Le navire-école Sagres passant sous le Pont du 25 avril.

 

 

Le Pont du 25 avril, inauguré en 1966 sous le nom de Pont Salazar et rebaptisé après la révolution, est un pont suspendu qui relie Lisbonne à Almada par-dessus le Tage. Il n’y a pas que lui qui ait changé de nom : le Sagres fut d’abord une caravelle allemande, lancée en 1937 sous le nom d’Albert Leo Schlageter. En 1944, le 14 novembre, elle a heurté, dans la mer Baltique, une mine soviétique et s’est retrouvée en cale à Flensburg, en Allemagne, où elle a été saisie par les États-Unis au titre de réparation de guerre. En 1948, les États-Unis l’ont vendu à la marine brésilienne et, en 1961, les Brésiliens l’ont à leur tour vendu aux Portugais… qui en ont fait un navire-école. Il l’est toujours.

 

 

Mieux vaut commémorer tard que jamais.

 

 

48e anniversaire de la Révolution des Œillets

 

 

 

 

 

Nous nous préparions à célébrer comme il se doit cet anniversaire qui nous tient à coeur, quand notre outil informatique a subi un sinistre quasi-total, alourdi d’une catastrophique perte de données, en ce comprise, hélas, la liste de nos abonnés…

 

Au bout de plus d’un mois d’efforts en tous sens, une intervention miraculeuse autant que généreuse a restauré l’essentiel de ce que nous avions perdu et continue de réparer ce qui peut l’être.

 

Les abonnés à notre newsletter qui ne la recevraient pas à partir d’aujourd’hui nous rendraient grand service en nous le faisant savoir.

 

Avec toutes les excuses d’usage pour l’interruption…

 

Il n’y a pas de raison d’oublier les valeureux Portugais sous prétexte de panne informatique.

 

Or donc…

 

Le 25 avril 1974, ces Européens de l’extrême ouest ont, souvenons-nous-en, renversé le régime dictatorial salazariste qui était au pouvoir chez eux depuis 1933.

 

 

Pour ceux qui n’étaient pas nés, à qui on ne parle pas de ces choses à l’école :

 

Cette révolution a commencé curieusement : par un coup d’État militaire organisé par le Movimento das Forças Armadas, composé d’officiers opposés au régime. Mais le mouvement en question s’est rapidement doublé d’une campagne imprévue et populaire de résistance civile. Tout cela devait conduire à la chute de l’Estado Novo (nom du régime salazariste) et, plus encore, au retrait du Portugal de ses colonies africaines.

 

Il faut dire que bien des choses se sont produites avant qu’on en arrive là et que, dans la foulée, la conscription en vienne à être supprimée dans tout le camp occidental, avec les conséquences que nous voyons en ce moment même en Ukraine.

 

D’abord, il y avait eu, non pas au Portugal mais aux États-Unis, un très fort mouvement de rejet d’une de leurs guerres – celle du Vietnam – de la part de la jeunesse U.S. Car ce n’étaient pas des mercenaires internationaux qu’alors on envoyait combattre « les communistes » mais des jeunes gens qui ne savaient même pas où se trouvait cette Indochine ex-française et qui avaient commencé à se poser des questions sur la légitimité de cette guerre de leur pays. Beaucoup avaient tenté d’y échapper. Et ceux qui ne l’avaient pas pu s’étaient mis (dans le plus grand silence des gazettes, des radios et des télés) à s’en prendre à leurs officiers. À la grenade. La guerre du Vietnam a donc été gagnée par l’héroïque peuple vietnamien et ses chefs, Ho Chi Min et le légendaire général Giáp, mais aussi par un certain nombre de jeunes Américains affligés d’une conscience. Chose que les « maîtres du monde » n’allaient jamais oublier.

 

Chute de Saïgon : 30 avril 1975.

 

Chute du gouvernement salazariste : 25 avril 1974. Les Portugais avaient un an d’avance.

