerres mondiales du XXème siècle s’étaient enchaînées sans interruption. Sur le chemin de Damas, d’Alep, de Homs, de Hama, de Palmyre, de Deir-Ezzor, de Lattaquié, se sont croisées, télescopées, succédées une guerre d’agression jamais déclarée, « crime international par excellence », une guerre sainte sans merci et une guerre hybride sans fin, guidée « de l’arrière » par un Obama auquel on aurait donné le Bon Dieu sans confession s’il avait fréquenté les confessionnaux, mais gratifié tout de même d’un Nobel de la Paix à titre préventif : une jolie fleur octroyée à un Président qui aura été aussi venimeux que ses prédécesseurs et successeurs.

 

Après avoir connu le feu des tirs, des missiles, des attentats, les Toyotas du djihad, les menaces et exactions des islamistes, la Syrie a dû apprendre à guetter et entendre siffler, plus de trois fois, les trains de sanctions, de restrictions, d’embargos de toutes sortes, à se méfier de la loi Caesar qui pouvait cacher un décret Captagon. Si nous vivions en d’autres temps plus civilisés et surtout en d’autres lieux plus respectueux des droits humains, avoir connaissance de tout cet attirail de mesures coercitives, illégales, unilatérales, génocidaires, suffirait à susciter l’indignation et une certaine solidarité. De même qu’il était naturel jusqu’ici, sans doute dans le monde d’avant, que les cataclysmes naturels ou les guerres déclenchent un élan de compassion et réveillent les consciences. Mais une rumeur mi-figue mi-raisin se répand dans le vaste univers : fleuron de l’humanité pensante, l’Occident aurait déposé les droits de l’homme (et ceux de la femme) dont il était le porte-voix au musée des vieilleries.

 

Dans la douce France, qui depuis la Révolution revendique tous les titres de noblesse, on fait en tout cas comme si de rien n’était : on préfère manifestement le bercail atlantique au berceau de la civilisation, déguster entre soi les délices d’une « grande démocratie comme la nôtre » et se noyer dans l’unanimité plutôt que ramer avec l’humanité. Déjà Dame Bêtise pouvait ricaner de se voir tant d’amants, et tant de fiancés, tant de représentants et tant de prisonniers. Son parent Monsieur Duculot peut aujourd’hui triompher : il a décroché le pompon. En matière de trou, il a atteint le fond et il creuse encore et encore. Bref on aide avant tout «les gens qui nous ressemblent», les Ukrainiens en quelque sorte… Sans exagération tout de même.

 

Alors que l’Ukraine alimente depuis un an notre actualité jusqu’à plus faim jusqu’à plus soif, voilà nos chevaliers du mensonge repartis pour de nouvelles impostures, vers le champ de bataille qui leur est familier. La guerre de Syrie va entrer dans sa treizième année, et ils sont tous là comme on pouvait s’y attendre, n’ayant pas attendu qu’on les siffle pour revenir à leur proie favorite. Là au moins, les affidés et proxies du vieux tyran bien-aimé, un certain Oncle Joe, peuvent ignorer et violer à loisir la loi internationale et son Droit pour lui substituer la loi de la jungle et ses règles qu’ils ont eux-mêmes édictées. « Treize » est pour la vieille école le nombre porte-malheur par excellence, mais dans une « start-up nécheune », on le tient plutôt pour porte-bonheur, pour la France et pour l’Europe s’entend, là où vivent « des gens comme nous », car la Syrie (où est-ce exactement ?) elle l’a bien mérité, c’est plein d’Arabes…

 

Il semblerait que les experts, les trissotins et les radotins aient décidé à l’unisson de voir dans le séisme une sorte d’invite à remettre à l’ordre du jour leur sale besogne de trucage, de mensonge, de désinformation, poursuivie avec une hargne inextinguible depuis douze ans. Leur trou, c’est la descente aux enfers de la Syrie souffrante mais vaillante, qui en ces jours de colère paraît accablée de toutes parts, y compris par ce feu surgi des entrailles de sa terre.

 

Une impression prévaut : entre Bachar, le régime, le tyran qui gaze son peuple, les attaques à l’arme chimique, les casques blancs, le dictateur impie, la menace pour la sécurité des États-Unis d’Amérique, le complice de Daesh, l’ennemi d’Israël, l’État alaouite (etc…), de la désinfo à l’immonde, en passant par Radio-trottoir, « c’est reparti…comme en l’An onze ».

 

Votre serviteur écrivait en mars 2021 : « On nous pardonnera donc de clamer combien nous sommes profondément blessés du traitement réservé à la Syrie. On nous excusera de ne plus pouvoir nous taire devant le calvaire de la population, spécialement celui des femmes toujours en première ligne, dans la vie quotidienne, la subsistance des familles, le soin des enfants…. Faudra-t-il trente ans, comme on le constate dans le cas irakien, pour que l’on reconnaisse le caractère criminel voire génocidaire des sanctions, des restrictions, des vols et pillages ?.(…)… Nous appelons donc à la levée des sanctions, qui vont bien au-delà d’une punition collective dès lors qu’elles trahissent de toute évidence une volonté délibérée de mise à mort d’une population ».

