MYSTERIUM

                Monaldi et Sorti

 

[Communiqué de presse hollandais, traduit couci-couça de l’anglais par c.l. pour Les Grosses Orchades]

 

L’Empire romain, la civilisation grecque et l’Égypte ancienne n’ont jamais existé ? Ne sont-ils que l’invention d’un groupe de moines du Moyen Âge ? Platon et Aristote, Jules César et Cicéron ne sont que des fantômes ? Leurs œuvres ont été fabriquées des siècles après le Christ ? Aujourd’hui, nous vivons, non pas en 2011, mais vers 1700, ou peut-être même vers l’an 1000 de notre ère ?

Telles sont les théories et les questions troublantes qui se posent aux lecteurs de Mysterium, le nouveau roman de Monaldi et Sorti. Les deux romanciers italiens se sont donné beaucoup de mal pour les rendre digestibles par le grand nombre. L’élaboration de Mysterium, quatrième d’une série de sept romans entamée avec Imprimatur en 2002, a nécessité trois ans de travail et mobilisé une équipe de pas moins de dix personnes (cinq experts graphologues, deux traducteurs de l’hébreu, deux documen-talistes à Rome et à Paris, ainsi que le célèbre spécialiste néerlandais de la Bible Ruben Verhasselt). Une fois encore, l’avant-première mondiale du nouvel ouvrage de Monaldi & Sorti (qui, depuis le boycott d’Imprimatur en Italie, n’ont publié leurs livres qu’en traduction, dans 27 langues et 61 pays) aura lieu aux Pays-Bas.

L’homme à qui on doit la théorie selon laquelle l’histoire, la littérature et la philosophie de l’Antiquité classique sont le fruit d’une tromperie colossale était un membre controversé de la Compagnie de Jésus, Jean Hardouin (1646-1729). Ce savant jésuite prétendait avoir découvert une sorte de code secret, imaginé par des faussaires monastiques entre les 13e et 14e siècles, qu’on retrouve dans la trame de toutes les œuvres de l’Antiquité. Le code en question étant truffé de références au christianisme, on en a déduit qu’il révélait que les chefs-d’œuvre de Virgile et de Lucrèce, tout comme ceux de Platon et d’Aristote, étaient d’origine médiévale et avaient donc été écrits, non pas avant l’époque du Christ, mais des siècles plus tard. S’agissait-il d’intuitions géniales ou de folie pure et simple ? Il va sans dire que la théorie de Hardouin a été rejetée par la science officielle. Ses supérieurs l’ont forcé à se taire et ont interdit la publication de ses travaux ; les spécialistes modernes ne voient en lui qu’un incurable cas de paranoïa. Curieusement, ses manuscrits (conservés à la Bibliothèque Nationale de France) n’ont jamais été jugés digne d’examen par aucun expert. Monaldi et Sorti ne raffolent pas des théories du complot. C’est précisément pour cela qu’ils traquent des faits concrets. Ils se sont mis à examiner les affirmations de Hardouin, en travaillant directement sur ses écrits. À leur grande surprise, ils ont constaté que le fameux « code secret » semblait bien émerger, par exemple, des textes de Platon.

Comme les auteurs ne s’attendent pas à être pris au mot, ils ont fait publier sur le site de De Bezige Bij les textes manuscrits de Hardouin conservés à Paris, afin que quiconque le souhaite puisse les examiner de visu et en tirer ses propres conclusions.

Plus dérangeante est, d’après eux, l’intrigue ourdie par Scaliger [Giuseppe Scaligero (1540-1609)], le célèbre savant italo-français vénéré aujourd’hui encore à l’Université de Leyde. Scaliger, auteur des tables chronologiques sur lesquelles l’histoire du monde est encore basée, a fabriqué de toutes pièces un certain nombre de textes grecs, dans le but de simplifier sa tâche de datation des événements survenus dans l’Antiquité. Considéré jusqu’à ce jour comme l’auguste père de notre mémoire universelle, il a toutefois aidé son propre père Jules César Scaliger à fabriquer une mystification flagrante sur les origines de leur propre lignée. En d’autres termes, le savant qui a été le premier à rédiger une histoire de la race humaine se révèle avoir été un vulgaire escroc, créateur du Temps inventé. Dans ces circonstances, il semblait juste de donner à Jean Hardouin une chance de défendre sa cause. Après tout, Isaac Newton pensait lui aussi que l’histoire ancienne a été gonflée de plusieurs siècles et il y a même consacré ses derniers travaux. En Grande-Bretagne, en Allemagne et en Russie, des discussions animées se déroulent depuis des décennies (sans recevoir la moindre attention des médias) entre les défenseurs et les contempteurs du schéma de l’histoire « officielle ». Pour les contempteurs, cela revient, dans le cas le plus extrême, à réduire l’ère moderne de quelque dix siècles, en sorte que Jésus serait né vers 1053.

