Edward Thomas

 

 

 

 

 

 

 

Philip Edward Thomas (Lambeth, Londres, 1878) – (Arras, France, 1917) est un poète et essayiste britannique d’origine galloise moins connu du public français, qui est considéré comme un « poète de guerre » bien que son nom ne figure même pas dans l’article wikipedia qui leur est consacré, et en dépit du fait que très peu de ses poèmes aient réellement trait à la guerre, mais sans doute parce qu’il y a trouvé la mort.

Àgé de 36 ans et père de famille au moment de la déclaration de guerre, jouissant d’une forte réputation de critique et d’une réputation de poète en plein essor, il devait s’engager en 1917 dans des circonstances très particulières et mourir devant Arras, le jour de Pâques 1917, peu après son arrivée en France.

Nous nous retrouvons, ici encore, dans une histoire de profonde amitié entre deux poètes.

 

 

 

Edward Thomas, Robert Frost et

le chemin de la guerre

 

 

 

Leur amitié était si étroite qu’ils avaient prévu de vivre côte à côte en Amérique

 

 

 

Si Thomas avait 36 ans à l’été 1914, Frost en avait 40. Aucun des deux hommes ne s’était encore fait un nom comme poète. Thomas avait publié deux douzaines de livres en prose et rédigé près de deux mille critiques, mais il lui restait à écrire son premier poème. Il travaillait de façon épuisante et précipitée, « brûlant ma chandelle par les trois bouts », disait-il à Frost, pour respecter les délais des éditeurs littéraires londoniens, et il était convaincu de n’être guère plus qu’un amateur.

Thomas était psychiquement malade : depuis l’université, il était la proie d’une humeur noire et d’une dépression incoercibles, qui le poussaient à s’en prendre à sa famille, à humilier sa femme Helen et à provoquer les pleurs de ses trois enfants. Il se méprisait alors pour la douleur qu’il leur infligeait et quittait la maison, parfois pendant des mois, pour leur épargner de nouvelles angoisses. « Notre vie commune n’a jamais été, pour ainsi dire, à niveau » devait dire Helen après sa mort, « c’étaient soit de grandes hauteurs soit d’insondables profondeurs ». Mais les hauteurs d’Edward n’étaient pas celles d’Helen, et ses profondeurs étaient bien plus profondes. Il a cherché de l’aide chez les psychiatres à une époque où il y en avait fort peu, et a quand même eu la chance de tomber sur un jeune pionnier de la discipline, futur élève de Carl Jung, qui a tenté, sur son cas, une cure par la parole. Une cure qui progressait tant bien que mal depuis un an, quand Thomas, brusquement, a laissé tomber.

Pourtant, il a continué d’espérer que « quelqu’un » arriverait à l’arracher à son découragement chronique. « Je suis sûr que mon salut dépend d’une personne », a-t-il prophétisé un jour, « et cette personne ne peut être Hélène, car elle me ressemble trop ». Une telle personne allait effectivement surgir pour l’aider dans sa détresse : Robert Frost.

Frost, écrivain américain, avait déménagé sa famille en Angleterre en 1912, pour tenter de relancer une carrière littéraire au point mort dans son pays. Trentenaire et père de quatre enfants, il n’avait encore réussi à publier qu’une poignée de poèmes dans les magazines littéraires américains et se demandait alors s’il devait installer les siens à Londres ou à Vancouver. Il avait joué sa décision à pile ou face. La face avait dit « Londres ».

À Londres, cependant, les critiques n’avaient pas été frappés par ses oeuvres… sauf Thomas. critique intrépide et influent, malgré ses problèmes existentiels, que le Times avait un jour décrit comme « l’homme qui détient les clés du paradis de la poésie anglaise ». Il avait déjà identifié les qualités d’un jeune Américain de Londres nommé Ezra Pound et contribué à façonner l’accueil réservé à Walter de la Mare, à W.H. Davies et à bien d’autres encore. On l’avait donc pris au sérieux quand il avait chanté les louanges de Frost.

