Et maintenant… une crise alimentaire mondiale ?

 

Il s’avère que la Russie et l’Ukraine sont en quelque sorte importantes si vous aimez manger de la nourriture.

 

 

Par Riley Waggaman, écrivain basé à Moscou et ancien « senior editor » à RT –  5.3.2022

 

Traduction : c.l. pour L.G.O.

 

(Extraits)

 

Ces crétins ne nous laisseront jamais tranquilles

 

 

 

Sous le joug de la biosécurité, les boucliers à viande du monde entier se sont divisés en deux camps qui prétendent vouloir la même chose : la libération des opprimés… en Ukraine.

Mais la question n’est pas là

Parlons plutôt de nourriture, ou plus précisément de sa prochaine absence.

Alors que la plèbe échange des platitudes insignifiantes sur les médias sociaux, une crise alimentaire mondiale d’envergure se profile à l’horizon. Ne pourrions-nous pas tous nous entendre et manger ? Ce serait un bon compromis en ces temps de polarisation croissante.

Il s’avère que la Russie et l’Ukraine sont importantes dans le Département de Prévention des Famines. À moins d’un revirement rapide sur la scène mondiale, les prix des aliments vont grimper. Toujours plus haut. Et c’est presque le meilleur scénario possible.

Commençons par quelques chiffres :

Environ un tiers des exportations mondiales d’orge proviennent de la Russie et de l’Ukraine réunies, 29 % du blé, 19 % du maïs, ainsi que 80 % de l’huile de tournesol. Une grande partie de ces produits est généralement expédiée par les ports de la mer Noire d’Odessa ou de Kherson.

Imaginez maintenant qu’une guerre – pardon, une « non-guerre » – et une liste interminable de sanctions compliquent l’exportation de ces produits agricoles. Y compris des engrais et des nutriments pour les cultures, que la Russie envoie aux agriculteurs du monde entier.

En prime, imaginez qu’il devienne plus coûteux de transporter toutes ces marchandises russes et ukrainiennes – et celles de tous les autres – en raison de la flambée des prix du carburant.

Pas besoin d’imaginer quoi que ce soit, évidemment. Bienvenue en 2022 ! Comme l’a noté le ministère russe de l’Industrie et du Commerce le 4 mars :

En raison de la croissance rapide des prix mondiaux du gaz, les usines ont réduit la production d’engrais, ce qui n’a fait qu’augmenter la demande de produits russes sur le marché mondial…

À l’heure actuelle, on assiste à une situation où, en raison du sabotage des livraisons par un certain nombre de sociétés de logistique étrangères, les agriculteurs d’Europe et d’autres pays ne peuvent pas recevoir les volumes d’engrais prévus dans les contrats. Cela crée des risques évidents de mauvaises récoltes et, par conséquent, de pénuries alimentaires pour les pays d’Europe occidentale et orientale, d’Amérique latine, d’Asie du Sud et du Sud-Est.

Passons brièvement en revue certains des dégâts.

Des bastions de stabilité comme l’Égypte, le Liban et la Libye dépendent des importations de blé russe et ukrainien. Les stocks de blé existants empêcheront probablement une pénurie catastrophique à court terme, mais une augmentation, même modeste, du prix du pain pourrait suffire à déclencher Mad Max version Moyen-Orient.

Mais ne vous sentez pas exclu si vous vivez en Europe.

« Tout est en train de grimper à la verticale. Toute la chaîne de production des aliments est sous pression de toutes parts », a déclaré au Sydney Morning Herald Abdolreza Abbassian, l’ex-chef des agro-marchés de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. « Je n’ai jamais rien vu de pareil en 30 ans et je crains que les prix ne soient encore beaucoup plus élevés pour la saison 2022-2023. La situation est tout simplement horrible et, à un moment donné, les gens vont se rendre compte de ce qui peut arriver. Nous allons tous devoir nous serrer la ceinture, et l’ambiance pourrait devenir très désagréable, même dans les pays de l’OCDE comme la Grande-Bretagne », a-t-il ajouté.

[…]

Et n’oublions pas Hamburgerland.

En début de semaine [début mars, NdT], un producteur de maïs et de soja a déclaré à Tucker Carlson que « la flambée des prix des engrais risque de faire grimper les prix des denrées alimentaires » et a prédit que les factures d’épicerie atteindraient 1.000 dollars par mois. Il a également mis en garde contre le « syndrome de l’étagère vide ».