 

Deux ans sont passés, deux années durant lesquelles la Syrie a connu tous les malheurs imaginables et imaginés par un Occident perverti qui fait preuve d’un acharnement démentiel en toutes circonstances, y compris face aux pires catastrophes naturelles. Mais le masque est enfin tombé, l’Axe du Bien a dévoilé son vrai visage : il est bien le fossoyeur des droits de l’homme et de la femme, des libertés, des valeurs morales, une menace pour la sécurité mondiale, l’ennemi du Droit international et des souverainetés nationales.

 

Allons enfants, il serait peut-être temps d’écraser l’infâme, comme disait Voltaire, mais que personne ne se sente visé par mon indignation. Qui est morveux se mouche !!!

 

Michel Raimbaud

 

Image : Capture d’écran, une femme et son enfant dans un centre de déplacement du quartier de Salah al-Deen à Alep, dans le nord de la Syrie, le 7 février 2023

Michel Raimbaud, ancien ambassadeur français dans plusieurs pays, auteur de Tempête sur le Grand Moyen-Orient (ed. Ellipses, 2017) et  Les guerres de Syrie (éd. Glyphe, 2019).

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

Copyright © Michel Raimbaud, Mondialisation.ca, 2023

Source : https://www.mondialisation.ca/et-cest-reparti-comme-en-lan-11/5675096

 

 

 

 

Pour tous ceux à qui on n’a pas appris ce que fut l’an XI  (qui va de septembre 1802 à septembre 1803, le Petit Caporal étant devenu consul, mais pas encore empereur) :

 

  • vendémiaire/brumaire (octobre) : la France envahit la Suisse.
  • Loi du 19 ventôse an XI (10 mars 1803) réorganisant les études et la profession médicales
  • 7 germinal (28 mars 1803) : instauration du franc de germinal.
  • Loi du 10 germinal an XI (31 mars 1803) complétant la loi du 19 ventôse.
  • Loi du 11 germinal (1er avril 1803) sur la réglementation concernant les prénoms dans l’état civil1.
  • Loi du 22 germinal (12 avril 1803) instituant le livret ouvrier.
  • Loi du 24 germinal An XI (14 avril 1803) sur la première loi relative à la Banque de France2.
  • 21 germinal (21 avril 1803) : Écriture d’un texte qui régit l’enseignement pharmaceutique en France.
  • Troisième coalition : Royaume-Uni, Autriche, Prusse et Russie contre la France napoléonienne.
  • Acquisition de la Louisiane par Thomas Jefferson au bénéfice des États-Unis.

Mais surtout :

  • 17 germinal (7 avril 1803) : Toussaint Louverture meurt au fort de Joux.

 

 

À propos de la loi du 24 germinal,

il est du plus haut intérêt d’écouter, de lire ou de relire Henri Guillemin sur la fondation de la Banque « dite de France », en réalité banque privée, créée pour s’acquitter d’une dette envers Perregaux, banquier suisse et espion à la solde de l’Angleterre, en même temps que financier du coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799).

 

 

À propos de Toussaint Louverture, voir ici :

https://memoire-esclavage.org/biographies/toussaint-louverture

 

Et ce qu’il convient de savoir, à propos de Toussaint, c’est qu’un jour, Napoléon Bonaparte a dit au général Lefebvre (pas encore maréchal) : « J’ai besoin, vous dis-je, de me débarrasser de soixante mille hommes ! » et qu’il a mis en branle la flotte destinée à « reprendre » Saint-Domingue (pas encore Haïti). D’où la capture de Toussaint, qui, pour la France, avait combattu la Hollande et l’Angleterre, et le début de son long calvaire. Car, jugeant d’après lui-même, Napoléon ne pouvait pas s’imaginer qu’un homme qui avait libéré son pays à la pointe du sabre ne s’était pas, en même temps, empli les poches en pillant à tout va (comme le font aujourd’hui les USA en Syrie). Il le fit donc amener enchaîné à Paris, et le fit « cuisiner » pour qu’il avoue « où il avait caché son trésor ». Le trésor était inexistant. De dépit, le milliardaire malgré lui fut enfermé, dans le Jura, au fort de Joux, sans le moindre chauffage, pour lui apprendre à résister. Il y est mort de froid, assis tout droit dans un fauteuil.

Admirons le sens de l’humour macabre du destin qui fait , à cheval sur le XXe et le XXIe siècles, attaquer Haïti et la Syrie, par les héritiers moraux de l’Aigle, avec la même arme : le tremblement de terre provoqué.

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/et-cest-reparti-comme-en-lan-xi/

 

 

 

 

Février 2023

 

 

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