 

 

 

 

Pour comprendre cela, il faut savoir que le Portugal avait eu ou avait encore, comme d’autres pays d’Europe, des colonies africaines : la Guinée portugaise (l’actuelle Guinée-Bissau) ; la Guinée équatoriale portugaise (1493-1778) ; l’archipel Sao Tomé-et-Principe ; le Cap-Vert, le Mozambique et… l’Angola. Or, depuis 1961, l’Angola était en pleine guerre indépendantiste (les autres aussi, d’ailleurs). Ils se battaient contre leurs occupants portugais. Lesquels y avaient envoyé des troupes… de conscrits, comme c’était l’usage et comme les Américains au Vietnam. Mais les insurgés d’Afrique avaient, eux, reçu la visite de Che Guevara et d’un certain nombre de Cubains venus se battre à leurs côtés, en frères.

 

 

Les Cubains en Angola

 

 

Les jeunes recrues portugaises ne pouvaient pas l’ignorer et on le vit bien quand ils mirent la crosse en l’air en Afrique pour se joindre à l’insurrection en cours dans la métropole. (Je résume honteusement) .

 

Un régime, quel qu’il soit, qui ne peut pas compter sur son armée, est condamné à disparaître. Celui de feu Salazar (mort en 1970) tomba donc et le pouvoir échut aux militaires. Qui, pour la première fois dans l’histoire du monde, le remirent aux civils. Malheureusement pour eux, les civils n’étaient pas préparés à l’exercer. « On » avait tout fait, bien sûr, pour qu’ils ne le fussent pas. Il en va de même partout et c’est quelque chose qu’il vaut mieux savoir. Car c’est par là qu’il faudra repasser tôt ou tard.

 

Aujourd’hui, le Portugal est retombé, grâce aux bons offices des puissances financières supranationales, dans les routines de la corruption, qui sont devenues le cadre de vie essentiel (et général) de l’Europe. Et les Portugais ne s’en consolent pas.

 

 

Des manifestants portugais munis de banderoles manifestant contre l’OTAN devant l’ambassade américaine, le 27 mai 1975 à Lisbonne. (Michel Artault/Gamma-Rapho)

 

 

Il appartient aujourd’hui aux civils, comme aux militaires de là et d’ailleurs, de sérieusement réfléchir à la manière dont il faut s’y prendre pour gouverner autrement. Mais sachez, jeunes gens, que si vous ne faites plus, comme vos pères et vos grands-pères, votre service militaire entre 18 et 20 ans, c’est parce que les « maîtres du monde » ont trop peur de ce que vous pourriez faire un fusil à la main. Ils préfèrent confier leurs armes à des mercenaires, qu’ils paient très cher et dont ils dépendent.

 

Si l’histoire de l’Europe doit nous apprendre quelque chose, c’est que tout au long des guerres d’Ancien Régime  (et dieusait qu’il y en a eu), les mercenaires ont fait à leur gré la pluie et le beau temps, n’hésitant jamais à servir le belligérant d’en face si celui-là le payait mieux ou si l’envie les en prenait. Rien n’a changé aujourd’hui. Le seul grain de sable susceptible de gripper cette belle machine, c’est la conscience, la vôtre. Et là, tout dépend de ce qu’on vous aura appris à l’école, au catéchisme, à la madrasa ou à la yeshiva.

 

Une chose est sûre : les maîtres du monde n’en finissent pas d’inventer des miroirs aux alouettes pour court-circuiter la réflexion chez les jeunes Américains et il ne manque nulle part dans nos pays d’Europe de politiques corrompus pour les imiter à vos dépens : ça va des Black Lives Matter aux seize genres humains au lieu de deux, et de l’éveil (woke), qui sert pourtant à vous endormir, aux LGBTQRXYZ, et des cours de sexualité dès la maternelle à la PMA et on en passe, sans jamais oublier les drogues, outil d’esclavage incomparable (demandez aux Chinois qui s’en sont libérés et pendant que vous y serez, demandez-leur comment ils ont fait).

 

Mais nous voilà bien loin de notre Révolution des Œillets ! Pourquoi ce nom ? Parce que …

 

Au départ, nous l’avons dit, il s’agissait d’un putsch. Militaire. Les conjurés avaient préparé leur coup : lorsque la radio nationale transmettrait une certaine chanson tenue secrète, les différentes parties de l’armée devaient occuper certains endroits stratégiques et les contrôler. La chanson choisie était une chanson interdite par le pouvoir : Grândola, Vila Morena, du compositeur José « Zeca » Afonso, personnage devenu légendaire, qui allait plus tard venir chanter à Paris, à Bruges et dans d‘autres lieux.