Mais les sujets inconfortables abordés dans Mysterium ne s’arrêtent pas là. Au passage, les deux auteurs italiens s’en prennent vigoureusement à leur illustre compatriote Galileo Galilei. Le portrait que Monaldi et Sorti dressent du savant toscan ressemble fort peu à l’image pieuse de l’innocente victime de la censure papale que nous ont léguée les livres d’histoire. Au contraire, Galilée s’est donné beaucoup de mal pour irriter le pape, qui était son ami et qui le soutenait. Après avoir suscité la colère d’Urbain VIII, et sans avoir eu à passer un seul jour en prison, il s’est associé avec un avocat retors et exceptionnellement puissant, homme bien oublié depuis, et c’est ce magouilleur qui, tel un RP (spécialiste en relations publiques) moderne, a répandu l’affaire Galilée dans toute l’Europe. C’est à partir de là que l’homme de science italien s’est vu adjuger le rôle de héros et que ses livres, qui jusque-là prenaient la poussière sur les étagères des éditeurs, sont devenus, du jour au lendemain, des best-sellers. Plus récemment toutefois, les théories de Galilée se sont avérées fausses, tant sur le plan expérimental que sur celui de la méthodologie.

Mais Mysterium n’est pas un traité d’histoire, loin de là. C’est un roman plein de suspense qui porte bien son nom : un livre débordant de mystères. Le point crucial de l’intrigue est un meurtre sanglant, qui a réellement eu lieu à Rome il y a plus de 350 ans, et Monaldi & Sorti ont patiemment reconstitué, pièce par pièce, les circonstances obscures de ce crime. Le soir du 20 mars 1641, Jean-Jacques Bouchard, secrétaire de la famille du pape, a été agressé sur la place Saint-Pierre et brutalement battu à coups de bâtons. Il est mort après cinq mois d’une longue agonie. Bouchard (1606-1641) était un jeune et brillant érudit grecisant qui était venu de Paris à Rome pour y étudier un manuscrit extrêmement ancien que l’on croyait perdu depuis des siècles, sur les origines du monde. À cela, son ambition était d’obtenir une crosse d’évêque. La personne soupçonnée d’avoir commandité le meurtre, l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, a évité un procès grâce à sa seule immunité diplomatique. Personne n’a été accusé du crime. Ce qui est étonnant, c’est que parmi les papiers que la victime a légués au célèbre érudit Cassiano Dal Pozzo se trouvait un journal intime, véritable tissu de détails scabreux sur sa propre vie sexuelle : homosexualité, masturbation, impuissance. Le scandale s’est aussitôt répandu jusqu’à Paris et la mémoire du pauvre Bouchard a été vouée à l’opprobre. Depuis lors, il n’a plus jamais été question de lui que comme auteur de ces malsaines confessions intimes. Ses savants ouvrages de philologie sont passés à la trappe et ses papiers ont été dispersés.

Personne ne semble avoir remarqué les curieuses anomalies qui truffent cette affaire. Est-il concevable que quelqu’un qui aspirait à devenir évêque ait laissé à la postérité, avec cinq mois de lente agonie pour y réfléchir, un journal intime qui étale autant de vices ?

Leurs soupçons ainsi éveillés, Monaldi & Sorti ont fait examiner ledit journal par une équipe de graphologues. Dont les conclusions révèlent que, dans les passages érotiques, l’écriture de Bouchard présente les signes caractéristiques de la contrainte. En d’autres termes, Bouchard a été forcé de rédiger les passages qui ont entaché sa réputation à jamais. On retrouve ces traits distinctifs dans l’écriture d’Aldo Moro, l’homme d’État italien enlevé et tué par les Brigades rouges en 1978, qui a écrit, pendant son emprisonnement, une série de mémos et de lettres dramatiques à ses proches et à ses amis, dont le contenu énigmatique fait toujours l’objet de controverses en Italie.

Qui a pu forcer Bouchard à écrire ce qu’il ne voulait pas ? Qui est à l’origine, non seulement de sa mort, mais de la souillure de sa mémoire ? Qu’y avait-il dans ses œuvres qui devait à tout prix être rayé de l’histoire ?

Monaldi & Sorti guident le lecteur vers une réponse possible : le manuscrit sur les origines du monde que Bouchard était en train de scruter avait été découvert à Paris, dans des circonstances quelque peu suspectes, par nul autre que Joseph Scaliger, qui en avait fait, justement, l’une des pierres angulaires de son propre système…

Il est difficile, trois siècles et demi plus tard, d’établir les preuves permettant de condamner l’assassin de Bouchard. Mais les romanciers disposent d’armes particulières. Dans leur avant-propos à Mysterium, les auteurs citent le célèbre j’accuse* écrit par Pier Paolo Pasolini quelques années avant l’enlèvement de Moro, un des épisodes les plus troubles de l’histoire politique récente de l’Italie :

 