Les grévistes, les syndicalistes, les suffragettes, les républicains irlandais et les chômeurs n’étaient que quelques-uns des groupes rebelles que l’Angleterre s’efforçait de mater en 1914 et qu’elle aurait très bien pu échouer à réprimer si la guerre n’avait pas si opportunément éclaté. Les jeunes poètes qui émergeaient à la même époque étaient, à leur manière, également en révolte contre la décrépitude de la Grande-Bretagne victorienne. Le centre de leurs activités était la toute nouvelle Poetry Bookshop de Bloomsbury, d’où sont sorties deux anthologies rivales : la manucurée mais populaire Georgian Poetry, compilée par le secrétaire du premier lord de l’Amirauté, Edward Marsh, et la radicalement expérimentale Des Imagistes, éditée par Ezra Pound.

Thomas et Frost, eux, ont creusé leur propre sillon. Chaque fois que Thomas rendait visite à Frost en 1914, ils se promenaient ensemble dans les champs du Gloucestershire. Frost appelait ces promenades des « causeries » et leurs conversations portaient sur le mariage et l’amitié, la faune et la flore, la poésie et la guerre.

« Il m’a donné un statut de poète », a-t-il dit à propos de Thomas, « lui plus que tout autre ». Cet été-là, il fera plus que lui rendre la pareille en reconnaissant une poésie innée dans les écrits en prose de Thomas et en implorant son ami de se replonger dans ses livres topographiques et de les « écrire en vers, exactement à la même cadence ». C’est ce que Thomas fera et, avec les encouragements de son ami, il s’engagera dans une voie qui l’éloignera de son travail alimentaire de critique.

Dès lors les poèmes se mettront à arriver rapidement, « en hâte et en tourbillon » :  75 rien qu’au cours des six premiers mois.

L’amitié qui s’était développée entre eux était si étroite que Thomas et Frost prévoyaient de vivre côte à côte en Amérique, écrivant, enseignant, cultivant. Mais Thomas était un homme en proie à l’indécision, et sa nature torturée n’arrivait pas à choisir entre une vie avec Frost et la tentation des combats en France. Qui l’eût cru ? La guerre semblait, pour lui, une issue si improbable ! Car il était anti-nationaliste, méprisait le chauvinisme et le racisme que la presse ne cessait d’alimenter, refusait de haïr les Allemands ou de s’enflammer d’amour patriotique pour les Anglais ; il a même dit  un jour que ses vrais compatriotes étaient les oiseaux. Mais s’il était indifférent à la politique du conflit, il avait commencé à songer à la terre sous ses pieds et au mode de vie qu’elle portait. Que ferait-il, s’il était appelé à se battre pour la protéger, se demandait-il. Ferait-il même quoi que ce soit ?

Pendant un an, Thomas s’est interrogé de cette façon. Maladivement velléitaire, certes. Et au bout du compte, la belle amitié qui le liait à Frost – si importante pour l’un comme pour l’autre des deux hommes – allait vaciller et Thomas allait partir en guerre.

À cause de son ami. À cause d’un poème.

 

Un poème peut-il décider du sort d’un homme ?

À l’origine, un incident qui les avait opposés, malgré eux à un garde-chasse local. Lequel, armé d’un fusil, leur avait enjoint de « dégager » d’un bois où ils se promenaient, derrière le cottage de Frost. Le sang de celui-ci, sûr de son bon droit, n’avait fait qu’un tour et il avait été sur le point de boxer l’olibrius quand il avait vu Thomas pâlir et reculer. Il avait donc, de mauvais gré, obtempéré et les deux poètes avaient continué ailleurs leur promenade et leur discussion, Thomas finissant par dire que l’agression était inacceptable et que quelque chose devait être fait. Sur quoi, Frost, énervé, s’était écrié qu’en effet et que si Thomas voulait bien le suivre, il le verrait faire.

Ils avaient alors cherché, jusqu’à la trouver la maisonnette du gardien, où Frost avait frappé à la porte et annoncé à l’énergumène ce qui lui arriverait s’il s’avisait encore de les menacer ou de leur interdire quelque chose, avant de tourner les talons et de se préparer à partir. Mais l’homme avait décroché son flingue et, cette fois, mis Thomas en joue. Instinctivement, Thomas avait, une fois de plus, reculé et l’autre les avait chassés ignominieusement.