 

 

José Afonso

 

 

Et pourquoi les œillets ? Parce que l’un des points que les insurgés devaient occuper était le marché aux fleurs, et que sur ce marché, une fleuriste – en même temps pacifiste – du nom de Celeste Caeiro, eut l’inspiration d’offrir tous ses œillets rouges aux militaires… qui les mirent à leurs boutonnières et à la pointe de leurs fusils, et parce que tout le monde les imita.

 

 

 

C’est elle.

 

 

Pourquoi les œillets à la pointe des fusils à la place des baïonnettes ? Pour signifier que la révolution ne voulait pas être sanglante. Elle ne le fut pas, si on excepte les 4 morts tombés victimes d’une police fidèle au régime, qui fut vite mise au pas, non de l’armée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle était née en même temps que la dictature, le 2 mai 1933. On l’appelle maintenant Celeste dos cravos : Céleste aux œillets.

 

Et bien des années ont passé.

 

 

 

 

Une chanson qui a fait l’histoire

 

Grândola Vila Morena

Zeca Afonso

 

 

Grândola, Vila Morena

Terre de fraternité

C’est le peuple qui doit commander  

En toi, ô ville

 

En toi, ô ville

C’est le peuple est en charge

Terre de fraternité

Grândola, Vila Morena

 

À chaque coin de rue, un ami

Dans chaque visage, l’égalité

Grândola, Vila Morena

Terre de fraternité

 

Terre de fraternité

Grândola, Vila Morena

Dans chaque visage, l’égalité

C’est le peuple qui doit commander

 

 À l’ombre d’un chêne vert

Qui ne savait plus quel âge il avait

J’ai juré d’avoir pour camarade

Grândola, votre volonté

 

Grândola, votre volonté

J’ai juré d’avoir pour camarade

À l’ombre d’un chêne vert

Qui ne savait plus quel âge il avait

 

 

 

Et qui continue

 

 

Le 15 février 2013, au Parlement,  Passos Coelho, le Premier ministre portugais, tente de justifier la politique d’austérité. Tout à coup, dans la tribune, un homme se dresse et entonne Grândola Vila Morena, la chanson qui a été, quarante ans plus tôt, le signal de départ de la Révolution des œillets.

 

 

 

 

 

 

Grândola Vila Morena le 2 mars 2013 à Porto

 

 

 

 

 

A Grândola foi à janela e até Marcelo se juntou

En version instrumentale ou chantée, dans tout le pays et à l’étranger, il y a eu des interprétations de Grândola, Vila Morena, à 15h ce 25 avril. Même le président de la République a été filmé par son voisin. (On le voit ici, au balcon du palais de Belem, NdE).

 

 

 

 

 

 

Toujours en mars 2013 :

Lisbonne chante Grândola Vila Morena contre la Troïka et le gouvernement de Pedro Passos Coelho

 

 

 

 

Quelques années seulement avant sa mort…

 

Zeca Afonso chante Grândola Vila Morena.

Sans censure !

 

 

[La dernière partie de cette vidéo, où l’auteur poing levé faisait une déclaration énergique, avait été censurée sur RTP1. Cette version comporte la partie manquante, qu’on ne voit pas mais qu’on entend, tirée de l’album Ao vivo no Coliseu]

 

 

Mis en ligne par quelqu’un qui disait :

« J’ai beaucoup pensé à cette chanson ces derniers temps, surtout quand on voit un projet fascistoïde grandir au Portugal et sa clique répugnante menacer le président de l’assemblée de la république et s’en tirer à bon compte. Comment certains Portugais peuvent-ils encore soutenir un fasciste ? J’espère que ma génération est prête à se battre pour la liberté comme l’ont fait mes grands-parents il y a 47 ans. 25 avril Toujours, plus jamais le fascisme.