« Je sais. Je connais les noms de ceux qui sont derrière tout cela. Je connais les noms du cercle restreint des conspirateurs. Je connais les noms de ceux qui ont mis en œuvre le complot. Je connais les noms du groupe d’hommes de pouvoir. Je connais les noms de ceux qui… Je connais les noms de personnes sérieuses et importantes. Je connais tous ces noms et je connais tous ces faits. Je sais. Mais je n’ai pas les preuves. Je le sais parce que je suis un écrivain, un écrivain qui, par intuition et par déduction, recherche tout ce qui n’est pas connu ou qui est passé sous silence ; un écrivain qui coordonne les faits, même ceux qui sont éloignés dans le temps et dans l’espace, en assemblant les parties désorganisées et fragmentaires d’un cadre politique complet et cohérent, un écrivain qui révèle la logique derrière ce qui semble être un chaos arbitraire, fou et mystérieux. Tout cela fait partie intégrante de mon travail et de l’instinct de mon travail. Je pense qu’il est difficile de se tromper dans les grandes lignes d’un roman, de ne pas se frotter à la réalité, difficile que ses références à des personnes réelles soient inexactes. Je crois que beaucoup d’autres romanciers savent ce que je sais en tant que romancier. Car reconstruire la vérité n’est pas si difficile que cela… ».

 

Comme dans les autres livres de la série Mysterium, le protagoniste du roman est le brillant Atto Melani (1626-1714), chanteur castrat et agent secret. Atto, que les lecteurs ont rencontré, vieux, dans les romans précédents, apparaît ici comme un jeune homme de moins de vingt ans, envoyé par les Médicis de Florence à Paris, pour chanter dans un opéra dont, étrangement, personne ne connaît ni le titre ni le sujet. Il est accompagné d’un secrétaire-chaperon d’âge moyen qui, avec un art subtil, raconte à la première personne les événements dramatiques auxquels il assiste. Le navire sur lequel Atto et ce secrétaire ont embarqué est attaqué par des pirates musulmans. Par miracle, Atto et quelques autres passagers en réchappent, ainsi que deux pirates qui sont d’anciens renégats chrétiens, et parviennent à atteindre un îlot dans la mer de Toscane. Dans ce groupe, qui comprend un certain nombre de savants érudits en grec et en latin très imbus d’eux-mêmes, se trouve un ancien ami de Bouchard, tandis que d’autres connaissent bien Scaliger…

La vérité sur la mort de Bouchard et le mystère du Temps inventé émergent ainsi de l’atmosphère glauque de l’île déserte, où quelques étranges renégats leurrent les naufragés avec des promesses de salut, le mirage d’une capitale populeuse et celui d’une riche abbaye, toutes choses qui s’avèrent de plus en plus difficiles à atteindre. La mort par meurtre ou suicide fera ses victimes. Errant d’une haute tour perchée au sommet d’une falaise à un village abandonné, s’égarant dans des grottes sous-marines peuplées d’étranges créatures aquatiques, en passant par un ancien cimetière et des sentiers perdus dans les fourrés, les naufragés s’entendent raconter  d’effrayants récits de piraterie entrecoupés par les chamailleries médisantes d’érudits irascibles, et finissent par tomber sur le seul exemplaire complet au monde d’un chef-d’œuvre de la Rome antique, le Satyricon de Pétrone, monument littéraire de la dépravation sexuelle. Dès lors, comme une subtile démangeaison, le leitmotiv de la perversion accompagnera jusqu’au bout de leur odyssée les compagnons d’infortune. Mais ce sera la force aveugle et brutale des pirates qui finira par décider du sort du Satyricon redécouvert et donnera un tour décisif au destin de ses découvreurs.

Mysterium est étroitement lié à une autre œuvre récente du couple italien : le roman Dissimulatio, qui a été publié en juin dernier [2020, NdGO] par le CPNB, la fédération des éditeurs néerlandais, avec un tirage extraordinaire de 846.000 exemplaires, à l’occasion du Maand van het Spannende Boek, « le mois du roman à suspense ».

Dissimulatio partage une ligne narrative avec Mysterium : les lecteurs de ce roman y trouveront de nombreuses réponses aux questions que posait Mysterium, et vice versa. Ensemble, les deux romans forment un « conte à deux visages » : comme une boucle de Moebius qui semble avoir deux côtés mais n’en a en réalité qu’un seul (Monaldi & Sorti ont présenté leur idée créative lors de la conférence Belle Van Zuylen à Utrecht en 2008), chacun des derniers titres du cycle Atto Melani sera ainsi accompagné d’un roman plus court révélant sa face cachée, les deux œuvres s’éclairant mutuellement.

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* dont beaucoup pensent qu’il a provoqué sa propre mort et dont nos lecteurs trouveront le texte intégral ici ; https://lyricstranslate.com/fr/io-so-i-nomi-je-sais.html , NdGO.

 

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Juillet 2021