Frost était en paix avec lui-même. Il avait fait ce qu’il fallait pour se faire respecter, mais Thomas aurait aimé que son courage n’eût pas été mis à l’épreuve en présence de son ami. Il était sûr de s’être montré lâche et soupçonnait Frost de le penser. Non pas une mais deux fois, il avait flanché. Son courage lui avait fait défaut au moment où certains de ses amis, comme Rupert Brooke, avaient trouvé celui d’aller affronter de graves dangers outre-mer. Il s’était senti bafoué par les événements et peut-être même méprisé par l’ami le plus cher qu’il eût jamais eu, et il s’était juré de ne plus à l’avenir se laisser bousculer par personne. Le moment venu, il saurait garder son sang-froid et affronter les tireurs. (Sa peur du garde-chasse n’était pourtant qu’un signe d’intelligence plus vive que celle de son ami.)

« C’est pour ça qu’il est allé à la guerre », a plus tard dit Frost.

Il manquait cependant, à sa décision finale, à son passage à l’acte, un élément déclencheur. Et c’est un autre épisode de ses relations avec Frost qui allait le procurer.

Au début de l’été 1915, six mois après l’incident du garde-chasse, Frost était retourné temporairement dans le New Hampshire. Thomas jouait avec l’idée de le rejoindre, il préparait déjà sa mère à cette éventualité et en faisait part à Frost : « Je considère l’Amérique comme ma seule chance (Paradis mis à part) », mais il recommençait à tergiverser et, bien que la conscription n’ait pas encore été décrétée, il lui parlait aussi de l’attraction qu’exerçait sur lui la guerre en France : « Franchement, je ne veux pas y aller, mais il ne se passe pas un jour sans que je pense que je devrais y aller. Sans conscription, le problème est sans fin. »

Il n’était pas tant que cela sans fin, car un beau jour est arrivé par la poste un  poème de Frost intitulé « Deux routes » et bientôt rebaptisé « Le chemin qui n’a pas été pris »  :

 

… Je le dirai avec un soupir

Quelque part dans des siècles et des siècles :

Deux chemins divergeaient dans un bois.

J’ai pris celui qui était le moins fréquenté,

Et cela a fait toute la différence.

 

Le poème avait obtenu un succès immédiat sans que personne comprenne exactement ce qu’il voulait dire. Sans que, peut-être, Frost lui-même le sache. Qu’importe ? Il avait apporté à Thomas un message personnel…

Nombreuses avaient été les promenades où Thomas entraînait Frost sur l’un ou l’autre sentier, en lui promettant des fleurs sauvages rares ou des œufs d’oiseaux particuliers, pour finir par se repentir de son choix lorsque le chemin qu’ils avaient pris ne révélait aucune de ces merveilles. Amusé par l’incapacité de Thomas à se satisfaire, Frost lui avait fait observer : « Quel que soit le chemin que tu prends, tu soupireras toujours et tu souhaiteras toujours en avoir pris un autre ». On pouvait considérer ses quelques nouveaux vers comme une taquinerie. Mais ce que Thomas y a vu, c’est une critique de son ami à son égard, quoi qu’ait pu lui en dire Frost, pour qui tout cela n’était pas sérieux. Mais pour Thomas, c’était sérieux et il le lui annonçait bientôt dans une lettre : « La semaine dernière, je m’étais mis dans tous mes états au point de croire que je devais venir en Amérique et faire des conférences si quelqu’un me le demandait. Mais j’ai changé d’avis. Je vais m’enrôler mercredi, si le médecin me le permet. »

Un peu auparavant, il lui avait aussi écrit sur le besoin urgent de protéger, et si nécessaire, de se battre, pour la vie et le paysage qui l’entouraient – « J’avais le sentiment que quelque chose devait être fait avant que je ne puisse à nouveau regarder sereinement le paysage anglais » – et bien qu’il ait dû lutter pendant un certain temps pour décider de ce qui pouvait être fait, finalement, il avait su.

En juillet 2015, Thomas est déclaré apte par le médecin et, la même semaine, déjeunant avec une amie, il lui annonce qu’il vient de s’engager dans les Artists Rifles, et qu’il est heureux ; il ne sait pas pourquoi, mais il est heureux.

« Je savais que la lutte qui se déroulait dans son esprit se terminerait ainsi », a écrit Helen.