Bloomberg décrit littéralement la situation à laquelle nous sommes confrontés comme une sorte de dilemme (ou d’opportunité ?) malthusien :

Il est difficile de surestimer l’importance des engrais. L’apparition des engrais synthétiques à base d’ammoniac, il y a environ un siècle, est largement reconnue pour avoir aidé la production alimentaire à suivre le rythme de la croissance démographique mondiale, libérant ainsi l’humanité de la contrainte malthusienne. Au cours de cette période, la population de la planète est passée de 1,7 milliard à 7,7 milliards, en grande partie grâce à l’énorme croissance des rendements agricoles. Certains experts ont estimé que la population mondiale pourrait être la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui sans les engrais azotés.

Hmmm.

Des problèmes se profilent également pour les Russes (et votre humble correspondant à Moscou).

La substitution des importations était censée protéger la Russie des manigances économiques. Cette politique a donné un énorme coup de pouce à l’agriculture russe, mais il y a un problème.

En dehors des céréales, la Russie importe la quasi-totalité de ses semences. Oui, même les semences de pommes de terre.

 

 

 

Soupir.

 

 

Comme l’a expliqué un fermier russe :

 « Aujourd’hui, nous achetons des semences à l’étranger, parce que pendant l’ère Eltsine, tous les fonds destinés aux semences ont été détruits, et les stations de semences ont été fermées », explique l’agriculteur Arkady Dudov. « Il faut des décennies pour faire revivre tout ça… Du coup, toutes nos semences sont à présent hollandaises et américaines. Ils nous vendent des hybrides que nous cultivons. »

Le 1er février, un législateur russe de haut rang a décrit la dépendance de son pays à l’égard des semences importées comme proche de la catastrophe :

 

 

 

 

Tout cela s’ajoute à une inflation galopante (qui n’est pas propre à la Russie, bien sûr). Avant même que la non-guerre ne commence, les prix des produits de base comme le sarrasin explosaient déjà.

 

 

 

 

Réellement douloureux pour de nombreux Russes, notamment les retraités.

Pendant ce temps, l’agriculture russe dépend presque entièrement d’équipements importés, ce qui crée des problèmes supplémentaires pour les agriculteurs :

L’interdiction des transactions avec les non-résidents de la Fédération de Russie, ainsi que les sanctions américaines et européennes concernant l’arrêt des livraisons d’équipements sur le marché russe, vont créer des problèmes importants pour les producteurs agricoles nationaux. Les acteurs du marché déclarent un degré extrêmement élevé de dépendance à l’égard des équipements, des consommables et des composants importés, qui ne peuvent pas, dès maintenant, être remplacés par des analogues russes. Les experts notent que si la Russie est en mesure de répondre à ses propres besoins en produits de base, toutefois, compte tenu de la structure actuelle de la production, des problèmes pourraient survenir à moyen terme.

C’est un peu le bordel.

Comme l’a noté l’autre jour le plus grand rabat-joie de Russie :

On voit déjà clairement comment les événements se déroulent – le terrain est préparé pour la perturbation de la campagne de semis de cette année. Ici les actions militaires en Ukraine, là les restrictions imposées à la hâte sur l’approvisionnement en engrais, ailleurs les interdictions convulsives sur les exportations alimentaires. Elles ne font que commencer, mais selon la logique des choses, elles vont se transformer en glissement de terrain en pas plus d’un mois .

La crise (et après elle la catastrophe différée) peut affecter plusieurs régions d’un seul coup, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord s’avérant les plus importants et à la plus grande échelle. Les déséquilibres entraîneront une flambée des prix, la panique et la spéculation sur le marché alimentaire. Le prix du blé augmente déjà à un rythme rapide. Tout cela se traduira par une forte hausse des prix des produits alimentaires de base socialement importants, et un paradoxe bien connu apparaîtra : avec un excès de nourriture, sa consommation sera violemment rationnée. Selon diverses estimations, la catastrophe concernera des macro-régions comptant au total 2 milliards d’habitants.

C’est pourquoi l’« opération spéciale » est un épisode mineur de peu d’importance dans le contexte des cataclysmes imminents. Pour ceux qui meurent aujourd’hui sur le territoire de l’Ukraine, c’est bien sûr une maigre consolation, mais la position de l’Occident semble extrêmement pragmatique. Et, bien sûr, cynique. Le processus a été lancé, ces neuf jours ont [délibérément ? NdT] lancé la transition d’une phase « épidémie » à une autre – la phase « faim ».

Le fait que l’Ukraine et la Russie aient été utilisées comme un outil n’en dit pas très long sur l’esprit de l’Occident, mais sur l’insondable bêtise des participants directs à la compétition actuelle.

Ça résume assez bien la situation.

 

Source : https://edwardslavsquat.substack.com/p/up-next-global-food-crisis?s=r

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/et-maintenant-une-crise-alimentaire-mondiale/

 

 

 

 

 

Mars 2022

 

 

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