Comme le grand jour du 25 avril approche, et pour réchauffer les moteurs, nous chantons cette précieuse chanson du grand Zeca, Grândola Vila Morena, surtout en ces jours de la maudite COVID-19, qui, nous l’espérons, tournera de haut en bas, jamais l’inverse. Le 25 avril Toujours ! Animo : Always Zeca : et Always 25 avril. »

 

 

 

 

 

Et pour finir, quelques-uns des « déplorables » chers à l’auteur.

 

Les Ganhões de Castro Verde, chantent Grândola, Vila Morena. Enregistré à Castro Verde, Beja, Alentejo (Baixo Alentejo) le 13 février 2014

 

 

 

 

 

Il existe même une très belle version polonaise de Grândola. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer de rien.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=JGmru1BD3w0

 

 

 

Petite biographie d’un compositeur-agitateur :

 

Zeca Afonso

 

 

 

 

José Manuel Cerqueira Afonso dos Santos, plus connu sous le nom de Zeca Afonso (2 août 1929 – 23 février 1987) est un compositeur de musique militante portugais. Il a écrit, entre autres, des chansons critiquant le régime salazariste qu’a connu le Portugal entre 1933 et 1974.

Jose Afonso est né le 2 août 1929 à Aveiro, ville dans la Région Centre du Portugal

Il vit une partie de son enfance en Angola et au Mozambique (où son père commence une carrière de magistrat) sauf les quatre premières années, passées sur sa terre natale, avec sa famille maternelle.

Il étudie au lycée et à l’université de Coimbra complétant ses études en Sciences historico-philosophiques. Il commence à chanter des sérénades et entame une déambulation plus ou moins bohème vers sa sixième année de lycée en 1949. À partir de là, il parcourt le pays, en chantant et en se mêlant surtout aux milieux populaires : Afonso est un chanteur-compositeur politiquement engagé aux côtés des exploités et des opprimés.

De 1964 à 1967, il est professeur au Mozambique, à Maputo (ex Lourenço Marques) et à Beira. De retour au Portugal, il s’installe avec sa famille à Setúbal, où il enseigne jusqu’à ce qu’il soit expulsé de l’enseignement officiel pour motifs politiques en 1968. Il a recours alors aux leçons particulières et à la production musicale dont il finit par faire son activité professionnelle. Il fonde, avec d’autres artistes, le Cercle Culturel de Setúbal.

Dans les cinq ans précédant la chute du régime salazariste, il exerce, par la pédagogie du chant et de la parole, une action d’agitation et de conscientisation politiques dans des collectivités culturelles et récréatives, dans des associations académiques et dans des organisations populaires, et, à l’étranger, parmi les colonies d’émigrants. Il est arrêté et emprisonné quelque temps, dans la prison politique de Caxias, le 29 avril 1973, en conséquence d’une période de poursuites persécutrices et de détentions exercées par la PIDE, la police politique de l’Estado Novo.

En 1971, Jose Afonso va produire au Château d’Hérouville sa chanson la plus connue : Grândola, Vila Morena. Parlant de la ville de Morena, elle sera interdite par le régime de Salazar en raison des idées communistes qu’elle propagerait. C’est elle qui sera utilisée comme signal de ralliement par le MFA (Mouvement des Forces Armées progressistes) pour renverser l’Estado Novo aux petites heures du matin, le 25 avril 1974.

Après la Révolution des Oeillets, Afonso se consacre aux organisations populaires « de base », agissant auprès des associations d’habitants, de travailleurs, des coopératives de production agricole, etc. Lors des élections à la présidence du Portugal, il appuie la candidature d’Otelo Saraiva de Carvalho, qui ne sera pas élu.

 

 

Otelo de Carvalho

 

https://fr.euronews.com/2021/07/25/portugal-otelo-stratege-de-la-revolution-des-oeillets-est-mort

 

 

Ses derniers spectacles vont se dérouler en 1983 aux Colisées de Lisbonne et Porto.

Il meurt à Setúbal, le 23 février 1987, à 57 ans, victime d’une sclérose latérale amyotrophique.

 

 

 

 

Un commentaire trouvé en ligne :

 

 

Je suis angolais , j’ai 27 ans et j’aime énormément les chansons du Dr José Afonso.

 

 

 

 

 

Mis en ligne le 21 mai 2022

 

 

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