Il fut tué le premier jour de la bataille d’Arras, à Pâques 1917 ; il avait survécu à un peu plus de deux mois en France. Et il est mort bêtement : en allumant sa pipe, debout, cible trop tentante pour qu’un tireur y résiste. On a écrit à sa femme que tout s’était passé très vite et qu’il n’avait pas beaucoup souffert. On l’écrit toujours. Ce n’était pas vrai. Ce n’est jamais vrai. Il avait été frappé en pleine poitrine, mais pas au cœur.

Bien que peu de ses poèmes aient été publiés de son vivant, ses admirateurs ont été nombreux et de qualité : W.H. Auden, Cecil Day-Lewis, Dylan Thomas, Philip Larkin, Ted Hughes, Andrew Motion et Michael Longley, entre autres. Mais peut-être aucun poète ne l’a-t-il jamais apprécié autant que Robert Frost.

Une guerre, un garde-chasse et un chemin non emprunté se sont interposés entre les deux amis, mais ils avaient alors irrévocablement changé la vie l’un de l’autre. Thomas a tiré l’œuvre de Frost de l’obscurité vers une lumineuse clairière, d’où l’Américain allait vendre un million de livres de poésie au cours de sa vie. Frost, à son tour, a libéré le poète en Thomas et a même trouvé un éditeur aux États-Unis pour ses vers. Ce livre porte la dédicace que Thomas a griffonnée la veille de son départ pour la France : « À Robert Frost ». Et Frost lui a répondu en écrivant : « Edward Thomas était le seul frère que j’aie jamais eu ».

 

Source : Ce qui précède doit beaucoup à un article de Matthew Hollis (The Guardian, 29.7.2011)

 

 

 

 

 

Ses œuvres

 

 

 

 

Edward Thomas wrote a lifetime’s poetry in two years. Already a dedicated prose writer and influential critic, he became a poet only in December 1914, at the age of 36. In April 1917 he was killed at Arras. Often viewed as a ‘war poet’, he wrote nothing directly about the trenches; also seen as a ‘nature poet’, his symbolic reach and generic range expose the limits of that category too. A central figure in modern poetry, he is among the half-dozen poets who remade English poetry in the early 20th century. Edna Longley published an acclaimed edition of Edward Thomas’ « Poems » and « Last Poems » in 1973. Her work advanced Thomas’ reputation as a major modern poet. Now she has produced a revised version, which includes all his poems and draws on freshly available archive material. The extensive notes contain substantial quotations from Thomas’ prose, letters and notebooks, as well as a new commentary on the poems. The prose hinterland behind Edward Thomas’ poems helps us to understand their depth and complexity, together with their contexts in his troubled personal life, in wartime England, and in English poetry. Edna Longley also shows how Thomas’ criticism feeds into his poetry, and how he prefigured critical approaches, such as ‘ecocriticism’, that are now applied to his poems. The text of this edition, which has a detailed textual apparatus, differs in small but significant ways from that of other extant collections of Thomas’ poems. The Bloodaxe edition is larger (with more comprehensive notes) than Faber’s « Collected Poems » by Edward Thomas as well as a pound cheaper. More importantly, for academic sales, the Bloodaxe text is more authoritative than Faber’s (which uses R. George Thomas’ 1978 text). Edna Longley has used manuscripts, proofs and newly available archive material to establish a text for Edward Thomas’ complete poetry which will now be used by scholars and students in all future discussions of his work.

 

 

La bibliographie d’Edward Thomas est très riche, tant en poésie qu’en prose, mais rien n’a été, à ce jour, publié en français. Nous nous contentons donc de mentionner ce recueil-ci, en anglais. Pour les (nombreux) autres, voir ici .

 

URL de cet article : http://blog.lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.fr/index.php/edward-thomas/

 

 

 

 

Rien n’a été publié en français…

à l’exception de quelques poèmes qui ont paru, dans des revues littéraires de qualité, dont deux ont bien voulu nous les communiquer. Qu’elles en soient ici remerciées. Et peut-être, qui sait, éveilleront-elles l’intérêt de quelque éditeur intrépide (il faut l’être, ces jours-ci, pour publier de la poésie inconnue).

 

Lire la suite…

 

 

 

 

 

11 novembre 2021

 

 

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